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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4398/2022

ATA/133/2023 du 08.02.2023 sur JTAPI/31/2023 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4398/2022-MC ATA/133/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 février 2023

en section

 

dans la cause

 

M A______
représenté par Me Samir Djaziri, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________





Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 janvier 2023 (JTAPI/31/2023)


EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1997, est originaire du B______.

2) Le 28 novembre 2022, le Ministère public l'a condamné à une peine privative de liberté de 90 jours avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, pour infractions aux art. 115 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 285 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). M. A______ a fait opposition à cette ordonnance.

3) Le 15 décembre 2022, la police genevoise a interpellé M. A______ à la place C______. Le rapport d'arrestation mentionne que la police a vu un homme européen tendre un billet de CHF 50.- à un homme d'origine africaine, identifié plus tard comme M. A______, lequel a donné une boulette et rendu CHF 20.-. Interpellé, l'acheteur a indiqué avoir acquis une boulette de haschich, qu'il venait de payer CHF 30.- et M. A______ a été arrêté. Interrogé par la police, ce dernier a nié avoir vendu de la drogue. Il faisait des allers-retours entre D______ et E______.

4) Le 16 décembre 2022, le Ministère public a condamné M. A______ à une peine privative de liberté de qutre-vingt jours et à une amende de CHF 100.-, pour infractions aux art. 19 et 19a de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et 115 let. a LEI.

5) Le 16 décembre 2022 également, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, en l'occurrence l'ensemble du canton de Genève, pour une durée de six mois, en application de l'art. 74 LEI.

6) Le 23 décembre 2022, M. A______ a formé opposition à cette décision
par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

7) Lors de l'audience s'étant déroulée le 12 janvier 2023 devant le TAPI, M. A______ a confirmé son opposition. Il avait aussi fait opposition à l'ordonnance pénale, qui d'une part ne le concernait pas et d'autre part lui donnait mauvaise réputation. Il souhaitait pouvoir venir à E______, qu'il appréciait et où il venait faire du tourisme et du shopping. Il n'y avait toutefois aucune relation, tandis qu'il avait une adresse à D______, où il avait de la famille. Il ne consommait plus de marijuana en raison de son traitement médical contre l'hépatite B.

Son conseil a conclu principalement à l'annulation de la mesure, dont les conditions n'étaient pas réunies dès lors qu'il avait contesté les ordonnances pénales et qu'il ne troublait pas l'ordre public. La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de la mesure.

8) Par jugement du 13 janvier 2023, le TAPI a rejeté l'opposition.

Si les ordonnances pénales n'étaient pas en force, elles dénotaient un fort soupçon de menace à la sécurité et à l'ordre publics. Les conditions d'une assignation territoriale (recte : d'une interdiction de périmètre) étaient réunies et la mesure fondée dans son principe. Elle était aussi conforme au principe de la proportionnalité, l'intéressé n'ayant aucun lien avec le canton de Genève et la durée de la mesure étant adaptée au cas d'espèce, une durée inférieure à six mois n'étant pas efficace.

9) Par acte posté le 26 janvier 2023, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant principalement à son annulation et à celle de la mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Il contestait fermement et en intégralité les faits qui lui étaient reprochés sur le plan pénal, et avait expliqué au TAPI qu'il ne consommait plus de marijuana. À teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral, la simple présence dans un lieu réputé pour le trafic de stupéfiants ne permettait pas de retenir un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics. Les conditions d'application de l'art. 74 LEI n'étaient ainsi pas réalisées.

Subsidiairement, dès lors qu'il ne présentait aucun antécédent judiciaire, qu'il s'agissait de sa première mesure d'interdiction de périmètre et qu'il souhaitait pouvoir se rendre occasionnellement à E______, une durée d'interdiction de trois mois était largement suffisante.

10) Le 2 février 2023, le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

M. A______ avait été interpellé à deux reprises en trois semaines. Il ne possédait aucun document de voyage ni pièce de légitimation. Le 15 décembre 2022, il avait été observé par la police dans le quartier de la Coulouvrenière, zone notoire de trafic de drogue, en train de vendre de la drogue. La transaction avait été reconnue par l'acheteur et de l'argent avait été saisi sur M. A______, lequel avait dit consommer beaucoup de marijuana tous les jours.

Les conditions d'application de l'art. 74 LEI étaient ainsi remplies, l'intéressé menaçant la sécurité publique, et tant la durée de la mesure que le périmètre considéré étaient conformes au principe de la proportionnalité.

11) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 30 janvier 2023 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3) Est litigieuse l’interdiction de pénétrer dans tout le territoire cantonal pendant six mois.

a. À teneur de l’art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr, la chambre de céans est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière.

b. Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et que des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou qu'il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire (let. b). L’assignation à un territoire ou l’interdiction de pénétrer un territoire peut également être prononcée lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

c. Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2) ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_123/2021 précité consid. 3.1 et l'arrêt cité).

d. La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6 et les références citées).

e. L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

f. La chambre de céans a confirmé l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois infligée à un recourant initialement attribué au canton de Genève dans le cadre de la procédure d’asile mais objet d’une décision de renvoi définitive et dépourvu de titre de séjour en Suisse, en raison du risque de réitération d’infractions à la LStup (ATA/1371/2020 du 30 décembre 2020).

Elle a confirmé, dans le cas d’un ressortissant français qui avait fait l’objet d’une condamnation pour le vol d’un téléphone portable non encore entrée en force, qui n’avait pas d’antécédents judiciaires et disposait de très faibles moyens, mais avait pris un emploi de boulanger et avait produit une attestation d’annonce de cette prise d’emploi, sans avoir toutefois obtenu encore de réponse de l’OCPM, une interdiction de périmètre étendue à tout le canton, mais assortie sur opposition par le TAPI d’une exception devant permettre au recourant de se rendre à son travail et réduite de douze à trois mois. Il ne s'agissait pas d'infractions en lien avec le trafic de stupéfiants, ni de brigandage, de lésions corporelles intentionnelles ou de dommages à la propriété, l'intéressé était au bénéfice d'un emploi dans le canton et ne présentait pas d'antécédents judiciaires en Suisse. Bien que d'une durée relativement courte, la mesure paraissait apte et suffisante pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le périmètre déterminé par le TAPI (ATA/1566/2019 du 24 octobre 2019).

4) a. En l'espèce, le principe d’une mesure d’interdiction de périmètre est fondé au vu de l’absence de titre de séjour du recourant et de sa condamnation pénale notamment pour violence ou menaces contre les autorités et les fonctionnaires et pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

Le recourant fait valoir que ses condamnations ne sont pas encore entrées en force et qu’il a formé opposition contre les deux ordonnances de condamnation. Il n’est toutefois pas déterminant que la condamnation ne soit pas encore entrée en force s’agissant de déterminer le risque de commission d’infractions, dès lors que l’autorité est en présence de soupçons fondés sur des indices concrets.

Si l'ordonnance pénale du 28 novembre 2022 ne figure pas au dossier de la présente cause, force est de constater que l'ordonnance pénale du 16 décembre 2022 et le rapport d'arrestation sur lequel elle se fonde permettent de retenir, indépendamment du sort de la procédure pénale, des soupçons d'infractions dans le milieu de la drogue, puisque la police a directement constaté une transaction dans un lieu connu pour le trafic de drogue, transaction confirmée par l'acheteur et par le billet de CHF 50.- correspondant retrouvé sur lui. De plus, lors de son interpellation le recourant a déclaré consommer beaucoup de marijuana, si bien que ses dénégations à cet égard lors de l'audience devant le TAPI n'emportent pas conviction.

L’ensemble de ces circonstances suffisait ainsi à permettre au commissaire de police de retenir un risque de commission d’infractions.

b. Le recourant est sans lien aucun avec E______ ni attache dans le canton, et sans aucune ressource – ce qui paraît du reste contradictoire avec ses déclarations selon lesquelles il souhaite pouvoir venir occasionnellement à E______ pour faire du tourisme et du shopping.

Dans ces conditions, l’extension à tout le territoire du canton de la mesure d’interdiction territoriale apparaît adéquate et nécessaire pour atteindre le but de protection de l’ordre et de la sécurité publics, et proportionnée au sens étroit.

c. La durée de la mesure paraît enfin apte et nécessaire pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le canton de Genève du risque de commission d’infractions sur le territoire cantonal par le recourant, et ce nonobstant le fait qu’il n’a jusqu'à présent pas fait l'objet de condamnations définitives. L’interdiction de périmètre ne comporte qu’une atteinte à la liberté personnelle relativement légère. Il n’y a pas lieu de la réduire en l’espèce, à peine de la priver de son effet dissuasif, étant rappelé qu’une durée de six mois a été considérée par le Tribunal fédéral comme un minimum (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2).

Partant, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

5) La procédure étant gratuite, aucun émolument de procédure ne sera prélevé (art. 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 janvier 2023 par M. A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 janvier 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Samir DJAZIRI, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :