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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3363/2021

ATA/1389/2021 du 21.12.2021 ( MARPU ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3363/2021-MARPU ATA/1389/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 décembre 2021

 

dans la cause

 

A______

contre

OFFICE CANTONAL DES BÂTIMENTS - DIRECTION ADMINISTRATIVE ET FINANCE



EN FAIT

1) a. Le 5 mai 2021, l'État de Genève, soit pour lui l'office cantonal des bâtiments (ci-après : OBA), a fait paraître dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) ainsi que sur la plateforme internet Simap (site www.simap.ch) un appel d'offres en procédure ouverte pour un marché public de travaux de construction, soumis aux accords internationaux (ci-après : le marché). Celui-ci, non divisé en lots, avait pour intitulé « UNI-BASTIONS – 23310 Lustrerie standard ». Le projet s’inscrivait dans le cadre de la transformation et rénovation des bâtiments Central et Jura. Des variantes étaient admises.

b. Les critères d'adjudication consistaient en : prix (pondération 50 %) ; qualité technique de l'offre (pondération 30 %) ; références et expériences (pondération 15 %) ; formation professionnelle (pondération 5 %).

c. Le dossier d’appel d’offres comprenait le cahier des charges d’B______, avec notamment le descriptif des fournitures de lustrerie, ainsi que des données techniques.

Les noms des quatre personnes composant le comité d’évaluation et leurs suppléants étaient mentionnés (art. 4.12 du document d’appel d’offres K2+). Deux personnes représentaient l’OBA, une provenait de « Pool Ailes – C______ », soit un atelier d’architecture (ci-après : C______), décrit comme étant la direction du projet, et une personne représentait « B______, adjudicataire », en qualité d’« ingénieur spécialisé ».

L’art. 4.14 du document d’appel d’offres K2+ traitait de la modification du cahier des charges : « L’adjudicateur peut modifier le contenu du cahier des charges pour autant que cela ne remette pas fondamentalement [terme souligné] en question la nature du marché et que cela ne porte que sur des questions de détail ou d’aspects secondaires. Si cette modification intervient avant le dépôt de l’offre, l’adjudicateur indiquera, si nécessaire, le nouveau délai pour le dépôt de l’offre. Si cette modification intervient après le dépôt de l’offre, il veillera à ce que tous les soumissionnaires soient mis sur un pied d’égalité et possèdent un délai suffisant pour répondre à la demande. Le cas échéant, il veillera à donner ces modifications dans une même mesure et dans le même délai à tous les soumissionnaires. En cas de modification mineure et de peu d’importance, l’adjudicateur peut aussi ne pas mettre en cause le cahier des charges durant la procédure, mais il émettra des réserves lors de la décision d’adjudication qui indiqueront clairement les modifications du cahier des charges qui devront encore faire l’objet d’une discussion au niveau contractuel. Si les modifications du cahier des charges remettent fondamentalement en question le bien-fondé de l’appel d’offres, il procédera à une interruption et à un renouvellement de la procédure. Le cas échéant, il informera les soumissionnaires de sa décision avec mention des voies de recours ».

2) Selon le procès-verbal d’ouverture des offres du 18 juin 2021, sept offres avaient été déposées dans le délai au 14 juin 2021 dont celle de A______ (ci-après : A______) pour un montant de CHF 206'913.- toutes taxes comprises (ci-après : TTC). Il s’agissait de l’offre la plus basse.

3) a. Le 8 juillet 2021, Madame D______, d’C______, a contacté A______ par courriel. Un problème était survenu au moment du téléchargement des fichiers publiés sur Simap et la version la plus récente du cahier des charges B______ ne leur était pas parvenue lors du téléchargement.

Elle listait cinq éléments modifiés avec les actions requises pour chaque point :

- les chapitres C (Conditions particulières de l’ingénieur spécialisé), D (Conditions commerciales) : à lire et signer ;

- le chapitre E (Descriptif des fournitures de lustrerie) : remettre les calculs d’éclairement, les certifications et les documents techniques demandés et signer ;

- les fiches techniques des éclairages de la page 32 à 90 du PDF : à compléter et signer ;

- le chapitre F (Série de prix / avant-métré) : à compléter et signer ;

- le chapitre G (Récapitulatif des prix) : vérifier si les montants sont maintenus et signer ».

Elle transférait le document valable. Il devait être complété et leur parvenir au plus tard le 23 juillet 2021.

b. Le nouveau cahier des charges B______ détaillait la demande à savoir, pour le chapitre E, que le soumissionnaire devait réaliser les calculs de simulation d’éclairage et les joindre à l’appel d’offres selon les locaux concernés (bibliothèque sous-sol, du rez servant de salle de lecture, couloir du 1er étage ou hall servant à la réception). Plusieurs consignes étaient données pour les calculs. De deux pages par type de luminaire, le document passait à quatre pour chacun. En bas de la quatrième, six points étaient mentionnés comme étant éliminatoires, soit ceux portant sur les garanties du luminaire, de la connectique, de l’alimentation, la fiche technique du luminaire, la durée de vie/luminaire et la sécurité photobiologique.

4) Par courriel du 14 juillet 2021, les fichiers DWG nécessaires aux simulations d’éclairage ont été transmis à tous les soumissionnaires.

5) a. A______ a déposé son offre complémentaire le 22 juillet 2021.

En fin de soumission, les neuf fiches techniques d’une page étaient remplacées par un engagement de garantie, un document technique de trente-sept pages, comprenant différents calculs, pour la bibliothèque du rez, de trente-sept pages comprenant des calculs pour celle du sous-sol, de trente-six pages pour le couloir, de trente-six pages pour le hall, d’un rapport du test du fabricant de seize pages accompagné d’un rapport d’essai commandé chez un laboratoire suisse pour un autre luminaire.

Un document mentionnait qu’en cas d’adjudication et de demande, il était possible de certifier tout le luminaire dans un laboratoire suisse pour la norme IEC62471 (LEDS + Diffuseurs + composants).

b. Par courriel du même jour, elle a interpellé Mme D______ sur deux points.

Chaque participant à l’appel d’offres connaissait les prix proposés par les autres. Dans le dossier envoyé le 8 juillet 2021, le pouvoir adjudicateur avait demandé une nouvelle offre de prix. Cela impliquait que chacun des soumissionnaires allait revoir son offre en fonction des autres. « En règle générale, sauf erreur de notre part, on pense que dans les appels d’offres, soit on garde les prix proposés par tout le monde, soit on refait l’appel d’offres. Non ? ».

Par ailleurs, le dossier d’appel d’offres mentionnait, sous le point C 1.3, qu’aucune modification de son texte ne serait admise. Or, certaines clauses ne leur convenaient pas. Ainsi, s’agissant d’une fabrication sur mesure pour le marché en question, les pièces de grande taille ne pouvaient pas être reprises sans plus-value.

6) Par courriel du 13 août 2021, Mme D______ a précisé que les modifications des documents d’appel d’offres n’étant pas significatives et l’égalité de traitement étant respectée, il était possible de demander un complément à chaque soumissionnaire. Les retours ne démontraient pas que les candidats avaient adapté leurs prix en fonction des autres offres. A______ était par ailleurs la seule entreprise à avoir réclamé le procès-verbal d’ouverture. Le pouvoir adjudicateur prenait note que leurs luminaires étaient faits sur mesure. Il en serait tenu compte en cas d’adjudication.

7) Par décision du 22 septembre 2021, l’OBA a écarté l’offre de A______. Elle n’était pas conforme aux exigences du cahier des charges, les courbes chromatiques faisant défaut.

8) Par acte posté le 30 septembre 2021 et reçu le 4 octobre 2021, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée. Elle a conclu à une nouvelle évaluation des offres sur la base de la première version et qu’il ne soit pas tenu compte des demandes de modifications mineures effectuées par courriel par un membre du comité d’évaluation.

La demande rectificative avait été faite par courriel et non par le site Simap. Elle avait été formulée par un membre du comité d’évaluation et non par le pouvoir adjudicateur. Elle était parvenue au soumissionnaire, pour des aspects mineurs, après le délai de dépôt des offres.

La modification du contenu du cahier des charges était intervenue après le dépôt de l’offre par les soumissionnaires. Étant donné la nature des fournitures, faites sur mesure, les demandes formulées dans le courriel du 8 juillet 2021 portaient sur des questions de détail ou d’aspect secondaire. Or, en pleine période estivale et de pandémie, il n’était pas possible, en seulement quinze jours, d’obtenir auprès des laboratoires des certifications comme la G0. De surcroît, il était rare que ce certificat soit requis. De même, pour la fiche technique du luminaire, et plus particulièrement sa fiche technique complète avec courbe chromatique et étiquette de classe énergétique, le luminaire étant fait spécifiquement pour ce projet, un délai plus long que les quinze jours accordés pour la réponse était nécessaire. Il s’agissait de modifications mineures qui auraient pu faire l’objet, conformément au cahier des charges, de discussions et d’ajustements après l’adjudication de l’offre. Il était contradictoire de sanctionner le non-respect des points modifiés, mineurs, par une élimination.

Par ailleurs, une reprise du surplus en fin de chantier était prévue sans que l’entreprise ne puisse prétendre à une plus-value pour le matériel non endommagé. Or, cette hypothèse n’était pas envisageable, s’agissant de fabrication sur mesure de pièces de plus de huit mètres de diamètre. Les dimensions n’étant pas classiques, aucun écoulement n’était envisageable sur le marché habituel.

9) Par courrier recommandé du 5 octobre 2021, le juge délégué a fait interdiction à l’OBA de conclure le contrat d’exécution de l’offre jusqu’à droit jugé sur la requête en restitution de l’effet suspensif.

10) L’OBA a conclu au rejet de la requête d’effet suspensif. Selon un courriel de Monsieur E______, « chef de projet E » d’B______, le délai de quinze jours était suffisant pour compléter les soumissions avec les documents techniques mentionnés sur les fiches luminaires OCNA. Le soumissionnaire devait être en mesure de fournir une fiche technique complète du produit proposé en répondant à un appel d’offres. Après l’ouverture des offres, des modifications sur le site simap n’étaient plus possibles. La société n’avait pas mentionné le fait que la période estivale ou la pandémie actuelle pouvaient être un problème et que le délai était trop court. Elle n’avait de même jamais indiqué que les informations complémentaires ne pouvaient pas être transmises dans le délai ni n’avait demandé de délai supplémentaire. Enfin, elle n’avait pas fait mention que des documents étaient manquants. Dès lors qu’elle n’avait pas produit les courbes chromatiques des luminaires, son offre avait été écartée.

11) Dans sa réplique sur effet suspensif, la recourante a relevé qu’une demande de complément par courriel ne permettait pas d’assurer l’égalité de traitement entre les soumissionnaires, le message pouvant arriver dans les courriels indésirables. De même, aucune assurance n’était donnée que les autres soumissionnaires soient informés d’une éventuelle question posée par l’un d’eux, par la même voie, au pouvoir adjudicateur. Si l’absence de la fiche technique complète du luminaire avait été mise en évidence par des caractères majuscules et rouges dans les documents modifiés, il devait être considéré qu’il s’agissait d’une modification d’un élément majeur du cahier des charges. Il était par ailleurs de notoriété publique que, dans le domaine de la construction et du bâtiment, la période estivale correspondait fréquemment à une période de fermeture des entreprises et, par conséquent, de prolongation des délais. Par lettre du 22 juillet 2021, jointe à l’envoi du complément, la recourante avait indiqué pouvoir certifier tout luminaire dans un laboratoire en cas d’adjudication. Elle avait ainsi communiqué sur l’absence de certifications, impossibles à demander à cette période et dans un délai aussi court. Enfin, les courbes chromatiques avaient été fournies dans le dossier de soumission. Elles étaient effectivement en noir et blanc, mais comprenaient les indications chiffrées, ce que tout professionnel comprenait.

Deux procès-verbaux d’ouverture des offres avaient été transmis. Ils étaient datés du même jour. Le premier avait été transmis le 28 juin 2021 alors que le second leur était parvenu le 13 juillet 2021 avec l’intitulé « Suite à la vérification des dossiers, le PV d’ouverture a été modifié ». Cela posait question quant au déroulement de la procédure d’ouverture des dossiers des soumissionnaires.

12) Par courrier spontané du 5 novembre 2021, la recourante a informé la chambre de céans que le 4 novembre 2021, elle avait reçu un courriel de l’entreprise d’électricité F______, comportant une commande de deux luminaires, pour échantillon, pour le chantier Uni-Bastions. Contact pris avec la société, cette dernière lui avait précisé que l’OBA lui avait demandé de contacter la recourante pour effectuer la commande. Des échantillons auraient aussi été sollicités auprès de G______ (ci-après : G______), société qui avait offert le prix le plus élevé lors de l’appel d’offres. Il en ressortait que, probablement, l’entreprise G______ avait emporté le marché, ce qui serait contraire à l’interdiction de conclure prononcée par le chambre de céans le 5 octobre 2021.

Copie du courrier a été transmise au pouvoir adjudicateur.

13) L’OBA a conclu au rejet du recours. Selon un courriel de M. E______, « il s’agirait bien d’une courbe chromatique, mais celle-ci présentait des lacunes » : l’échelle était beaucoup trop grande et il manquait les couleurs associées à la graduation. La société n’avait de surcroît pas indiqué clairement sa proposition de courbe chromatique. Cette dernière avait été intégrée au rapport de certification du groupe de risque de la LED sans aucune indication. La société n’avait donc pas produit les courbes chromatiques des luminaires selon les conditions demandées. Le procès-verbal d’ouverture des offres avait été complété après le contrôle des attestations produites, de sorte que la version qui faisait foi était la seconde.

Les deux offres de G______ étaient produites. L’OBA demandait qu’elles soient soustraites à la consultation.

14) Dans son ultime réplique, la recourante a persisté dans son argumentation selon laquelle soit la modification était mineure et ne pouvait pas être éliminatoire, soit le critère était éliminatoire et donc majeur et modifiait la nature du marché.

L’OBA n’avait pas produit les échanges de courriels avec les autres soumissionnaires. Des courriels particuliers avaient été adressés à chacun d’entre eux sans mettre les autres en copie.

La courbe chromatique figurait bien au dossier. Aucune indication ne précisait la manière dont elle devait être présentée.

Rien ne justifiait l’existence de deux procès-verbaux d’ouverture, datés du même jour, avec des signatures identiques, mais mentionnant dans le premier que deux sociétés n’avaient pas produit les attestations et laissant la colonne du prix vide, alors que le second, mentionnant que les attestations étaient produites et indiquait les offres faites. Cette différence se justifiait d’autant moins que l’absence des attestations d’un soumissionnaire devait impliquer son élimination d’office. Une comparaison des deux tableaux permettait de constater qu’il y avait eu des ajouts, soit manuels soit informatiques, les lignes des tableaux ne concordant pas.

15) Il ressort de la copie des deux procès-verbaux sont produits, qu’un bout de papier semble avoir été apposé sur les deux lignes du deuxième procès-verbal concernant les deux sociétés préalablement écartées. L’ajout comprend les réponses « oui » à la fourniture des attestations et la précision des prix offerts.

16) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif et au fond.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté contre une décision d’exclusion, en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15 al. 1 AIMP ; 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2017 - RMP - L 6 05.01).

2) a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3
let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. À teneur de l’art. 42 RMP, l'offre est écartée d'office notamment lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charge (al. 1 let. a) ; les offres écartées ne sont pas évaluées ; l'autorité adjudicatrice rend une décision d'exclusion motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours (al. 3).

c. Le pouvoir adjudicateur dispose d'une grande liberté d'appréciation dans le choix et l'évaluation des critères d'aptitude et d'adjudication, celui-là étant libre de spécifier ses besoins en tenant compte de la solution qu'il désire (ATF 137 II 313 consid. 3.4 in JdT 2012 I p. 28ss). Si l'autorité judiciaire substitue son pouvoir d'appréciation à celui de l'adjudicateur, elle juge en opportunité, ce qui lui est interdit, tant par l'art. 16 al. 2 AIMP que par l'art. 61 al. 2 LPA. L'autorité judiciaire ne peut intervenir qu'en cas d'abus ou d'excès du pouvoir de décision de l'adjudicateur, ce qui, en pratique, peut s'assimiler à un contrôle restreint à l'arbitraire. En revanche, l'autorité judiciaire n'a pas à faire preuve de la même retenue lors du contrôle des règles de procédure en matière de marchés publics (ATF 141 II 353 consid. 3 et les références citées).

3) L’attribution des marchés publics suppose la réalisation de conditions qui peuvent se classer dans différentes catégories (ATF 140 I 285 consid. 5.1).

En premier lieu figurent les exigences qui subordonnent l'accès à la procédure. Les entreprises soumissionnaires qui ne les remplissent pas voient leur offre exclue d'emblée. Font partie de cette catégorie, les critères d'aptitude ou de qualification (« Eignungskriterien ») qui servent à s'assurer que le soumissionnaire a les capacités suffisantes pour réaliser le marché (cf. art. 13 let. d AIMP). La loi pose aussi des principes qui doivent être respectés par toutes les entreprises qui soumissionnent, sous peine d'exclusion (conditions légales). Tel est le cas notamment du respect des dispositions relatives à la protection des travailleurs et aux conditions de travail ou du respect de l'égalité de traitement entre femmes et hommes (art. 11 let. e et f AIMP), indépendamment du lien entre ces exigences et l'aptitude de l'entreprise à réaliser le marché (Peter GALLI/André MOSER/ Elisabeth LANG/Marc STEINER, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 3e éd., 2013, n. 582 p. 250 s.).

En second lieu interviennent les exigences relatives à l'évaluation des offres. Il s'agit des critères d'adjudication ou d'attribution (Wettbewerbs- ou Zuschlagskriterien ; cf. Beat MESSERLI, Der Planungs- und Gesamtleistungswettbewerb im öffentlichen Beschaffungsrecht, 2e éd., 2007, p. 107). Ces critères se rapportent en principe directement à la prestation requise et indiquent au soumissionnaire comment l'offre économiquement la plus avantageuse sera évaluée et choisie (ATF 129 I 313 consid. 8.1 p. 324 ; voir aussi Olivier RODONDI, Les critères d'aptitude et les critères d'adjudication dans les procédures de marchés publics, RDAF 2001 I 387, p. 394 s.). La non-réalisation d'un critère d'adjudication n'est pas éliminatoire, mais peut être compensée par la pondération avec d'autres critères d'adjudication (ATF 139 II 489 consid. 2.2.1 et 2.2.4 p. 494).

4) Le droit des marchés publics est formaliste, ce que la chambre administrative a rappelé à plusieurs reprises (ATA/243/2020 du 3 mars 2020 consid. 4d ; ATA/970/2019 du 4 juin 2019 et les références citées), notamment lorsqu’elle a confirmé des décisions d’exclusion d’offres fondées sur la non-production des attestations requises dans l’appel d’offres au titre de condition de participation à la procédure de soumission (ATA/188/2021 du 23 février 2021 consid. 5 : ATA/1208/2020 du 1er décembre 2020 consid. 5).

L’autorité adjudicatrice doit procéder à l’examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d’intangibilité des offres remises et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l’art. 16 al. 2 RMP (ATA/243/2020 précité consid. 4d ; ATA/794/2018 du 7 août 2018 et les références citées). Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l’obligation d’assurer l’égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d’examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation. La conformité au droit de cette approche formaliste a été confirmée par le Tribunal fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 2C_418/2014 précité consid. 4.1 ; 2C_197 et 198/2010 précité).

Toutefois, l’interdiction du formalisme excessif, tirée de l’art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), interdit d’exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité ou affectée d’un vice qui ne compromet pas sérieusement l'objectif visé par la prescription formelle violée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2010 précité consid. 6.1 ; 2D_50/2009 du 25 février 2010 consid. 2.4). Ainsi, des erreurs évidentes de calcul et d’écriture peuvent être rectifiées (art. 39 al. 2 RMP) et des explications peuvent être demandées aux soumissionnaires (art. 40 et 41 RMP).

Le principe d’intangibilité des offres remises et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires impliquent de ne procéder à ce type de questionnement que de manière restrictive. L’autorité adjudicatrice dispose d’un certain pouvoir d’appréciation quant au degré de sévérité dont elle désire faire preuve dans le traitement des offres (ATA/384/2018 du 24 avril 2018 ; ATA/490/2017 du 2 mai 2017). L’interdiction du formalisme excessif ne l’oblige cependant pas à interpeller un soumissionnaire en présence d’une offre défaillante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 précité consid. 6.5).

Il est conforme au but et à la nature de la procédure de marchés publics que la violation de certaines exigences de forme par un soumissionnaire puisse entraîner son exclusion du marché. Une telle conséquence ne se justifie toutefois pas en présence de n'importe quel vice. Il faut en particulier y renoncer lorsque celui-ci est de peu de gravité ou ne compromet pas sérieusement l'objectif visé par la prescription formelle violée (ATF 141 II 353 consid. 8.2.1).

En application du principe d'intangibilité des offres, qui impose d'apprécier celles-ci sur la seule base du dossier remis, une exclusion ne devrait intervenir que si le vice apparaît intrinsèquement grave ou si sa gravité découle du non-respect de conditions essentielles fixées dans l'avis d'appel d'offres ou dans la documentation y relative. Hormis le canton de Genève, qui a sur ce point développé une jurisprudence sévère en excluant d'emblée les offres incomplètes ou contenant des attestations périmées, la tendance semble aujourd'hui plutôt, dans les autres cantons, de fixer aux soumissionnaires un délai supplémentaire pour produire ou corriger les attestations défaillantes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_418/2014 du 20 août 2014 consid. 4.1 et les références cités).

5) Dans un souci d’économie de procédure, la jurisprudence a admis la possibilité de modifications de moindre importance en cours de procédure ; elles doivent toutefois être annoncées à l’ensemble des participants et la possibilité doit leur être donnée, cas échéant, d’adapter leurs offres en fonction de ces nouvelles exigences. La difficulté principale consiste à opérer la distinction entre les modifications essentielles et celles qui ne le sont pas ; selon la doctrine, une modification doit être considérée comme essentielle lorsqu’elle est de nature à modifier le cercle des soumissionnaires potentiels. De telles modifications sont par ailleurs soumises à d’autres exigences après l’ouverture des offres ; dès ce moment, il faudrait parler de négociations, admises en droit fédéral et au contraire prohibées en principe en droit cantonal (Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, n° 349).

6) a. En l’espèce, la décision querellée se fonde sur l’art. 42 al. 1 let. a RMC au motif que l’offre n’était pas conforme au cahier des charges. Il n’est pas contesté par les parties que référence est faite exclusivement au cahier des charges dans sa seconde version, laquelle comprenait, en caractères majuscules et rouges dans les documents modifiés, la mention que l’absence d’un des six points était éliminatoire dont celui relatif à la « fiche technique complète du luminaire avec courbe chromatique et étiquette de classe énergétique ».

Dans sa réplique au fond, la recourante conteste que ces données aient manqué, reprenant les propos de l’ingénieur à propos d’un document de leur offre selon lequel « il s’agirait bien d’une courbe chromatique, mais celle-ci présentait des lacunes ». Toutefois, il apparaît difficilement contestable, et la recourante ne le conteste pas dans son recours, de soutenir qu’elle ait produit les documents idoines puisque sur chacune des fiches techniques, en quatre pages, aucune courbe chromatique ou référence à un autre document n’est faite dans l’espace du formulaire qui y est consacré.

b. La recourante conteste la sanction de cette informalité.

Il n’est pas contesté que la sanction est prévue par le cahier des charges modifié mais ne l’était pas dans la première version.

Les parties font référence à l’art. 4.14, prévoyant les modalités applicables en cas de modification du cahier des charges par l’adjudicateur. Toutes deux conviennent que les deux conditions cumulatives et nécessaires pour modifier le cahier des charges étaient remplies, à savoir que la nature du marché n’était pas fondamentalement remise en question et que cela ne portait que sur des questions de détail ou d’aspects secondaires.

Dans un premier argument, la recourante a soutenu que le délai pour obtenir les nouveaux documents n’avait pas été suffisant, intervenant notamment pendant l’été. Cette question souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit, étant relevé que le délai a toutefois été identique pour tous les soumissionnaires, ce que la recourante ne conteste au demeurant pas, et qu’elle ne s’en est pas plainte auprès du pouvoir adjudicateur avant la décision d’élimination, les documents datés du 22 juillet 2021 n’évoquant pas cette question. Le délai a toutefois été fixé le jeudi 8 juillet pour un dépôt des offres le vendredi 23 juillet, un fichier, nécessaire aux soumissionnaires, ne leur étant adressé que le mercredi 14 juillet. Le délai précité de quinze jours est en conséquence beaucoup plus bref que celui, initial, de cinq semaines et demi entre le 5 mai et le 14 juin 2021. Enfin, le complément, à verser au dossier en quinze jours, devait être effectué pendant l’été.

La recourante se réfère aux conséquences prévues par le cahier des charges en cas de « modification mineure et de peu d’importance », à savoir que « l’adjudicateur peut aussi ne pas mettre en cause le cahier des charges durant la procédure, mais il émettra des réserves lors de la décision d’adjudication qui indiqueront clairement les modifications du cahier des charges qui devront encore faire l’objet d’une discussion au niveau contractuel ».

Pour sa part, dans son courriel du 13 août 2021, avant que la décision litigieuse ne soit prise, le pouvoir adjudicateur a précisé que les modifications des documents d’appel d’offres n’étaient « pas significatives ».

Dans ces conditions, c’est à bon droit que la recourante se prévaut de la clause susmentionnée et allègue qu’une élimination pour la seule non-production de ces documents n’est pas conforme au cahier des charges.

De surcroît, et conformément à la jurisprudence, il s’agit d’un critère d’adjudication, qui se rapporte à la prestation requise, qui ne mérite pas une élimination, mais doit faire l’objet d’une pondération avec les autres critères.

La décision d’élimination litigieuse doit en conséquence être annulée et la recourante réintégrée dans la procédure d’évaluation des offres.

7) Vu l’issue du litige, la requête en octroi d’effet suspensif est sans objet.

8) Il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) ni alloué d’indemnité de procédure, la recourante n’y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 septembre 2021 par A______ contre la décision de l’office cantonal des bâtiments - direction administrative et finance du 22 septembre 2021 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision d’élimination de 22 septembre 2021 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l'office cantonal des bâtiments - direction administrative et finance, ainsi qu’à la commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme  Lauber, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 


 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :