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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1356/2022

ATA/688/2022 du 28.06.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1356/2022-FPUBL ATA/688/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 28 juin 2022

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Mes Romain Jordan et Stéphane Grodecki, avocats

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI



Vu, en fait, la décision du 30 mars 2022 de la Conseillère d’État en charge du département de l’économie et de l’emploi (ci-après : le département), déclarée exécutoire nonobstant recours, résiliant les rapports de service de Madame A______ avec effet au 30 juin 2022 pour insuffisance des prestations et inaptitude à remplir les exigences du poste ; qu’il lui était reproché d’avoir falsifié une base de données fédérale et fait croire qu’elle recevait des demandeurs d’emploi, alors que ce n’était pas le cas, de les avoir lésés et d’avoir trompé tant son employeur que le secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO), en sa qualité d’autorité de surveillance, de sorte que la confiance et l’autorité qu’impliquait l’exercice de ses fonctions, ainsi que la bonne marche du service, avaient été compromises ;

vu le recours expédié le 29 avril 2022 par Mme A______ à la chambre administrative de la Cour de justice contre cette décision, dont elle demande l’annulation, concluant à sa réintégration immédiate ; qu’à titre préalable, elle a requis la restitution de l’effet suspensif, la convocation d’une audience de comparution personnelle des parties et l’audition de tous les demandeurs d’emploi identifiés par des numéros de code dans le procès-verbal d’entretien de service du 14 avril 2021 ; qu’elle a exposé avoir été engagée à l’office cantonal de l’emploi, au sein de l’office régional de placement le 1er août 2013 et d’avoir été nommée fonctionnaire le 4 février 2016 ; avoir donné pleine et entière satisfaction à son employeur depuis dix ans ce que les comptes-rendus des entretiens d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) confirmaient ; que dès le mois de mars 2020, la situation sanitaire due à la pandémie de Covid-19 avait profondément bouleversé l’organisation du travail ; qu’à la même époque, sa fille, née en 2000, avait développé un cancer du sein et que son frère était décédé à New York du Covid-19 ; qu’elle avait eu une nouvelle responsable à compter du 1er mars 2021 ; que lors de son entretien avec cette dernière le 23 mars 2021, elle lui avait indiqué vivre une période compliquée et précisé que ses dossiers n’étaient pas à jour ; qu’un contrôle de ses dossiers avait alors eu lieu ; qu’elle avait été convoquée le 29 mars 2021 à un entretien de service et immédiatement libérée de son obligation de travailler ; que l’entretien de service s’était tenu le 14 avril 2021 ; qu’elle avait dû gérer, durant la pandémie, 160 dossiers, alors que son cahier des charges n’en prévoyait que 120 ; qu’il lui avait été reproché que sur dix-huit candidats contactés pour avoir un entretien planifié le 19 février et le 18 mars 2021, seize avaient indiqué ne pas avoir eu d’entretien de suivi à la date mentionnée ; qu’elle avait toutefois contacté ou entendu tous les demandeurs d’emploi concernés, notamment lors d’entretiens téléphoniques ; que des imprécisions dans des documents n’étaient pas des falsifications ; qu’une enquête, notamment l’audition contradictoire des demandeurs d’emploi précités, l’aurait démontré ; qu’elle avait formulé ses observations le 29 avril 2021 ; que par décision incidente du 22 juin 2021, sans procéder à aucun acte d’instruction, le conseil d’État avait ouvert une procédure de reclassement ; que des entretiens avaient eu lieu les 1er juillet et 17 août 2021 ; que le département avait refusé de prolonger de deux mois la procédure de reclassement alors qu’elle avait été testée positive au Covid-19 pendant cette procédure qui s’était déroulée pendant la période estivale ; que l’autorité avait violé son droit d’être entendue sous plusieurs aspects ; que plusieurs éléments essentiels relatifs aux demandeurs d’emploi contactés ne figuraient dans aucun document ; qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de participer à l’administration des preuves et de poser des questions aux personnes concernées ; que l’autorité n’avait pas établi correctement les faits notamment par une enquête administrative ; que l’autorité l’avait licenciée pour éviter de devoir établir les faits dans le cadre d’une procédure disciplinaire ce qui relevait d’une fraude à la loi ; que la décision violait les art. 21 et 22 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) en l’absence de motif fondé de licenciement ; que la procédure de reclassement n’avait pas été respectée ; que, sur effet suspensif, il devait être tenu compte du fait qu’elle était mère célibataire et avait la charge de deux enfants ; que l’examen de son budget montrait que son revenu était indispensable à l’entretien de la famille ; qu’une perte de salaire rendrait le budget mensuel déficitaire et conduirait la recourante à une grande précarité ; que, prima facie, les chances de succès du recours étaient importantes ;

que le département a conclu au rejet de la requête d’effet suspensif ; qu’il a relevé que lors de l’examen des dossiers traités par la recourant des manquements avaient été constatés dans plus de 150 cas ; que toutes les informations (date, heure et lieu des entretiens de conseil et de contrôle, procès-verbaux des entretiens, courriers, téléphones, décision) relatives au suivi de la personne demandeuse d’emploi devaient être saisies dans le système d’information en matière de placement et de statistiques du marché du travail (ci-après : PLASTA) mis à disposition par le SECO ; que la recourante n’avait apporté aucune explication concernant ces manquements, établis sur pièces, se limitant à contester leur bien-fondé ; qu’elle ne fournissait aucun élément probant permettant d’étayer ses allégations concernant son budget ou sa situation financière ; qu’elle ne rendait pas vraisemblable que la décision querellée l’exposerait à un préjudice irréparable ;

que, dans sa réplique sur effet suspensif, la recourante a fait valoir que le département admettait avoir procédé à des enquêtes et refusé de transmettre l’identité des personnes entendues à la recourante ; qu’il n’existait par ailleurs aucun procès-verbal de ces auditions ; que la violation du droit d’être entendue de la recourant était patente ; que selon un certificat médical du 2 mai 2022 elle était en incapacité de travailler ; qu’elle ne pourrait ainsi pas bénéficier des prestations de chômage aux motifs qu’elle n’était pas apte au placement et serait sanctionnée par l’autorité compétente en matière de chômage au vu du contenu de la lettre de licenciement ; qu’elle serait ainsi privée de toutes ressources alors même qu’elle avait la charge de deux enfants majeurs en études ; qu’au vu de la grave violation de son droit d’être entendue, de son état de santé préoccupant et des conséquences économiques de la fin des rapports de service, ses intérêts privés devaient être qualifiés de prépondérants et l’effet suspensif accordé ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/795/2021 du 4 août 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020) ;

qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ; que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

que lors de l'octroi ou du retrait de l'effet suspensif, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que l'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé. Elle motive sa décision. Elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé (art. 21 al. 3 LPAC) ;

qu’en l’espèce, l’intérêt financier de la recourante à ce que le versement de son salaire soit maintenu pendant la procédure de recours est important ;

que celle-ci ne rend cependant pas vraisemblable qu’en cas de refus de restituer l’effet suspensif, ses indemnités de chômage, la contribution à l’entretien de la famille à hauteur de CHF 2'600.-, voire sa fortune personnelle, ne lui permettraient pas de subvenir aux besoins de la famille ;

qu’en particulier, la recourante n’a produit aucune pièce attestant des montants allégués de son budget, notamment de ses charges alléguées ;

que de même elle ne verse aucun document à la procédure, tels que relevés de comptes ou taxation fiscale, relatives à sa fortune rendant vraisemblable qu’elle ne disposerait pas d’économies suffisantes pour faire face, pendant la durée de l’éventuelle suspension de son droit à des indemnités chômage notamment, au déficit induit par la fin du versement de son salaire ;

qu’ainsi, l’existence du risque de subir un dommage financier difficilement réparable que l’admission du recours ne pourrait réparer n’est pas rendue vraisemblable ;

que même s’il fallait admettre que la recourante ne dispose pas d’économies – ce qui n’est pas rendu vraisemblable –, l'intérêt public à la préservation des finances de l'entité publique intimée, qui serait alors exposée au risque que la recourante ne rembourse pas les traitements versés en cas de rejet de son recours, est important et prime l’intérêt financier de la recourante à percevoir son salaire durant la procédure (ATA/795/2021 précité ; ATA/466/2021 du 28 avril 2021 ; ATA/1043/2020 précité) ;

qu’un tableau Excel, tenant sur deux pages A3, remis à la recourante à l’entretien de service, recense tous les dossiers gérés par celle-ci ; qu’il mentionne les prénoms, date de naissance, dates d’entretien, et référence des demandeurs d’emploi, à l’exclusion de leurs noms de famille, caviardés ; que les problèmes relevés dans les dossiers sont mentionnés, pour ceux concernés, au regard de leurs coordonnées ; que ces problèmes apparaissent à première vue nombreux ; que les problèmes relevés consistent parfois dans l’existence d’un procès-verbal avant la date de l’entretien, de procès-verbaux modifiés dans l’historique mais pas dans Word, ou d’entretiens prévus dans Outlook mais non listés dans PLASTA ;

que l'employeur jouissant d'un large pouvoir d'appréciation pour juger si les manquements d'un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l'administration (arrêt du Tribunal fédéral 8C_15/2019 du 3 août 2020 consid. 7.2 et les arrêts cités), les chances de succès du recours n’apparaissent de prime abord pas évidentes ;

qu’ainsi, au vu de l’absence de préjudice difficilement réparable, du fait que les chances de succès du recours ne paraissent prima facie pas manifestes et de l’intérêt public à l’exécution immédiate de la décision de licenciement, la requête de restitution de l’effet suspensif sera rejetée ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais du présent incident.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête d’effet suspensif ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique la présente décision à Mes Romain Jordan et Stéphane Grodecki, avocats de la recourante, ainsi qu'au département de l'économie et de l'emploi.

 

 

 

Le vice-président :

 

 

 

C. Mascotto

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :