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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3308/2021

ATA/236/2022 du 01.03.2022 ( EXPLOI ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3308/2021-EXPLOI ATA/236/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er mars 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Dalmat Pira, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1) Madame A______, de nationalité roumaine, née le ______ 2001, mariée, réside à Genève au bénéfice d’une autorisation de séjour de type B.

2) Le 17 août 2021, Mme A______ a rempli un formulaire auprès de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite de la police genevoise (ci-après : BTPI) afin de pouvoir exploiter une agence d’escorte sise au 1______ rue B______, à Genève.

3) Le 30 août 2021, le département du territoire (ci-après : DT) a rendu un préavis négatif, au motif que les locaux étaient destinés au logement et non à une activité commerciale.

4) Par décision du 16 septembre 2021, le secrétariat général du département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS) a refusé de procéder à l’inscription de l’intéressée au registre des personnes responsables d’une agence d’escorte pour les locaux susmentionnés.

5) Par décision du même jour, le DSPS, statuant sur mesures provisionnelles, a ordonné la cessation immédiate de l’exploitation de toute agence d’escorte ou salon de massages dans le canton de Genève, interdit à Mme A______ d’exploiter tout autre salon de massages ou agence d’escorte conformément à l’art. 14 al. 2 let. c et 21 al. 2 let. c de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst – I 2 49), dit que la décision était exécutoire nonobstant recours et dit que la décision était rendue sous la menace de la peine d’amende prévue à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

Deux contrôles effectués les 8 avril 2020 et 27 avril 2020 avaient révélé que Madame C______ exerçait la prostitution de manière illicite alors qu’elle était interdite dans le canton de Genève. Lors de ses auditions devant la police, l’intéressée avait formellement mis en cause Mme A______ pour avoir géré ses annonces. Elle avait ajouté qu’elle exerçait cette activité depuis avril 2019.

Mme A______ n’avait débuté ses démarches visant à ouvrir une agence d’escorte qu’en mars 2021. Elle avait retiré des revenus, alors qu’elle était encore domiciliée en Roumanie et qu’elle n’était pas au bénéfice d’un titre de séjour valable en Suisse.

Compte tenu de ces éléments, il était reproché à Mme A______ d’avoir ouvert une agence d’escorte de manière illicite, en violation de son devoir d’annonce, d’avoir permis à Mme C______ de se prostituer sans titre de séjour et sans s’être préalablement annoncée auprès de la BTPI, d’avoir exploité une agence d’escorte en gérant les rendez-vous de Mme C______ alors que la prostitution était interdite à Genève selon l’Ordonnance 2 du Conseil fédéral sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (Ordonnance 2 COVID-19 – RS 818.101.24) et d’avoir encouragé des prestations sexuelles à risque, en publiant des annonces pour des prestations sexuelles non protégées, risquant ainsi de porter concrètement atteinte à l’ordre et à la santé publics.

Au vu de la gravité des manquements reprochés, le DSPS considérait que Mme A______ ne remplissait pas la condition d’honorabilité prévue à l’art. 17 let. c LProst dès lors qu’elle avait privilégié ses propres intérêts financiers au mépris de l’ordre et de la santé publics, respectivement qu’elle n’était pas capable de gérer une agence d’escorte de manière conforme à la loi. Il était envisagé de prononcer, en sus de l’amende, la fermeture définitive de son agence d’escorte illicite, assortie d’une interdiction d’exploiter toute autre agence d’escorte ou salon de massages pendant dix ans.

Un délai lui était imparti au 18 octobre 2021 pour exercer son droit d’être entendue.

6) Par acte remis à la poste le 27 septembre 2021, Mme A______, par l’intermédiaire de son conseil, a recouru contre la décision rendue sur mesures provisionnelles par le DSPS du 16 septembre 2021 par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation.

Mme C______ ne la rémunérait pas et aucune relation de nature professionnelle n’avait été établie avec cette dernière. C’était en aidant Mme C______ qu’elle avait découvert l’activité d’escorte. Elle n’avait dès lors en aucun cas exploité une agence d’escorte ou tout autre salon de manière illicite. L’autorité intimée avait ainsi abusé de son pouvoir d’appréciation et rendu une décision arbitraire. Les mesures provisionnelles, prononcées une année après les manquements reprochés, étaient en outre inopportunes. Enfin, dans la mesure où elle avait effectué des démarches pour se faire inscrire sur la liste des exploitants d’une agence d’escorte, la sanction paraissait disproportionnée.

7) Invitée par la chambre de céans à compléter son recours, Mme A______ a sollicité l’audition de Mme C______ en qualité de témoin. Elle a ajouté que les faits retenus par le DSPS se basaient uniquement sur les auditions de Mme C______ dans le cadre de la procédure pénale à laquelle elle n’avait pas participé.

8) Par réponse du 5 novembre 2021, le DSPS a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à ce que la cause soit rayée du rôle, le tout « sous suite de frais et dépens ».

La décision du 16 septembre 2021 était incidente. Mme A______ ne subissait aucun préjudice irréparable du fait de cette décision, dès lors qu’elle n’était au bénéfice d’aucun droit préalable : elle n’avait jamais été autorisée à exploiter une agence d’escorte ou un salon de massages dans le canton de Genève. Le DSPS avait, au demeurant, rendu une décision définitive d’exploiter le 4 novembre 2021, de sorte que cette décision se substituait à la décision sur mesures provisionnelles faisant l’objet du recours.

À l’appui de son écriture, le DSPS a notamment produit :

-          Les observations formées par Mme A______ devant le DSPS le 3 novembre 2021 ;

-          La décision du DSPS du 4 novembre 2021, ordonnant la fermeture immédiate et définitive de l’agence d’escorte, faisant interdiction à Mme A______ d’exploiter toute autre agence d’escorte ou salon de massages et prononçant une amende de CHF 1'000.-.

9) Mme A______ n’ayant pas répliqué dans le délai imparti à cet effet, la chambre de céans a gardé la cause à juger, ce dont les parties ont été informées.

10) Par acte du 6 décembre 2021, Mme A______ a recouru devant la chambre administrative contre la décision du DSPS du 4 novembre 2021.

Ce recours a été enregistré sous la cause n° A/4178/2021.

EN DROIT

1) Les décisions du DSPS peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

En l’espèce, la décision entreprise est une décision incidente, prononçant des mesures provisionnelles, qui ne représente qu’une étape vers la décision finale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2017 du 13 mars 2017 consid. 1 ; ATA/613/2017 du 30 mai 2017).

Le délai de recours s’agissant d’une décision incidente est de dix jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le recours a, en l’espèce, été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente.

2) Le recours contre une décision incidente n’est ouvert que si ladite décision, à supposer qu’elle soit exécutée, cause un préjudice irréparable à son destinataire. Il est également ouvert si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée, comme un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure (ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; 127 II 132 consid. 2a ; ATA/1187/2015 du 3 novembre 2015 consid. 2c). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 ; 131 I 57 consid. 1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que
l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 3c et les références citées).

L'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, de telles mesures ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4).

Elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

3) En l’espèce, dès lors qu’une décision finale a déjà été prise, la seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA, à savoir l’obtention immédiate d’une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse en cas d’admission du recours, n’est pas réalisée. Reste à examiner si la décision litigieuse est susceptible de causer un préjudice irréparable à la recourante.

En l’occurrence, par décision du 16 septembre 2021, faisant suite au préavis négatif du DT, le DSPS a refusé de procéder à l’inscription de la recourante au registre des personnes responsables d’une agence d’escorte. Il ne ressort pas du dossier qu’un recours ait été formé à l’encontre de cette décision. Dans ces conditions, on ne voit pas quel préjudice irréparable l’intéressée pourrait invoquer pour solliciter de la chambre de céans qu’elle annule les mesures visant à la cessation immédiate de l’exploitation d’une agence d’escorte et à l’interdiction d’exploiter toute agence d’escorte ou salon de massages. Il n’existe en effet aucun dommage qu’une décision finale ne pourrait pas faire disparaître. Les conditions pour admettre l’existence d’un préjudice irréparable ne sont ainsi pas réunies.

Le recours sera par conséquent déclaré irrecevable. Vu l’issue du litige, il ne sera pas donné suite à la conclusion de la recourante tendant à l’audition de Mme C______.

La chambre de céans relèvera que le recours a, en tout état, perdu son objet, la décision entreprise ayant été remplacée par la décision finale du DSPS du 4 novembre 2021.

4) Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 27 septembre 2021 par
Madame A______ contre la décision du Département de la sécurité, de la population et de la santé du 16 septembre 2021 ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dalmat Pira, avocat de la recourante ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. Cardinaux

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :