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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3870/2021

ATA/219/2022 du 01.03.2022 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3870/2021-FPUBL ATA/219/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er mars 2022

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Zoé Seiler, avocate

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) Madame A______ a été engagée le 1er septembre 2000 en qualité de suppléante dans l’enseignement primaire.

2) Elle a été nommée fonctionnaire le 1er décembre 2003.

3) Depuis le 1er janvier 2019, Mme A______ est directrice de l’établissement primaire ______.

4) a. Le 29 juin 2021 s’est déroulé un entretien de service. Diverses difficultés de gestion, communicationnelles, organisationnelles et managériales étaient reprochées à Mme A______.

Invitée à se déterminer sur une éventuelle libération de son obligation de travailler, elle a indiqué qu’une telle mesure n’avait pas lieu d’être.

b. Mme A______ n’a pas pris position sur ce point dans ses observations du 19 juillet 2021, suite à l’entretien de service.

5) Par décision du 1er novembre 2021, une procédure de reclassement a été ouverte.

6) Par arrêté du 3 novembre 2021, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d'État a libéré Mme A______ de son obligation de travailler avec effet immédiat, sans incidence sur son traitement.

Il existait des tensions et des dysfonctionnements dans l’établissement
______ entre les collaborateurs et leur directrice. Selon le compte rendu du service de médiation scolaire SMS – Le Point, un rapport de confiance n’avait jamais pu se concrétiser entre l’équipe éducative de son précédent établissement et l’intéressée. Les relations interpersonnelles s’étaient détériorées. La posture professionnelle de la directrice était en inadéquation avec leurs attentes relatives à la capacité à prendre et assumer des responsabilités et la gestion de situations complexes. Un second rapport, de l’entreprise privée B______, relevait qu’elle imposait son autorité de manière agressive et instaurait un climat de peur en « coinçant » les enseignants dans les couloirs pour critiquer leur comportement à son égard. Le niveau de confiance entre une majorité des collaborateurs et elle était extrêmement faible. Il constatait la « souffrance réelle chez la plupart des enseignants et également chez Mme A______ ». Les conclusions du rapport consistaient à « ne pas voir quel processus d’accompagnement » elle pourrait proposer « pour revenir à une situation normale ». Il y avait eu des plaintes répétées des membres du personnel et des parents d’élèves ainsi que de nombreux départs. Les réactions de l’intéressée consistaient à minimiser les difficultés, à se faire attribuer des points positifs par le corps enseignant et à chercher à identifier les autres « trouble-fête ». Dans ces conditions, il n’apparaissait pas souhaitable pour le bien-être des collaborateurs et de l’institution de lui permettre de poursuivre son activité professionnelle.

7) Par acte du 12 novembre 2021, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté précité. Elle a conclu à son annulation, à ce que soit constatée l’inexistence de motifs fondés de résiliation des rapports de services et de suspension provisoire, et que sa réintégration à son poste de directrice de l’établissement scolaire ______ soit ordonnée. Préalablement, l’effet suspensif devait être octroyé au recours et il devait être procédé à l’audition de plusieurs témoins dont elle mentionnait les noms.

La procédure devait être jointe avec celle ouverte à la suite du dépôt du recours contre la décision d’ouverture d’une procédure de reclassement.

Le recours était recevable. Elle faisait face à un préjudice irréparable, notamment moral. La suspension était dépourvue de fondement et avait été extrêmement brutale. Elle se retrouvait « professionnellement niée » et ne pouvait exercer son activité. Elle subissait un dommage de réputation, une suspension immédiate étant associé à une faute grave et laissant planer le doute sur sa probité.

Une longue procédure et une possible réintégration causeraient de nombreuses instabilités dans l’établissement scolaire. L’économie de la procédure commandait qu’il soit entré en matière sur le recours.

Enfin, les motifs avancés par le Conseil d’État étaient peu convaincants, en plus d’être infondés, et reposaient sur une instruction inéquitable. Ces éléments renforçaient matériellement le risque qu’elle subisse un préjudice irréparable.

Les faits avaient été constatés de façon incomplète. Il n’existait pas de motifs fondés permettant de justifier un licenciement, voire sa suspension, laquelle était soumise, par la jurisprudence, à des conditions strictes, non réunies en l’espèce.

Elle contestait tout manquement. Elle n’avait jamais cessé de poursuivre un travail de cohésion et de construction de l’équipe enseignante et de l’École ______. Le prononcé de cette décision de suspension donnait du crédit à des enseignants, certes en souffrance, mais avec lesquels il convenait de dialoguer sur les règles en vigueur, plutôt que d’accéder à leur désir de changement de direction. La suspension provisoire était disproportionnée.

La cause a été ouverte sous le numéro A/3870/2021.

8) Par acte du même jour, la recourante a interjeté recours contre la décision de la conseillère d’État en charge du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le DIP ou le département) prononçant l’ouverture d’une procédure de reclassement.

Le dossier a été ouvert sous le numéro de cause A/3869/2021.

9) Après un échange d’écritures sur effet suspensif, par décision du 20 décembre 2021, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l’effet suspensif au recours interjeté contre la libération de l’obligation de travailler.

10) Le département a conclu à l’irrecevabilité du recours du 12 novembre 2021 et s’en est rapporté à la justice quant à la jonction des causes A/3869/2021 et A/3870/2021. Au fond, le recours devait être rejeté.

11) Dans sa réplique, la recourante a insisté sur le traitement abrupt et irrespectueux que lui avait réservé sa hiérarchie quant à sa mise à pied brutale au mois de novembre 2021.

12) Sur ce, les parties ont été informées, le 27 janvier 2022, que la cause était gardée à juger.

13) Dans la cause A/3869/2021, un délai de réponse au 13 mai 2022 a été accordé au département le 27 février 2022, compte tenu, selon l’autorité intimée, de la participation active de Madame A______ à la procédure de reclassement.

EN DROIT

1) La recourante sollicite préalablement la jonction des causes A/3869/2021 et A/3870/2021.

a. Aux termes de l’art. 70 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (al. 1). La jonction n’est toutefois pas ordonnée si la première procédure est en état d’être jugée alors que la ou les autres viennent d’être introduites (al. 2).

La décision de joindre ou non des causes relève du pouvoir d'appréciation du juge, qui est large en la matière. Elle peut être ordonnée à tout stade de la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 2C_875/2018 du 17 avril 2019 consid. 2.1 ; 2C_850/2014 du 10 juin 2016 consid. 11.1 et les références, non publié in ATF 142 II 388 ; ATA/946/2016 du 8 novembre 2016 consid. 2).

b. En l’espèce, la présente cause est en état d’être jugée alors que tel n’est pas le cas de la cause A/3869/2021. De surcroît, les problématiques traitées ne sont pas similaires. Dans ces conditions, la jonction de ces deux procédures ne sera pas ordonnée.

2) a. Selon la jurisprudence de la chambre administrative, la libération imposée de l’obligation de travailler ne se différencie pas, relativement aux droits et obligations du membre du personnel de l’État qui en fait l’objet, de la suspension provisoire visée à l’art. 28 LPAC en entier (ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 1).

Une telle décision est une décision incidente contre laquelle le délai de recours est de dix jours (art. 62 al. 1 let. b LPA ; ATA/231/2017 précité consid. 1).

b. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est de ces points de vue recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

3) Les décisions incidentes ne sont susceptibles de recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

4) a. L’art. 57 let. c LPA a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a et b de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que la recourante ou le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Un préjudice est irréparable lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable à la recourante ou au recourant
(ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue
(ATF 133 IV 139 consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1832/2019 du 17 décembre 2019 consid. 4 ; ATA/1362/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6c ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 659 ss ad art. 57 LPA ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4).

b. Le fait que le membre du personnel conserve son traitement pendant sa libération de l'obligation de travailler exclut une quelconque atteinte à ses intérêts économiques (ATA/231/2017 précité consid. 4).

S’agissant de l’atteinte à la réputation et à l'avenir professionnel, une décision de libération de l'obligation de travailler n’est en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable puisqu’une décision finale entièrement favorable à la recourante ou au recourant permettrait de la réparer (ATA/231/2017 précité consid. 5).

5) La seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA suppose cumulativement que l’instance saisie puisse mettre fin une fois pour toutes à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente et que la décision finale immédiate qui pourrait ainsi être rendue permette d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 consid. 2.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_413/2018 du 26 septembre 2018 consid. 3).

6) a. Aux termes de l’art. 28 LPAC, dans l'attente du résultat d'une enquête administrative ou d'une information pénale, le Conseil d'État peut, de son propre chef ou à la demande de l'intéressé, suspendre provisoirement un membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction. Cette décision est notifiée par lettre motivée (al. 2). La suspension provisoire peut entraîner la suppression de toute prestation à la charge de l’État ou de l’établissement (al. 3). À l’issue de l’enquête administrative, il est veillé à ce que l’intéressé ne subisse aucun préjudice réel autre que celui qui découle de la décision finale. Une décision de révocation avec effet immédiat peut cependant agir rétroactivement au jour de l'ouverture de l'enquête administrative (al. 4).

b. Selon la jurisprudence, une suspension provisoire d'un fonctionnaire peut être justifiée soit par les besoins de l'enquête administrative, soit en tant qu'exécution anticipée, à titre provisionnel, de la fin des rapports de service en raison d'une faute alléguée de nature à rompre la confiance qu'implique l'exercice de la fonction de l'intéressé (ATA/506/2014 précité consid. 4 et les arrêts cités). Dans ce dernier cas, la mesure n'est justifiée que si trois conditions sont remplies : 1) la faute reprochée à l'intéressé doit être de nature, a priori, à justifier une cessation immédiate de l'exercice de sa fonction ; 2) la prévention de faute à l'encontre de l'intéressé doit être suffisante, même si, s'agissant d'une mesure provisionnelle prise précisément pendant la durée d'une enquête administrative ou pénale, une preuve absolue ne peut évidemment pas être exigée ; 3) la suspension devra apparaître comme globalement proportionnée, compte tenu de la situation de l'intéressé et des conséquences de sa suspension, de la gravité de la faute qui lui est reprochée, de la plus ou moins grande certitude quant à sa culpabilité, ainsi que de l'intérêt de l'État à faire cesser immédiatement tant les rapports de service que, s'il y a lieu, ses propres prestations (ATA/510/2017 du 9 mai 2017 consid. 6).

7) a. En l’espèce, la recourante, qui continue à percevoir son traitement pendant sa libération de l'obligation de travailler, n'invoque à juste titre pas d'atteinte à ses intérêts économiques, mais fait valoir la nécessité de continuer à travailler dans l’établissement ______ dans l’intérêt de celui-ci. Or, elle n'explique pas en quoi la décision attaquée, soit la libération de son obligation de travailler, causerait un dommage irréparable à l’établissement, comme il lui incombait de le faire. Le département conteste cette approche et considère que la libération de l’obligation de travailler de la recourante s’impose précisément pour le bien de l’établissement concerné et de ses utilisateurs. Dans ces conditions, l’existence d’un dommage irréparable n’est pas établie sous cet angle.

En second lieu, la recourante invoque une atteinte à son honneur, laquelle ne peut cependant constituer un préjudice irréparable au sens de l'art. 57 let. c LPA, conformément à la jurisprudence précitée et constante de la chambre de céans.

Au vu de ce qui précède, la recourante développe dans son acte de recours principalement une argumentation au fond, sans démontrer l'existence d'un préjudice irréparable, de sorte que la première hypothèse de l'art. 57 let. c LPA n'est pas réalisée.

b. La seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA, à savoir l’obtention immédiate d'une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse en cas d’admission des recours, n'est pas davantage réalisée. L'admission du recours ne serait en effet pas susceptible de mettre fin à la procédure administrative en cours ouverte par l'annonce de l'employeur du fait qu'il envisageait de résilier les rapports de service le liant à la recourante. Le fait qu’une deuxième procédure soit actuellement pendante confirme que les conditions de l’art. 57 let. c LPA ne sont pas remplies.

Dans ces circonstances, le recours est irrecevable.

8) Compte tenu de l’issue du litige et de la décision sur effet suspensif, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 12 novembre 2021 par Madame A______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 3 novembre 2021 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ; si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

s’il porte sur la responsabilité de l’État et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 30’000.- ; si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 30’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure aux minima indiqués soit CHF 15'000.- (contestation relative aux rapports de travail), respectivement à CHF 30'000.- (contestation relative à la responsabilité de l’État) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Zoé Seiler, avocate de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :