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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2131/2022

ATA/808/2022 du 16.08.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2131/2022-FPUBL ATA/808/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 16 août 2022

sur effet suspensif

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA CULTURE ET DU SPORT



Attendu, en fait, que :

1) Madame A______, née le ______ 1970, a été engagée le 1er novembre 2018 en qualité de directrice générale de B______(ci-après : B______) du département de l’instruction publique, de la formation et la jeunesse (ci-après : DIP).

2) Elle a acquis le statut de fonctionnaire le 1er novembre 2020.

3) Par courrier du 3 décembre 2021, le DIP a convoqué Mme A______ à un entretien de service dans le but de l’entendre au sujet d’une éventuelle insuffisance des prestations fournies et d’une inaptitude à remplir les exigences du poste.

Il lui était notamment reproché de n’avoir pas été en mesure d’analyser les causes des problèmes rencontrés par l’B______, de définir et planifier les actions réalistes pour y remédier, de n’avoir pas conclu des liens de collaboration avec les partenaires internes, de n’avoir pas réalisé les objectifs fixés par le DIP dans le cadre de sa lettre de mission, de n’avoir pas su gérer adéquatement la crise au foyer C______, d’avoir continué à solliciter des travaux auprès de la direction générale pour agrandir et rénover le foyer C______, de n’avoir pas tenu son budget pour préparer la rentrée 2021-2022, de n’être pas parvenue à apaiser les tensions et à nouer un dialogue constructif avec les collaborateurs et de n’avoir pas pris en compte les difficultés exprimées. Le DIP avait également relevé un manque de distance émotionnelle et d’analyse stratégique et politique.

S’ils étaient avérés, ces faits étaient susceptibles de constituer une violation de l’art. 20 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01).

Mme A______ était libérée provisoirement de l’obligation de travailler jusqu’à la prise d’une décision sujette à recours.

4) Par courrier du 10 janvier 2022, Mme A______ a contesté l’intégralité des faits reprochés par le DIP.

5) L’entretien de service a eu lieu le 26 janvier 2022.

Mme A______ a notamment précisé entretenir de très bonnes relations tant avec ses collègues qu’avec les entités subventionnées et les associations de parents. Elle avait contribué à améliorer la qualité de la relation entre l’B______ et l’ensemble des partenaires. La collaboration avec le mandataire externe avait été très problématique en raison de son comportement inadéquat. Les missions de l’office avaient été validées. La crise sanitaire et l’organisation de la rentrée 2021-2022 ne lui avaient pas permis d’avancer sur les travaux relatifs à la vision de l’B______ avant l’automne 2021.

6) Le 21 février 2022, Mme A______ a formé des observations complémentaires.

Son attitude professionnelle devait être reconnue et, plus particulièrement, en lien avec la crise C______, comme en attestaient des échanges de courriels produits avec ses observations.

7) Le 1er avril 2022, Mme A______ a formé une action en constatation d’une atteinte à sa personnalité avec requête de mesures provisionnelles par devant le Conseil d’État à l’encontre de la Conseillère d’État chargée du DIP.

8) Par décision du 13 juin 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, la Conseillère d’État en charge du DIP a ouvert une procédure de reclassement à l’endroit de Mme A______.

Le recours formé par Mme A______ contre cette décision a été enregistré sous le numéro de procédure A/2116/2022.

9) Par arrêté du 15 juin 2022, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d’État a libéré Mme A______ de son obligation de travailler à compter de la réception de celui-ci.

Il existait de fortes tensions entre Mme A______ et sa hiérarchie, notamment sur des missions importantes comme l’orientation stratégique de l’B______ ou la préparation de la rentrée scolaire. L’action de Mme A______ en constatation d’une atteinte à la personnalité du 1er avril 2022 était symptomatique des tensions entre
celle-ci et la Conseillère d’État en charge du DIP, avec laquelle elle était pourtant régulièrement amenée à collaborer dans l’exercice de sa fonction. Pour le bon fonctionnement de l’institution, qui traversait une crise majeure, ainsi qu’au regard des nombreux défis auxquels elle devait faire face, il n’était pas souhaitable que Mme A______ poursuive son activité professionnelle. Il y avait donc lieu de ratifier la mesure de libération de l’obligation de travailler prise dans l’urgence par sa supérieure hiérarchique.

La mesure était sans incidence sur son droit au traitement. Elle était toutefois tenue de rester à la disposition de sa hiérarchie, tout en veillant à prendre son solde de vacances.

10) Par acte du 27 juin 2022, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué.

S’agissant de la restitution de l’effet suspensif, la décision ratifiait une mesure de libération de l’obligation de travailler prise plus de six mois auparavant, de sorte qu’il n’y avait aucune urgence à son exécution immédiate.

Elle était contrainte de prendre ses vacances contre son gré, sans bénéficier d’autonomie en la matière, ce qui lui causait un préjudice irréparable.

La décision querellée ne contenait aucune motivation quant à la dérogation au principe général de l’effet suspensif du recours et aucune circonstance ne justifiait son exécution immédiate.

11) Le 15 juillet 2022, le DIP a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.

Restituer l’effet suspensif au recours reviendrait à accorder à Mme A______ ses conclusions au fond, avant même qu’un jugement ne soit prononcé.

En sa qualité de directrice générale, Mme A______ n’avait pas su gérer la transformation nécessaire de l’B______. Cet office faisait face à de nombreux défis qui nécessitaient des orientations stratégiques importantes, ce que l’intéressée n’avait pas su faire, restant alors dans une dimension opérationnelle ne relevant pas de sa compétence. Son intérêt privé à conserver son activité professionnelle devait céder le pas à l’intérêt public à la poursuite de la procédure de reclassement.

À cela s’ajoutait que de fortes tensions existaient avec l’ensemble de la hiérarchie, de sorte qu’une collaboration sereine et fructueuse pour le bien de l’B______ était totalement compromise. Réintégrer Mme A______ dans son poste reviendrait à faire perdurer une situation insatisfaisante au sein de l’B______ et à compromettre son bon fonctionnement, dans une période où cet office faisait face à de très nombreux défis.

Par ailleurs, tant que les rapports contractuels existaient entre Mme A______ et le DIP, celle-ci continuait à percevoir son salaire et était tenue de prendre des vacances en application des art. 27 à 30 RPAC. On comprenait mal en quoi l’application de ces règles lui causerait un préjudice irréparable.

L’intérêt privé de Mme A______ à conserver son activité professionnelle devait céder le pas à l’intérêt public à la libération de son obligation de travailler et à la résolution d’une situation insatisfaisante.

12) Par réplique du 8 août 2022, Mme A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle était jugée et pénalisée avant même d’avoir pu faire valoir ses arguments. Son maintien à son poste dans l’attente d’une décision sur le fond n’empêchait aucunement l’autorité de lui proposer d’autres postes. La décision litigieuse ratifiait une mesure de suspension illicite prononcée six mois plus tôt.

13) Le 10 août 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Le recours est interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par le vice-président, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II
253-420, p. 265).

L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; ATA/941/2018 du 18 septembre 2018).

5) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

6) Selon l’art. 21 al. 3 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), l'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé ; elle motive sa décision ; elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé. Les modalités sont fixées à l’art. 46A RPAC.

Selon l’art. 22 LPAC, il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de : l'insuffisance des prestations (let. a), l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b) et la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c).

7) La recourante sollicite la restitution de l’effet suspensif à son recours contre la décision de libération de l’obligation de travailler.

8) La recevabilité du recours ne paraît pas, à première vue et sans préjuger du fond, acquise. En effet, celui-ci vise une décision incidente, qui, pour être susceptible de recours, doit répondre à l'une des conditions alternatives de l'art. 57 let. c LPA. Or, selon la jurisprudence de la chambre de céans, une décision de libération de l’obligation de travailler n’est en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable (ATA/1164/2021 du 2 novembre 2021 consid. 6b ; ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 4 ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 4 ; ATA/1020/2018 du 2 octobre 2018 consid. 4b ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 5).

S’agissant de la pesée des intérêts à prendre en compte, l’intérêt public à la bonne marche de l’B______ et notamment au fonctionnement et à la communication au sein de la direction est important. Sans préjudice de l’examen au fond, il apparait qu’il existe de fortes tensions entre la recourante et sa hiérarchie, ce qui est, a priori, corroboré par le fait que la recourante a formé une action en constatation d’une atteinte à sa personnalité à l’encontre de la Conseillère d’État en charge du DIP.

De son côté, la recourante n’expose pas quel intérêt privé prépondérant s’opposerait à l’exécution immédiate de la décision. Elle se plaint uniquement de ce qu’elle serait contrainte de prendre ses jours de vacances contre son gré. Or, ainsi que le fait valoir l’intimé, le droit du personnel aux vacances est dûment réglementé aux art. 27 à 30 RPAC. L’art. 29 RPAC précise en particulier que le conseiller d'État chargé du département fixe les dates des vacances annuelles des directeurs généraux (al. 1), les vacances devant être prises en totalité dans l'année pour laquelle elles sont accordées (al. 5). La chambre de céans ne voit dès lors pas en quoi l’application de ces dispositions causerait un préjudice irréparable à la recourante, étant précisé pour le surplus que le fait qu’un membre du personnel conserve son traitement pendant sa libération de l'obligation de travailler, ce qui est son cas, exclut une atteinte à ses intérêts économiques.

Quant aux chances de succès du recours contre la décision incidente de libération de l’obligation de travailler, elles n’apparaissent pas, à ce stade de la procédure et sans préjuger du fond, à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif.

9) En conséquence, les raisons d’exécuter immédiatement la décision querellée sont, prima facie, plus importantes que celles justifiant le report de l’exécution de celle-ci. Il n’existe pas de justes motifs de restituer l’effet suspensif au recours, l’intérêt privé de la recourante ne primant pas l’intérêt de la collectivité publique à la bonne marche de l’office.

Au vu de ce qui précède, la restitution de l’effet suspensif sera refusée.

10) Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours de Madame A______ contre l’arrêté du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 15 juin 2022 ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Jordan, avocat de la recourante, ainsi qu'au Département de l'instruction publique, de la culture et du sport.

 

Le vice-président :

C. Mascotto

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :