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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2488/2018

ATA/1278/2019 du 27.08.2019 ( DIV ) , REJETE

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT ACTUEL;POLICE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);ORDRE PUBLIC(EN GÉNÉRAL);ÉGALITÉ DE TRAITEMENT;INTERDICTION DE L'ARBITRAIRE;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LPA.60.al1.letb; LPA.61; LPol.45; LPol.53.al1; ROPol.15; Cst.8; Cst.9
Résumé : Les éléments du dossier mis en regard avec les antécédents du recourant démontrent que le commissaire de police était fondé à lui notifier une mesure d'interdiction de pénétrer pour trouble à l'ordre public. L'art. 53 LPol n'exige aucunement que la personne visée ait été ou soit condamnée pénalement pour s'appliquer. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2488/2018-DIV ATA/1278/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 août 2019

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Léonard Micheli-Jeannet, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1993 et de nationalité nigériane, est titulaire d'un titre de séjour en Italie, valable du 4 août 2017 au 3 août 2019, ainsi que d'un passeport nigérian délivré le 23 novembre 2017 par les autorités du Nigéria en Suisse.

2) Le 27 juin 2018 à 17h40, le commissaire de police a notifié à M. A______, sur la base de l'art. 53 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05), une décision, déclarée exécutoire nonobstant recours, d'interdiction de pénétrer dans le secteur de la Coulouvrenière et du Seujet, pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 27 juillet 2018.

L'intéressé avait été appréhendé par les services de police le jour même, alors qu'il se trouvait en compagnie d'un individu interpellé en flagrant délit de vente de stupéfiants. Il avait ainsi troublé l'ordre public.

3) Par acte du 18 juillet 2018, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, en concluant principalement à son annulation et, préalablement, à la restitution de l'effet suspensif au recours, « sous suite de frais et dépens ».

S'agissant de l'effet suspensif, ses intérêts étaient gravement menacés, dans la mesure où il pourrait faire face à une lourde amende - qui le mènerait à la prison en cas de défaut de paiement - au cas où il se trouverait dans le secteur interdit.

Sur le fond, la décision attaquée était arbitraire et équivalait à un « délit de faciès ». Une personne indéterminée, et qu'il ne connaissait en rien, semblait avoir été appréhendée en lien avec un trafic de stupéfiants, mais aucun indice concret ne le reliait ni à cette personne, ni à une quelconque activité illicite. S'il avait eu un quelconque lien avec elle ou la transaction, il aurait été déféré au Ministère public et une procédure pénale aurait été ouverte à son encontre. Or, tel n'avait pas été le cas. Il ne se trouvait dans le secteur que pour bénéficier du réseau internet sans fil gratuit.

4) Le 20 juillet 2018, le commissaire de police a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

La mesure contestée arrivait à échéance le 27 juillet 2018, soit probablement avant que la chambre administrative ne puisse statuer sur le fond. De plus, M. A______ ne faisait valoir aucun motif justifiant la nécessité de sa présence dans le secteur concerné, voire dans le canton de Genève. Ses intérêts n'apparaissaient pas gravement menacés. En revanche, l'intérêt public au maintien de l'ordre et la sécurité publics étaient prépondérants.

5) En parallèle, le commissaire de police a fait parvenir à la chambre administrative le dossier concernant la personne appréhendée pour trafic de stupéfiants, laquelle avait été condamnée par ordonnance pénale le 28 juin 2018 pour avoir vendu à un consommateur un sachet de 3,2 g de marijuana, à la rue de la Coulouvrenière, endroit où M. A______ avait également été interpellé. Ce dernier faisait alors partie d'un groupe de personnes « en attente dans ladite rue ».

6) Par décision présidentielle du 24 juillet 2018, la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif au recours, en réservant le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

Compte tenu des dates du dépôt du recours et de l'échéance de la mesure d'interdiction, il n'apparaissait pas que l'urgence nécessaire soit donnée. En outre, M. A______ ne mentionnait aucune raison particulière qu'il aurait de se trouver, d'ici au 27 juillet 2018, dans le secteur interdit, hormis le souhait de bénéficier d'un réseau internet sans fil, alors que ce dernier était fourni dans bien d'autres lieux du canton.

7) Le 15 août 2018, le commissaire de police a conclu au rejet du recours sur le fond.

La mesure querellée ayant pris fin le 27 juillet 2018, M. A______ ne pouvait se prévaloir d'un intérêt actuel.

Précédemment aux faits sus-évoqués du 27 juin 2018, M. A______ avait déjà été interpellé à quatre reprises. Sa dernière arrestation du 15 mars 2018, effectuée lors d'une opération de police visant à lutter contre le trafic de stupéfiants, s'était déroulée dans le même secteur que son interpellation du 27 juin 2018. Il ressortait également des rapports de police que lors de ses arrestations, M. A______ était en possession de trois ou quatre téléphones portables ainsi que de sommes d'argent de provenance douteuse, ce qui constituait autant d'indices conduisant à considérer qu'il se livrait à un trafic de produits prohibés. Il ne pouvait donc raisonnablement soutenir qu'il n'aurait jamais eu le moindre lien avec un quelconque trafic de stupéfiants.

En tant que M. A______ participait à un groupe qui, de par son implication dans un trafic de stupéfiants, menaçait l'ordre et la sécurité publics, la décision querellée n'était en rien arbitraire.

Tel qu'indiqué précédemment, il n'exposait aucun motif qui aurait justifié sa présence impérieuse dans le secteur prohibé pendant la durée de l'interdiction contestée.

Il était donc évident que l'intérêt public à la protection de l'ordre et de la sécurité publics était in casu bien supérieur à l'intérêt personnel de l'intéressé de pouvoir aller et venir librement, étant souligné qu'au vu de la dimension du secteur prohibé et de la durée de l'interdiction, la mesure querellée ne constituait qu'une atteinte légère à la liberté personnelle.

En annexe à ses écritures, le commissaire de police a produit les rapports d'arrestation de M. A______ des 14 et 17 octobre 2017 pour infraction à la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), devenue la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), du 9 février 2018 sur la base d'un avis de recherche émis par la Ministère public du canton de Vaud pour un renvoi au sens de la loi sur l'asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), valable du 20 octobre 2017 au 12 avril 2019, et du 15 mars 2018 sur la base d'un mandat d'exécution LAsi des autorités vaudoises. Los de ses quatre arrestations, M. A______ se trouvait dans le centre de Genève, dont une fois dans le secteur de la Coulouvrenière, en possession notamment de plusieurs téléphones portables et de sommes d'argent de provenance douteuse.

8) Dans sa réplique du 5 septembre 2018, M. A______ a persisté dans ses conclusions, en faisant valoir un intérêt actuel et concret à l'annulation de la décision litigieuse.

En cas de confirmation de celle-ci, le commissaire de police en garderait une trace dans son dossier, servant ainsi d'élément à charge, de sorte qu'il fallait se positionner sur sa légalité et son adéquation. Considérer qu'il avait perdu un intérêt actuel reviendrait à laisser un blanc-seing complet au commissaire de police de décider des mesures d'interdiction territoriale et viderait de son sens toute procédure de recours, vu les durées respectives des interdictions et de la procédure de recours.

9) Le commissaire de police a dupliqué en persistant de ses conclusions.

Il apportait divers extraits du système d'information central sur la migration (ci-après : SYMIC) indiquant que le séjour de M. A______ en Suisse était illégal. Au terme d'une détention administrative de vingt-et-un jours ordonnée par les autorités vaudoises, M. A______ avait été transféré en Italie le 5 avril 2018, et une interdiction d'entrée en Suisse du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM), prononcée à son encontre le 4 avril 2018 et valable jusqu'au 3 avril 2020, lui avait été notifiée le 27 juin 2018. Compte tenu de cette décision, le recours en question était dépourvu d'intérêt actuel, l'intéressé n'étant de toute manière pas légitimé à demeurer en Suisse, et a fortiori dans le canton de Genève et le quartier dont l'accès lui avait été interdit.

10) Le 15 novembre 2018, M. A______ a relevé que les différents intervenants chargés de ce dossier au pénal n'avaient pas considéré, le jour des faits, que son séjour aurait été illégal. Lors de son interpellation le 27 juin 2018, son séjour en Suisse était légal. Il était porteur de tous les documents l'autorisant, raison pour laquelle il n'avait fait l'objet d'aucune condamnation. Le fait qu'une interdiction d'entrée lui ait été notifiée le 27 juin 2018 ne changeait pas son droit à ne pas voir inscrite, dans ses données personnelles, une interdiction de périmètre arbitraire. En outre, l'interdiction d'entrée avait fait l'objet d'un recours, actuellement pendant au Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF).

11) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 LPol).

2) a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir les personnes touchées directement par une décision et qui ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Le recourant doit avoir un intérêt actuel à l'admission du recours (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2).

Il est renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d). L'obligation d'entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l'absence d'un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012). Il faut en particulier un intérêt public - voire privé - justifiant que la question litigieuse soit tranchée, en raison de l'importance de celle-ci (ATF 135 I 79 consid. 1.1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; 127 I 164 consid. 1a).

b. En l'espèce, la décision d'interdiction de pénétrer dans un périmètre donné, prononcée pour une durée d'un mois a été entièrement exécutée, de sorte que sur ce point, le recours a perdu tout objet.

Cependant, il n'est pas exclu que le recourant se trouve à nouveau dans une telle situation, puisqu'il se trouve encore actuellement à Genève et qu'il est dans l'attente d'une décision du TAF sur son recours contre l'interdiction d'entrée du SEM du 4 avril 2018, notifiée le 27 juin 2018. En conséquence, il sera renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel au recours (ATA/206/2009 du 28 avril 2009 consid. 1).

3) Conformément à l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (al. 1 let. a), et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b) ; les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

4) a. À teneur de l'art. 45 LPol, la police exerce ses tâches dans le respect des droits fondamentaux et des principes de légalité, de proportionnalité et d'intérêt public (al. 1). En cas de troubles ou pour écarter des dangers menaçant directement la sécurité et l'ordre publics, elle prend les mesures d'urgence indispensables (al. 2).

Ainsi, selon l'art. 53 al. 1 LPol, la police peut éloigner une personne d'un lieu ou d'un périmètre déterminé et lui en interdire l'accès, si, notamment, elle-même ou un rassemblement de personnes auquel elle participe menace l'ordre ou la sécurité publics (let. a) ou elle participe à des transactions portant sur des biens dont le commerce est prohibé, notamment des stupéfiants (let. d).

Le type et la durée de la mesure d'éloignement dépendent de la gravité et de l'intensité du trouble qui la justifie (art. 15 du règlement sur l'organisation de la police du 16 mars 2016 - ROPol - F 1 05.01).

Les policiers sont habilités à prononcer une mesure d'éloignement pour une durée maximale de vingt-quatre heures. En pareil cas, le commissaire de police de permanence est immédiatement informé (art. 16 al. 1 ROPol). Les commissaires de police sont habilités à prononcer une mesure d'éloignement pour une durée excédant vingt-quatre heures. En pareil cas, la personne qui fait l'objet de la mesure d'éloignement peut être conduite dans des locaux de police pour que la décision écrite afférente lui soit notifiée (art. 16 al. 2 ROPol).

b. Les travaux préparatoires législatifs portant sur le projet de loi 11'228 (ci-après : PL 11'228) ayant modifié l'ancienne loi sur la police du 26 octobre 1957 (aLPol) renvoient aux art. 22A et 22B de cette dernière, dans la mesure où le contenu en est repris aux art. 53 et 54 LPol (MGC 2012-2013 X A 11940).

Les travaux préparatoires législatifs concernant les art. 22A et 22B aLPol, en particulier le PL 10'121 ayant pour objectif de « renforcer les libertés et restaurer la sécurité publique », soulignent que « l'État doit assurer à chacun le droit de se sentir en sécurité sur son territoire. Pour ce faire, il y a lieu d'éloigner ceux des importuns qui en empêchent l'exercice en prononçant à leur encontre des mesures d'éloignement. Parallèlement, lorsqu'il y a matière à amende, par exemple parce que le comportement qui donne lieu à la mesure d'éloignement mérite également une telle mesure, il faut faire en sorte que l'effet de celle-ci puisse se faire ressentir concrètement sur la personne à l'encontre de laquelle elle est prononcée » (MGC 2006-2007/XII A 11493 ; MGC 2006-2007/XII A 11494). Inspirés par d'autres législations cantonales en la matière, les auteurs du PL 10'121 ont limité la durée maximum de la mesure d'éloignement à trois mois, le Tribunal fédéral ayant considéré qu'une telle durée était compatible avec le droit constitutionnel, notamment l'intérêt public et la proportionnalité (MGC 2006-2007/XII A 11496 ; ATF 132 I 49).

Appelé à examiner la constitutionnalité des art. 22A let. b et 22B al. 1 aLPol, le Tribunal fédéral a notamment retenu que ceux-ci, sous réserve des termes « ou empêche sans motif l'usage normal du domaine public », étaient conformes aux dispositions du droit supérieur invoquées. Dans ce contexte, il a en particulier rappelé qu'en tant que « droit constitutionnel garanti par l'art. 10 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la liberté personnelle ne tend pas seulement à assurer le droit d'aller et venir, voire à protéger l'intégrité corporelle et psychique, mais elle garantit, de manière générale, toutes les libertés élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine et que devrait posséder tout être humain, afin que la dignité humaine ne soit pas atteinte par le biais de mesures étatiques. En particulier, la liberté des citoyens de circuler à leur gré dans le pays sans autorisation préalable et sans entraves autres que celles nécessitées impérativement par l'ordre public et la sécurité de tous est sans doute l'élément qui caractérise le mieux l'État de droit par rapport à l'État policier. La liberté personnelle se conçoit comme une garantie générale et subsidiaire à laquelle le citoyen peut se référer pour la protection de sa personnalité ou de sa dignité, en l'absence d'un droit fondamental plus spécifique. À l'instar des autres droits individuels, elle ne saurait être complètement supprimée ou vidée de son contenu par les restrictions légales qui peuvent lui être apportées dans l'intérêt public » (arrêt du Tribunal fédéral 1C_226/2009 du 16 décembre 2009 consid. 3.2).

c. Une décision viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 137 I 167 consid. 3.5 ; 137 V 334 consid. 6.2.1). Selon l'art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou psychique. Une discrimination au sens de l'art. 8 al. 2 Cst. est réalisée lorsqu'une personne est juridiquement traitée de manière différente, uniquement en raison de son appartenance à un groupe déterminé historiquement ou dans la réalité sociale contemporaine, mise à l'écart ou considérée comme de moindre valeur. La discrimination constitue une forme qualifiée d'inégalité de traitement de personnes dans des situations comparables, dans la mesure où elle produit sur un être humain un effet dommageable, qui doit être considéré comme un avilissement ou une exclusion, car elle se rapporte à un critère de distinction qui concerne une part essentielle de l'identité de la personne intéressée ou à laquelle il lui est difficilement possible de renoncer (ATF 143 I 129 consid. 2.3.1 ; 138 I 205 consid. 5.4). Le principe de non-discrimination n'interdit toutefois pas toute distinction basée sur l'un des critères énumérés à l'art. 8 al. 2 Cst., mais fonde plutôt le soupçon d'une différenciation inadmissible. Les inégalités qui résultent d'une telle distinction doivent dès lors faire l'objet d'une justification particulière (ATF 138 I 205 consid. 5.4 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_31/2012 du 17 août 2012 consid. 3.2). 

d. Une décision est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst., lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Tel est le cas lorsque la solution retenue est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. En outre, pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 138 I 232 consid. 6.2 ; 138 I 49 consid. 7.1 ; 137 I 1 consid. 2.4).

e. L'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation constituent des violations du droit, qui peuvent être revues par les autorités de recours (art. 61 al. 1 let. a LPA). Cela signifie qu'une autorité judiciaire de recours qui contrôle la conformité au droit d'une décision vérifiera si l'administration a, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère la loi, respecté le principe de la proportionnalité - et les autres principes constitutionnels tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité, la bonne foi -, mais s'abstiendra d'examiner si les choix faits à l'intérieur de la marge de manoeuvre laissée par ces principes sont « opportuns » ou non (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 183 n. 524 ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2015, p. 569). L'autorité commet un abus de son pouvoir d'appréciation tout en respectant les conditions et les limites légales, si elle ne se fonde pas sur des motifs sérieux et objectifs, se laisse guider par des éléments non pertinents ou étrangers au but des règles ou viole des principes généraux précités (Benoît BOVAY, op. cit., p. 566).

5) a. En l'espèce, le recourant fait valoir que la décision d'interdiction de pénétrer querellée, notifiée le 27 juin 2018 pour une durée d'un mois, serait arbitraire et relèverait d'un « délit de faciès ». Aucun indice concret ne le reliait à la personne interpellée à ce moment-là, ni à une quelconque activité illicite. En cas contraire, une procédure pénale aurait été ouverte à son encontre, ce qui n'avait pas été le cas. Il ne se trouvait dans le secteur que pour bénéficier du réseau internet sans fil gratuit.

b. Les éléments ressortant du dossier ne permettent toutefois pas de corroborer les allégations du recourant.

Entre le mois d'octobre 2017 et le mois de juin 2018, l'intéressé a été interpellé à cinq reprises. À chaque fois, il était en possession de trois ou quatre téléphones portables et de sommes d'argent dont il ne pouvait établir la provenance, faute de bénéficier d'une source de revenus. Son interpellation du 15 mars 2018, comme celle du 27 juin 2018, a été effectuée dans le secteur de la Coulouvrenière et du Seujet, dans le cadre d'une opération de police visant à lutter contre le trafic de stupéfiants. Sa présence répétée dans un secteur particulier faisant l'objet d'opérations de police déterminées ne saurait relever de circonstances purement fortuites.

En outre, quand bien même le recourant nie tout lien avec la personne condamnée après les faits du 27 juin 2018, il ressort expressément du rapport de police relatif à ceux-ci qu'à cette occasion, il faisait partie du groupe qui attendait dans la rue. À cet égard, son argument visant à justifier sa présence en ces lieux par l'utilisation du réseau internet sans fil gratuit ne saurait convaincre. Il apparaît d'autant moins crédible au regard des faits sus-rappelés qu'il existe bien d'autres endroits dans le canton de Genève où le recourant aurait pu bénéficier d'un tel réseau, sans devoir se trouver au milieu d'un groupe impliqué dans une opération de police visant à lutter contre le trafic de stupéfiants.

Compte tenu des éléments précités mis en regard avec les antécédents du recourant, le commissaire de police était fondé à notifier à l'intéressé une mesure d'interdiction de pénétrer fondée sur un trouble à l'ordre public. Sur ce point, il sied de souligner que l'art. 53 LPol n'exige aucunement que la personne visée ait été ou soit condamnée pénalement pour s'appliquer.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

6) Le recourant, qui succombe, plaide au bénéfice de l'assistance juridique, de sorte qu'aucun émolument ne sera mis à sa charge (art. 87 al. 1 LPA ; art. 13 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - B 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 juillet 2018 par Monsieur A______ contre la décision du commissaire de police du 27 juin 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Léonard Micheli-Jeannet, avocat du recourant, ainsi qu'au commissaire de police.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :