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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1184/2018

ATA/1090/2018 du 16.10.2018 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1184/2018-FPUBL ATA/1090/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 octobre 2018

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Pascal Junod, avocat

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE

 



EN FAIT

1. Monsieur A______ a été engagé au service de la police routière, en qualité d’assistant de sécurité public (ASP 2), le 1er septembre 2016.

2. Par ordonnance pénale datée du 16 janvier 2017 (recte : 16 janvier 2018), l’intéressé a été déclaré coupable d’entrave à l’action pénale et de violation du secret de fonction, au sens des art. 305 al. 1 et 320 ch. 1 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0), et condamné à une peine pécuniaire de cent quatre-vingts jours-amende dont le montant était de CHF 80.- par jour, avec sursis pendant trois ans, ainsi qu’à une amende de CHF 2'880.- avec une peine privative de liberté de substitution de trente-six jours.

Il lui était reproché d’avoir imprimé des informations confidentielles figurant dans une base de données de la police concernant un tiers avec qui il était en litige et qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt, puis d’avoir montré ces documents à un proche de cette personne, laquelle avait été ainsi avertie de l’enquête pénale dont elle faisait l’objet et n’était pas revenue en Suisse.

Non contestée, cette ordonnance pénale est entrée en force.

3. Le 23 janvier 2018, l’intéressé a participé à un entretien de service, lequel avait été convoqué par courrier du 22 décembre 2017. Il avait toujours donné entière satisfaction dans l’exécution des tâches qui lui étaient confiées.

M. A______ a reconnu les faits qui lui étaient reprochés, objets de l’ordonnance pénale. Il avait agi ainsi parce qu’il avait prêté de l’argent à un ami, qui ne le lui avait pas rendu et dont la famille l’avait traité de menteur.

Il lui a été indiqué que la résiliation de ses rapports de service était envisagée.

4. Par décision du 26 février 2018, la commandante de la police a résilié les rapports de service de M. A______ pour le 31 mai 2018, dite décision étant déclarée exécutoire nonobstant recours. L’intéressé avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Les explications qu’il avait données pouvaient expliquer son geste, mais pas l’excuser. Le lien de confiance était rompu et la poursuite de la collaboration n’était pas envisageable.

5. Par acte remis à la poste le 11 avril 2018 et reçu le lendemain par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a recouru contre la décision précitée.

Elle avait été prononcée par une autorité incompétente, soit la commandante de la police et était dès lors nulle.

Le licenciement litigieux ne respectait pas le principe de la proportionnalité. M. A______ avait pris les documents sans vouloir les montrer à des tiers, et il ne l’avait fait que lorsqu’il avait été touché dans son honneur. Ensuite, il avait été d’une totale transparence et avait reconnu son erreur, laquelle avait été commise alors qu’il n’avait que quelques mois d’expérience dans la fonction. Toutes les appréciations sur ses prestations professionnelles étaient excellentes, et il était soutenu par ses collègues et sa hiérarchie.

Le principe de l’égalité de traitement n’était pas respecté, au vu des sanctions prononcées, dans d’autres cas, contre des policiers ayant le statut de fonctionnaire, que l’intéressé détaillait.

6. Par décision du 2 mai 2018, la chambre administrative a refusé de restituer l’effet suspensif lié au recours.

7. Le 14 mai 2018, la commandante de la police a conclu au rejet du recours.

Même s’il n’en avait pas l’intention à l’origine, le recourant avait violé son secret de fonction. Il n’était pas contesté qu’il avait donné entière satisfaction dans l’exécution des tâches qui lui avaient été confiées. Toutefois, c’est sa hiérarchie qui avait demandé la résiliation des rapports de service.

La situation de M. A______ n’était pas comparable à celle des autres cas qu’il citait, dès lors qu’il était employé en période probatoire et que les autres personnes mentionnées étaient des policiers ayant le statut de fonctionnaires.

La commandante de la police était compétente pour résilier les rapports de service, en application d’un arrêté départemental du 17 février 2014 la lui déléguant pour les catégories de personnel non nommé.

Tant les principes de la proportionnalité que de l’égalité de traitement avaient été respectés. Le recourant était en période probatoire et son comportement n’était pas conforme à ce qui était attendu d’un collaborateur de la fonction publique, plus précisément de la police. Le lien de confiance, indispensable à la poursuite des relations de travail, avait été atteint par lesdits actes.

8. Le 15 juin 2018, M. A______ a exercé son droit à la réplique, persistant et développant son argumentation antérieure.

L’erreur commise n’avait pas eu de conséquences sur la procédure initiée contre la personne concernée par les documents. La résiliation des rapports de travail était disproportionnée car il avait pleinement pris conscience de cette erreur et ses supérieurs directs continuaient de lui accorder une pleine confiance.

S’agissant du principe de l’égalité de traitement, le fait que les autres personnes citées en exemple aient été des policiers nommés fonctionnaires, et qui dès lors avaient un devoir accru de montrer l’exemple, démontrait cette violation.

9. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 25 juin 2018.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 – LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Le personnel de la police est soumis à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et à ses dispositions d’application, sous réserve des dispositions particulières de la loi sur la police du 26 octobre 1957 (LPol – F 1 05).

b. Selon l’art. 4 al. 1 LPAC, le personnel de la fonction publique se compose de fonctionnaires, d’employés, d’auxiliaires, d’agents spécialisés et de personnel en formation. Est un fonctionnaire le membre du personnel régulier ainsi nommé pour une durée indéterminée après avoir accompli comme employé une période probatoire (art. 5 LPAC). Est un employé le membre du personnel régulier qui accomplit une période probatoire (art. 6 al. 1 LPAC).

c. L’art. 36 al. 1 du règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 (RGPPol – F 1 05.07) prévoit que, après leur formation initiale, les assistants de sécurité publique sont engagés à titre d’épreuve par le Conseil d'État pour deux ans.

d. En l’espèce, le recourant, qui a commencé à travailler pour la police le 1er septembre 2016, se trouvait en période probatoire lors de son licenciement, le 26 février 2018. La présente cause doit en conséquence être analysée à la lumière des dispositions régissant le licenciement des employés.

3. Le recourant soutient que la commandante de la police n’est pas compétente pour résilier ses rapports de service.

a. Le Conseil d'État est l'autorité compétente pour prononcer la fin des rapports de service (art. 17 al. 1 LPAC). Il peut déléguer cette compétence aux chefs de département et au chancelier d’État agissant d’entente avec l’office du personnel de l’État (al. 2). Il peut aussi autoriser la sous-délégation de cette compétence en faveur des services des départements et de la chancellerie d’État agissant d’entente avec l’office du personnel de l’État pour les membres du personnel n’ayant pas la qualité de fonctionnaire (al. 5).

b. Il ressort de la directive départementale sur l’application des dispositions réglementaires en matière de signature dans le cadre de la délégation des compétences, entrée en vigueur le 1er mars 2014, et expressément validée par un arrêté du président du département du 17 février 2014, que la compétence de résilier les rapports de service d’une personne n’ayant pas le statut de fonctionnaire et déléguer aux directrices et directeurs généraux soit, pour la police, à la commandante de la police.

c. Au vu de ce qui précède, ce grief doit être écarté.

4. a. Pendant le temps d’essai et la période probatoire, l’employeur étatique peut mettre fin aux rapports de service en respectant le délai de congé ; le membre du personnel doit être entendu par l’autorité compétente et peut demander que le motif de résiliation lui soit communiqué (art. 21 al. 1 LPAC). Lorsque les rapports de service ont duré plus d’une année, le délai de résiliation est de trois mois pour la fin d’un mois (art. 20 al. 3 LPAC).

Demeure toutefois réservée la résiliation en temps inopportun - non pertinente en l’espèce -, pour laquelle les art. 336c et 336d de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations (CO - RS 220) sont applicables par analogie (art. 44A du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 - RPAC - B 5 05.01).

b. Durant la période probatoire, même s’il doit exister un motif justifiant de mettre fin aux rapports de service pour ne pas tomber dans l’arbitraire, l’administration dispose d’un très large pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de la poursuite des rapports de service. Ce large pouvoir d’appréciation permet le recrutement de personnes répondant véritablement aux besoins du service. L’administration reste néanmoins tenue au respect des principes et droits constitutionnels, notamment le droit d’être entendu, l’interdiction de l’arbitraire, et le respect de l’égalité de traitement et du principe de la proportionnalité (ATA/408/2017 du 11 avril 2017 ; ATA/32/2017 du 17 janvier 2017 ; ATA/156/2016 du 23 février 2016 ; ATA/258/2015 du 10 mars 2015 ; ATA/96/2014 du 18 février 2014).

En particulier, le grief d’arbitraire ne doit être admis que dans des cas exceptionnels, par exemple lorsque les motifs allégués sont manifestement inexistants, lorsque des assurances particulières ont été données à l’employé ou en cas de discrimination. En revanche, l’autorité de recours n’a pas à rechercher si les motifs invoqués sont ou non imputables à une faute de l’employé ; il suffit en effet que la continuation des rapports de service se heurte à des difficultés objectives, ou qu’elle n’apparaisse pas souhaitable (arrêts du Tribunal fédéral 8C_182/2013 du 7 novembre 2013 consid. 2.2 ; 8C_774/2011 du 28 novembre 2012 consid. 2.4 ; 1C_341/2007 du 6 février 2008 consid. 2.2 ; ATA/1008/2017 précité ; ATA/408/2017 précité ; ATA/115/2016 précité ; ATA/612/2013 du 17 septembre 2013).

Saisie d’un recours pour résiliation des rapports de service durant la période probatoire, la chambre administrative dispose, sauf violation des droits et principes constitutionnels, d’un pouvoir d’examen limité à l’application des délais légaux de congé, compte tenu du large pouvoir d’appréciation laissé à l’autorité compétente (ATA/1071/2016 du 20 décembre 2016 ; ATA/408/2017 précité ; ATA/590/2016 du 12 juillet 2016).

5. Le recourant soutient que le principe de la proportionnalité n’aurait pas été respecté par la décision litigieuse.

a. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – exigeant que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; ATA/147/2018 du 20 février 2018 et les arrêts cités).

Ainsi que rappelé ci-dessus, le contrôle de son application par l’autorité judiciaire est très limité, au vu du large pouvoir d’appréciation donné à l’autorité lorsqu’elle désire se séparer de travailleurs n’ayant pas le statut de fonctionnaire.

b. En l’espèce, et même si la qualité du travail du recourant n’est pas critiquée, il est essentiel que l’employeur public, particulièrement dans les domaines où s’exerce un pouvoir d’autorité, telle la police, puisse avoir une entière confiance quant à la probité et à la droiture de ses collaborateurs. L’attention portée au respect du secret de fonction, au vu des très nombreuses données ressortant de la sphère privée et intime des citoyens auxquelles les membres de la police ont accès, est aussi fondamentale qu’essentielle.

Dans ces circonstances, la résiliation des rapports de service d’un employé en période probatoire ayant fait l’objet d’une condamnation telle celle prononcée dans la présente affaire, respecte le principe de la proportionnalité.

6. Le recourant se plaint de faire l’objet d’une inégalité de traitement. Dans d’autres cas, plus graves selon son appréciation, les manquements constatés auraient entraîné pour les policiers concernés des sanctions moins sévères. De plus, les policiers en question étaient plus expérimentés que lui, ce qui aurait permis d’être encore plus exigeant envers eux.

a. Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement garanti par l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 138 V 176 consid. 8.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_862/2015 du 7 juin 2016 consid. 9.1 et les références citées ; 1C_564/2015 du 2 juin 2016 consid. 3.1 ; Vincent MARTENET, Géométrie de l'égalité, 2003, p. 260 ss).

b. En l’espèce, le recourant a fait l’objet d’une résiliation en période probatoire, alors que les cas qu’il cite en exemple concernent des fonctionnaires nommés ayant fait l’objet d’une procédure disciplinaire. Cette différence, essentielle, permet d’écarter le grief : les situations ne sont pas comparables.

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

7. Vu son issue, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 avril 2018 par Monsieur A______ contre la décision de résiliation des rapports de service de la commandante de la police du 26 février 2018 ;

 

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 800.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal Junod, avocat du recourant, ainsi qu'à la commandante de la police.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Thélin, Verniory et Pagan, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

 

la présidente siégeant :

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

la greffière :