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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/21/2004

ATA/229/2004 du 16.03.2004 ( JPT ) , ADMIS

Descripteurs : AGENT DE SECURITE; PROFESSION; AUTORISATION D'EXERCER; CONDAMNATON; JPT
Normes : CES.9 al.1 litt.c
Résumé : Les actes pour lesquels le recourant a été condamné alors qu'il était mineur ne sont pas incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée. Quant à l'infraction commise alors que le recourant était majeur, elle est intervenue dans le contexte particulier de la fin de l'école de recrue. Le risque de voir le recourant réitérer ces infractions dans l'activité qu'il compte exercer n'est pas concret. Recours admis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 16 mars 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur T.__________

 

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SÉCURITÉ

 



EN FAIT

 

 

1. Par arrêté du 2 octobre 2003, le département de justice, police et sécurité (ci-après : le département) a autorisé l'entreprise RB.__________ snc, de siège à Genève (ci-après : la société), à engager en qualité d'agent de sécurité Monsieur T._________, né le ___________, d'origine vaudoise, domicilié à C.___________.

 

A l'appui de la demande, la société avait produit un extrait du casier judiciaire suisse du 19 septembre 2003 de l'intéressé, vierge de toute inscription, ainsi qu'une attestation de la justice de paix du premier cercle du lac, 1721 Misery, certifiant qu'aucune mesure tutélaire n'avait été prise à l'encontre de M. T.__________.

 

2. Le 10 octobre 2003, le département a délivré à M. T.__________ une carte de légitimation d'agent de sécurité genevois no __________.

 

3. Le 7 octobre 2003, la direction de la sécurité et de la justice du canton de Fribourg a informé le département qu'il allait refuser à M. T.__________ la demande de permis de port d'arme sollicitée.

 

M. T.__________ avait fait l'objet de plusieurs rapports de police au cours des dernières années :

 


- Le 19 juin 2001 : rapport de dénonciation pour scandale sur la voie publique commis le 17 juin 2001 en ville de Fribourg;

 

- Le 30 juin 2001 : rapport de dénonciation pour dérangement d'auberge, violence envers les fonctionnaires, opposition aux actes de l'autorité commis le 13 juin 2001 en ville de Fribourg;

 

- Le 2 octobre 2001 : rapport de dénonciation pour violation de domicile, voies de fait et menaces, commises le 27 août 2001 au domicile des parents de l'amie de M. T.__________;

 

- Le 22 novembre 2002 : rapport de dénonciation pour opposition aux actes de l'autorité, menaces et injures envers les fonctionnaires, troubles de l'ordre public, infraction à la loi fédérale sur les armes et les munitions, faits commis le 25 octobre 2002 au comptoir de Bulle, M. T.__________ étant par ailleurs en état d'ébriété (1,4 gr. o/oo).

 


4. Entendu dans les locaux de la gendarmerie genevoise le 21 octobre 2003, M. T.__________ a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Il a relevé que la majorité de ceux-ci s'étaient produits alors qu'il était encore mineur. Quant à l'événement du 22 novembre 2002, il fêtait la fin de son école de recrues. Après avoir consommé de l'alcool, il avait effectivement fait le fou au Comptoir gruyérien.

 

Il regrettait ses actes et constatait qu'ils portaient ombrage au début de son activité professionnelle. Il souhaitait poursuivre son métier d'agent de sécurité. Il était bien encadré par ses patrons et l'entreprise était sérieuse. Ceux-là avaient rencontré ses parents suite au refus du permis de port d'arme. Ils le soutenaient pour autant qu'il continue à travailler avec sérieux.

 

5. Par courrier du 14 novembre 2003, le département a informé M. T.__________ qu'au vu des faits susmentionnés, il envisageait le retrait de l'autorisation d'engagement dont il bénéficiait. Les actes qui lui étaient reprochés étaient incompatibles avec la condition d'honorabilité contenue à l'article 9 alinéa 1 lettre c du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (le concordat - I 2 15).

 

6. Dans le délai imparti, M. T.__________ a fait valoir ses observations. Il avait passé une période difficile sur le plan affectif et familial. Suite à la rupture avec sa fiancée et la perte de son enfant, il avait été victime d'une dépression qui l'avait mis au plus bas et l'avait fait plonger dans l'alcool. Il avait été suivi par un psychiatre durant une année et mis sous antidépresseurs. Avec l'aide de sa famille et de ses amis, il avait repris peu à peu goût à la vie. A l'heure actuelle, il vivait une relation de couple stable. Il avait trouvé un travail qui lui correspondait, au sein d'une équipe jeune et dynamique et qui lui procurait une grande motivation pour les objectifs futurs. Il espérait obtenir la clémence du département et pouvoir conserver sa carte d'agent de sécurité pour progresser dans ce domaine qui l'avait fait passer du bon côté de la loi.

 

La société s'est portée garante de M. T.. Tout en comprenant la teneur et la gravité des actes reprochés à ce dernier, elle croyait profondément en la qualité, la sincérité de son engagement professionnel et personnel au sein de l'équipe de Fribourg (attestation du 2 décembre 2003).

 

La FNAC F. a également relevé que M. T.__________, affecté à la sécurité de son magasin depuis le 8 octobre 2003, faisait preuve d'un professionnalisme qui lui donnait entière sécurité (attestation du 27 novembre 2003).

 

7. Par décision du 8 décembre 2003, le département a retiré à M. T.___________ l'autorisation délivrée le 2 octobre 2003.

 

Copie était adressée à la société.

 

8. M. T.___________ a saisi le Tribunal administratif d'un recours contre la décision précitée, par acte du 7 janvier 2004.

 

L'autorisation d'engagement en qualité d'agent de sécurité lui avait été octroyée sur la base d'un extrait de son casier judiciaire vierge. Il ne comprenait pas que l'on puisse la retirer alors qu'elle lui avait été octroyée justement sur cette base.

 

Pour le surplus, il a persisté dans ses précédentes explications et conclusions.

 

9. Dans sa réponse du 12 février 2004, le département s'est opposé au recours.

 

Le fait que le casier judiciaire produit à l'appui de la demande ne contienne pas d'inscription n'impliquait pas pour le département de ne pas tenir compte d'inscriptions radiées.

 

Les faits reprochés au recourant étaient relativement récents et inquiétants. Leur répétition dénotait un caractère violent, notamment envers les fonctionnaires, incompatible avec la sphère d'activité professionnelle envisagée. L'interdiction qui frappait M. T. n'était que momentanée puisque dès qu'il remplirait les conditions contenues à l'article 9 alinéa 1 lettre c du concordat, soit en principe le 20 novembre 2012, il pourrait envisager de déposer une nouvelle requête.

 

10. Il résulte du dossier que les faits reprochés au recourant ont donné lieu aux condamnations pénales suivantes :

 


- Jugement de la chambre pénale des mineurs du canton de Fribourg du 11 novembre 2001 à raison des faits perpétrés le 13 juin 2001 : amende CHF 150.-;

 

- Ordonnance de la chambre pénale des mineurs du canton de Fribourg du 24 avril 2002 à raison des faits commis le 27 août 2001 : amende CHF 150.-;

 

- Ordonnance pénale du juge d'instruction du canton de Fribourg du 22 août 2003 à raison des faits commis le 25 octobre 2002 : 3 mois d'emprisonnement, sursis 3 ans, et amende CHF 300.-

 

 


11. Le Tribunal administratif a ordonné l'apport du casier judiciaire de l'intéressé, lequel mentionne la condamnation précitée du 22 août 2003 (extrait du casier judiciaire du 8 mars 2004).

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 lit. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Selon l'article 60 lettre b LPA, ont qualité pour recourir toute les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. L'intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (ATA B. du 8 janvier 2002, A 329/2000, et les références citées). S'agissant de l'intérêt du recourant, mis en doute par l'intimée, il faut l'admettre bien que l'agence de sécurité qui a requis l'autorisation d'exercer n'ait pas recouru parallèlement.

 

En effet, le recourant est destinataire de la décision attaquée et il est toujours lésé par celle-ci. Le Tribunal administratif a admis la qualité pour recourir dans des affaires similaires, dans lesquelles l'employeur requérant n'avait pas recouru (ATA O. du 20 janvier 2004).

3. À l'instar de l'ancienne loi cantonale sur la profession d'agent de sécurité privé du 15 mars 1985, le concordat a pour but de fixer les règles communes régissant l'activité des entreprises de sécurité et de leurs agents et d'assurer la validité intercantonale des autorisations accordées par les cantons (art. 2 du concordat; MGC, 1999, IX, p. 9051).

 

4. L'article 9 alinéa 1 lettre c du concordat prévoit que l'autorisation d'engager du personnel n'est accordée que si l'agent de sécurité n'a pas été condamné, dans les dix ans précédant la requête, pour des actes incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée.

 

Cette disposition qui limite le libre accès à la profession d'agent de sécurité constitue une restriction à la liberté économique dont la conformité à l'article 36 alinéa 2 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (RS 101) a déjà été admise par le tribunal de céans (ATA K. précité).

 

Dans l'exposé des motifs accompagnant le projet d'adhésion au concordat, il est indiqué que certains actes de violence, l'abus de confiance et le vol sont, par exemple, au nombre des infractions jugées incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée (MGC, 1998, VI, p. 5197).

 

5. Le tribunal de céans s'est à plusieurs reprises penché sur la notion d'actes incompatibles avec la sphère d'activité envisagée ou l'honorabilité.

 

Il a ainsi jugé qu'étaient incompatibles avec l'article 9 alinéa 1 lettre c du concordat, les infractions et condamnations suivantes : condamnation pour vol (ATA A. du 10 octobre 2000), pour contrainte (ATA G. S.A. et C. du 30 janvier 2001), pour bizutage (ATA P. du 7 octobre 2001), pour conduite en état d'ivresse et mensonge dans l'établissement des faits (ATA K. du 6 novembre 2001), pour lésions corporelles simples (ATA M. du 13 novembre 2001), pour abus de confiance de CHF 6'000.- (ATA D. du 5 novembre 2002), pour voies de fait ayant eu lieu notamment dans un contexte de dispute familiale (ATA H. du 9 décembre 2003).

 

En revanche, ont été considérés comme compatibles avec les conditions de la disposition concordataire précitée, une condamnation pour vol d'un petit appareil électronique commis par un mineur (ATA T. du 13 mars 2001), des menaces proférées dans le cadre familial (ATA B. du 30 novembre 2001), une violation de domicile et dommage à la propriété commis par un mineur 6 ans avant le dépôt de la requête (ATA T. du 7 octobre 2003), le vol d'un cyclomoteur, dommage à la propriété et cambriolage de boutique de vêtements usagés (ATA O. du 20 janvier 2004).

 

6. Dans sa jurisprudence actuelle, le tribunal de céans considère que les infractions commises par les mineurs doivent être appréciées avec nuance et réserve (ATA O. du 20 janvier 2004 et les références citées).

 

7. En l'espèce, le recourant a fait l'objet de trois condamnations dont deux ont été prononcées alors qu'il était mineur.

 

Les actes commis par le recourant sont rapprochés dans le temps, puisqu'ils se sont pratiquement tous produits en l'espace d'un an et demi. Leur dénominateur commun est la violence, notamment envers les forces de l'ordre. La seule infraction commise alors que le recourant était majeur est intervenue dans le contexte particulier de la fin de l'école de recrues.

 

8. Bien que d'une manière générale, la nature des infractions commises soit incompatible avec l'exercice de la profession d'agent de sécurité, le risque de voir le recourant les réitérer dans l'activité qu'il compte exercer n'est pas concret, contrairement à ce que soutient l'intimé. Cette appréciation se fonde notamment sur les circonstances particulières dans lesquelles les infractions sont intervenues. Pour les premières, le recourant ayant allégué - sans être démenti par l'autorité intimée - avoir traversé une période difficile sur le plan personnel et familial et avoir été suivi par un psychiatre. Quant à l'infraction commise alors qu'il était majeur, elle se situe dans des circonstances qui resteront isolées, puisqu'il s'agissait de la fin de l'école de recrues. A cela s'ajoute que le recourant a déjà obtenu l'autorisation sollicitée et a travaillé en qualité d'agent de sécurité à la satisfaction de ses employeurs.

 

9. En conséquence, le recours sera admis.

 

Aucun émolument ne sera mis à la charge de M. T.__________, ni aucune indemnité allouée, celui-ci agissant en personne et n'alléguant pas avoir exposé des frais particuliers pour sa défense.

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 7 janvier 2004 par Monsieur T.__________ contre la décision du département de justice, police et sécurité du 8 décembre 2003;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision du département de justice, police et sécurité du 8 décembre 2003;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Monsieur T.__________ ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président:

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci