Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/620/2019

ATA/1125/2020 du 10.11.2020 sur JTAPI/1022/2019 ( LCI ) , REJETE

Parties : PRO VELO GENEVE / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC, COMMUNE DE CHENE-BOURG
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/620/2019-LCI ATA/1125/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 novembre 2020

3ème section

 

dans la cause

 

PRO VÉLO GENÈVE
représentée par Me Sébastien Voegeli, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

COMMUNE DE CHÊNE-BOURG

représentée par Me Pascal Erard, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 novembre 2019 (JTAPI/1022/2019)


EN FAIT

1) La commune de Chêne-Bourg (ci-après : la commune) est propriétaire des parcelles nos 4'191, 4'202, 4'204 et 4'209 de son cadastre, lesquelles constituent l'avenue de Bel-Air.

2) Le 10 juin 2018, la commune a requis du département du territoire
(ci -après : le département) une autorisation visant à transformer et assainir l'avenue de Bel-Air. Le projet prévoyait la création de bandes cyclables continues d'au minimum 1.5 m de chaque côté de l'avenue.

3) Le 23 août 2018, l'association Pro Vélo Genève (ci-après : Pro Vélo) a adressé au département des observations.

En l'état, l'avenue de Bel-Air n'était pas très confortable pour les cycles dans la mesure où les voies routières étaient étroites et où les automobilistes devaient « mordre » sur les bandes cyclables en cas de croisement.

Le projet de réaménagement péjorerait la situation, alors que l'avenue de Bel-Air donnait accès à deux établissements scolaires de même qu'au futur écoquartier des communaux d'Ambilly. Elle constituait un axe de connexion avec la Voie verte.

Les travaux visaient à créer une ligne de stationnement supplémentaire, laquelle rétrécirait aussi l'espace à disposition des piétons. La voie bidirectionnelle de l'avenue de Bel-Air aurait une largeur totale de 4 m, et les automobilistes seraient contraints d'empiéter systématiquement sur la bande des deux roues. Les deux tronçons de piste cyclable existants seraient remplacés par des bandes cyclables.

Une variante devait être étudiée avec une seule ligne de stationnement positionnée entre les arbres côté Seymaz, afin de permettre la création de pistes cyclables.

4) Au cours de l'instruction de la requête, l'office cantonal des transports
(ci-après : OCT) a demandé des pièces complémentaires, soit une expertise de trafic afin d'assurer une sécurité suffisante pour les piétons, dès lors qu'il serait renoncé à l'aménagement de leurs îlots de protection.

Une fois ledit document produit, l'OCT a émis un préavis favorable, avec dérogation et sous condition. La dérogation relative à l'aménagement d'îlots de protection des piétons était accordée, dès lors que l'expertise réalisée démontrait que la sécurité de ces derniers était assurée pendant leur traversée. La condition concernait la transmission de documents avant l'ouverture de chantier.

5) Les autres préavis réunis étaient soit favorables - cas échéant sous conditions - soit sans observations.

6) Le 15 janvier 2019, le département a délivré l'autorisation sollicitée, reprenant les conditions mentionnées dans les préavis.

7) Pro Vélo a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) d'un recours, le 15 février 2019, concluant à l'annulation de l'autorisation délivrée.

La constitution genevoise créait une obligation pour l'État d'encourager la mobilité douce, ce que la loi sur la mobilité douce du 15 mai 2011 (LMD - H 1 80) confirmait et concrétisait.

Le projet litigieux supprimait les deux tronçons de pistes cyclables existantes en les rétrogradant en bandes cyclables, ce qui était contraire à cette législation. De plus, il rétrécissait de manière dangereuse la largeur de la chaussée et rendait une circulation des cycles impossible, les automobiles étant contraints de rouler sur les bandes cyclables.

8) Le 21 mars 2019, la commune a conclu au rejet du recours.

Le projet litigieux prévoyait la pose de revêtement phono-absorbant sur toute l'avenue, la création de deux bandes cyclables continues, l'élargissement de la chaussée aux arrêts de bus pour la création d'îlots centraux sécurisant les traversées piétonnes, la réalisation d'une chaussée avec gabarits continus tout au long de la voie, l'enchâssement des places de stationnement dans les trottoirs, entre les arbres et la préservation ainsi que la valorisation de la structure paysagère.

La largeur totale constante de l'avenue, à quelques exceptions près, était de 16 m.

Au vu des exigences des normes sur la circulation routière, la création de deux pistes cyclables de 1.5 m n'était pas envisageable, sauf s'il l'on supprimait les deux rangées d'arbres ainsi que tout le stationnement. La seule solution réaliste était constituée par la mise en place de deux bandes cyclables.

En l'état, la piste cyclable et les bandes cyclables n'étaient pas continues. Elles frôlaient les lampadaires et les barres métalliques du mobilier urbain, imposant une amélioration.

Le projet nécessitait l'abattage d'un seul arbre pour permettre le réaménagement d'un arrêt de bus. Le nombre de places de stationnement passerait de septante à soixante-cinq. La fréquentation de l'avenue de Bel-Air allait probablement augmenter et les travaux devaient être réalisés car ils présentaient en réalité une réelle amélioration pour la mobilité douce.

9) Le 17 avril 2019, le département a aussi conclu au rejet du recours. La législation ne proscrivait pas les bandes cyclables lorsque, comme en l'espèce, elles étaient justifiées. Le projet litigieux, en prévoyant la création d'une telle bande, continue et fluide, de chaque côté de la route, constituait une amélioration. Ces travaux n'avaient pas été critiqués par l'OCT dans son préavis.

10) Le 31 mai 2019, Pro Vélo a répliqué.

La législation cantonale contenait une obligation positive à la charge de l'État de création de pistes cyclables structurées, continues, directes et sécurisées sur le réseau des routes primaires et secondaires, dans un délai fixé par la législation.

Dans le cadre du projet litigieux, une piste cyclable en tout cas pouvait être réalisée sur la voie en direction de la rue de Genève, sans qu'il ne soit nécessaire de supprimer davantage de parkings ou d'arbres et sans réduire la largeur de la voie dévolue aux véhicules motorisés, Transports publics genevois (ci-après : TPG) compris. Si l'autorité avait analysé plus avant les observations faites par l'association avant la délivrance de l'autorisation de construire, la présente procédure aurait pu être évitée.

11) Le 11 juillet 2019, la commune a dupliqué.

La législation adoptée par le canton de Genève ne constituait pas un mandat légal impératif, mais fixait des objectifs. Les pistes cyclables voulues par la recourante nécessiteraient la coupe d'arbres et la suppression de nombreuses places de stationnement.

La proposition, contenue dans la réplique, de ne créer qu'une seule piste cyclable n'était pas non plus réalisable car cela impliquerait la suppression de tout stationnement du côté de la piste et réduirait la largeur du trottoir de 2 m à 1.35 m.

12) Le 11 juillet 2019 également, le département a maintenu ses observations. La législation permettait de remplacer les pistes cyclables par des bandes cyclables lorsque de vraies pistes ne pouvaient pas être installées. Le projet litigieux améliorait significativement la situation et constituait la solution la plus adéquate afin de concilier toutes les mobilités.

13) Le 22 juillet 2019, Pro Vélo a exercé son droit à la réplique, rappelant que la législation régissant la mobilité douce était le fruit d'une initiative populaire et que dès lors les travaux législatifs n'étaient pas déterminants pour l'analyser.

Il était possible d'aménager des bandes cyclables lorsqu'une piste cyclable ne pouvait être créée. Cette impossibilité ne pouvait à l'évidence pas être due au stationnement automobile, cela d'autant qu'un nouveau parking de cinq cents places était en cours de création à proximité. Le projet péjorait la situation des cyclistes.

En supprimant les places de stationnement, l'installation de deux pistes cyclables était parfaitement réalisable. Celle d'une seule piste l'était évidemment encore plus.

14) Par jugement du 14 novembre 2019, le TAPI a rejeté le recours.

La bande cyclable actuellement existante était discontinue, étroite par endroits et frôlait les grilles des arbres ou les places de stationnement existantes. La largeur minimale de la chaussée exigée pour un axe utilisé par les TPG ne pouvait pas être respectée si l'on construisait deux pistes cyclables de 1.5 m. La création de bandes cyclables était dans cette configuration autorisée par la législation.

15) Par acte mis à la poste le 6 janvier 2020, Pro Vélo a recouru contre le jugement précité auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative).

Dès lors qu'elle avait démontré par pièces que la réalisation à tout le moins d'une piste cyclable et d'une bande cyclable était réalisable sur toute la longueur de l'avenue de Bel-Air, le TAPI avait constaté inexactement les faits en n'en tenant pas compte.

Le TAPI avait de plus limité son pouvoir d'examen dans son appréciation du préavis favorable rendu par l'OCT alors même qu'il disposait des compétences techniques lui permettant de s'en écarter lorsqu'il n'apparaissait pas conforme à la loi, comme en l'espèce. Ce préavis violait en effet les normes fédérales et les exigences du bureau de prévention des accidents (ci-après : BPA) : la chaussée prévue était beaucoup trop étroite.

Au surplus, Pro Vélo a repris et développé les éléments avancés dans ses précédentes écritures.

16) Le 7 février 2020, la commune a conclu au rejet du recours.

Pro Vélo admettait que la réalisation de sa proposition impliquait de couper des arbres ou de supprimer des places de parking, voire même des lignes de TPG. Ni l'administration, ni le TAPI n'avaient violé leur pouvoir d'appréciation. La construction d'une ou de deux pistes cyclables n'était pas possible compte tenu de la largeur de la route et des besoins de la mobilité.

17) Le 11 février 2020, le département a conclu au rejet du recours, reprenant et développant les éléments exposés antérieurement.

La création de deux pistes cyclables, demandée initialement par la recourante, n'était pas possible. Celle d'une seule piste cyclable n'était pas réalisable au vu des éléments caractérisant l'avenue en question, de sa largeur limitée et de la nécessité de concilier toutes les mobilités. Les recommandations du BPA et les normes auxquelles se référait Pro Vélo n'avaient pas force de loi. Au surplus, la législation genevoise n'était pas violée. La mobilité douce ne pouvait primer sur tous les autres modes de déplacement.

Le TAPI avait, à juste titre, confirmé la position de l'autorité, qui avait
elle-même suivi le préavis de l'OCT.

18) Le 16 mars 2020, dans le cadre de l'exercice de son droit à la réplique, Pro Vélo a maintenu ses conclusions.

Son projet n'impliquait pas de couper des arbres. L'affirmation de la commune à ce sujet ressortait d'une mauvaise compréhension des schémas qu'elle avait produits, lesquels concernaient différents segments de l'avenue de Bel-Air. Il était parfaitement possible de réaliser une bande cyclable et une piste cyclable sur toute la longueur de cette avenue sans abattre d'arbres, sans supprimer de stationnements ni de lignes de TPG.

19) Un transport sur place s'est tenu en présence des parties le 31 août 2020 dès 14h00, lequel a donné lieu à un procès-verbal dont les éléments utiles pour trancher le litige seront repris dans la partie en droit. Ce transport sur place a fait l'objet d'observations des parties.

20) Le 8 septembre 2020, le département a relevé qu'en ce qui concernait les exemples invoqués par Pro Vélo, celui de la rue de Lausanne démontrait le contraire de ce qu'elle entendait soutenir. En effet, selon le système d'information du territoire à Genève (SITG), des bandes et non des pistes cyclables y avaient été aménagées, à l'exception d'un unique tronçon dans un sens, d'environ 100 m, à hauteur des immeubles 87 à 97 de cette rue. Ce bref tronçon passait derrière les arbres, ce qui n'était pas possible dans le cas d'espèce vu la largeur insuffisante de l'espace pour y faire passer également les piétons. Dans le cadre du prolongement du tram de Bernex, les contraintes n'y étaient clairement pas les mêmes dans la mesure où la route de Chancy pouvait être facilement élargie sur son côté nord, quasiment dépourvu de constructions et d'arbres. Or, en l'espèce, tant la largeur totale de la chaussée que l'emplacement des arbres devaient être pris en considération. La détermination des distances, après constatation sur place, devait se faire de la manière suivante : entre les bordures du domaine public et les arbres, l'espace devait rester dévolu aux seuls piétons, sachant que les largeurs, généralement entre 1.95 et 2 m, ne s'avéraient pas excessives pour permettre le croisement des piétons, ce qui rendait impossible d'y prévoir une piste cyclable ; il n'était pas concevable de faire circuler des vélos directement sur les fosses des arbres, puisque certains d'entre eux, comme il l'avait été constaté, avaient poussé de manière oblique et que de toute manière une certaine marge supplémentaire devait être prévue afin d'éviter tout risque d'accident, soit de collision d'un cycliste contre un arbre ; au vu de cette configuration, il était judicieux de profiter de la largeur de l'emprise des arbres pour y stationner les voitures, de sorte qu'elles ne se trouvent plus en partie sur la chaussée (actuellement à 2/3 dans certains cas). De plus, une marge similaire à celle des arbres était à prévoir à l'égard des voitures pour prévenir tout risque de collision d'un cycliste contre une portière ouverte abruptement.

Fort de ce qui précédait, il ne restait plus que 7 m de chaussée à partager entre tous les modes de transport. Dans ce contexte, la réalisation de bandes et non de pistes cyclables s'avérait être la solution la plus pragmatique et judicieuse. Au surplus, l'objet du litige ne portait pas sur la question de savoir si un meilleur projet aurait pu être envisagé, mais si le projet autorisé respectait le droit en vigueur, ce que tant le département que le TAPI avaient démontré.

21) La commune, dans ses observations du 23 septembre 2020, a fait ce même constat s'agissant de l'objet du litige. Elle a suggéré quelques modifications du procès-verbal et relevé que les gabarits de l'avenue, qui étaient les éléments de fait essentiels de la procédure, étaient connus et figuraient dans ses écritures et pièces.

La procédure ne concernait pas le premier tronçon, entre le rond-point côté clinique de Belle-Idée et l'arrêt des TPG Petit-Bel-Air, sur lequel tous les arbres avaient été abattus, les places de parking supprimées et les trottoirs rétrécis. Avec ce type de configuration, deux pistes cyclables pourraient facilement être aménagées. À partir de cet arrêt TPG, l'étroitesse de l'avenue n'avait échappé à personne de même que l'état désastreux du revêtement qui devait être remplacé au plus vite, notamment pour protéger les cyclistes. Le projet tenait compte de cette étroitesse et des nombreuses contraintes en résultant. Les arbres devaient être conservés, de même que les trottoirs et les places de parc. Une largeur de chaussée minimum devait être assurée pour permettre le croisement des bus TPG, d'une largeur de 2.55 m, en respect des normes VSS. Des îlots centraux devaient être aménagés pour protéger les piétons, ainsi que deux bandes cyclables continues de 1.5 m chacune pour la sécurité des cyclistes. Le projet tenait compte de tous ces impératifs.

Dans cette configuration, la création de deux pistes cyclables impliquerait obligatoirement la suppression de la ligne de bus TPG. Pour gagner la largeur manquante, il faudrait couper une rangée de soixante-quatre tilleuls et déplacer la chaussée du côté des arbres abattus. Cela n'était pas envisageable et partant non prévu par l'autorisation querellée qui était conforme à l'art. 2 let. a LMD puisqu'elle prévoyait la création d'une bande cyclable accompagnée d'éléments sécurisant la mobilité douce dans la mesure où celle d'une piste cyclable n'était pas possible. Le projet améliorerait considérablement la situation des cyclistes et des autres usagers de cette avenue.

22) Selon Pro Vélo, le transport sur place devait amener la chambre administrative à constater que l'aménagement actuel était celui d'une piste et d'une bande cyclables et non de deux bandes cyclables, que l'essentiel de places de parc demeurait inoccupé et que la largeur utilisable de la chaussée était de 8.65 m. Une coupe transversale de l'avenue révélait que le maintien d'une piste cyclable était parfaitement possible sur ces 8.65 m de chaussée séparant les grilles des arbres, « en faisant passer de surcroît de 4 m à 5 m la chaussé dévolue au trafic motorisé et aux transports publics ».

Le projet n'était conforme ni à la LMD, en prévoyant deux bandes alors qu'une piste cyclable pourrait être maintenue (ce qui violait le principe de proportionnalité), ni à la norme VSS 640 212, ni aux recommandations du BPA. Il créerait un cas unique à Genève avec une largeur de chaussée dangereusement réduite à 4 m alors que l'avenue était bordée par deux établissements scolaires majeurs et constituait une voie d'accroche à la Voie Verte, ainsi qu'aux futurs Communaux d'Ambilly. Il ajoutait des places de stationnement automobiles, entre chaque arbre, ce qui péjorait la qualité paysagère, alors même que la moitié des places existantes était inoccupée et qu'un parking de cinq cents places était en construction au bout de l'avenue.

Le projet suggéré par Pro Vélo, en prévoyant un net élargissement de la chaussée dévolue au trafic motorisé et aux TPG, augmentait la sécurité et la fluidité du trafic. Il était moins coûteux, n'impliquait pas « de suppression de place de stationnement, d'arbre et encore moins de ligne TPG comme la commune tent[ait] de le faire croire et favoriserait les manoeuvres de parcage de véhicules ». L'un des trottoirs serait élargi « vu l'absence de stationnement automobile ».

23) Sur ce, les parties ont été informées le 25 septembre 2020 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), la qualité pour recourir de Pro Vélo n'étant pas contestée en l'espèce (art. 145 al. 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 [LCI - L 5 05]).

2) a. Selon une jurisprudence bien établie, les juridictions administratives observent une certaine retenue pour éviter de substituer leur propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi. De plus, s'agissant des jugements rendus par le TAPI, la chambre administrative exerce son pouvoir d'examen avec retenue car celui-ci se compose pour partie de personnes possédant des compétences techniques spécifiques (ATA/166/2018 consid. 7b du 20 février 2018 et les références citées).

b. En l'espèce, le TAPI, après examen de tous les griefs de la recourante, a conclu à la conformité à la loi de l'autorisation attaquée. Avant cela, le département avait suivi le préavis motivé, après instruction, avec dérogation et condition de l'OCT, autorité de préavis spécialisée en matière de circulation routière. Ainsi, quand bien même, comme soutenu par la recourante, le TAPI dispose des compétences techniques lui permettant de s'écarter dudit préavis, cela ne signifie pas encore qu'il aurait excessivement limité son pouvoir d'appréciation en s'y tenant, étant relevé qu'il a motivé sa position sur la teneur du préavis de l'OCT.

Ce grief sera donc écarté.

3) La recourante soutient que le projet litigieux violerait la LMD, les normes VSS et les recommandations du BPA. Elle présente son propre projet de transformation de l'avenue de Bel-Air.

a. Selon l'art. 190 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), l'État doit élaborer une politique globale de la mobilité en coordonnant les politiques de l'aménagement, de l'énergie, de la protection de l'environnement et de la circulation (al. 1). Il doit faciliter les déplacements en visant la complémentarité, la sécurité et la fluidité des divers moyens de transport publics et privés (al. 2). Il garantit la liberté individuelle du choix du mode de transport (al. 3) et encourage la mobilité douce (al. 4).

b. Fruit de l'initiative populaire IN 144, la LMD prévoit, à son art. 2, que au plus tard huit ans après l'adoption du plan d'actions de la mobilité douce, l'offre répondant au moins aux objectifs suivants est réalisée par étapes dans tout le canton :

a)      des pistes cyclables structurées, continues, directes et sécurisées sont aménagées sur le réseau de routes primaires et secondaires. Pour les sections de routes où une piste ne pourrait être installée, celle-ci est remplacée par une bande cyclable accompagnée d'aménagements sécurisant la mobilité douce ;

b)      [...]

Le rapport du Conseil d'État au sujet de la validité de l'initiative indiquait notamment que « l'initiative - de rang législatif - ne règle pas la question de la cohérence du développement de la mobilité douce avec les autres modes de déplacement. Comme cela sera expliqué ci-dessous, une initiative législative, telle que l'IN 144, doit respecter le droit constitutionnel cantonal (notamment l'art. 160A Cst-GE). Du point de vue des rapports entre la mobilité douce et les autres dispositions relatives à la mobilité figurant dans les lois cantonales, ce sont les principes généraux d'interprétation qui s'appliqueront. Il n'y a donc, sur la base d'une première analyse abstraite, pas de priorité de ce texte par rapport aux textes préexistants. Il conviendra donc d'interpréter ce texte pour assurer sa coordination avec le reste de la législation » (MGC 2009-2010 III A 1733).

Le Tribunal fédéral, dans un arrêt récent, a relevé qu'à rigueur de texte, l'art. 2 let. a à d LMD fixait effectivement des objectifs à l'État. La manière dont ces objectifs étaient définis conférait en outre à l'autorité chargée de l'exécution une importante marge d'appréciation dans le choix des aménagements à réaliser concrètement, en particulier au regard des circonstances locales et des impératifs de sécurité poursuivis par la loi (cf. également art. 6a de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 [LCR; RS 741.01]). Comme le relevait l'OCT, les objectifs tels que fixés par la loi ne reposaient sur aucune étude de faisabilité. Ainsi, que l'art. 2 let. a LMD prévoie la réalisation d'aménagements sur le réseau de routes primaires et secondaires ne signifiait pas que cette disposition conférerait inconditionnellement un droit à la réalisation de pistes ou bandes cyclables, sur toute portion du réseau routier sans considération pour d'autres intérêts, à l'instar de la sécurité, prévalant en matière de circulation routière (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020, consid.4.4.).

c. Issue du contre-projet à l'initiative populaire n° 154 « Pour des transports publics plus rapides ! », accepté à 67,81 % par les Genevois - qui ont rejeté à 58,72 % cette initiative - lors de la votation populaire du 5 juin 2016, la loi pour une mobilité cohérente et équilibrée du 5 juin 2016 (LMCE - H 1 21) a pour but de préciser la mise en oeuvre des principes relatifs à la mobilité énoncés à l'art. 190 Cst-GE (art. 1 LMCE).

Selon l'art. 3 al. 1 LMCE, la politique globale de la mobilité répond à la demande de mobilité de façon différenciée selon les usages. Elle s'appuie sur un réseau d'infrastructures conçu et organisé dans le respect de la hiérarchie du réseau routier, comprenant notamment (art. 3 al. 2 LMCE) : un réseau cyclable structuré, continu et sécurisé couvrant l'ensemble du territoire de l'agglomération (let. d). Le chapitre II de la LMCE, intitulé « Complémentarité et liberté individuelle du choix du mode de transport », règle cette thématique en posant des principes (art. 5), en définissant des zones (art. 6) et en fixant la priorisation différenciée des modes de transport par zone (art. 7).

d. Cet appareil législatif est complété par la loi sur la mobilité du 23 septembre 2016 (LMob - H 1 20), laquelle a pour but de définir la politique globale de la mobilité et de coordonner la planification et la mise en oeuvre des différentes thématiques en matière de mobilité, entre elles et avec d'autres politiques publiques (art. 1 LMob). Selon ce texte, le système de transport est organisé de sorte à répondre aux besoins de mobilité, à garantir la sécurité de tous les modes de déplacement, à préserver l'environnement, à favoriser les économies d'énergie et l'usage des énergies renouvelables, et à assurer l'attractivité économique du canton (art. 2 al. 2 LMob). La politique globale de la mobilité vise à favoriser l'usage des transports collectifs et de la mobilité douce, tout en proposant une offre de mobilité pour le transport individuel motorisé et professionnel répondant aux besoins en déplacement (art. 4 al. 2 LMob).

e. En cas de conflit de normes s'appliquent trois règles classiques principales : lex superior derogat inferiori (la norme supérieure prime la norme inférieure), lex specialis derogat generali (la norme spéciale prime la norme générale), et lex posterior derogat anteriori (la norme postérieure prime la norme antérieure).

La primauté du droit supérieur découle du principe de la hiérarchie des normes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_736/2010 du 23 février 2012 consid. 6.3). En présence de règles de droit contradictoires de rangs différents, le juge est tenu de se conformer à la règle supérieure. Entre les principes lex specialis derogat generali et lex posterior derogat anteriori, il n'existe pas de hiérarchie stricte (ATF 134 II 329 consid. 5.2). Il est néanmoins incontesté que le rapport de spécialité entre deux normes n'est pas toujours facile à déterminer, et qu'il doit le cas échéant être dégagé selon les règles classiques de l'interprétation juridique. Par ailleurs, si la question du caractère postérieur d'une norme par rapport à une autre est généralement plus facile à établir, il n'en est pas moins nécessaire de se demander le cas échéant si le nouveau droit visait bien à matériellement « abroger » l'ancien (ATA/1000/2014 du 16 décembre 2014 consid. 11 et les références citées).

f. Il ressort des dispositions et des principes rappelés ci-dessus que, dans le cadre législatif actuellement en vigueur, la mobilité douce, et notamment les aménagements piétonniers et cyclables, ont une importance certaine. Cependant, et contrairement à ce que semble soutenir la recourante, ils ne priment pas systématiquement sur l'ensemble des autres moyens de transport, en particulier les voitures et les véhicules de transport public. L'analyse de ces priorités doit en conséquence être faite de cas en cas, en tenant compte des spécificités de l'artère étudiées.

g. À Genève, l'OCT se fonde, en général, sur les normes VSS. Si les services spécialisés peuvent s'y référer, ces normes ne constituent pas des règles de droit et ne lient en principe pas les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 1C_430/2015 du 15 avril 2016 consid. 3.2). Leur application doit respecter les principes généraux du droit, dont en particulier celui de la proportionnalité (ATA/588/2017 du 23 mai 2017 ; ATA/758/2016 précité; ATA/98/2012 du 21 février 2012 et les références citées ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, Aménagement du territoire, construction, expropriation, 2001, p. 326 n. 703).

4) En l'espèce, l'OCT a préavisé favorablement le réaménagement de l'avenue de Bel-Air s'agissant d'y trouver à l'avenir deux voies de circulation, sur lesquelles circulent d'ores et déjà des bus TPG, deux bandes cyclables continues et des places de stationnement encastrées dans les trottoirs. Conformément à ce projet, seuls cinq arbres devront être abattus sur les soixante-quatre tilleuls qui longent l'avenue de part et d'autre sur toute sa distance à compter de l'arrêt des TPG Petit-Bel-Air. L'OCT est composé de spécialistes en matière de transports et est l'instance compétente pour examiner et mettre en oeuvre les principes de mobilité douce. La recourante ne conteste pas ce préavis ni la finalité de l'autorisation de construire, mais oppose le projet souhaitable selon elle comportant la création de deux pistes cyclables, subsidiairement une et une bande cyclable. Le département a suivi le préavis favorable de l'OCT, étant relevé que tous les autres l'ont également été.

Un transport sur place a permis de confirmer l'appréciation de la situation faite par le TAPI. Il en ressort que la création des deux pistes cyclables souhaitées par la recourante ne serait possible que dans la configuration du début de la chaussée côté clinique de Belle-Idée jusqu'à l'arrêt TPG Petit-Bel-Air, qui a vu, de part et d'autre, ses arbres abattus, les places de stationnement supprimées et les trottoirs rétrécis.

La « bande cyclable » actuelle évoquée par la recourante, est un aménagement cyclable, situé en partie d'un seul côté de la chaussée, discontinu, étroit (moins de 1.30 m selon les endroits) et frôlant les grilles des arbres ou le stationnement existant, étant relevé que certains arbres ont effectivement poussé penchés, en empiétant sur la chaussée.

La largeur de l'avenue est de 16 m, se décomposant d'une chaussée de 8.65 m de large, de grilles bétonnées (fosses) de chaque paire d'arbres d'une largeur de 1.8 m, ainsi que de trottoirs d'une largeur comprise entre 1.75 et 2 m. Il n'est pas contesté que selon les normes VSS 640 200, 640 201 et 640 202, la largeur minimale de la chaussée pour les axes utilisés par des transports en commun est de 7 m. Dans la mesure où la largeur minimale des pistes cyclables revendiquées par la recourante est de 1.5 m, soit 3 m au total, la voie utilisable par les bus devrait être réduite à 5.65 m, ce qui impliquerait, vu les normes VSS, la suppression de la ligne TPG, amenée notamment à desservir les futurs Communaux d'Ambilly, outre la clinique de Belle-Idée. Une telle suppression n'est pas envisageable, la liaison en cause répondant indéniablement à un intérêt public important.

Ainsi, quand bien même la recourante s'en défend, du fait de la largeur de la chaussée de l'avenue de Bel-Air, la création de deux pistes cyclables ne pourrait aller sans réduire celle des trottoirs, et/ou supprimer les places de stationnement - étant relevé que contrairement à ce qu'elle soutient, il n'en est pas prévu de nouvelles mais au contraire d'en supprimer cinq - et/ou abattre la rangée de tilleuls s'y trouvant, à tout le moins sur l'un des côtés de la chaussée. L'abattage desdits arbres nuirait sans conteste à l'aspect paysager de cette avenue typique de par ses deux rangées de tilleuls et au poumon vert qu'ils constituent dans ce milieu urbanisé. Or, l'abattage des arbres est un problème notoirement sensible notamment à Genève, en matière d'impératif environnemental et climatique, passant par la végétalisation et sa conservation.

Il s'agit ainsi en l'espèce typiquement d'un cas dans lequel la loi permet au département d'autoriser, pour permettre toutes les formes de mobilité devant coexister, la réalisation de deux bandes cyclables accompagnées d'aménagements sécurisant la mobilité douce. Il s'agira indéniablement en l'espèce d'une amélioration de la situation des cyclistes, la création d'îlots centraux pour les piétons ayant aussi pour finalité leur sécurisation. La configuration prévue est ainsi conforme à la politique globale de la mobilité que l'autorisation de construire litigieuse concrétise, ainsi qu'à la LMD.

Au vu des éléments qui précèdent, le département n'a pas fait un usage excessif ou abusif de son pouvoir d'appréciation pour octroyer l'autorisation querellée, suivi par le TAPI, également composé de spécialistes.

5) Partant, le recours sera rejeté.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'200.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la commune, à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 janvier 2020 par l'association Pro Vélo Genève contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 novembre 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'200.- à la charge de l'association Pro Vélo Genève ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la Commune de Chêne-Bourg, à la charge de l'association Pro Vélo Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sébastien Voegeli, avocat de la recourante, à Me Pascal Erard, avocat de la commune de Chêne-Bourg, au département du territoire-oac, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :