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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1476/2021

ATA/27/2022 du 11.01.2022 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1476/2021-PRISON ATA/27/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 janvier 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Nina Sepe, avocate

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né en 1994, est détenu à la prison de Champ-Dollon depuis le 18 janvier 2020.

2) En 2020, il a fait l'objet de quatre sanctions disciplinaires :

- le 3 juin 2020, placement de cinq jours en cellule forte pour attitude incorrecte ainsi que menaces et injures envers le personnel, et refus d'obtempérer ;

- le 4 juillet 2020, placement de trois jours en cellule forte pour attitude incorrecte envers le personnel, trouble à l'ordre de l'établissement et refus d'obtempérer ;

- le 7 septembre 2020, placement de trois jours en cellule forte pour trouble à l'ordre de l'établissement et violence physique sur un codétenu ;

- le 13 novembre 2020, placement de cinq jours en cellule forte pour trouble à l'ordre de l'établissement et violence physique sur un codétenu.

3) Le 16 mars 2021, une appointée membre du personnel pénitentiaire a écrit un rapport d'incident pour des faits s'étant déroulés à 9h30 le même jour, dans les termes suivants : « Alors que l'on remonte la promenade le détenu précité [M. A______] me regarde avec insistance et lubricité, je lui demande s'il a un problème et celui-ci me dit je cite "c'est mon regard habituel et si ça te fait peur c'est pas mon problème". Je lui redemande de remonter à son étage, celui-ci rechigne et me dit je cite "ouais c'est ça fais ton boulot". Mes collègues masculins le somment de remonter, il s'exécute ».

4) Le même jour à 10h30, le gardien responsable d'unité a notifié à M. A______ une sanction de cinq jours de suppression des promenades collectives, pour attitude incorrecte envers le personnel. La sanction prenait effet le lendemain, soit le 17 mars 2021, et la décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

5) Par acte posté le 29 avril 2021, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de sanction précitée, concluant à son annulation ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Le 16 mars 2021, il s'apprêtait à remonter dans sa cellule après la promenade. Certains détenus avec lesquels il se trouvait parlaient d'une agente de détention qui était à proximité. En réaction, il avait levé son regard vers elle. Alors qu'il cheminait vers sa cellule, l'agente de détention lui avait demandé pourquoi il la regardait. Ne comprenant pas le sens de cette question, il lui avait répondu qu'il ne la regardait pas. L'agente avait ajouté qu'il ne devait pas la regarder. Il lui avait alors répondu que si son regard l'intimidait, il n'y pouvait rien, ce à quoi elle avait rétorqué que son regard ne l'intimidait pas. Il avait acquiescé en indiquant qu'elle pouvait donc continuer à faire son travail. Il n'avait pas refusé de réintégrer sa cellule, et aucun des collègues de l'agente en question n'avait dû intervenir.

Un tel échange ne constituait aucunement une violation des règlements pénitentiaires. Le rapport établi était très sommaire et ne faisait aucune mention de ses explications, qui n'avaient pas été consignées au dossier et n'avaient pas été prises en compte, ce qui consacrait une violation du droit d'être entendu. Les motifs allégués à l'appui de la sanction n'étaient pas avérés et étaient formellement contestés. Même à admettre que les faits s'étaient déroulés comme décrit dans le rapport, ils ne constitueraient pas une attitude incorrecte envers le personnel.

Le principe de la proportionnalité était également violé, car même à supposer un manquement disciplinaire établi, sa gravité ne justifierait pas une sanction aussi restrictive que celle choisie, cinq jours de suppression des promenades collectives ayant un impact très important sur les droits et libertés d'un détenu déjà enfermé dans sa cellule 23 heures sur 24. Par ailleurs, il n'avait jamais encore été sanctionné pour avoir observé une attitude incorrecte envers le personnel.

6) Le 9 juin 2021, la prison a conclu au rejet du recours.

Le détenu faisant l'objet d'une suppression de promenades collectives bénéficiait de son heure de promenade, mais de manière individuelle dans les promenoirs situés sur les toits. M. A______ avait bénéficié de sa promenade individuelle le 17 mars 2021, mais du 18 au 21 mars 2021, il avait lui-même renoncé à son heure de promenade.

Le rapport relatait les faits sans que le recourant apporte d'éléments qui permettraient de douter de la réalité de ceux-ci, étant précisé en particulier que le fait de « rechigner » n'avait pas été considéré comme un refus de regagner sa cellule.

Le droit d'être entendu du détenu avait été respecté. L'appointé responsable d'unité avait procédé à l'audition de M. A______. Ce dernier avait choisi de s'exprimer oralement ; s'il avait choisi de le faire par écrit, ses explications auraient été jointes à la décision. L'intéressé avait signé la notification de la sanction.

M. A______ avait adopté une attitude irrespectueuse et arrogante à l'égard d'une agente de détention, enfreignant ainsi l'art. 44 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04). La sanction poursuivait un but d'intérêt public, à savoir l'ordre et la sécurité en prison, et son genre ainsi que sa quotité respectaient le principe de la proportionnalité, étant dans un rapport plus que raisonnable avec l'atteinte aux droits de M. A______, qui n'était pas un détenu facile et avait fait l'objet de quatre précédentes sanctions. Il convenait de préciser que l'intéressé travaillait en atelier plus de cinq heures par jour et n'était donc pas enfermé dans sa cellule 23 heures sur 24 comme il le prétendait.

7) Une audience a été appointée pour le 28 juillet 2021 pour entendre l'agente de détention ayant rédigé le rapport d'incident, mais cette dernière a écrit à la chambre administrative, en joignant un certificat médical et en demandant à être dispensée de comparaître.

Elle était dans une angoisse permanente à l'idée d'être confrontée à M. A______ et craignait des représailles. À la suite du comportement déplacé de ce dernier, elle avait rédigé un rapport à la demande de ses supérieurs. À plusieurs reprises par la suite, elle s'était sentie très mal à l'aise car elle avait eu l'impression que le détenu précité manifestait du ressentiment à son égard, ce qui l'avait conduite à demander à sa hiérarchie de ne plus travailler à l'étage où se trouvait M. A______. En neuf ans de travail à la prison, elle n'avait jamais ressenti un tel malaise face à un détenu. Ne souhaitant plus être confrontée à ce type de situations, elle en était venue à donner sa démission pour le 30 juin 2021.

8) L'audience ayant été annulée, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 20 août 2021 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

9) Le 16 août 2021, la prison a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.

10) M. A______ ne s'est quant à lui pas manifesté.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Bien que la sanction de cinq jours de cellule forte ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier que sa peine aurait pris fin et qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire (ATA/63/2021 du 19 janvier 2021 consid. 1 ; ATA/774/2020 du 18 août 2020 consid. 3b).

2) Le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu, ses explications n'ayant pas été consignées au dossier ni prises en compte par l'autorité intimée.

a. Tel qu’il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_157/2018 du 28 mai 2018 consid. 3.1 et les références citées ; ATA/723/2018 du 10 juillet 2018 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, il ressort du dossier que le recourant a été entendu oralement par l'appointé chef d'unité le 16 mars 2021 à 10h25, suite aux faits qui lui étaient reprochés, et avant qu’une sanction ne soit prise à 10h30.

Le recourant s'est donc vu donner l'occasion de s'exprimer avant que la sanction lui soit notifiée. Le temps donné est certes bref mais vu les faits en cause, on ne voit pas qu'une explication orale de plus de cinq minutes eût été nécessaire. Le recourant n’indique du reste pas quels éléments il aurait en outre pu ou voulu faire valoir. Son droit d'être entendu a ainsi été respecté.

Par ailleurs, la sanction n'a été exécutée qu'à partir du lendemain de sa notification. Enfin, c'est à tort que le recourant se plaint que ses explications orales ne figurent pas dans la décision attaquée, dès lors qu'il n'existe pas en procédure non contentieuse d'obligation de consigner par écrit les déclarations des parties (art. 20 al. 3 LPA a contrario).

Le grief sera écarté.

3) Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction, notamment en se plaignant en substance d'une constatation inexacte des faits pertinents.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP ; art. 1 al. 3 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 –-LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention, ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l'égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP).

Il est interdit aux détenus, notamment, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives (let. b), la suppression des activités sportives (let. c), la suppression d’achat pour quinze jours au plus (let. d), la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. e), la privation de travail (let. f), le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

Le placement d'une personne détenue en cellule forte pour une durée supérieure à cinq jours est impérativement prononcé par le directeur ou, en son absence, par son suppléant ou un membre du conseil de direction chargé de la permanence (art. 47 al. 8 RRIP).

d. En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/63/2021 précité consid. 3d), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 1er septembre 2015 consid. 7b).

4) En l'espèce, le recourant ne donne pas d'élément qui permettrait de s'écarter du rapport d'incident – succinct mais complet – établi par une agente de détention assermentée, ne faisant qu'y opposer sa propre présentation des faits.

La question de savoir si l'on peut tenir pour établi le caractère insistant et lubrique du regard, voire plus généralement si un regard peut constituer une infraction au RRIP, peut par ailleurs souffrir de rester indécise. En effet, le recourant a ensuite dit à la surveillante « c'est mon regard habituel et si ça te fait peur c'est pas mon problème » et « ouais c'est ça fais ton boulot », ce qui constitue un manque de respect à un membre du personnel, et par là même une infraction à l'art. 44 RRIP – étant précisé que le recourant ne conteste pas fondamentalement avoir prononcé ces paroles, mais en atténue la portée en les restituant en style indirect et de façon moins crue dans son acte de recours.

L’existence d’une infraction objective au règlement est établie, si bien que les griefs de constatation inexacte des faits et d'inexistence d'un comportement illicite seront écartés.

5) S'agissant de la proportionnalité de la sanction, force est de constater que la violation du RRIP n'est pas des plus importantes, s'agissant d'un léger manque de respect à une surveillante.

Contrairement à ce que prétend le recourant, la sanction choisie revêt cependant un degré de sévérité faible, dès lors qu'elle fait partie des deux plus légères du catalogue, et qu'elle ne lui a en rien enlevé la possibilité de se promener, mais seulement celle d'interagir avec ses codétenus durant l'heure quotidienne de promenade. Il convient de prendre en compte également que le recourant avait déjà fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires auparavant, y compris – contrairement à ce qu'il allègue – pour attitude incorrecte, injures et menaces à l'égard du personnel.

Dans ces conditions, la proportionnalité du genre comme de la quotité de la sanction choisie ne prête pas le flanc à la critique.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), et vu son issue aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 avril 2021 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 16 mars 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nina Sepe, avocate du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Ravier

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascottto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :