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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3335/2021

ATA/605/2022 du 07.06.2022 sur JTAPI/1136/2021 ( RECUS ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 29.07.2022, rendu le 01.01.2023, SANS OBJET, 9C_675/2022, 2C_477/2022
Recours TF déposé le 01.01.2023, rendu le 29.03.2023, REJETE, 9C_675/2022, 2C_477/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3335/2021-RECUS ATA/605/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 juin 2022

4ème section

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______
représentés par Me B______, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 

_________


Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 11 novembre 2021 (JTAPI/1136/2021)


EN FAIT

1) Le 23 mars 2009, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a ouvert à l'encontre de Monsieur A______ une procédure en rappel et en soustraction d'impôt pour les périodes fiscales 2001 à 2007, tant en matière d'impôt fédéral direct que d'impôts cantonal et communal.

2) Le 31 octobre 2012, l'AFC-GE a informé M. A______ que la procédure en rappel d'impôt serait étendue aux périodes fiscales 2008 à 2011 et qu'elle avait décidé de fixer son domicile fiscal de manière illimitée dans le canton de Genève.

3) Le 28 novembre 2012, M. A______ a formé réclamation contre la décision précitée.

4) Par deux décisions sur réclamation datées du 12 décembre 2017, l'AFC-GE a maintenu sa décision d'assujettissement illimité du 31 octobre 2012.

5) Le 12 janvier 2018, les époux A______, par l'intermédiaire de Me B______, avocat, ont formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les décisions susmentionnées, lequel a été enregistré sous le numéro de procédure A/135/2018.

6) Par jugement du 29 octobre 2018, le TAPI a rejeté leur recours.

7) Par arrêt du 30 avril 2019, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a partiellement admis le recours interjeté contre le jugement précité, constatant la péremption du droit de taxer pour les années 2001 à 2003, l'a annulé et a renvoyé la cause au TAPI pour instruction complémentaire.

8) Le 3 juillet 2019, la chambre administrative a reçu, de manière anonyme, une copie du rapport de police du 11 avril 2019 rendu dans la procédure pénale P/1______ dont les époux A______ faisaient l'objet, en raison notamment de faits relatifs à l'emploi de personnel de maison non déclaré.

9) Le 12 septembre 2019, les parties ont été informées que la procédure de recours, initialement attribuée à Monsieur le juge C______, avait été réattribuée le 6 septembre 2019 à Monsieur D______, juge suppléant auprès du TAPI et par ailleurs avocat au sein de l'Étude « E______ ».

10) Dans le cadre de la procédure d'instruction complémentaire ordonnée par le TAPI, une audience de comparution personnelle a eu lieu le 26 septembre 2019, puis des audiences d'enquêtes ont été tenues le 3 décembre 2020 puis les 24 février, 15 avril et 1er juin 2021.

11) Parallèlement, le TAPI a rendu une décision incidente admettant comme moyen de preuve la copie du rapport de police du 11 avril 2019 et dit que les documents transmis le 22 octobre 2019 dans le cadre d'une procédure d'entraide entre autorités par le Ministère public, parmi lesquels figurait ledit rapport, faisaient également partie de la procédure fiscale.

12) Cette décision a été contestée par les contribuables devant la chambre administrative puis devant le Tribunal fédéral, qui a rejeté leur recours par arrêt du 20 octobre 2020 (2C_260/2020).

13) Après avoir accordé un délai non prolongeable aux parties pour faire part de leurs conclusions après enquêtes, le TAPI a gardé la cause à juger le 6 juillet 2021.

14) Divers courriers des recourants sont encore parvenus au TAPI les 13 et 18 août 2021.

15) Par courrier du 28 septembre 2021, adressé à M. D______, le conseil des époux A______ a requis sa récusation.

Me B______ a exposé être opposé à Me F______, nouvel associé de M. D______, dans le cadre d'une procédure civile.

À la suite d'un arrêt rendu par le Tribunal fédéral dans le litige civil opposant leurs clients respectifs (5A_302/2020), l'associé de M. D______ avait fait preuve d'un comportement inadmissible envers lui, s'en étant notamment pris de manière totalement inacceptable à sa réputation. Les remarques insultantes de Me F______ faisaient manifestement référence à son activité professionnelle et à sa personnalité. Cette hostilité et le mépris affiché à son encontre étaient propres à fonder une prévention d'impartialité [recte : partialité] de la part de M. D______, lequel avait été mis en copie de ce courriel insultant et à qui son associé avait certainement expliqué, à sa manière, son comportement. Par ailleurs, il entendait dénoncer ces agissements à la commission du Barreau (ci-après : la commission), ce qui était également propre à susciter un ressentiment de la part de M. D______.

Cette apparence de prévention était suffisante pour faire douter de l'impartialité de M. D______ dans la conduite de la procédure n° A/135/2018.

16) À l'appui de leur demande, les époux A______ ont produit un échange de quatre courriels daté du 23 septembre 2021 dont la teneur est la suivante :

-          Courriel de Me B______, envoyé à 09:18 à Me F______, avec copie à Me D______.

« Objet : votre comportement

Confrère, j'ai bien reçu en retour le courrier ci-joint agrémenté de vos tampons.

Je n'ai en revanche pas reçu la copie de votre recours, que j'ai donc dû demander au Tribunal fédéral.

Je vais saisir la Commission du barreau.

Dans la mesure où ces circonstances sont de nature à fonder un motif de récusation, j'adresse copie de ce courriel à votre associé, dès lors qu'il intervient en tant que magistrat suppléant dans une procédure dans laquelle je suis constitué.

Sentiments distingués.

B______, avocat ».

-          Courriel de Me F______, envoyé à 09:39 à Me B______ :

« Vos intimidations et provocations répétées ne font que nourrir votre triste réputation.

Pourquoi ne songeriez-vous pas plutôt à passer une journée teintée de joie et de bonne humeur ?

Au plaisir,

F______ ».

-          Courriel de Me B______, envoyé à 10:14 à Me F______, avec copie à Me D______ :

« Re: votre comportement je prends note de vos insultes.

Je me réjouis pour le surplus de lire votre recours qui me permettra de prendre toute la mesure de vos capacités.

Sentiments distingués.

B______, avocat ».

-          Courriel de Me F______, envoyé à 10:24 à Me B______, avec copie à Me D______.

« Mes lignes ne comportent aucune insulte ; les vôtres si. C'est la démonstration que mes propos sont pertinents. Je ne donnerai dorénavant plus suite à vos futiles provocations, qui n'émoustillent que vous.

Cordialement,

F______ ».

17) Cette procédure, ouverte le 29 septembre 2021 sous le numéro de cause A/3335/2021, a été attribuée à Madame G______, présidente du TAPI.

18) M. D______ s’est déterminé sur la demande de récusation le 11 octobre 2021, concluant à son rejet dans la mesure de sa recevabilité.

Me F______ et lui-même étaient associés depuis mars 2012. D'abord sous l'entité « D______ Avocats », ensuite sous « H______» entre 2018 et 2020, puis finalement sous la raison « E______ » dès le 1er juillet 2020. Il paraissait peu crédible que Me B______ puisse ignorer ce fait ce d'autant plus que le litige civil dont il faisait mention durait depuis 2016.

Lorsque la cause n° A/135/2018 lui avait été attribuée au début de l'année 2018 (recte : 2019), ce dont Me B______ avait été informé, celui-ci avait déjà connaissance de son association avec Me F______ et le litige civil sur lequel il fondait sa demande de récusation était déjà en cours. Partant, le motif de récusation aurait pu et dû être soulevé plus tôt, d'autant qu'il avait interpellé les parties sur un quelconque motif de récusation lors de la première audience de comparution personnelle.

Par ailleurs, Me B______ s'offusquait de ce que Me F______ l'avait mis en copie d'un courriel à son attention, alors que c'était le premier cité qui avait pris la décision de le mettre en copie du courriel du 23 septembre 2021.

19) Le 11 octobre 2021, l'AFC-GE s'en est rapporté à justice quant à la recevabilité et au bien-fondé de la demande de récusation.

Pour le surplus, elle a notamment rappelé que la procédure n° A/135/2018 était gardée à juger après avoir fait l'objet d'une longue instruction et d'une première procédure incidente, déjà initiée par les requérants, jusqu'au Tribunal fédéral. Cette procédure portait sur plusieurs années fiscales (2004 à 2011), dont certaines avaient été atteintes par la prescription du droit de taxer. Partant, il convenait que la présente requête soit traitée dans les meilleurs délais par le TAPI. Enfin, elle soulignait que la procédure A/135/2018 avait été attribuée au juge D______ le 6 septembre 2019 et que ce n'était que le 29 septembre 2021 que les recourants avaient sollicité sa récusation.

20) Le 21 octobre 2021, les époux A______ ont persisté dans leurs conclusions.

Lorsque M. D______ s'était vu attribuer la procédure n° A/135/2018, il n'existait aucun motif de récusation. Il en avait été de même par la suite, puisque le fait qu'il était constitué dans un dossier civil dans lequel Me F______ représentait la partie adverse n'était pas, en soi, de nature à créer un quelconque conflit d'intérêts. Ce n'était qu'à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral dans le litige civil précité que Me F______ avait fait preuve d'un comportement inadmissible à son égard, après qu'il lui eut demandé une copie de son recours adressé au Tribunal fédéral, par courrier du 14 septembre 2021.

En effet, Me F______ avait refusé de lui communiquer son recours, en faisant preuve d'une agressivité et d'un mépris incompréhensibles à son égard ce qu'il avait relevé par courriel du 23 septembre 2021, en mettant M. D______ en copie dès lors que ces circonstances étaient de nature à fonder un motif de récusation, étant précisé qu'il avait indiqué vouloir saisir la commission.

C'était à la suite des courriels du 23 septembre 2021 qu'il avait déposé la requête de récusation, étant précisé qu'il avait dû obtenir les instructions à ce sujet de ses mandants, ainsi que l'autorisation du client qu'il avait représenté dans le litige civil précité, afin de pouvoir y faire référence dans la mesure nécessaire. La demande de récusation avait ainsi clairement été déposée en temps utile, puisqu'elle concernait des faits survenus quelques jours plus tôt.

L'attitude de Me F______ qui s'en était violemment pris à sa réputation était propre à démontrer que ce dernier nourrissait à son égard un profond sentiment d'inimitié, ce qu'il ignorait jusque-là. Le fait qu'il allait saisir la commission d'une dénonciation à l'encontre de Me F______ était propre à le renforcer dans son hostilité envers lui.

Ces circonstances étaient à l'évidence de nature à influer sur l'impartialité de M. D______, dont on pouvait penser qu'il s'était solidarisé avec son associé. De plus, M. D______ avait clairement voulu éluder la question par une référence délibérément erronée et à la limite de la mauvaise foi, de la chronologie applicable à la présente requête. Ce faisant, il confirmait le sentiment qu'il partageait les appréciations de son associé quant au manque de crédit qu'il y avait lieu d'accorder au conseil des époux A______. Par son comportement, il confirmait ainsi l'apparence de prévention résultant des circonstances invoquées.

21) Par décision du 11 novembre 2021, le TAPI a rejeté la requête de récusation et a mis à la charge de Me B______ – désigné comme « le requérant » – un émolument de CHF 500.-.

Déposée le 28 septembre 2021, soit cinq jours après les faits reprochés, la demande de récusation était recevable.

Il n'était pas reproché au juge D______ d'être en relation directe avec l'une des parties à la procédure n° A/135/2018, ni que, par son attitude ou des déclarations précédentes, il aurait donné une apparence de prévention à l'encontre des contribuables ou de leur avocat.

Quand bien même les courriels de Me F______ avaient été perçus par Me B______ comme empreints d'une certaine virulence, le seul fait que l'échange de courriels entre les précités ait été porté à la connaissance de M. D______, sur l'initiative de Me B______ d'ailleurs, ne permettait pas encore de conclure que M. D______ aurait adhéré aux propos de son associé, ni qu'il en aurait de ce fait conçu un parti pris contre le requérant, propre à l'influencer, en sa qualité de juge, dans le cadre de la procédure n° A/135/2018. On ne pouvait en effet considérer que la simple connaissance de l'existence et de l'expression d'une forme de ressentiment entre deux avocats s'opposant dans une procédure, entraînait de la part de l'associé de l'un d'eux un sentiment d'inimitié à l'encontre du conseil de l'adverse partie de son associé.

22) Par acte déposé le 25 novembre 2021 auprès de la chambre administrative, les époux A______ et leur avocat ont interjeté recours contre la décision précitée, concluant à son annulation, à la récusation de M. D______ et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

C'étaient bien les époux A______ qui étaient les requérants, et non leur avocat, qui s'était pourtant vu désigner comme tel dans le dispositif du jugement et mettre à charge un émolument.

Il suffisait de constater que le rapport d'inimitié affiché par Me F______ à l'égard du conseil des époux A______ était propre à susciter un doute quant à l'impartialité de son associé, agissant en qualité de juge suppléant. La référence à une prétendue « triste réputation » du conseil des époux A______ constituait une attaque illicite au sens de l'art. 28 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Si cette attaque avait été le fait de M. D______, elle aurait justifié sa récusation.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral considérait qu'un litige avec une partie ou son conseil était propre à établir un rapport d'inimitié constitutif d'un motif objectif de récusation. M. D______ ne s'était en l'occurrence pas distancié du comportement de son associé, mais avait éludé la question, qui le gênait manifestement. Le long et étroit rapport d'association entre MM. D______ et F______ était objectivement de nature à influencer le comportement de ce dernier envers le conseil des époux A______. On pouvait se référer par identité de motifs avec la jurisprudence rendue à ce sujet en matière de conflits d'intérêts au sens de l'art. 12 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), laquelle prévoyait que l'incapacité de représentation affectant un avocat rejaillissait sur tous ses associés.

23) Le 20 décembre 2021, l'AFC-GE s'en est rapporté à justice, en rappelant à nouveau le risque de prescription. Elle s'opposait au paiement de toute indemnité.

24) Invité à répondre au recours, M. D______ a déclaré le 14 janvier 2022 ne pas avoir d'observations à formuler.

25) Le 11 février 2022, les époux A______ ont persisté dans les termes et conclusions de leur recours.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La garantie d'un juge indépendant et impartial telle qu'elle résulte des art. 30 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(Cst. - RS 101) et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) – lesquels ont, de ce point de vue, la même portée – permet, indépendamment du droit de procédure, de demander la récusation d'un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation uniquement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de la part du juge ne peut être prouvée ; il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat ; cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en considération, les impressions purement individuelles n'étant pas décisives
(ATF
144 I 162 et les références citées).

La récusation doit cependant rester l'exception et ne peut être admise à la légère, dès lors qu'à défaut, il y aurait danger que les règles de compétence des tribunaux et ainsi, le droit d'être jugé par un tribunal ordinaire, institué par la loi, soient vidés de leur substance (arrêts du Tribunal fédéral 2C_187/2021 du 11 mai 2021 consid. 3.1 ; 1C_654/2018 du 25 mars 2019 consid. 3.1). 

3) a. En droit administratif genevois, l'art. 15A LPA prévoit que les juges doivent notamment se récuser s'ils ont un intérêt personnel dans la cause (let. a) ; s'ils ont agi dans la même cause à un autre titre, notamment comme membre d'une autorité, comme conseil juridique d'une partie, comme expert, comme témoin ou comme médiateur (let. b) ; s’ils sont conjoints, ex-conjoints, partenaires enregistrés ou ex-partenaires enregistrés d’une partie, de son représentant ou d’une personne qui a agi dans la même cause comme membre de l’autorité précédente ou mènent de fait une vie de couple avec l’une de ces personnes (let. c) ; s’ils sont parents ou alliés en ligne directe ou jusqu’au troisième degré en ligne collatérale d’une partie (let. d) ; s’ils sont parents ou alliés en ligne directe ou au deuxième degré en ligne collatérale d’un représentant d’une partie ou d’une personne qui a agi dans la même cause comme membre de l’autorité précédente (let. e) ; ou s'ils pourraient être prévenus de toute autre manière, notamment en raison d'un rapport d'amitié ou d'inimitié avec une partie ou son représentant (let. f). Les juges, les membres des juridictions et les membres du personnel des juridictions qui se trouvent dans un cas de récusation sont tenus d'en informer sans délai le président de leur juridiction (art. 15A al. 3 LPA).

b. Les art. 15 et 15A LPA sont calqués sur les art. 47 ss du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272 ; ATA/987/2019 du 4 juin 2019 consid. 2b ; ATA/578/2013 du 3 septembre 2013 consid. 7c, avec référence au MGC 2008-2009/VIII A 10995), ces derniers, tout comme les art. 56 ss du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), avec lesquels ils sont harmonisés, étant calqués, à l'exception de quelques points mineurs, sur les art. 34 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF - RS 173.110), si bien que la doctrine, et la jurisprudence rendue à leur sujet, valent en principe de manière analogique (arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011 consid. 2.2 ; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, FF 2006 6841 ss, spéc. 6887 ad art. 45 [devenu l'art. 47 CPC] ; Message du Conseil fédéral sur l'unification de la procédure pénale, FF 2005 1125 s.).

4) a. La procédure de récusation n’a pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l’instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure. Même dans ce cadre, seules des circonstances exceptionnelles permettent de justifier une récusation, lorsque, par son attitude et ses déclarations précédentes, le magistrat a clairement fait apparaître qu'il ne sera pas capable de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction des opinions qu'il a précédemment émises (ATF 138 IV 142 consid. 2.3). D’autres motifs doivent donc exister pour admettre que le juge ne serait plus en mesure d'adopter une autre position, de sorte que le procès ne demeure plus ouvert (ATF 133 I 1 consid. 6.2).

b. En règle générale, les prises de position qui s'inscrivent dans l'exercice normal des fonctions gouvernementales, administratives ou de gestion, ou dans les attributions normales de l'autorité partie à la procédure, ne permettent pas, dès lors que l'autorité s'exprime avec la réserve nécessaire, de conclure à l'apparence de la partialité et ne sauraient justifier une récusation, au risque sinon de vider de son sens la procédure administrative (ATF 140 I 326 consid. 5.2 ; 137 II 431 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_44/2019 du 29 mai 2019 consid. 5.1 ; 2C_931/2015 du 12 octobre 2016 consid. 5.1 et les références citées).

c. Ainsi, même à l'aune de l'art. 30 Cst., si des décisions ou des actes de procédure, se révélant ensuite erronés, peuvent fonder une apparence de prévention, seules les erreurs particulièrement graves des devoirs du magistrat et dénotant en outre objectivement que celui-ci est prévenu, justifient de retenir sa partialité (ATF 138 IV 142 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_761/2020 du 8 février 2021 consid. 5.2.2).

d. Pour être à même de trancher un différend avec impartialité, un juge ne doit pas se trouver dans la sphère d'influence des parties. Un rapport de dépendance, voire des liens particuliers (amitié ou inimitié), entre le juge et une personne intéressée à l'issue de la procédure – telle qu'une partie ou son mandataire – peut constituer un motif de récusation dans des circonstances spéciales qui ne peuvent être admises qu'avec retenue ; il faut qu'il y ait un lien qui, par son intensité et sa qualité, soit de nature à faire craindre objectivement qu'il influence le juge dans la conduite de la procédure et dans sa décision (ATF 139 I 121 consid. 5 ; 138 I 1 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_199/2012 du 13 juillet 2012 consid. 5.1). Ainsi, un avocat qui exerce les fonctions de juge apparaît objectivement partial non seulement lorsque, dans le cadre d'une autre procédure, il représente ou a représenté l'une des parties à la procédure dans laquelle il siège, mais également lorsqu'il représente ou a représenté récemment la partie adverse de cette partie (ATF 139 I 121 consid. 5.1 ; 138 I 406 consid. 5.3 ; 135 I 14 consid. 4.1 à 4.3). En revanche, un juge n'est pas récusable du simple fait qu'il aurait précédemment représenté des intérêts opposés à la partie en cause (ATF 138 I 1 consid. 2.3). Il n'y a pas non plus lieu de requérir la récusation d'un membre d'un tribunal du seul fait que l'avocat d'une des parties exerce, dans d'autres causes, en tant que juge suppléant au sein de cette même autorité ou d'une instance de recours, sauf en cas de circonstances spécifiques fondant une apparence de prévention et un risque de parti pris de la part d'un des membres du tribunal (ATF 139 I 121 consid. 5.4 ; 133 I 1 consid. 6.4.2 à 6.4.4).

e. Selon la jurisprudence, les seuls liens professionnels ou collégiaux entre deux personnes ne suffisent pas, en l'absence d'autres indices de partialité, à fonder une obligation de récusation (ATF 141 I 78 consid. 3.3 ; 139 I 121 consid. 5.3 ; 133 I 1 consid. 6.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_420/2020 du 28 octobre 2020 consid. 3.1 ; 1B_587/2019 du 21 janvier 2020 consid. 3.2).

5) a. Un avocat qui fonctionne comme juge apparaît prévenu lorsqu’il est encore lié à l’une des parties par un mandat ou lorsque celle-ci l’a mandaté à plusieurs reprises de telle manière qu’il existe entre eux une forme de relation durable. Cette conclusion est indépendante du fait que le mandat est ou non en relation avec l’affaire à juger (ATF 140 III 221 consid. 4.3.1 ; 139 III 433 consid. 2.1.4 ; 138 I 406 consid. 5.3 et 5.4 ; 135 I 14 consid. 4.1). Dans de telles hypothèses, le Tribunal fédéral a conclu à l’existence d’une apparence de prévention quelles que soient les autres circonstances du cas (ATF 139 III 433 c. 2.1.4).

b. Une apparence de prévention existe aussi lorsque ce n’est pas le juge suppléant qui est lié à une partie par un mandat ou qui a été lié peu auparavant par plusieurs mandats créant une relation durable, mais un autre avocat de son étude. En effet, le mandant s’attend à une solidarité non seulement de la part de son interlocuteur au sein de l’étude, mais de l’ensemble de celle-ci. Cette conception globale correspond aussi au droit de la profession d’avocat en matière de conflit d’intérêts, dans lequel l’ensemble des avocats de l’étude sont traités comme un avocat (ATF 140 III 221 consid. 4.3.2 ; 139 III 433 c. 2.1.5).

6) a. Selon l'art. 12 let. c LLCA, l'avocat – parmi d'autres règles professionnelles – évite tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé.

b. L'incapacité de représentation affectant un avocat rejaillit sur ses associés (ATF 145 IV 218 consid. 2.2 ; 135 II 145 consid. 9.1). Le problème de la double représentation peut donc survenir quand les parties sont représentées par des avocats distincts, mais pratiquant dans la même étude, en qualité d'associés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_45/2016 du 11 juillet 2016 consid. 2.2). L'interdiction des conflits d'intérêts ne se limite ainsi pas à la personne même de l'avocat, mais s'étend à l'ensemble de l'étude ou du groupement auquel il appartient. Sont donc en principe concernés tous les avocats exerçant dans une même étude au moment de la constitution du mandat, peu importe leur statut (associés ou collaborateurs) et les difficultés que le respect de cette exigence découlant des règles professionnelles peut engendrer pour une étude d'une certaine taille (ATF 145 IV 218 consid. 2.2 et les nombreuses références citées).

7) En l'espèce, les recourants n'invoquant pas le fait que l'associé du magistrat concerné soit impliqué dans un litige civil où il est opposé à leur avocat – ce à juste titre, puisque le grief correspondant serait à l'évidence tardif, l'association de MM. D______ et F______ étant ancienne, et le procès opposant un client de ce dernier à un client de l'avocat des recourants étant ouvert depuis plusieurs années. Selon l'acte de recours, les recourants reprochent uniquement à M. D______ d'être l'associé d'un avocat ayant tenu dans le cadre d'un procès sans rapport avec celui d'espèce des propos désobligeants envers leur propre avocat.

Or, à l'exception du cas précité du juge suppléant qui est lié à une partie par un mandat ou qui a été lié peu auparavant par plusieurs mandats créant une relation durable, la jurisprudence sur les conflits d'intérêts, et donc sur les règles déontologiques propres à la profession d'avocat, n'est pas transposable directement à la récusation des magistrats. S'il en allait ainsi, en cas de récusation d'un juge, tous les autres juges du même tribunal devraient se récuser, ce qui serait en contradiction tant avec le texte légal (selon lequel le rapport d'amitié ou d'inimitié avec une partie ou son représentant doit être le fait du magistrat) qu'avec la jurisprudence (selon laquelle il faut qu'il y ait entre le juge et une personne intéressée à l'issue de la procédure un lien qui, par son intensité et sa qualité, soit de nature à faire craindre objectivement qu'il influence le juge dans la conduite de la procédure et dans sa décision, d'une part). Même si elle comporte un aspect objectif – puisque la seule apparence de prévention peut emporter l'obligation de se déporter –, la récusation est liée à la personne du juge puisque l'impartialité se définit comme l'absence de préjugé ou de parti pris (ACEDH Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal, Grande Chambre, du 6 novembre 2018, req. n° 55391/13, n. 145) et concerne la disposition interne du membre de l'autorité à l'égard des participants à la procédure (Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. II, 2018, n. 4259 ; Alfred KÖLZ/Isabelle HÄNER/Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3ème éd., 2013, n. 195). Le Tribunal fédéral retient ainsi, comme déjà exposé, que la seule collégialité entre les membres d'un tribunal n'entraîne en principe aucun devoir de récusation.

Il convient donc d'examiner, s'agissant de propos tenus par un avocat autre que le magistrat mais qui est son associé au sein d'un cabinet d'avocats, s'il existe en l'espèce des raisons objectives que l'avocat juge suppléant aurait de ce fait un parti pris à l'encontre des recourants. Le TAPI l'a nié, en indiquant que l'on ne saurait considérer « que la simple connaissance de l'existence et de l'expression d'une forme de ressentiment entre deux avocats s'opposant dans une procédure, entraîne de la part de l'associé de l'un d'eux un sentiment d'inimitié à l'encontre du conseil de l'adverse partie de son associé ».

Il n'est pas contesté que durant l'instruction de la cause, M. D______ n'a jamais rien fait ou dit qui puisse témoigner fût-ce d'une apparence de prévention à l'encontre des recourants ou de leur avocat. Il a certes été mis en copie de l'échange de courriels entre MM. F______ et B______ – toutefois à l'initiative de ce dernier – mais n'a fait aucun commentaire ni manifesté aucune réaction spécifique à cet échange. Contrairement à ce qu'allèguent les recourants, le simple fait qu'il ne se soit pas spécifiquement prononcé à cet égard dans ses écritures ne saurait être interprété comme une approbation des dires de son associé. Il sera rappelé que selon la jurisprudence, un rapport d'inimitié entre le juge et une partie ou son mandataire ne peut constituer un motif de récusation que dans des circonstances spéciales, à n'admettre qu'avec retenue ; or on se trouve ici dans un cas de possible inimitié non entre le juge et une partie, mais entre l'associé du juge et l'avocat d'une partie, ce qui rend la possibilité de biais encore plus ténue.

Dès lors, comme l'a retenu à juste titre la délégation des juges du TAPI, à défaut de circonstances particulières démontrant que le juge aurait fait preuve de parti pris, ou manifesté un quelconque assentiment par rapport aux propos peu amènes tenus par son associé, on ne peut admettre une apparence de prévention du magistrat visé à l'encontre de l'avocat des recourants.

Il découle de ce qui précède que le recours est infondé sur ce point.

Cela étant, le dispositif de la décision attaquée doit être réformé, dès lors que c'est à tort que l'avocat des recourants a été désigné comme le requérant et s'est vu mettre à charge l'émolument de procédure de CHF 500.- en lieu et place de ses mandants. Le recours sera dès lors très partiellement admis et le dispositif du jugement attaqué modifié en ce sens, avec correction de l'erreur de date également contenue au ch. 1.

8) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants qui succombent pour l'essentiel (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 novembre 2021 par Madame et Monsieur A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 11 novembre 2021 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule les ch. 1 et 3 du dispositif de la décision attaquée ;

dit que le ch. 1 du dispositif est remplacé par « déclare recevable la demande de récusation formée le 29 septembre 2021 par Madame et Monsieur A______ contre Monsieur le juge suppléant D______ » ;

dit que le ch. 3 du dispositif est remplacé par « met à la charge solidaire de Madame et Monsieur A______ un émolument de CHF 500.- » ;

confirme la décision attaquée pour le surplus ;

met à la charge solidaire de Madame et Monsieur A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me B______, avocat des recourants, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Marmy

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :