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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3474/2015

ATA/1282/2015 du 01.12.2015 ( PRISON ) , REJETE

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; MESURE DISCIPLINAIRE ; INTÉRÊT ACTUEL ; OBJET DU LITIGE ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.61 ; RRIP.45.leth ; RRIP.47
Résumé : Rejet du recours contre une sanction disciplinaire de sept jours de cellule forte pour violence physique envers le personnel de la prison. La décision de punir le recourant est suffisamment motivée et justifiée. Elle doit être considérée comme proportionnée et cohérente par rapport aux précédentes sanctions de, respectivement deux, trois et cinq jours ainsi qu'en raison du refus persistant du détenu de se conformer aux instructions du personnel de la prison. Par ailleurs, le grief portant sur l'illicéité des conditions de détention est irrecevable dans la mesure où il est exorbitant à l'objet du litige tel que défini par la décision attaquée, laquelle concerne exclusivement la sanction disciplinaire infligée au recourant.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3474/2015-PRISON ATA/1282/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er décembre 2015

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon depuis le 1er août 2015. Il purge actuellement plusieurs condamnations à des peines privatives de liberté d'un total de trois cent nonante jours.

2) Le 1er août 2015, M. A______ a été sanctionné de deux jours de cellule forte pour refus d'obtempérer après avoir refusé de prendre sa douche et de donner ses vêtements aux surveillants.

3) Le 3 août 2015, à sa sortie de cellule forte, le détenu a catégoriquement refusé le nettoyage sommaire de la cellule et il a été sanctionné de trois jours de cellule forte supplémentaires.

4) Le 17 août 2015, après qu'il eut refusé de sortir de sa cellule pour laisser entrer un gardien et un électricien pour réparer une lampe, les gardiens présents ont pris le détenu par le bras pour le sortir de la cellule et recouru à l'utilisation des menottes. Un placement de cinq jours de cellule forte a été décidé pour « refus d'obtempérer en récidive ».

5) Par décision du 15 septembre 2015, après que M. A______ eut été entendu, la direction de la prison lui a notifié, oralement à 14h25 et par écrit à 18h30, une punition consistant en son placement de sept jours en cellule forte pour violence physique exercée sur le personnel, refus d'obtempérer et trouble à l'ordre de l'établissement. Cette décision était immédiatement exécutoire, nonobstant recours.

Selon le rapport d'incident, lors du service de repas, le détenu avait refusé de fermer sa jaquette et de restituer une liste des avocats. L'un des gardiens était entré dans la cellule afin de récupérer le document. Le détenu lui avait ensuite jeté la liste au visage, puis avait tenté de lui asséner un coup de poing. Le détenu s'était fortement débattu et avait agrippé le gardien à plusieurs reprises en essayant de le mettre au sol. Grâce à un contrôle du cou par l'avant-bras, le gardien était finalement parvenu à le maîtriser juste avant l'arrivée de ses collègues. Le détenu, très agité, avait été menotté et transféré sous la contrainte en cellule forte.

Il ressortait également dudit rapport qu'en dehors de la première tentative de coup de poing, aucun autre échange de coups n'avait eu lieu.

6) M. A______ a exécuté sa sanction du 15 septembre 2015 au 22 septembre 2015.

7) Par lettre datée du 30 septembre 2015, adressée à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) et reçue le 5 octobre 2015, M. A______ a déclaré vouloir « être rétabli dans ses droits» suite à l'agression dont il avait été victime par le personnel de la prison de Champ-Dollon et s’est plaint de ses conditions de détention.

8) Le 28 octobre 2015, le directeur de la prison a transmis ses observations, concluant au rejet du recours.

Depuis son arrivée, M. A______ avait été sanctionné à quatre reprises. La dernière sanction dont est recours, portait sur l'incident du 15 septembre 2015, durant lequel il avait refusé d'obtempérer, troublé l'ordre de l'établissement et exercé des violences physiques sur le personnel. Le recourant qui s'était plaint d'avoir été agressé par le personnel n'apportait aucun élément factuel, ni de preuve qui viendrait établir qu'il avait subi une contrainte physique hors contexte. Les faits retenus à son encontre dans le rapport rédigé par un gardien agissant en qualité de fonctionnaire assermenté et qui s'étaient déroulés en présence d'un autre fonctionnaire assermenté devaient être considérés comme établis. Par ailleurs, l'alarme personnelle avait été activée et plusieurs autres gardiens étaient intervenus. La description de l'utilisation de la contrainte figurant dans le rapport d'incident du 15 septembre 2015, correspondait aux techniques d'interventions usuelles. La sanction de sept jours de cellule forte était fondée, justifiée par l'intérêt public et respectait le principe de proportionnalité.

Quant aux modalités de détention, le recourant qui s'obstinait à refuser toute communication avec le personnel de surveillance, ne s'était jamais plaint de ne pas avoir de produits de première nécessité et n’avait jamais transmis de commande à l'épicerie.

9) Dans sa réplique du 29 octobre 2015, le recourant a persisté dans les termes de son recours.

10) Le 16 novembre 2015, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

11) Par écriture spontanée datée du 8 novembre 2015 et parvenue à la chambre administrative le 26 novembre 2015, M. A______ a renouvelé ses récriminations à l’encontre des conditions de détention.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. À teneur de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39
consid. 2 c/aa ; ATA/1147/2015 du 27 octobre 2015 et les références citées).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b ; ATA/1147/2015 déjà cité).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 128 II 34 précité ; ATA/1147/2015 déjà cité).

e. En l'espèce, bien que le recourant ait exécuté la mesure contestée, la situation pourrait se présenter à nouveau, dans la mesure où ce dernier se trouve encore à Champ-Dollon. Dès lors, la chambre administrative renoncera à l'exigence de l'intérêt actuel pour statuer (ATA/1066/2015 du 6 octobre 2015 et la jurisprudence citée).

3) Il convient préalablement d'examiner l'objet du litige.

a. Selon l'art. 61 LPA, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à la violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (al. 1 let. a). Elle ne peut ainsi pas revoir l'opportunité de la décision litigieuse
(al. 2). Elle reste néanmoins tenue au respect des principes et droits constitutionnels, notamment la légalité, la proportionnalité, l’interdiction de l’arbitraire et le droit d’être entendu (ATA/386/2014 du 27 mai 2014 ; ATA/214/2013 du 9 avril 2013 ; ATA/50/2013 du 29 janvier 2013 et les références citées).

b. Peuvent notamment faire l’objet d’un recours les décisions finales (art. 57 let. a LPA). L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant, ainsi que l’exposé des motifs et l’indication des moyens de preuve (art. 65 al. 1 et 2 LPA). La juridiction administrative applique le droit d’office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

c. L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 p. 365 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/902/2015 du 1er septembre 2015 consid. 3b). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer. L’objet d’une procédure administrative ne peut donc pas s’étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/902/2015 précité consid. 3b ; ATA/744/2014 du 23 septembre 2014 consid. 2a ; ATA/336/2014 du 13 mai 2014 consid. 4a).

d. En l’espèce, le recours est notamment dirigé contre la décision du 15 septembre 2015 du directeur de la prison de placer le recourant sept jours en cellule forte, de sorte que l’objet du litige se limite à la conformité au droit de cette décision.

Le grief portant sur l'illicéité des conditions de détention en exécution de peine est irrecevable dans la mesure où il est exorbitant à l’objet du litige tel que défini par la décision attaquée, laquelle concerne exclusivement la sanction disciplinaire infligée au recourant. De surcroît, un détenu en exécution de peine ne peut recourir contre l'illicéité de ses conditions de détention sans avoir préalablement requis une décision en constatation de cette illicéité auprès du département de la sécurité et de l'économie (arrêt du Tribunal fédéral 6B_573/2015 du 17 juillet 2015 destiné à publication, plus particulièrement consid. 4.3 ; ATA/1145/2015 du 27 octobre 2015 et les références citées).

4) Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

5) Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP)

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

Selon l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur de la prison est compétent pour prononcer les sanctions suivantes :

a) suppression de visite pour quinze jours au plus ;

b) suppression des promenades collectives ;

c) suppression d’achat pour quinze jours au plus ;

d) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus ;

e) privation de travail ;

f) placement en cellule forte pour dix jours au plus.

6) Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, sont l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – contrevenant auxdites obligations. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux personnes incarcérées, étant instauré, dans ce cadre, pour protéger le fonctionnement normal de l’établissement de détention. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/972/2015 du 22 septembre 2015 et les références citées).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/295/2015 du 24 mars 2015).

7) En l'espèce, le recourant conteste implicitement la sanction qui lui a été infligée. Toutefois, aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause le rapport établi par le gardien. Le recourant se limite à indiquer qu'il a été victime d'une agression de la part du personnel et qu'il souffrait de douleurs au niveau du cou, sans donner plus d’explications sur l’incident, ni produire aucun document, notamment médical. Compte tenu de la jurisprudence précitée, la chambre de céans retiendra que l’incident s’est déroulé conformément à ce qui est décrit dans le rapport.

La violence physique envers le personnel étant à proscrire de manière absolue dans un établissement carcéral, la commission de tels faits justifie le prononcé d'une sanction de placement en cellule forte. Dans la mesure où depuis son incarcération, le recourant a persisté dans son refus de se conformer aux instructions du personnel de prison et ce, malgré les trois derniers placements en cellule forte dont il avait fait l'objet en moins de trois mois, la quotité de sept jours doit être considérée comme proportionnée et cohérente par rapport aux précédentes sanctions de, respectivement, deux, trois et cinq jours. Dès lors, le principe de la sanction, de même que sa quotité, sera confirmé.

8) Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté dans la mesure où il est recevable.

9) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 octobre 2015 par Monsieur A______ contre la décision du directeur de la prison de Champ-Dollon du 15 septembre 2015 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :