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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/212/2004

ATA/758/2004 du 28.09.2004 ( JPT ) , ADMIS

Descripteurs : TAXI; INSOLVABILITE; NOTION; REVOCATION
Normes : LST.5 al.2 litt.c; LST.6 al.2 litt.b; LST.18
Résumé : Notion d'insolvabilité. Rappel de la jurisprudence. En l'espèce, le recourant a épongé toutes ses dettes et sa comptabilité établit que son bénéfice est en nette progression. Il en résulte que sa situation n'est plus obérée. Recours admis.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/212/2004-JPT ATA/758/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 septembre 2004

2ème Section

dans la cause

 

Monsieur C. M.
représenté par Me Jean-Charles Sommer, avocat

contre

DEPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SECURITE


 


1. Par arrêté du 12 juin 1996, le département de justice, police et des transports, devenu depuis lors le département de justice, police et sécurité (ci-après : le département) a délivré à Monsieur C. M., né en 1954, domicilié à Genève, l'autorisation d'exploiter un service de taxis avec permis de stationnement.

2. Suite à l'entrée en vigueur, le 1er juin 1999, de la loi sur les services de taxis du 26 mars 1999 (LST - H 1 30), le département a délivré à M. M. le 5 décembre 2001 la carte professionnelle de chauffeur indépendant avec employé(s), en application de l'article 6 LST.

3. Par contrat de travail du 28 mai 2003, M. M. a engagé un chauffeur employé ce dont il a averti le département.

A cette occasion, il a été prié de compléter son dossier et de remplir notamment une formule de requête en vue de l'obtention de l'autorisation d'exploiter un service de taxis avec permis de stationnement (avec un ou plusieurs employés).

M. M. a retourné au département le document précité le 20 août 2003, accompagné d'une attestation du 21 août 2003 de l'office des faillites, certifiant qu'il n'avait pas été sous le coup d'une liquidation forcée par voie de faillite dans le canton de Genève et ce depuis 1995, d’une attestation du 14 août 2003 de l'office des poursuites établissant qu'il ne faisait l'objet d'aucune poursuite en force dans le canton de Genève et de deux attestations du 19 août 2003 de la caisse cantonale genevoise de compensation justifiant qu'il remplissait les obligations relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10) de la loi cantonale genevoise sur les allocations familiales, du 1er mars 1996, et la loi cantonale sur l'assurance maternité du 4 décembre 2000.

4. Parallèlement, le département s'est adressé à l'office des poursuites lui demandant le détail éventuel des poursuites dirigées à l'encontre de M. M., le relevé d'éventuels actes de défaut de biens, ainsi que la liste des créances déjà archivées.

Selon relevés des 14 et 27 août 2003 de l'office des poursuites, il apparaissait que M. M. avait fait l'objet, entre 1997 et 2000, de neuf actes de défaut de biens totalisant un montant de CHF 22'951.-.

5. Par décision du 8 janvier 2004, le département a refusé à M. M. l'autorisation d'exploiter un service de taxis avec permis de stationnement avec un ou plusieurs employés sollicité le 20 août 2003, révoqué l'autorisation d'exploiter le service de taxis avec permis de stationnement délivré le 12 juin 1996, révoqué la carte professionnelle des chauffeurs indépendants avec employé(s) délivrée à M. M. le 5 décembre 2001, la remplaçant par une carte professionnelle de chauffeur indépendant sans employé.

Il ressortait de l'enquête effectuée que M. M. ne répondait plus à l'exigence de solvabilité contenue à l'article 6 alinéa 2 lettre b LST.

6. M. M. a saisi le Tribunal administratif d'un recours contre la décision précitée, par acte du 5 février 2004.

Suite à son divorce, il avait connu quelques difficultés financières qui s'étaient soldées par la délivrance d'actes de défaut de biens. Les poursuites les plus importantes concernaient le service cantonal d'avance et de recouvrements des pensions alimentaires (SCARPA) avec lequel il avait depuis lors conclu un arrangement financier. Selon l'attestation du 5 janvier 2004, la dette présentait un solde en faveur du SCARPA au 31 décembre 2003 de CHF 3'800.- qu'il épongeait par versements mensuels réguliers de CHF 500.-.

Sa situation financière n'était pas différente - voire même le montant de ses dettes était plus élevé qu'actuellement -, lorsque le département lui avait délivré une carte professionnelle de chauffeur indépendant avec employé(s) le 5 décembre 2001.

Il entendait engager un employé afin de rentabiliser au mieux son entreprise de taxis.

Il a produit une attestation du 25 février 2000 de Taxiphone central S.A. établissant l'excellence de ses prestations.

Il a conclu à l'annulation de la décision querellée avec suite de frais et dépens.

7. Dans sa réponse du 8 mars 2004, le département s'est opposé au recours.

M. M. était en état d'insolvabilité manifeste. L'origine des dettes ne se limitait pas à des pensions alimentaires en retard, mais concernait également des factures diverses (assurance-maladie, téléphone, etc.). En cela, la notion de solvabilité prévue par l'article 6 alinéa 2 lettre b LST n'était plus remplie.

Le décision querellée respectait le principe de proportionnalité et d'intérêt public qui était conforme à la jurisprudence en la matière.

8. Le Tribunal administratif a interpellé l'office des poursuites, qui lui a adressé le 13 avril 2004 un relevé des poursuites en cours en tous points semblable aux relevés précédents des 14 et 27 août 2003.

9. Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle le 5 mai 2004.

M. M. a déclaré qu’il était à jour dans le paiement de ses impôts cantonaux et fédéraux. Il en allait de même en ce qui concernait le paiement de ses cotisations d’assurance-maladie en cours.

Il avait payé une grande partie des actes de défaut de bien dont le relevé figurait dans la fiche de l’office des poursuites du 13 avril 2004.

10. Suite à l’audience précitée, M. M. a fait parvenir au Tribunal administratif un certain nombre de documents, attestant notamment que ses dettes envers Swisscom Fixnet S.A. d’une part et le Scarpa d’autre part étaient réglées, ces deux organismes ayant demandé la radiation des actes de défaut de biens le 25 mai 2004. Il a également justifié des paiements concernant l’arriéré de cotisations maladie représentant CHF 883,60.

Il a encore produit ses bordereaux fiscaux dès 1998, sa déclaration fiscale 2003, sa déclaration taxe professionnelle 2004 et sa comptabilité simplifiée pour les entreprises de taxis pour les années 1998 à 2004.

11. Invité à se déterminer sur les pièces produites par M. M., le département a persisté dans ses conclusions. Tout en constatant que M. M. avait fait un effort important, il semblait n’avoir payé que CHF 883.- sur les CHF 4'860.- correspondant aux cinq actes de défaut de biens délivrés à sa caisse-maladie. L’insolvabilité de M. M. durait depuis environ cinq ans et en dépit des paiements effectués après le prononcé de la décision entreprise, elle subsistait encore à ce jour.

12. Selon attestation du 25 août 2004 de l’office des poursuites, M. M. ne fait l’objet d’aucune poursuite en force ni d’acte de défaut de biens.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La LST et son règlement d'exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 (RLST - H 1 30.01), entré en vigueur le 1er janvier 2000, sont applicables au cas d'espèce, le recourant ayant sollicité du département la délivrance de l'autorisation litigieuse le 23 mars 2000 (ATA/221/2003 du 15 avril 2003).

3. L'article 5 alinéa 2 lettre c LST prévoit que la carte professionnelle des chauffeurs indépendants est délivrée lorsque le requérant offre des garanties de moralité et de comportement suffisants, en produisant notamment un extrait du casier judiciaire ainsi qu'une attestation de la caisse de compensation relative à son affiliation comme indépendant et au paiement des cotisations. Contrairement à ce qui est indiqué à l'article 3 alinéa 1 lettre b LST, il n'a pas besoin de fournir des attestations de l'office des poursuites et faillites, car sa solvabilité n'a pas à être établie.

4. En l'espèce, le recourant remplit les conditions pour se voir délivrer une carte professionnelle de chauffeur indépendant.

5. L'article 6 alinéa 2 lettre b LST dispose qu'une autorisation d'exploiter un service de taxis avec employé(s) est délivrée à une personne physique lorsqu'elle est solvable.

6. Aux termes de l'article 18 LST, les autorisations délivrées peuvent être révoquées lorsque les conditions de délivrance ne sont plus remplies, à moins que cette situation ne justifie le prononcé d'une mesure administrative, conformément aux articles 29 et 30 LST (lettre c).

7. Selon la jurisprudence, la notion d'insolvabilité n'est pas liée quant au fond à certains faits ou manifestations extérieurs, comme la faillite ou la saisie, car de tels faits ne prouvent qu'indirectement l'incapacité de paiement du débiteur et n'excluent nullement la possibilité de prouver l'insolvabilité d'une autre façon. L'insolvabilité est constituée par un état de fait réalisé lorsque le débiteur manque de moyens financiers nécessaires pour désintéresser ses créanciers; il faut cependant que cet état de fait ne soit pas simplement passager, comme cela arrive p. ex. quand le débiteur se trouve dans l'impossibilité momentanée de réaliser ses actifs. Il est nécessaire que la créance soit irrécouvrable à un certain moment, c'est-à-dire qu'il soit établi que le créancier n'a pu obtenir que partiellement le paiement de sa créance, après avoir utilisé tous les moyens de droit dont il disposait (ATF 68 II 177 = JdT 1942 I 565).

L'insolvabilité est présumée lorsqu'une faillite est ouverte et lorsque le poursuivant s'est fait remettre un acte de défaut de biens définitif après saisie (P.-R. GILLIERON, op. cit., p. 429 n. 33). Par contre, la remise au poursuivant d'un procès-verbal de saisie valant acte de défaut de biens provisoire ne constate pas à titre définitif l'insolvabilité du poursuivi (ibid.).

L'exigence de solvabilité a été consacrée par le tribunal de céans dans l’arrêt du 15 avril 2003 précité, confirmé par le Tribunal fédéral le 10 juin 2003 (ATF 2P. 141/2003).

Dans le cas alors soumis aux instances judiciaires, le chauffeur de taxis concerné avait fait l'objet d'actes de défaut de biens à hauteur de CHF 262'233.- et il n'était pas à jour dans le paiement de ses charges sociales.

Dans un arrêt concernant la profession d'avocat, le Tribunal administratif a jugé que, lorsque un avocat - interdit de pratiquer en raison de la délivrance d'un acte de défaut de biens à son encontre - avait payé toutes ses dettes, l'empêchement lié à son insolvabilité n'existait plus. Il devait par conséquent être réinscrit au tableau (ATA/759/1999 du 14 décembre 1999).

8. En l’espèce, le recourant a assaini sa situation pécuniaire. Les poursuites dirigées à son encontre et les actes de défaut de biens dont il était débiteur sont soldés. Il s’ensuit que son insolvabilité n’existe plus.

Le Tribunal administratif relève que la situation financière du recourant s'est améliorée depuis le 5 décembre 2001, date à laquelle le département lui a délivré une autorisation sur la base de l'article 6 alinéa 2 LST qui contient comme on l'a vu l'exigence de solvabilité.

Certes, le recourant a fait l'objet d'actes de défaut de biens pour un montant quelque peu supérieur à CHF 20'000.- mais il s'agit de dettes relativement anciennes et délimitées dans le temps, puisqu'elles remontent à une période située entre 1997 et 2000. Depuis lors, le recourant a pris des dispositions pour régulariser sa situation financière. Il n'est pas établi qu'il aurait contracté de nouvelles dettes. Au contraire, les relevés des poursuites démontrent que tel n'est pas le cas. Il est à jour avec les versements des cotisations à la caisse de compensation.

9. Il est constant que le recourant travaillait déjà comme chauffeur de taxis, titulaire de la carte correspondante, sous l'empire de la législation en vigueur avant le 1er juin 1999. Le 5 décembre 2000, il a reçu une nouvelle carte professionnelle de chauffeur indépendant avec employé, en application cette fois du nouveau droit régissant la profession. Les pièces du dossier établissent par ailleurs que les poursuites fondant la décision querellée sont antérieures au renouvellement de ladite carte au mois de décembre 2001.

Il convient dès lors de déterminer si l’autorité intimée pouvait d’une part refuser l’autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement et avec un ou plusieurs employés et d’autre part révoquer l’autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement délivré antérieurement ainsi que la carte professionnelle de chauffeur indépendant avec employé délivrée elle aussi antérieurement.

La réponse à cette question procède de l’application de l’article 68 LPA, à savoir s’il y a lieu de tenir compte des faits nouveaux survenus depuis le prononcé de la décision querellée. Dans un arrêt récent, le Tribunal administratif a pris en considération le paiement de dettes intervenu postérieurement à la décision querellée (ATA/379/2004 du 11 mai 2004).

10. Dans la présente cause, il apparaît que le recourant a épongé toutes ses dettes. Sa comptabilité établit que son bénéfice net est en progression. Comme vu précédemment, depuis 2000 il n’a pas contracté de nouvelles dettes et il est à jour dans le versement de ses cotisations sociales.

Il résulte de ce qui précède que la situation du recourant n'est plus obérée. Aucun motif ne justifie plus la révocation d'une autorisation accordée antérieurement dans une situation financière beaucoup plus mauvaise et beaucoup plus précaire que celle qui prévaut actuellement.

11. Il s'ensuit que le recours sera admis et la décision du 8 janvier 2004 annulée. Le dossier sera retourné au département pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant qui se verra allouer une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l'Etat de Genève.

 

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 février 2004 par Monsieur C. M. contre la décision du département de justice, police et sécurité du 8 janvier 2004;

au fond :

l’admet ;

annule décision du 8 janvier 2004 du département de justice, police et sécurité ;

renvoie le dossier au département pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Charles Sommer, avocat du recourant ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

 

Siégeants :

M. Schucani, président, Mme Bovy, M. Thélin, juges.

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste  adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le juge présidant :

 

 

D. Schucani

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :