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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/652/2004

ATA/213/2006 du 11.04.2006 ( FIN ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/652/2004-FIN ATA/213/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 11 avril 2006

dans la cause

 

Monsieur C______

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

et

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE


 


1. Le 1er septembre 1995, Monsieur D______ a vendu à Monsieur C______ l’entreprise de nettoyage en raison individuelle à l’enseigne « X______ » pour le prix de CHF 139'000.-. La raison de commerce « X______, C______ » a été inscrite au Registre du commerce le 15 décembre 1995.

2. Le 30 juin 1997, M. C______ a vendu son entreprise à Monsieur L______ (ci-après : M. L______), pour le prix de CHF 140'000.-.

3. Le 26 septembre 1997, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC ou l’administration) a remis à M. C______ une déclaration pour l’impôt spécial sur les bénéfices d’aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises. Elle lui a imparti un délai échéant le 27 octobre 1997 pour la retourner, dûment remplie.

4. Le 8 septembre 2000, l’AFC a relancé M. C______. Un délai de dix jours lui a été imparti pour retourner la formule précitée.

5. Le 22 février 2001, l’AFC a remis à M. C______ un bordereau de taxation d’office concernant l’impôt spécial sur les bénéfices d’aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises dont il résulte que le gain imposable était fixé à CHF 65'000.- et l’impôt à payer à CHF 19'800.-. De plus, l’administration a infligé à l’intéressé une amende de CHF 300.-.

6. Le 12 avril 2001, M. C______ a informé l’AFC qu’il ne pouvait pas verser la somme demandée. Il n’avait réalisé aucun bénéfice lors de la vente de la société.

7. Le 13 juillet 2001, l’AFC a demandé à M. C______ de remplir la déclaration pour l’impôt en question, sans préjuger de la décision à prendre.

8. M. C______ a transmis à l’AFC le document en question le 13 août 2001. Il a également produit le bilan au 30 juin 1997, dont il ressort que les actifs de l’entreprise (caisse, mobilier, véhicules et goodwill) ascendaient à CHF 87'563,75.

9. Le 21 mai 2002, l’AFC a maintenu le principe de la taxation d’office et de l’amende. Au surplus, la réclamation était irrecevable, car tardive.

Toutefois, l’AFC a constaté des différences sensibles entre les éléments figurant dans la déclaration déposée tardivement et ceux retenus dans la taxation d’office. Un bordereau rectificatif constituant la décision de l’AFC sur réclamation, a été notifié à M. C______.

L’amende était fixée à CHF 30.-, le gain imposable à CHF 57'760.- et l’impôt dû à CHF 17'328.-.

10. Le 17 juin 2002, M. C______ a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la commission de recours). Il avait vendu son entreprise en raison de la situation financière catastrophique dans laquelle elle se trouvait. Il l’avait achetée CHF 139'000.- et l’avait revendue CHF 140'000.-.

D’après les pièces annexées au recours, M. L______ restait devoir, pour l’achat de l’entreprise, la somme de CHF 63'000.-.

11. Le 11 août 2003, l’AFC s’est opposée au recours. Le bénéfice avait été déterminé en calculant la différence entre le prix de vente de CHF 140'000.- et la valeur comptable de l’entreprise, telle qu’elle ressortait du dernier bilan commercial, soit CHF 80'240.-. Le montant de l’amende fixée à CHF 30.-, était très modeste.

12. Dans une écriture spontanée adressée à la commission de recours le 15 septembre 2003, M. C______, agissant par la plume d’un avocat, a souligné que M. L______ n’avait toujours pas versé la somme de CHF 63'000.-. La taxation devait viser le bénéfice réalisé, et non le bénéfice prévu. Le goodwill avait été évalué par le comptable à CHF 56'000.-. Au moment de la vente, il devait avoisiner CHF 100'000.-.

13. Le 15 octobre 2003, l’AFC a persisté dans sa détermination. Il n’était pas établi que M. L______ ait connu des difficultés économiques ni que la somme qu’il devait à M. C______ était irrécupérable.

14. Le 23 février 2004, la commission de recours a rejeté le recours, reprenant en substance les éléments développés par l’AFC.

15. Par acte posté le 30 mars 2004, M. C______ a saisi le Tribunal administratif d’un recours, reprenant et développant son argumentation antérieure. Il avait de sérieux doutes quant à la solvabilité de M. L______.

Le gain imposable ne pouvait être fixé à CHF 65'000.- puisque l’entreprise avait été achetée CHF 139'000.- et vendue CHF 140'000.-. Il n’y avait dès lors pas de bénéfice, et une application de l’article 89 alinéa 1 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05) était inéquitable.

16. L’AFC s’est opposée au recours le 6 mai 2004, se référant tant aux écritures produites devant la commission de recours qu’à la décision rendue par cette dernière.

17. Le 17 mai 2004, le conseil de M. C______ a transmis au tribunal copie d’un commandement de payer qu’il avait fait notifier à M. L______.

18. Le 3 août 2004, les parties ont été entendues en comparution personnelle. Elles ont persisté dans leurs déterminations.

D’entente entre les parties, la procédure a été suspendue par décision du 3 août 2004.

19. Le 12 août 2005, l’AFC a sollicité la reprise de la procédure, ce qui a été fait le 15 août suivant.

20. Le 15 septembre 2005, M. C______ a indiqué au tribunal qu’il n’avait pas continué les poursuites à l’encontre de M. L______. Son conseil avait tenté d’obtenir des paiements par acomptes, ou un accord, en vain. M. L______ et son épouse avaient fait part d’une situation financière très difficile. Il avait cessé l’activité de l’entreprise et celle-ci avait été radiée du Registre du commerce. Il n’y avait aucun espoir d’obtenir quoi que ce soit de cette personne.

Il a produit en annexe un relevé de l’office des poursuites, daté du 15 septembre 2005, dont il ressortait que M. L______ cumulait plus de CHF 127'000.- de poursuites, dont CHF 65'000.- avaient donné lieu à des actes de défaut de biens.

21. Le 7 octobre 2005, l’AFC a maintenu ses conclusions. Elle a joint à sa détermination les bordereaux d’impôts et avis de taxation de M. L______, dont il ressortait que ce dernier n’était « pas dépourvu de revenus ». Lesdites pièces étaient couvertes par le secret fiscal.

22. Le 23 janvier 2006, le Tribunal administratif a procédé à une enquête.

a. Entendu en qualité de témoin, M. L______ a soutenu qu’il n’était pas en mesure de payer ce qu’il devait à M. C______. Il était tombé en faillite en mai 2005, car son seul client n’avait pas pu le payer. Il avait dû faire face à des saisies. Ses dettes s’élevaient à CHF 400'000.- environ. Il gagnait CHF 4'500.- par mois et avait deux enfants à charge. Il a déclaré ne pas comprendre les chiffres qui figuraient à la rubrique « bénéfice net » de ses bordereaux d’impôt. Son comptable avait « indiqué n’importe quel chiffre ». Il a précisé que son client le payait par chèque, mais qu’il exigeait la restitution du montant perçu, sous peine de résilier le contrat. Ainsi, selon la comptabilité de cette entreprise, il était formellement payé, mais dans les faits, il n’avait pas concrètement touché d’argent.

Le témoin a autorisé le tribunal à faire état des pièces concernant ses impôts.

b. Le recourant a admis qu’il était au courant de la situation.

23. Invitée par le juge délégué à contrôler si des réclamations étaient en cours concernant les bordereaux notifiés à M. L______, l’administration a indiqué, le 7 février 2006, que ce dernier n’en avait élevé aucune. De plus, il avait fait l’objet de rappels et de sommations consécutifs au défaut de paiement de ses impôts 2000, ainsi que 2001-B à 2003.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le 1er janvier 2001 sont entrées en vigueur de nouvelles lois genevoises sur l'imposition des personnes physiques, dont notamment la loi sur l'imposition des personnes physiques, impôt sur le revenu, adoptée le 22 septembre 2000 (LIPP - IV - D 3 14). Ces textes ont modifié ou abrogé la plupart des dispositions de la loi générale sur les contributions publiques, parmi lesquelles les articles 88 et suivants LCP.

En vertu du principe de la non-rétroactivité, le nouveau droit ne s'applique pas aux faits antérieurs à sa mise en vigueur (P. MOOR, Droit administratif, vol. I, 1988, p. 144; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, p. 116). Le droit nouveau ne peut avoir un effet rétroactif que si la rétroactivité est prévue par la loi, est limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, est motivée par des intérêts publics pertinents et ne porte pas atteinte à des droits acquis (B. KNAPP, opus cité, p. 118).

En l'espèce, les nouvelles dispositions du droit fiscal genevois ne prévoient pas un effet rétroactif. Au contraire, l'article 6 de la nouvelle loi sur l'imposition dans le temps des personnes physiques - LITPP-II - D 3 12 prévoit même expressément que la détermination de la période de taxation (art. 2 al. 1 LITPP-II remplaçant l'art. 17 LCP) n'est régie par le nouveau droit qu'à partir de l'exercice 2001 (ATA/74/2001du 6 février 2001).

Ainsi l'imposition de M. C______ est régie par le droit en vigueur au moment de la taxation.

3. Le litige porte sur l’imposition du bénéfice obtenu lors de la vente de l’entreprise.

4. L'article 88 alinéa 1 LCP prévoit que l’impôt spécial sur les bénéfices d’aliénation d’une entreprise située dans le canton exploitée par une personne physique a pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation de celle-ci. Cette réglementation est le pendant cantonal de l'article 19 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) lui même reprenant notamment l'ancien article 21 alinéa 1 lettre d de l'arrêté du Conseil fédéral concernant l'impôt fédéral direct (ci-après : AIFD) et les règles que la pratique avait développées en cas de reprise par une société anonyme d'une raison individuelle.

Selon l’article 89 alinéa 1 LCP, est considérée comme bénéfice net imposable, diminuée des frais usuels d’aliénation, la différence entre le prix d’aliénation de l’entreprise et sa valeur comptable, selon le bilan du dernier exercice commercial, à l’exclusion du solde du compte de pertes et profits.

b. Ces principes sont par ailleurs repris aux articles 3 et 4 LIPP-IV (ATA 74/2001 du 6 février 2001) consacrés au produit de l’activité indépendante et inscrits dans la section 1 dont l’intitulé est « revenu soumis à l’impôt ».

5. a. En ce domaine, le revenu se détermine en principe selon la théorie de l’accroissement du patrimoine. Le droit fiscal suisse utilise cette théorie de façon pragmatique. Au niveau de la définition générale du revenu (art. 16 al. 1 LIFD, art. 17 al. 1 LCP), le revenu n’est imposable que s’il est réalisé. Cette condition essentielle constitue le fait générateur de l’imposition du revenu. (X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 2002, pp 79 et 80).

b. Un revenu est considéré comme réalisé lorsque des prestations sont faites au contribuable et que celui-ci peut effectivement en disposer, c’est-à-dire lorsqu’un bien ou une prestation a passé en sa possession ou qu’il a acquis un droit ferme à un bien ou à une prestation (X. OBERSON, opus cité, p.80 ; J.-M. RIVIER, Droit fiscal suisse, 2ème édition, Lausanne 1998, p. 326 ). En règle générale, l’acquisition d’une prétention est déjà considérée comme un revenu, dans la mesure où son exécution ne paraît pas incertaine (ATF 113 Ib 23 ; ATF 105 Ib 242 ; RDAF 2001 II, 347).

c. La doctrine s’est prononcée dans le même sens à propos de l’article 41 alinéa 2 AIFD (E. KÄNZIG, Die Eidgenössische Wehrsteuer, Ie partie, 2ème éd., Bâle 1982, n. 2 ss ad art. 41 al. 2 ). En effet, lorsque l’exécution de la prétention paraît incertaine, le revenu n’est considéré comme réalisé qu’au moment de son exécution. Il en ressort que le moment de l’acquisition du droit n’est, dans ce cas, pas déterminant.

d. S’agissant de l’incertitude de l’exécution de la créance, la jurisprudence a posé des critères restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable (ATA/440/2005 du 21 juin 2005 ; ATA/147/2003 du 18 mars 2003).

6. a. L'insolvabilité est une notion de droit fédéral. Le débiteur est insolvable lorsqu'il ne dispose pas de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles (ATA/639/2003 du 26 août 2003).

b. Selon la jurisprudence constante du tribunal de céans, seul celui dont l'insolvabilité s'est étendue sur certaines périodes sans qu'il ait pu redresser sa situation financière et amortir régulièrement ses dettes doit être considéré comme insolvable (ATA/639/2003 du 26 août 2003 précité). La notion d'insolvabilité n'est pas liée quant au fond à certains faits ou manifestations extérieurs, comme la faillite ou la saisie, car de tels faits ne prouvent qu'indirectement l'incapacité de paiement du débiteur et n'excluent nullement la possibilité de prouver l'insolvabilité d'une autre façon. L'insolvabilité est constituée par un état de fait réalisé lorsque le débiteur manque des moyens financiers nécessaires pour désintéresser ses créanciers ; il faut cependant que cet état de fait ne soit pas simplement passager, comme cela arrive par exemple quand le débiteur se trouve dans l'impossibilité momentanée de réaliser ses actifs (A. FAVRE, Droit des poursuites, Fribourg 1974, p. 285; P.-R. GILLIERON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, Lausanne 1988, p. 265). Il est nécessaire que la créance soit irrécouvrable à un certain moment, c'est-à-dire qu'il soit établi que le créancier n'a pu obtenir que partiellement le paiement de sa créance, après avoir utilisé tous les moyens de droit dont il disposait (ATF 68 II 177 = JdT 1942 I 565 ; ATA/758/2004 du 28 septembre 2004).

L'insolvabilité est présumée lorsqu'une faillite est ouverte et lorsque le poursuivant s'est fait remettre un acte de défaut de biens définitif après saisie (P.-R. GILLIERON, op. cit., p. 429 n. 33 ; P. ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, Neuchâtel 1973, p. 444; ATA/639/2003 du 26 août 2003). Par contre, la remise au poursuivant d'un procès-verbal de saisie valant acte de défaut de biens provisoire ne constate pas à titre définitif l'insolvabilité du poursuivi (ATA/758/2004 du 28 septembre 2004).

c. Dans le cas d’espèce, il ressort des pièces du dossier que de nombreuses poursuites sont en cours. Il n’est cependant pas établi que le débiteur fasse l’objet d’actes de défaut de biens. Le tribunal constate en outre que le recourant a renoncé à poursuivre son débiteur jusqu’à l’établissement d’un acte de défaut de biens. Cette démarche est difficilement compréhensible dans la mesure où la présente procédure était déjà en cours et l’insolvabilité du débiteur aurait été constatée de manière définitive. De plus, force est de constater que les bordereaux 2000, 2001 et 2002 et 2003 du débiteur font état d’une situation financière saine. Le débiteur, même s’il indique ne pas comprendre ces chiffres, n’a pas pour autant élevé réclamation à leur encontre. Ainsi, le recourant n’a pas rapporté la preuve que son débiteur était insolvable.

Il n’est donc pas établi que la situation financière du débiteur soit obérée.

C’est donc à juste titre que la commission de recours a estimé que la créance du recourant n’était pas irrécouvrable. Il s’ensuit que le bénéfice imposable de 57'760.-, calculé conformément à la règle énoncée à l’article 89 alinéa 1 LCP est réalisé.

7. Le deuxième grief du recourant, pour qui l’application stricte de l’article 89 alinéa 1 LCP serait inéquitable, n’a pas de substance propre. Il se recoupe avec le premier grief allégué, traité de façon exhaustive dans les considérants qui précèdent.

8. Le recours sera donc rejeté et la décision de la commission de recours du 23 février 2004 sera confirmée.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 mars 2004 par Monsieur C______ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 23 février 2004 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.- ;

communique le présent arrêt à Monsieur C______ ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière d'impôts et à l'administration fiscale cantonale.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :