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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1246/2001

ATA/703/2002 du 19.11.2002 ( IP ) , REJETE

Descripteurs : IP

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 19 novembre 2002

 

 

 

dans la cause

 

 

M. T.-L. E.

représenté par Me Bertrand Reich, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

C. DE R. DE L'E. LE B. S.

 

et

 

F. DE L'E. LE B. S.

représentée par Me Pierre Martin-Achard, avocat

 



EN FAIT

 

 

1. M. T. L.-E., né le 26 septembre 1977 en Côte d'Ivoire, est domicilié à Genève. Il est marié et père d'une fillette née en juillet 1999.

 

2. Le 6 novembre 2000, M. E. a commencé une formation d'aide-soignant à l'E. genevoise de soins infirmiers et de sages-femmes Le B. S. (ci-après : l'école), étant précisé que cette formation dure une année à plein temps et qu'elle comporte des stages en milieu hospitalier.

 

Madame E. est elle-même étudiante au B. S., dans le programme sage-femmes.

 

3. La volée dans laquelle se trouvait M. E. comportait 59 étudiants, à savoir 52 femmes et 7 hommes.

 

4. Le 22 décembre 2000, M. S. B., née en 1963, étudiante dans la même volée que M. E., s'est rendue auprès de M. A. F., responsable de la filière d'aides-soignantes, pour lui confier, très angoissée, qu'elle était harcelée sexuellement par ce dernier.

 

Elle a expliqué que celui-ci lui avait fait verbalement des propositions sexuelles à réitérées reprises, malgré ses refus d'entrer en matière. M. E. la suivait dans l'école, lui imposait une proximité physique, écoutait les communications téléphoniques qu'elle recevait sur son portable et tentait de s'y immiscer. En outre, M. E. répandait des rumeurs concernant des relations sexuelles que Mme B. aurait eues avec lui-même ou avec d'autres hommes et la menaçait d'en informer son mari. Face au refus clair de l'étudiante, M. E. devenait verbalement agressif, l'accusant de faire preuve de racisme. Par deux fois il avait eu des gestes abusifs, tels que mettre sa main sur les seins ou les fesses de Mme B.. Cette dernière affirmait que d'autres élèves avaient été importunées par M. E..

 

5. Mme F. a suggéré à Mme B. de laisser passer les vacances de Noël et de faire le point ensuite. Elle a toutefois informé M. F. B. V., directrice de l'école, de la situation.

 

6. Au mois de janvier 2001, Mmes F. et B. se sont revues, comme convenu. Mme B. n'avait pas reçu de téléphone de M. E. pendant les vacances et n'avait pas fait l'objet de propos ou de gestes abusifs depuis la rentrée. Elle avait l'impression que M. E. "s'était calmé" et préférait attendre avant d'agir.

 

7. Les comportements abusifs de M. E. ont repris au mois de mars 2001.

 

En effet, M. E. s'était rendu, de façon inattendue et à plusieurs reprises, dans le service où Mme B. était en stage. Le 14 mars 2001 en particulier, M. E. était venu la chercher dans la tisanerie, l'avait entraînée dans une autre pièce, l'avait prise dans ses bras, l'avait appelée "ma S. chérie", s'était pendu au chambranle de la porte et lui avait dit : "Tu as des jambes magnifiques, j'aimerais bien te prendre dans tous les sens". Mme B. était très gênée, d'autant plus que la responsable de l'équipe lui avait fait une remarque critique à cet égard.

 

8. Mme F. a alors ouvert une enquête interne et procédé à l'audition d'autres élèves de la volée, également concernées par les comportements de M. E..

 

Mesdames N. F., V. V. et M. S., ont été entendues ; elles ont toutes trois affirmé avoir dû refuser des avances claires de M. E. ; la quatrième, M. S. C., s'était d'emblée tenue à l'écart. Toutes ont confirmé que M. E. harcelait Mme B..

 

9. Mme F. a également pris des renseignements auprès des enseignants de M. E..

 

Ceux-ci ont fait état d'un certain malaise dans le contact avec M. E..

M. B. B. a relaté avoir été désorientée par l'élève qui l'avait d'abord appelée "B." et qui s'exprimait de façon mielleuse et un peu trop démonstrative. A cet égard, cette enseignante a raconté qu'à l'issue d'un enseignement clinique supplémentaire qu'elle avait organisé spécialement pour M. E. au vu de ses difficultés dans le domaine, ce dernier lui avait dit : "Tu t'es fais plaisir, tu avais envie de revenir, tu es revenue", renversant ainsi complètement les rôles.

 

10. Après s'être entretenue avec M. E., le 11 mai 2001, au sujet de sa conduite au sein de l'établissement, qui relevait du harcèlement sexuel, Mme B.V. lui a signifié son exclusion de l'école, décision confirmée par courrier du même jour.

 

11. A cette époque, M. E. avait effectué la moitié de sa formation et validé deux tests théoriques ainsi qu'un stage dans un service de chirurgie orthopédique.

 

12. Par pli recommandé du 20 mai 2001, M. E. a prié Mme B.V. de lui octroyer une dernière chance et de lui permettre d'achever sa formation, afin qu'il puisse assurer l'avenir de sa famille. Il a contesté les accusations dont il faisait l'objet, estimant n'avoir pas eu la possibilité de se défendre. Il s'indignait d'être considéré comme un obsédé sexuel ou comme une personne atteinte dans sa santé mentale et d'être sanctionné, peut-être en raison de sa race, alors que d'autres ne l'étaient pas, malgré les propos assez lestes qu'ils avaient pu tenir.

 

13. Par courrier du 22 mai 2001, Mme B.V. a confirmé l'exclusion de l'école et indiqué que cette décision était susceptible de recours dans un délai de trente jours auprès du Président du Conseil de F. de l'E. Le B. S. (ci-après : le conseil de fondation), M. A. L..

 

14. Par acte du 8 juin 2001, M. E. a interjeté un tel recours, en contestant les accusations dont il faisait l'objet.

 

M. E. a allégué qu'il n'avait pas été entendu contradictoirement par les personnes qui l'accusaient et n'avait pu prendre connaissance du dossier le concernant. De plus, la motivation de la décision n'avait pas été précisée par écrit.

 

15. Le 12 juin 2001, le recours a été transmis par M. L. à M. N. V., président de la commission de recours (ci-après : la commission), composée d'un président et de deux membres, à savoir une avocate et une infirmière.

 

La commission a entendu Mmes B.V. et F., puis, le 24 août 2001, M. E..

 

16. Par courrier du 28 août 2001, le président de la commission s'est adressé au président du conseil de fondation en ces termes: "Le recourant n'ayant pas eu connaissance des griefs précis qui ont amené l'accusation de harcèlement sexuel, nous vous demandons d'organiser, avec un médiateur neutre, une rencontre avec M. E., le corps enseignant et éventuellement la victime afin de le confronter aux allégations qui pèsent contre lui."

 

17. La médiation a eu lieu le 10 octobre 2001 entre Mmes B.V. et F. et M. E.. Dans ce cadre, il a été indiqué à M. E. les faits qui lui étaient reprochés. Alors que ce dernier contestait une partie des allégations, il lui a été proposé d'organiser une séance d'explication entre les personnes citées dans l'enquête et lui-même. M. E. n'a pas donné suite à cette proposition.

 

La commission a entendu M. E. une seconde fois le 26 août 2001 et lui a confirmé la décision d'exclusion de l'école.

 

18. Par courrier du 9 novembre 2001, le président du conseil de fondation a informé M. E. que la commission avait décidé de confirmer son exclusion définitive de l'ensemble des programmes de l'école. Ce courrier ne comportait aucune voie de droit.

 

19. Par acte déposé le 10 décembre 2001, M. E. a saisi le Tribunal administratif d'un recours contre cette décision, en concluant à son annulation et en demandant à être autorisé à poursuivre ses études d'aide-soignant après avoir été réintégré au sein de l'école.

 

M. E. s'est plaint d'une violation du droit à l'instruction ainsi que du droit d'être entendu. En outre, la décision de la commission n'était pas motivée et ne mentionnait pas les voie et délai de recours. Il contestait également que la preuve de l'existence d'un harcèlement sexuel ait été rapportée. Enfin, la mesure disciplinaire dont il avait fait l'objet était disproportionnée.

 

20. Depuis le mois de décembre 2001, M. E. travaille pour une maison de travail temporaire en tant qu'aide-hospitalier à la maison de retraite du Petit-Saconnex.

 

21. Dans le délai qui lui a été imparti, la fondation a communiqué ses observations. Elle a conclu au rejet du recours.

 

22. La commission a indiqué au juge délégué qu'elle ne pouvait lui communiquer son dossier, dès lors que ses membres délibéraient immédiatement après avoir entendu l'intéressé et que leurs notes personnelles n'étaient pas transcrites dans un rapport circonstancié, mais détruites une fois la décision rendue.

 

23. Le 19 avril 2002, le tribunal de céans a entendu Mme B.V., M. V. et M. E.. Ce dernier a admis n'avoir pas donné suite à la proposition de confrontation faite par la commission lors de la séance de médiation, mais s'est dit prêt à être confronté aux personnes l'accusant.

 

Les parties ont dès lors été invitées par le tribunal de céans à déposer une liste de témoins.

 

24. Les 23 mai et 21 juin 2002, le tribunal de céans a, dans un premier temps et avec l'accord du conseil du recourant, procédé à l'audition des témoins cités par la partie intimée, lesquels ont confirmé leurs allégations.

 

a) Pour le surplus, Mme F. a précisé qu'aucun patient ne s'était plaint du comportement de M. E..

 

b) Mme B. a en outre apporté des précisions quant à ses attentes relatives à son nouvel environnement social lorsqu'elle avait commencé sa formation :

 

"Comme nous étions dans un domaine social, j'ai pensé que nous pouvions discuter entre nous sans avoir de problème (...)"

 

"Lors de mon premier stage à l'hôpital, M. E. se trouvait dans un autre service. On a recommencé à discuter. Peut-être cela lui a-t-il donné de l'espoir. Il est venu à plusieurs reprises dans mon unité en tenant à nouveau des propos à connotations sexuelles. Je me souviens en particulier un jour quand j'étais en pause dans la tisanerie, que je suis sortie pour discuter avec lui et l'infirmière responsable nous a repris tous deux en nous demandant d'avoir un comportement conforme à celui de l'élève. J'ai réalisé que ne ne voulais pas mettre en jeu ma formation et j'ai demandé à M. E. de cesser ces visites."

 

À aucun moment, Mme B. n'avait songé à porter plainte contre M. E., mais elle l'aurait fait s'il avait attenté à sa vie privée, par exemple en faisant des téléphones à son domicile.

 

c) Mmes S., C. et F. G. ont aussi confirmé les déclarations faites lors de l'enquête interne. Mme S. a toutefois ajouté :

 

"Concernant les propositions d'actes sexuels que M. E. m'a faites, j'ai dit précédemment que je ne les avais pas prises au premier degré. En fait, maintenant j'ai pris du recul par rapport à ces propositions."

 

25. Face à ces accusations, M. E. a répondu que Mme B. avait adopté un comportement sexuel à son endroit, mais qu'il n'avait pas trouvé cela anormal.

 

26. Lors de l'audience d'enquêtes du 21 juin 2002, M. A. D. F., citée par le recourant, a témoigné de sa bonne relation avec M. E.. M. F. G. a pour sa part indiqué son étonnement quant à la mesure prise à l'encontre de M. E.. Elle a également fait état du comportement provocateur de Mme B., qui n'avait pas hésité à montrer son string à ses camarades. Le témoin s'est exprimé en ces termes:

 

"Je lui ai dit que je considérais qu'elle était une allumeuse. Si elle avait des problèmes dans son ménage et qu'elle avait de plus un amant parmi les élèves de la classe, elle avait en tout cas déclenché une situation qu'elle ne maîtrisait plus."

 

27. D.ns ses écritures après enquêtes reçues par le tribunal de céans le 15 juillet 2002, M. E. a persisté dans les motifs et griefs dévoloppés dans son recours. Il a conclu, une fois encore, à ce que la décision de la commission soit annulée et que l'école soit invitée à le réintégrer pour qu'il achève sa formation d'aide-soignant.

 

28. Les intimées ont persisté dans leurs précédentes conclusions.

 

 

EN DROIT

 

1. Le Tribunal administratif est compétent pour connaître d'un recours contre les décisions portant sur l'exclusion définitive d'une voie ou d'une filière d'enseignement, après épuisement des voies de recours hiérarchiques (art. 20C litt. b de la loi sur l'instruction publique du 6 novembre 1940 - LIP - C 1 10; art. 56A al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; ATA V. du 9 octobre 2001).

 

Les décisions d'exclusion de l'école peuvent faire l'objet d'un recours auprès du président du conseil de la fondation qui transmet le dossier à la commission de recours de l'école. La commission statue sans appel et sa décision est communiquée à l'étudiant par le président du conseil de fondation. Le règlement de l'école ne prévoit pas de recours hiérarchique au Conseil d'Etat (art. 34 à 38 du Règlement de l'école) et l'E. le B. S. est placée sous la surveillance du département de l'instruction publique (art. 4 al. 2 litt. a du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 3 décembre 2001 - B 4 05.10).

 

En l'espèce, la décision d'exclusion définitive du recourant de l'ensemble des programmes de l'école met un terme à la filière de formation d'aide-soignant.

 

Cette décision émane de la commission. Dès lors que le recours hiérarchique au Conseil d'Etat n'est pas possible, le Tribunal administratif est compétent pour connaître d'un recours contre la décision de la commission.

 

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est ainsi recevable (art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. En premier lieu, le recourant s'est plaint de ne pas avoir eu accès au dossier établi par la commission ni d'avoir pu participer à l'audition des témoins ou à la comparution des personnes ordonnées par l'autorité, et, partant, a invoqué une violation du droit d'être entendu.

 

b. Le droit d'être entendu comprend le droit des parties de participer à l'administration des preuves (art. 42 LPA; 29 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 - Cst. féd. - RS 101; ATF 126 I 15 consid. 2 p. 16; 124 I 49 consid. 3 p. 51). Les parties ont ainsi le droit de participer à l'audition des témoins, à la comparution des personnes ordonnées par l'autorité ainsi qu'aux examens auxquels celle-ci procède.

 

En l'espèce, l'école a procédé à l'audition des témoins en l'absence du recourant. Le droit d'être entendu de ce dernier n'a ainsi pas été respecté.

 

c. Cependant, la violation du droit d'être entendu peut être réparée devant une instance de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité intimée (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 68; 125 V 368 consid. 4 p. 371; ATA M. du 12 septembre 1990; ATA G. du 2 octobre 2001) et si la possibilité de recourir est propre à effacer les conséquences de cette violation (SJ 1992, p. 528).

 

La commission a suggéré au recourant d'organiser une séance de confrontation, proposition à laquelle le recourant a admis ne pas avoir donné suite.

De plus, le tribunal de céans, qui a le même pouvoir d'examen que l'autorité intimée, a procédé à l'audition des témoins en présence du recourant. Partant, la violation du droit d'être entendu a été réparée par deux fois.

 

3. a. Le recourant allègue ensuite que la décision de la commission n'était pas motivée et ne mentionnait pas les voie et délai de recours.

 

b. Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies ordinaires et délais de recours (art. 46 al. 1 LPA).

 

En l'espèce, la décision rendue par la commission le 9 novembre 2001 ne satisfait aucunement à ces exigences. En effet, la commission se contente de confirmer la décision de l'école d'exclure définitivement le recourant de l'ensemble des programmes sans mentionner un quelconque motif. En outre, ce courrier ne comporte aucune indication relative aux voies de droit. Partant, la notification de la décision attaquée est irrégulière.

 

c. Une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties (art. 47 LPA). L'irrégularité de la notification n'est donc pas en soi un motif d'invalidité de la décision elle-même. Si malgré l'irrégularité d'une notification, l'intéressé a pu prendre connaissance de la décision en cause et réagir dans le délai légal, le vice formel est en quelque sorte guéri (Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd., Bâle 1991, no 698)

 

Malgré l'absence d'indication des voies de recours, le recourant a été à même d'interjeter un recours auprès de l'autorité compétente, dans le délai utile. La décision attaquée ne peut par conséquent être invalidée pour ce motif.

 

S'agissant du défaut de motivation , celui-ci peut être réparé par la prise de position de l'autorité intimée, suite à un recours, si l'administré se voit offrir la possibilité de s'exprimer à son sujet et que l'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen (ATF 116 V 28 pages 39, 40).

 

Le tribunal de céans a autorisé les parties à déposer des conclusions motivées après enquêtes. Le recourant a dès lors eu l'occasion de connaître les motifs qui ont conduit l'autorité intimée à prendre la décision attaquée ainsi que de se prononcer sur ceux-ci. Ce vice a donc également été réparé.

 

4. a. Le recourant prétend que la mesure prise à son encontre viole son droit à l'instruction, garanti par l'article 2 du Protocole No 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

 

b. Le droit à la formation est consacré par l'article 19 Cst. féd., selon lequel "Le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit est garanti". Le Tribunal fédéral a refusé de reconnaître l'existence d'un droit à la formation qui irait au-delà de cette garantie minimale (ATF 103 Ia 369 condis. 4 p. 377). Il a également refusé de déduire ce droit d'autres droits fondamentaux, comme la liberté personnelle (ATF 114 Ia 216 p. 220; 117 Ia 27 p. 30; 121 I 22 p. 24) ou la liberté économique (ATF 125 I 173 p. 175). La Suisse n'a pas non plus ratifié le Protocole additionnel no 1 à la CEDH, dont l'article 2 garantit le droit à l'instruction (Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, vol. II, no 1526).

 

En l'espèce et s'agissant d'une formation postobligatoire, le recourant ne peut invoquer ce droit constitutionnel. Ce grief est dès lors infondé.

 

5. a. En outre, le recourant soutient que la preuve du harcèlement sexuel invoqué par certaines élèves de l'école n'a pas été rapportée.

 

b. Selon la jurisprudence, les remarques sexistes et les commentaires grossiers ou embarassants entrent dans la définition du harcèlement sexuel (ATF 126 III 395 consid. 7b p. 397).

 

c. En matière administrative, les faits doivent en principe être établis d'office et, dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l'autorité qu'elle procède à cette recherche, les règles sur la répartition du fardeau de la preuve ne s'appliquent pas. Il n'en demeure pas moins que, lorsque les preuves font défaut, ou si l'on ne peut raisonnablement exiger de l'autorité qu'elle les recueille, la règle de l'article 8 du Code civil du 10 décembre 1907 - CC - RS 210 est applicable par analogie. Pour les faits constitutifs d'un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (ATF 112 Ib 67; B. KNAPP, op. cit. no 2021; et les références citées).

 

Suite à la plainte de Mme B., l'école a ouvert une enquête interne au cours de laquelle elle a procédé à l'audition des élèves qui, selon la plaignante, étaient également concernées par les agissements du recourant. Celles-ci ont toutes confirmé non seulement qu'elles avaient dû refuser des propositions sexuelles verbales de la part du recourant, mais encore que ce dernier harcelait Mme B.. La responsable de la filière d'aide-soignantes a également pris des renseignements auprès de certains enseignants, lesquels ont fait état d'un certain malaise dans leur relation avec le recourant. Mme B. en particulier avait relevé la familiarité du recourant à son égard.

 

En second lieu, la commission a entendu Mmes B.V. et F. qui ont confirmé les faits révélés par l'enquête interne, même si leurs dires n'ont pas été protocolés dans un rapport circonstancié.

 

Enfin, le tribunal de céans a procédé à l'audition des témoins cités par les parties, ceci en présence du recourant. Trois élèves de l'école ont ainsi confirmé que le recourant avait harcelé d'autres étudiantes, dont en particulier Mme B.. Deux d'entre elles ont attesté avoir fait l'objet d'avances de la part du recourant. Par ailleurs, il ressort des déclarations des témoins cités par le recourant qu'il existait bel et bien un problème relationnel entre celui-ci et Mme B., même si tous n'ont pas pu expliquer son origine. Les considérations relatives au comportement provocateur qu'aurait eu Mme B. à une reprise n'y changent rien.

 

L'existence d'un harcèlement sexuel de la part du recourant est donc établie.

 

6. a. Selon le règlement de l'école, les atteintes au bon ordre de l'E. et le non respect des prescriptions et règlements qui régissent l'E. sont considérées comme des infractions à la discipline. La direction s'en saisit d'office, procède à l'enquête et se prononce sur la mesure disciplinaire (art. 32 du Règlement de l'E.).

 

b. Le principe de la légalité ne s'applique pas strictement en droit disciplinaire. Selon la doctrine et la jurisprudence, la loi peut donc se passer d'incriminations strictement définies. En conséquence, les expressions, telles que "devoirs de service" et "obligations professionnelles" décrivent de manière suffisante les comportements réprimés (Robert ROTH, Le rôle sanctionneur du droit pénal, 1985, pp. 134 à 136 ; Dominique FAVRE, Les principes pénaux en droit disciplinaire, in : Mélanges Robert PATRY, 1988, p. 329 ; Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 1991, no 1748 ; ATF 97 I 831 ; ATF A. et V. du 22 mars 1978, publié in RD.F 1982 p. 56 ; ATA X. du 14 février 1979, publié in SJ 1981 p. 324 ; Valérie MONTANI et Catherine BARDE, La jurisprudence du Tribunal administratif relative au droit disciplinaire, in : RD.F 1996, p. 348).

 

c. L'article 32 du Règlement de l'école constitue donc une base légale suffisante, au regard des exigences jurisprudentielles et doctrinales en la matière, pour permettre à l'école de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre d'un élève dont le comportement entrave le bon ordre.

 

d. En l'espèce, le recourant a fortement indisposé plusieurs de ses camarades, alors qu'il les harcelait sexuellement. La gravité de ses agissements a amené l'école à ouvrir une enquête disciplinaire, ce qui a permis d'établir la véracité des faits qui lui étaient reprochés. De nature à perturber le bon fonctionnement de l'école, ces faits rentrent dans la définition d'"atteinte au bon ordre" ou de "non respect des prescriptions et règlements" prohibés par l'article 32 du Règlement. Partant, même si le harcèlement sexuel n'est pas spécifiquement interdit par le Règlement de l'école, ce comportement consiste en une atteinte au bon ordre de l'école, atteinte explicitement proscrite par ledit règlement.

 

7. a. Enfin, selon le recourant, la mesure d'exclusion définitive de l'ensemble des programmes de l'école violerait le principe de la proportionnalité.

 

b. A teneur de l'article 33 du règlement de l'école, la direction peut prendre quatre types de mesures disciplinaires, à savoir l'avertissement, le blâme, l'exclusion temporaire pour une année au maximum et l'exclusion de l'école.

 

C'est ainsi la sanction la plus lourde qui a été prononcée à l'encontre du recourant.

 

c. Le principe de la proportionnalité comporte traditionnellement trois aspects : d'abord, le moyen choisi doit être propre à atteindre le but fixé (règle d'aptitude; deuxièmement, entre plusieurs moyens adaptés, on doit choisir celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés (règle de nécessité); enfin, l'on doit mettre en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré avec le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (proportionnalité au sens étroit du terme) (cf. ATF 123 I 112 consid. 4e p. 121 et les arrêts cités).

 

8. Il faut donc procéder à une pesée des intérêts en présence.

 

Il sera tenu compte de l'intérêt privé de l'élève à achever sa formation d'une part, et de l'intérêt public à ne plus compter le recourant parmi les élèves de l'école, d'autre part.

 

À l'époque du prononcé de la décision entreprise, le recourant avait accompli six mois sur douze de formation et validé deux tests théoriques ainsi qu'un stage dans un service de chirurgie orthopédique. Par ailleurs, le recourant doit pouvoir travailler et contribuer à l'entretien de son épouse et de sa fille, âgée de trois ans.

L'école, pour sa part, s'emploie à former du personnel médical.

 

L'intérêt privé du recourant à devenir aide-soignant ne suffit toutefois pas à contrebalancer l'intérêt public de l'école et de la société : les professionnels de la santé doivent être particulièrement dignes de confiance dans leurs relations avec leurs collègues et avec les patients. À cet égard, le tribunal de céans a déjà jugé que, dans le contexte spécifique d'un établissement hospitalier, l'on ne saurait reprocher à l'autorité intimée de faire preuve d'une intransigeance certaine en exigeant de ses collaborateurs un comportement au-dessus de tout soupçon (ATA G. du 8 mai 2001). Le harcèlement sexuel n'est pas compatible avec la profession d'aide-soignant qui suppose, plus que toute autre, des relations personnelles, voire intimes, avec des patients, parfois inconscients et sans défense. Certes, le comportement du recourant à l'égard des patients n'a jusqu'ici pas prêté le flanc à la critique, mais celui qu'il a adopté à l'égard de ses collègues ne permet pas de considérer que M. E. offre les garanties d'un comportement exemplaire que toute personne hospitalisée est en droit d'attendre du personnel soignant.

 

La mesure prise par l'école est ainsi la seule permettant d'atteindre le but recherché et, partant, elle respecte le principe de proportionnalité. Ce grief sera donc également écarté.

9. Nonobstant l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, dès lors qu'il plaide au bénéfice de l'assistance juridique.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 10 décembre 2001 par M. T.-L. E. contre la décision de la C. de recours de l'E. le B. S. du 9 novembre 2001 ;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

dit qu'il ne sera pas perçu d'émolument ;

communique le présent arrêt à Me Bertrand Reich, avocat du recourant, à Me Pierre Martin-Achard, avocat de la F. de l'E. Le B. S. ainsi qu'à la C. de recours de l'E. Le B. S..

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin et Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste : le vice-président :

 

E. Boillat F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci