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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/43/2005

ATA/337/2005 du 10.05.2005 ( JPT ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/43/2005-JPT ATA/337/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 10 mai 2005

dans la cause

 

Monsieur C__________
représenté par Me Yael Hayat, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SÉCURITÉ


 


1. Né le __________1975 et domicilié dans le canton de Genève au bénéfice d’une autorisation d’établissement (permis C), Monsieur C__________ (ci-après : M. C__________ ou le recourant) exerce la profession d’agent de sécurité selon une autorisation qui lui a été délivrée le 4 avril 2002 par le département de justice, police et sécurité (ci-après : le DJPS) à la demande de la société P__________ S.A. (ci-après : P__________).

2. Après avoir été recruté en qualité d’agent de sécurité professionnel à partir du 1er mai 2002, M. C__________ a été promu chef de secteur le 1er mars 2003, puis confirmé dans cette fonction à partir du 1er juillet de la même année. Selon un certificat de travail intermédiaire daté du 10 novembre 2004, M. C__________ avait donné entière satisfaction dans l’exécution des tâches qui lui incombaient, entretenant d’excellentes relations, tant avec les membres du personnel qui lui étaient directement subordonnés, qu’avec ses collègues et ses supérieurs. Aucune lacune n’était à relever dans son comportement professionnel.

3. Dans l’intervalle, soit le 16 septembre 2004, M. C__________ a fait l’objet d’une ordonnance de condamnation pour utilisation abusive d’une installation de télécommunication et injures, comportant une amende d’un montant de CHF 800.- le délai de radiation de l’inscription au casier judiciaire étant fixé à un an. M. C__________ avait envoyé, le 22 août 2004, des messages à caractère pornographique et insultant à une tierce personne.

4. Selon l’enquête de police menée à cette occasion, M. C__________ avait reconnu avoir envoyé les messages susdécrits au cours de la journée du 22 août 2004. Il avait rencontré deux ans auparavant la personne destinataire de ces messages par le biais d’un forum de rencontres via SMS ; il avait échangé quelques messages avec elle avant de la rencontrer à une unique reprise. Il reconnaissait en avoir envoyé à caractère sexuel mais avait mentionné que cette tierce personne était entrée dans le jeu.

5. Le 2 novembre 2004, le DJPS s’est adressé à M. C__________. Il avait fait l’objet d’une ordonnance de condamnation et, compte tenu des faits qui lui étaient reprochés, il ne répondait plus à la condition d’honorabilité prévue par l’article 9 alinéa 1er lettre c du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15 – ci-après : le concordat). Le DJPS envisageait de lui retirer l’autorisation qu’il bénéficiait et l’intéressé devait être entendu sur ce point.

6. Le 17 novembre 2004, un avocat s’est constitué pour la défense des intérêts de M. C__________. L’intéressé avait toujours été bien noté par son employeur. Les messages échangés par le recourant avec la personne qui l’avait dénoncée l’avaient été au cours d’une unique après-midi. Les faits n’étaient pas graves, ne se poursuivaient que sur plainte et avaient été sanctionnés par une simple amende. Le retrait envisagé constituerait une sanction disproportionnée.

7. Le 6 décembre 2004, le DJPS a considéré que M. C__________ n’offrait plus, par ses antécédents, son caractère et son comportement de garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée. Le DJPS prononçait dès lors le retrait de l’autorisation d’engagement dont bénéficiait M. C__________.

8. Par acte daté du 5 janvier 2005 mais remis à un office postal le 6 du même mois, M. C__________ a recouru contre la décision précitée. Celle-ci violait le concordat, car les faits n’étaient pas très graves. L’intéressé demeurait ainsi une personne honnête et digne de confiance. La mesure entreprise violait également le principe de la proportionnalité, car elle était trop sévère à l’aune des faits reprochés à l’intéressé.

A titre provisionnel, M. C__________ a conclu à être autorisé à continuer à exercer sa profession. Dans le cadre de ses conclusions proprement dites, il a demandé également à ce que l’effet suspensif soit octroyé au recours.

9. Le 17 janvier 2005, le DJPS a rappelé que le recours exercé par l’intéressé suspendait de jure toute autre mesure.

10. Le 21 janvier 2005, le président du Tribunal administratif a constaté que la requête de mesures provisionnelles, ainsi que celle en restitution de l’effet suspensif étaient sans objet.

11. Le 7 février 2005, le DJPS a répondu au fond. Le recours était recevable ; le recourant n’étant plus irréprochable et devant être empêché d’exercer la profession d’agent de sécurité, le recours devait être rejeté.

12. Le 15 avril 2005, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle :

a. M. C__________ a exposé qu’il avait suivi un apprentissage partiel de jardinier dans le canton de Vaud. Il n’avait eu un poste que pendant cinq mois dans ce domaine avant d’être engagé par P__________ au mois de mai 2002. La condamnation par ordonnance avait laissé des traces négatives, notamment auprès de sa compagne.

S’agissant des faits pour lesquels il avait été condamné, il les regrettait mais tenait à souligner qu’il avait été provoqué par son interlocutrice, qui avait tiré profit de ce qu’elle savait de sa vie personnelle, notamment du départ de sa mère au Canada. Il n’avait toutefois pas conservé de trace de ces messages. Toujours employé par P__________, M. C__________ souhaitait pouvoir continuer à exercer sa profession pour pouvoir « aller de l’avant ».

b. Le représentant du DJPS, a rappelé que le recourant avait été condamné pour utilisation abusive d’une installation de communication et pour injures et qu’il n’appartenait pas au tribunal de requalifier les faits, l’ordonnance du Procureur général étant définitive. S’agissant d’infractions commises en dehors de l’exercice même de la profession, le DJPS considérait qu’il devait prononcer la caducité de l’autorisation, car le prononcé d’une autre sanction, comme une suspension, était réservée aux manquements commis dans l’exercice de la profession.

13. Le même jour, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Touché par la décision attaquée, le recourant a qualité pour agir. Le Tribunal administratif a admis cette qualité dans des affaires semblables, dans lesquelles l’employeur n’avait pas recouru (ATA/972/2004 du 14 décembre 2004 ; ATA/686/2004 du 31 août 2004 ; ATA/613/2004 du 5 août 2004 et ATA/229/2004 du 16 mars 2004).

3. Le concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15) a été modifié par la convention portant révision du concordat, du 3 juillet 2003 (ci-après : la convention). Le Grand Conseil a adopté, le 11 juin 2004, une loi modifiant la loi concernant le concordat du 2 décembre 1999 (Loi sur le concordat - I 2 14). Ce texte autorise le Conseil d’Etat à adhérer à la convention. Il contient une disposition transitoire, selon laquelle les procédures administratives et judiciaires pendantes à l’entrée en vigueur de la convention sont régies par le nouveau droit.

Le présent litige, concerne des faits qui se sont déroulés à compter du 22 août 2004 ; il est donc entièrement régi par les nouvelles dispositions.

4. À l'instar de l'ancienne loi cantonale sur la profession d'agent de sécurité privée du 15 mars 1985, le concordat a pour but de fixer les règles communes régissant l'activité des entreprises de sécurité et de leurs agents et d'assurer la validité intercantonale des autorisations accordées par les cantons (art. 2 du concordat ; MGC, 1999, IX, p. 9051).

5. L’ancien article 9 alinéa 1er lettre c du concordat prévoyait que l'autorisation d'engager du personnel n'était accordée que si l'agent de sécurité n'avait pas été condamné, dans les dix ans précédant la requête, pour des actes incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée.

Cette disposition qui limitait le libre accès à la profession d'agent de sécurité constituait une restriction à la liberté économique dont la conformité à l'article 36 alinéa 2 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (RS 101) avait déjà été admise par le tribunal de céans (ATA/695/2001 du 6 novembre 2001).

Dans l'exposé des motifs accompagnant le projet d'adhésion à la première version du concordat, il avait été indiqué que certains actes de violence, l'abus de confiance et le vol comptaient, par exemple, au nombre des infractions jugées incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée (MGC, 1998, VI, p. 5197).

Après la révision du concordat, l’article 9 alinéa 1er lettre c a maintenant une teneur nouvelle, selon laquelle :

« L’autorisation d’engager du personnel n’est accordée que si l’agent de sécurité … offre par ses antécédents, par son caractère et son comportement toute garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée ».

Selon l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi, la nouvelle exigence d’honorabilité, critère figurant déjà dans l’ancienne législation genevoise sur les entreprises de sécurité, devait permettre d’examiner si le comportement de l’intéressé était encore compatible avec l’activité dont l’autorisation était requise, même si le candidat concerné n’avait pas été condamné pénalement (ATA/972/2004 et ATA/686/2004 précités).

6. La notion d'actes incompatibles avec la sphère d'activité envisagée ou d'honorabilité fait régulièrement l'objet d'arrêts du tribunal de céans, récemment rappelée presque exhaustivement (ATA/894/2004 du 16 novembre 2004). En substance, le Tribunal administratif tient compte, à cet égard, de l’importance des infractions commises, cas échéant des actes litigieux, de la nature de l’atteinte portée et de la sphère d’intérêts touchée. En règle générale, le fait de commettre des actes de violence justifie le refus d’autorisation de travailler en qualité d’agent de sécurité privée ou le retrait de l’autorisation déjà délivrée. Seules des circonstances particulières, comme une activité professionnelle sans reproche pendant de nombreuses années, peuvent permettre de s’écarter de cette règle. L’analyse de la jurisprudence du Tribunal administratif montre aussi qu’il a tenu compte de la répétition éventuelle des faits reprochés à l’intéressé.

7. L’article 13 alinéa 1 du concordat prévoit que l’autorité doit retirer l’autorisation délivrée lorsque les exigence rappelées ci-dessus ne sont plus remplies. Toutefois, à teneur de l’article 13 alinéa 3 du concordat – dont le texte est identique dans l’ancienne et la nouvelle version - l’autorité administrative peut également prononcer un avertissement ou une suspension d’autorisation d’un à six mois. Cette dernière disposition permet ainsi de sanctionner les manquements aux règles fixées par le concordat sans recourir au retrait de l’autorisation. Elle a la valeur d’une exception au principe de l’interdiction d’exercer la profession au sens du premier alinéa du même article et suppose que l’administré revienne à résipiscence, c’est-à-dire qu’il reconnaisse ses errements et s’amende (ATA/686/2004 précité). La distinction opérée par l’autorité intimée selon laquelle seule une mesure de retrait de l’autorisation était prononcée en cas d’infraction commise hors du service, l’avertissement ou la suspension de l’autorisation étant réservé, le cas échéant, pour sanctionner les manquements commis dans le cadre du travail, ne trouve pas d’appui dans le texte de l’article 13 du concordat. Tant l’autorité administrative que la juridiction de recours peuvent prononcer respectivement un retrait de l’autorisation, un avertissement ou une suspension en fonction de la gravité de la faute commise, sans différence fondée sur le seul fait de savoir si l’agent de sécurité était ou non en service.

Dans l’affaire jugée le 14 décembre 2004, le tribunal de céans avait infligé une suspension de l’autorisation d’engagement délivrée au recourant pour une durée de six mois, car il avait été retenu à l’égard de ce dernier, qu’il s’était trouvé hors service, dans un état d’ébriété avancé dans un établissement public, proférant des menaces à l’égard d’une personne puis pointant une arme sur une seconde.

Dans l’espèce jugée le 31 août 2004, l’agent de sécurité concerné s’était également vu retirer l’autorisation d’engagement dont il était bénéficiaire pour une durée de six mois, car il avait frappé un mineur à la suite d’un échange de propos désagréables.

Dans la présente affaire, le Tribunal administratif retiendra à la charge du recourant, les faits pour lesquels il a été condamné et qu’il avait reconnus, soit l’envoi de plusieurs messages à caractère sexuel et contenant des injures.

À sa décharge, il faut tenir compte du caractère isolé des faits pour lesquels il a été condamné, de l’absence d’autre condamnation et de l’excellence des attestations de travail fournies par l’employeur du recourant.

Au regard de l’ensemble des circonstances, le prononcé d’une décision de retrait de l’autorisation d’exercer la profession d’agent de sécurité serait contraire au principe de la proportionnalité, qui gouverne toute action étatique.

8. Le Tribunal administratif considérera dès lors qu’une suspension de l’autorisation pour une durée de deux mois respecte mieux le principe précité ; il admettra donc partiellement le recours en ce sens.

9. Le recourant, qui agit par le ministère d’un avocat et qui a pris des conclusions tendant au versement d’une indemnité de procédure, s’en verra accorder une, d’un montant de CHF 500.-.

Un émolument de procédure réduit, arrêté à CHF 150.-, sera mis à sa charge (art. 87 al. 1er LPA).

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 janvier 2005 par Monsieur C__________ contre la décision du département de justice, police et sécurité du 6 décembre 2004 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision litigieuse ;

suspend pendant une durée de deux mois l’autorisation d’engagement délivrée à Monsieur C__________ ;

dit qu’une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée au recourant ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 150.- ;

communique le présent arrêt à Me Yael Hayat, avocat du recourant ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

Siégeants : M. Paychère, président, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges, M. Bellanger, juge suppléant

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :