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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/977/2003

ATA/639/2003 du 26.08.2003 ( CE ) , REJETE

Recours TF déposé le 09.10.2003, rendu le 11.11.2003, RETIRE, 2P.255/03
Descripteurs : PROFESSION; RETRAIT DE L'AUTORISATION; INSOLVABILITE; AGENT INTERMEDIAIRE; AGENT DE SECURITE; ASSURANCE SOCIALE; CE
Normes : LAI.3; LAI.4
Résumé : Retrait de l'autorisation d'exercer la profession de détective privé à celui dont la situation financière est lourdement obérée et qui n'apporte pas la preuve qu'il est en mesure de la redresser.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 26 août 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur V__________

représenté par Me Pierre de Preux, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ÉTAT

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur V__________, ressortissant suisse, domicilié à Genève, a été autorisé par arrêtés du Conseil d'Etat des 12 mars 1968 et 17 février 1988 à exercer les professions respectivement de détective privé et d'agent en fonds de commerce dans le canton de Genève.

 

2. Le 16 septembre 1997, le Tribunal de première instance de la République et canton de Genève a prononcé la faillite personnelle de M. V__________. La publication y relative a paru dans la Feuille d'avis officielle (FAO) du 26 septembre 1997.

 

3. Par courrier du 1er septembre 1999, le département de justice et police et des transports, devenu depuis lors le département de justice, police et sécurité (ci-après : le département) a informé M. V__________ qu'il procédait à la mise à jour du tableau officiel des agents en fonds de commerce. Courrier identique a été adressé à M. V__________ le 22 septembre 1999 concernant le tableau officiel des détectives privés.

 

M. V__________ a répondu qu'il exerçait toujours ces deux activités.

 

4. Suite à un contrôle effectué le 4 juin 2002 auprès de l'office des poursuites et faillites, rive-droite (ci-après : OPF), le département a recueilli les éléments suivants :

 

- Un avis de saisie valant acte de défaut de biens du 4 juin 2002 pour un montant total de CHF 15'429,85;

 

- Des poursuites en cours pour un montant de l'ordre de CHF 200'000.-.

 

5. Le 9 octobre 2002, le département s'est adressé à M. V__________. Les informations obtenues de l'OPF avaient pour conséquence qu'il ne répondait plus à la condition de solvabilité prévue à l'article 3 lettre b de la loi sur les agents intermédiaires du 20 mai 1950 (LAI - I 2 12). Le Conseil d'Etat envisageait donc de prononcer le retrait des autorisations d'exercer les professions de détective privé et d'agent en fonds de commerce. M. V__________ était invité à présenter ses observations.

 

6. Ayant constitué avocat, M. V__________ s'est déterminé le 11 novembre 2002. Il a d'emblée précisé qu'il n'utilisait plus depuis de nombreuses années son autorisation d'exercer la profession d'agent en fonds de commerce et qu'il était prêt à la restituer immédiatement de manière à ce qu'elle soit radiée à sa demande.

 

Il a exposé les motifs de sa faillite personnelle prononcée en 1997, à savoir réalisation d'une caution de CHF 300'000.- qu'il avait signée en faveur de tiers. Il a également expliqué qu'en février 2000, il avait retiré son fonds de prévoyance (CHF 150'000.-) qu'il avait confié à un gérant de fortune indépendant et ami de longue date. Cet homme indélicat avait été incarcéré en juillet 2001 à la prison de Champ-Dollon sous les inculpations d'abus de confiance, escroquerie et faux dans les titres. Une procédure pénale était actuellement en cours.

 

La profession de détective privé qu'il exerçait depuis trois ans était son unique source de revenus et il avait procédé à cette fin à d'importants investissements. Âgé de 56 ans, il ne pouvait plus espérer retrouver un emploi malgré son expérience professionnelle et ses certificats de travail élogieux établissant la preuve de son honnêteté toute sa vie durant. Son travail actuel était pour lui une condition de survie.

 

7. Le département a procédé à un nouveau contrôle auprès de l'OPF. Selon relevé du 23 avril 2003, les poursuites en cours totalisaient CHF 230'000.- environ.

 

8. Le 7 mai 2003, le Conseil d'Etat a pris deux arrêtés, le premier annulant l'autorisation d'exercer l'activité d'agent en fonds de commerce et le second retirant à M. V__________ l'autorisation d'exercer la profession de détective privé.

 

9. M. V__________ a saisi le Tribunal administratif d'un recours contre la décision précitée en tant qu'elle avait pour objet le retrait d'autorisation d'exercer la profession de détective privé, par acte du 10 juin 2003. La décision querellée était contraire à l'article 27 de la Constitution fédérale (Cst. féd.) garantissant la liberté économique. Le Conseil d'Etat n'avait pas fait de distinction entre les notions de faillite et d'insolvabilité générale et durable. Dès 1997, l'administration était au courant de sa situation économique et son intervention cinq ans plus tard violait le principe de la bonne foi. Il a encore précisé que les poursuites en cours étaient sans relation avec son activité professionnelle. Il a conclu à l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat du 7 mai 2003 lui retirant l'autorisation d'exercer la profession de détective privé dans le canton de Genève.

 

10. Dans sa réponse du 23 juillet 2003, le département s'est opposé au recours. L'insolvabilité de M. V__________ avait été constatée sur une période de plus de deux ans, pendant laquelle celui-ci avait été incapable de redresser sa situation financière et d'amortir régulièrement ses dettes. Rien ne permettait d'espérer que la situation allait se redresser. La décision respectait les principes de l'intérêt public et de la proportionnalité. Le grief tiré d'une prétendue violation du principe de la bonne foi ne résistait pas à l'examen, le département n'ayant jamais fait aucune promesse ni donné une information ou une assurance à M. V__________. Le fait qu'il ait tardé à intervenir ne signifiait pas pour autant qu'il avait fait une promesse ou qu'il avait eu un comportement concret permettant de penser qu'il tolérait la situation.

 

11. Il résulte des pièces du dossier qu'au 4 juin 2002, sept poursuites étaient en cours à l'encontre de M. V__________ au nom des créanciers suivants :

 

- GE Capital Bank, CHF 107'029,95

 

- Etat de Genève, CHF 15'062,60

 

- dito CHF 11'482,10

 

- AFC CHF 838,90

 

- Hoirie H__________ CHF 75'231,65

 

- Confédération CHF 3'226,25

 

 

Selon le relevé du 23 avril 2003, les poursuites ci-dessus étaient toujours en cours et n'avaient pas été amorties. S'y ajoutaient deux nouvelles, le créancier étant l'Etat de Genève pour CHF 26'597,95 d'une part et CHF 334,10 d'autre part.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Toute activité lucrative privée exercée à titre professionnel, qui vise à l'obtention d'un gain ou d'un revenu, bénéficie de la liberté du commerce et de l'industrie (ATF 117 Ia 440; 116 Ia 118). La protection de l'article 27 Cst. féd. s'étend non seulement aux indépendants, mais encore aux employés salariés lorsqu'ils sont atteints dans leurs droits juridiquement protégés (ATF 112 Ia 318, 319). Les cantons peuvent cependant apporter à cette liberté des restrictions consistant notamment en des mesures de police justifiées par un intérêt public tel que la sauvegarde de la tranquillité, de la sécurité et de la moralité publiques ou encore le fait de prévenir ou d'écarter un danger (ATF 114 Ia 36). Ces mesures de police doivent cependant reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et, selon le principe de la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire à la réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (ATF 119 Ia 59; 118 Ia 175; 117 Ia 440; 116 Ia 113; R.-A. Rhinow, Commentaire de la Constitution fédérale, ad. art. 31, 1988, no 27).

 

3. Le Conseil d'Etat prononce le retrait de l'autorisation d'exercer la profession de détective privé lorsque les conditions auxquelles la loi et le règlement subordonnent l'octroi de cette autorisation ne sont plus remplies (art. 4 al. 1 LAI). Selon l'article 3 lettre b LAI, l'autorisation est refusée aux faillis non réhabilités, ainsi qu'à celui qui a suspendu ses paiements pour cause d'insolvabilité générale et durable.

 

4. L'insolvabilité est une notion de droit fédéral. Le débiteur est insolvable lorsqu'il ne dispose pas de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles. Cet état ne doit toutefois pas être passager (A. FAVRE, Droit des poursuites, Fribourg 1974, p. 285; P.-R. GILLIERON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, Lausanne 1988, p. 265; ATA du 13 mai 1987 en la cause B). Il y aura insolvabilité notamment en cas de faillite, concordat ou saisie infructueuse (P. ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, Neuchâtel 1973, p. 444; ATA F. du 29 mai 1991).

 

D'après la jurisprudence constante du tribunal de céans, seul celui dont l'insolvabilité s'est étendue sur certaines périodes sans qu'il ait pu redresser sa situation financière et amortir régulièrement ses dettes doit être considéré comme insolvable (ATA L. du 17 mars 1998 et les références citées).

 

5. En l'espèce, il est établi que la situation financière du recourant est lourdement obérée. Les poursuites qui étaient déjà en cours en 2002 n'ont été ni soldées, ni même amorties d'une quelconque manière et de plus de nouvelles poursuites, dont l'une d'un montant non négligeable, sont venues s'y ajouter. Ainsi, et même si le tribunal n'a aucune raison de mettre en doute la parfaite honorabilité du recourant ainsi que ses compétences professionnelles, il n'en reste pas moins que celui-ci n'a pas rapporté la preuve qu'il avait pu redresser sa situation financière déjà précaire en 2002, ni amortir régulièrement ses dettes. Son état d'insolvabilité est donc durable.

 

6. S'agissant de la proportionnalité de la mesure, le tribunal de céans a eu plusieurs fois l'occasion de relever que les articles 3 lettre d et 4 alinéa 1 LAI ne laissent aucun choix au Conseil d'Etat qui doit retirer l'autorisation lorsque les conditions ne sont plus remplies (ATA V. du 4 novembre 1997).

 

7. C'est donc à juste titre que le Conseil d'Etat a pris la décision de retirer au recourant l'autorisation d'exercer la profession de détective privé et aucun excès ou abus du pouvoir d'appréciation ne peut lui être reproché.

 

8. Dès lors, le recours sera rejeté.

 

Vu la situation financière du recourant, un émolument de CHF 500.- sera mis à sa charge.

 

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 10 juin 2003 par Monsieur V__________ contre les arrêtés du Conseil d'Etat du 7 mai 2003;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-;

 

communique le présent arrêt à Me Pierre de Preux, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega