Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/19228/2021

ACPR/824/2022 du 23.11.2022 sur OCL/859/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : INFRACTIONS CONTRE LE DOMAINE SECRET;MENACE(DROIT PÉNAL);PLAINTE PÉNALE;DÉLAI;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;DÉPENS;PLAIGNANT
Normes : CPP.319; CP.179septies; CP.180; CP.31; CP.174; CP.173; CP.177; CPP.433.al1.letb

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19228/2021 ACPR/824/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 23 novembre 2022

Entre

A______, domiciliée ______ [VD], comparant par Me Antonella CEREGHETTI, avocate, Grand-Chêne 8, case postale 7283, 1002 Lausanne,

recourante,

 

contre l'ordonnance rendue le 31 mai 2022 par le Ministère public

et

B______, domicilié ______ [VS], comparant en personne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 11 juillet 2022, A______ recourt contre l'ordonnance datée du 31 mai précédent, envoyée le 28 juin 2022 et notifiée le lendemain, aux termes de laquelle le Ministère public a/l’a :

·           classé la procédure à l'égard de B______ pour les infractions de viol (art. 190 al. 1 CP), actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), diffamation (art. 173 CP) et calomnie (art. 174 CP; chiffre 1 du dispositif);

·           laissé les frais de la cause à la charge de l'État (ch. 2);

·           refusé de lui allouer une indemnité pour ses dépens (ch. 3);

·           renvoyée à agir par la voie civile pour faire valoir ses prétentions contre le prénommé (ch. 4).

Elle conclut, sous suite de frais et équitable indemnité de procédure, à l'annulation de cette décision, la cause devant être retournée au Procureur afin qu’une instruction soit menée "conformément aux considérants de l’arrêt à venir".

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ ont, à plusieurs années d’intervalle, entretenu deux relations amoureuses.

Aux dires de la prénommée, la première a eu lieu entre août 2004 et janvier 2007, à Genève, et la seconde, entre avril 2017 et juin 2018, à Lausanne.

Après leur dernière séparation, les précités sont restés en contact, échangeant des messages téléphoniques occasionnels.

b.a. Le 17 février 2021, A______ s’est rendue dans un poste de police pour y déposer plainte contre B______, aux motifs que ce dernier lui avait, lors d’une discussion WhatsApp intervenue le 7 précédent, notamment : envoyé – sans qu’elle fût d’accord – deux vidéos à caractère pornographique, l'une où il entretenait des relations sexuelles avec une partenaire et l'autre où il se masturbait; raconté avoir eu des rapports sexuels avec elle [durant leur première relation] alors qu'elle était endormie ou inconsciente; affirmé que certaines de leurs connaissances avaient également profité d'elle en de telles occasions; prétendu disposer de vidéos de ces actes, filmées, soit par lui, soit par lesdites connaissances. Consécutivement à ces messages, elle s’était "sen[tie] mal". B______ lui "a[vait] mis le doute"; il détenait peut-être des images/vidéos d’elle, prises à son insu. Elle était allée "consulter en urgence un psychiatre à l’hôpital de C______".

Elle s’est constituée partie plaignante.

b.b. À l’appui de ses allégués, elle a produit, d'une part, les deux séquences pornographiques sus-évoquées et, d'autre part, la discussion WhatsApp litigieuse. La teneur de certains des messages écrits par B______ est la suivante :

"D______ m'a envoyé la vidéo de fin de soirée, comme on était déchiré" (16h14); "[c]'était barge comme tu comatais" (16h16); "( ) au ______ [GE] on a pu quasi tout faire" (16h45); "[t]'étais sur le lit de côté[.] On avait descendu ton pantalon aussi (16h46); "D______ a merdé parce qu'il était top bourré[.] Il a juste mis le gland un peu" (16h50); "[o]n a baisé ( ) toi[,] moi[,] D______ et sa copine" (16h56-16h58); "[t]e montre la vidéo si tu veux" (16h59); "[c’]était ( ) quand t’avais pris du mdma" (17h00) ; "[c]’est D______ qui a filmé je l’ai vu il y a peu de temps"(17h01) ; "[m]oi j’ai commencé et après D______[.] Il est rentré juste un peu[.] Moi je sais que j’ai joui dans ton cul[.] D______ a aussi enlevé la capote après[.] Pour mieux bander[.]" (17h27-17h30).

"J'ai encore qq vidéo[.] Celle avec le god après la lake parade[.] Pour être franc souvent quand on rentrait de soirée tu étais hs[.] Même l'équipe à F______ on profité (sic)" (17h06-17h08).

"[C]'était cool de couch[er] avec toi quand tu dormais" (17h09); "[o]ui moi quand on était ensemble" (17h10).

b.c. Le 26 mars 2021, A______, sous la plume de son avocate, a qualifié les actes qu’elle reprochait au mis en cause de pornographie (art. 197 CP), d’infractions contre l’intégrité sexuelle [sans autre précision] et d'utilisation abusive d'une installation de télécommunication (art. 179septies CP). B______ lui avait, en outre, lors de la discussion litigieuse, implicitement fait redouter la survenance d’un préjudice, à savoir la possible diffusion des éventuelles images/vidéos qu’il détenait d’elle.

c. Les 17 février et 7 mai 2021, la prénommée a déposé plainte pénale contre B______ du chef de calomnie (art. 174 CP), subsidiairement diffamation (art. 173 CP).

c.a. Dans le second de ces actes – signé par ses soins et expédié, semble-t-il, le 8 mai 2021 –, elle a rappelé avoir déjà dénoncé certains faits contre le prévenu; pour étayer cette affirmation, elle a produit la missive rédigée par son avocate le 26 mars 2021.

c.b. À l’appui de ses deux plaintes, elle a exposé avoir appris, le 9 février 2021, que le mis en cause avait tenu à l’une de leur connaissance commune, soit G______, résidente genevoise, des propos attentatoires à son honneur, récapitulés par cette dernière dans un message – qu’elle joignait à son acte – dont la teneur était la suivante :

"[J]e n'avais plus eu de nouvelles de B______ [B______ [nom de famille]] depuis 12 ans jusqu'à ce qu'il me recontacte via Facebook il y a presque 1 an pour mon anniversaire ( )[.] [S]elon lui, ça faisait sauf erreur environ 1 an que vous n'étiez plus ensemble, après vous être remis ensemble pendant 2 ans... en gros, vous n'étiez ensemble que pour le sexe, et là vous n'étiez plus ensemble mais vous continuiez à vous voir uniquement pour coucher ensemble malgré que tu aies un nouveau copain. Selon lui, tu es devenue une vraie salope qui se tape tout le monde. Tu as d'ailleurs d[û] te taper tout H______ [VS] [lieu où vit B______ et où A______ affirme se rendre régulièrement] ( ). Tu te serais fait refaire la poitrine, mais une poitrine de malade beaucoup trop gros[se], tu fais de la pole dance à fond et tu lui aurais d'ailleurs fait un show pour ses 40 ans... selon ses dires, on aurait dit une vraie pute vu le show que tu leur a[s] fait à lui et à ses potes ( )".

B______ avait tenu des propos similaires à une autre connaissance commune, I______, laquelle vit également à Genève.

d.a. Le 22 juin 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre le prénommé pour infractions aux art. 190, 191, 197 al. 2 et 174 CP.

d.b. Entendue par la police et le Ministère public, A______ a confirmé ses plaintes, spécifiant que B______ avait un "très gros appétit sexuel". Durant leur première cohabitation, plus particulièrement entre le printemps 2005 et décembre 2006, il était arrivé dix ou quinze fois qu’elle se réveillât en pleine nuit, alors que son compagnon était en train de la pénétrer. Tantôt elle lui avait signifié son refus, et il s’était interrompu, tantôt elle s’était "laiss[ée] faire", par gain de paix, le prénommé pouvant se montrer très insistant. Dans ses messages du 7 février 2021, il avait prétendu détenir des vidéos se rapportant à d’autres évènements, survenus pendant la même période. Il n’était pas exclu qu’elle ait pu être été violée et filmée à son insu. Elle redoutait que ces vidéos existent et que B______ les diffuse. Elle était suivie par une psychologue.

En automne 2019, I______ l'avait contactée car elle recevait des messages de B______ lui racontant leurs prétendues "pratiques sexuelles". À cette suite, elle-même avait adressé un message à son ex-compagnon pour lui demander de cesser ses agissements; il s’était excusé, prétextant avoir "trop bu". En mars 2020, le prénommé avait contacté G______ pour lui parler d’elle; il l’avait dépeinte comme une prostituée. Elle s’était sentie d’autant plus salie et bafouée qu’elle était mariée et mère d’un enfant d’une année.

d.c. Entendue le 26 juillet 2021, I______ a expliqué que B______ l’avait contactée via Messenger après sa seconde séparation d’avec A______, soit il y avait trois ou quatre ans. Il lui avait dit qu'elle ne connaissait pas "une certaine partie de la vie privée de A______", que cette dernière "faisait des choses" qu’elle était loin de soupçonner et qu’ils avaient "fait des choses à plusieurs". Elle ne se souvenait pas exactement des termes qu’il avait employés. À cette époque, elle avait demandé à A______ d’intervenir auprès du prévenu pour qu’il arrête de l’importuner. Il lui semblait que cette dernière l’avait appelé. Le prénommé avait mis un terme à ses agissements.

d.d. Pour sa part, G______ a confirmé que B______ lui avait tenu, courant mars 2020, les propos cités à la lettre B.c.b ci-dessus, ce dont elle avait informé A______ au mois de mars 2021. Elle a ajouté que le prénommé – qui avait employé le terme de "pute" pour parler de son ex-compagne – lui avait demandé, à une reprise, si elle-même pouvait trouver, pour A______, des bas résille, celle-ci souhaitant se déguiser, lors d’une fête, en "infirmière salope".

d.e. Entendu en qualité de prévenu, B______ a reconnu avoir envoyé deux vidéos à caractère pornographique à A______, le 7 février 2021. Sur l’une d’elles, on le voyait avoir des relations sexuelles avec son amie du moment; sur l’autre, il se masturbait. Il avait agi ainsi pour rendre jalouse son ex-compagne et "la faire chier". Il avait honte de ce qu’il avait fait; il était "bourré". Il n’avait jamais contraint sexuellement A______. Il ne l’avait ni pénétrée pendant qu'elle dormait, ni filmée lors de leurs rapports sexuels. Il ne détenait aucune vidéo la mettant en scène. S’il lui avait affirmé le contraire c’était "pour l’embêter"; "elle était tellement bourrée des fois que c'était pour la faire douter". Il regrettait ses agissements, pour lesquels il s’était excusé auprès de l'intéressée le 8 février 2021.

Il a nié avoir tenu à I______ les propos relatés par cette dernière. Il avait effectivement dit à G______ que A______ avait "fait la pute à H______" car tel était le cas, selon lui. En effet, elle avait, en cet endroit et "durant une année", "été à gauche et à droite"; elle buvait énormément d'alcool à l’époque et se "mettait dans des comas éthyliques"; elle allait dans un endroit "qui était comme une auberge espagnole"; il l’avait vue "fricot[er]" avec des gens à H______ et d’autres personnes le lui avaient également rapporté; elle était ivre et "se laissait faire" ; il connaissait deux personnes qui avaient "couché" avec elle ; "[c]’était un peu une fille facile de faire cela". En revanche, il n’avait jamais tenu les autres propos qu’G______ lui prêtait ("augmentation mammaire", pole dance et "infirmière salope").

e. Par avis de prochaine clôture du 29 mars 2022, le Ministère public a informé les parties qu’il entendait rendre, d’une part, une ordonnance pénale contre B______ du chef de pornographie (art. 197 al. 2 CP) et, d’autre part, une décision de classement pour les infractions aux art. 190, 191, 174/173 CP.

Par missives des 29 avril et 16 mai 2022, A______ a requis que son ex-compagnon soit condamné pour l’entier des faits qu’elle avait dénoncés, lesquels contrevenaient, outre à l'art. 174/173 CP – les infractions contre son intégrité sexuelle semblant être prescrites –, aux art. 179septies et 180 CP [soit, pour cette dernière infraction, la menace implicite de divulguer les vidéos prises à son insu]. Une interdiction de prendre contact au sens de l’art. 67b al. 2 let. a CP devait également être ordonnée. Elle a chiffré à CHF 4'973.80 ses prétentions civiles et requis le versement de dépens totalisant CHF 9'185.05 (art. 433 CPP).

f. Le 28 juin 2022, le Procureur a rendu l’ordonnance pénale sus-évoquée, à laquelle A______ a formé opposition.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que, à supposer que les viols/actes d’ordre sexuels dénoncés par la plaignante aient eu lieu, ils avaient été commis voilà plus de quinze ans, de sorte qu’ils étaient prescrits. Il en allait de même des prétendus propos offensants tenus par B______ à I______, les messages envoyés par celui-là à celle-ci datant, aux dires de l'intéressée, de plus de quatre ans (art. 178 al. 1 CP). Concernant les affirmations faites à G______, le prévenu les contestait et il n'était pas possible de privilégier l’une ou l’autre de leurs déclarations; en tout état, ces propos ne revêtaient pas de caractère attentatoire à l’honneur. Le classement de la procédure s’imposait donc.

Étant donné l’issue du litige, les frais de la cause seraient laissés à la charge de l’État et la plaignante déboutée de sa conclusion tendant à l’octroi de dépens dans la mesure où elle succombait et où le prévenu n'avait pas été astreint au paiement des frais en application de l'art. 426 al. 2 CPP [sans autre développement]. A______ serait renvoyée à agir par la voie civile pour faire valoir ses prétentions contre son ex-compagnon.

D. a. À l'appui de ses recours et réplique, A______ reproche au Procureur d’avoir procédé à une constatation incomplète et erronée de certains faits, omis de statuer sur les art. 179septies, 180 et 67b CP, pourtant invoqués par ses soins, et retenu, à tort, aussi bien que les propos diffamants tenus par le prévenu à I______ seraient prescrits – puisqu’ils avaient été proférés en automne 2019 – que les affirmations faites à G______ – dont B______ reconnaissait une partie – ne porteraient pas atteinte à son honneur.

Par ailleurs, il se justifiait d'imputer les frais de la cause au prénommé – lequel était seul responsable de l’ouverture de la procédure, qu’il avait provoquée de manière illicite et fautive (art, 426 al. 2 CPP) –; corrélativement, elle pouvait prétendre à la prise en charge de ses dépens par le prévenu (art. 433 al. 1 let. b CPP). Le Ministère public avait négligé de transmettre à B______ ses prétentions civiles afin que ce dernier puisse se déterminer à leur sujet et éventuellement les admettre (notamment sur le principe), la contraignant ainsi à engager une nouvelle procédure.

b. Invité à se déterminer, B______ n’a pas retiré les plis recommandés qui lui ont été adressés par la Chambre de céans.

c. Pour sa part, le Ministère public persiste dans les termes de sa décision s’agissant de l’infraction à l'art. 174/173 CP et s’exprime sur celles aux art. 179septies et 180 CP, qu’il tient pour non réalisées.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de classement, décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP; art. 128 LOJ/GE), et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à voir poursuivre les prétendues infractions commises contre son intégrité sexuelle (art. 190/191 CP) – la recourante concluant à l’annulation de la décision déférée, sans nuance –, son domaine privé (art. 179septies CP), sa liberté (art. 180 CP) et son honneur (art. 173 et ss CP), respectivement à obtenir l’octroi de dépens (art. 433 al. 1 let. b CPP).

2. 2.1. La juridiction de recours revoit librement les points de la décision attaqués devant elle (art. 385 al. 1 let. a CPP), les autres aspects, non remis en cause, demeurant tels que fixés par le premier juge (ACPR/319/2022 du 5 mai 2022 consid. 2.2.1; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 385).

2.2. En l’espèce, la recourante ne revient pas, dans ses développements, sur les prétendues infractions commises contre son intégrité sexuelle entre le printemps 2005 et décembre 2006. À juste titre, celles-ci étant prescrites (le délai de quinze ans [prévu tant par l’art. 70 al. 1 aCP, applicable à l’époque des faits, que par l’art. 97 al. 1 let. b CP actuellement en vigueur] étant arrivé à échéance entre mi-2020 et fin 2021). Il n’y a donc pas lieu d’y revenir.

3. La recourante dénonce une constatation erronée des faits par le Ministère public (art. 393 al. 2 let. b CPP).

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit, en fait et en opportunité (art. 393 al. 2 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_143/2022 du 30 août 2022 consid. 2), les éventuels constats inexacts entachant la décision querellée auront été corrigés dans l'état de fait établi ci-avant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4. La recourante reproche au Procureur de ne pas s’être prononcé sur trois dispositions légales invoquées par ses soins.

4.1.1. L'art. 179septies CP réprime quiconque aura utilisé abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou l’importuner. L’art. 180 CP sanctionne toute personne qui aura, par une menace grave, alarmé ou effrayé un individu. Ces deux infractions se poursuivent sur plainte.

4.1.2. Le droit de déposer plainte est de nature strictement personnelle (ATF 141°IV°380 consid. 2.3.4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_139/2021 du 9 juin 2021 consid. 3.1).

Si une procuration générale conférée à un représentant suffit pour dénoncer une atteinte à des droits matériels – comme c’est le cas, par exemple, en matière de violation de domicile –, une procuration spéciale donnée en vue du cas concret, ou la ratification de la plainte par le lésé dans le délai de trois mois (art. 31 CP), est nécessaire s'agissant d'actes qui compromettent des biens immatériels strictement personnels, tels que la liberté (ATF 122 IV 207 consid. 3c; ATF 103 IV 71 consid. 4b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_139/2021 précité).

4.2. Selon l’art. 67b al. 1 CP, quand l’auteur a commis un crime/délit contre une ou plusieurs personnes déterminées, le juge peut ordonner une interdiction de contact d’une durée de cinq ans au plus, s’il y a lieu de craindre qu’il commette une nouvelle infraction à l’égard de ces personnes.

4.3.1. L'obligation de motiver, telle qu'elle découle du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst féd. et 3 al. 2 let. c CPP), est respectée lorsque le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF
146 II 335 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1012/2021 du 7 septembre 2022 consid. 3.1.1), de manière à ce que le justiciable puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1012/2021 précité).

4.3.2. Une motivation implicite est parfois admissible (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1012/2021 précité).

Tel n’est toutefois pas le cas en matière de classement implicite, l’absence de décision formelle constituant une atteinte grave aux droits procéduraux des parties, singulièrement à celui d'obtenir un acte motivé. Une telle violation ne peut être guérie dans la procédure de recours stricto sensu; la pratique de la Chambre de céans veut, en pareilles circonstances, que la cause soit renvoyée à l’instance précédente pour qu’elle rende une ordonnance (ACPR/261/2022 du 21 avril 2022, consid. 4.4 in fine; cf. également arrêts du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8 et 6B_84/2020 du 22 juin 2020 consid. 2.1.2).

4.4.1. In casu, l'on déduit de la déposition faite par la recourante à la police le 17 février 2021 que certains des messages litigieux l’ont inquiétée. Sa plainte englobait donc l’infraction à l’art. 179septies CP.

Or, le Procureur ne se prononce pas sur cette infraction, que ce soit dans son ordonnance pénale ou sa décision déférée. Il a, en conséquence, ordonné un classement implicite. Ce faisant, il a violé le droit d’être entendu de la recourante, violation que ses observations devant la juridiction de céans sont impropres à réparer.

4.4.2. La plainte du 17 février 2021 ne portait en revanche pas sur l’infraction à l’art. 180 CP – disposition qui protège la liberté, soit un bien strictement personnel –, la recourante n’ayant à aucun moment fait état d’une crainte de voir les éventuelles vidéos d’elle, prises à son insu, diffusées auprès de tiers. Dite crainte a été invoquée, pour la première fois, par son avocate, dans la missive du 26 mars 2021.

Le Ministère public ne traite, cependant, ni de la validité de cette dénonciation (au regard des critères exposés au considérant 4.1.2 ci-dessus), ni de la réalisation des éléments constitutifs de la norme précitée.

Il a donc, ici aussi, ordonné un classement implicite.

4.4.3. Partant, le recours se révèle fondé sur ces deux points. La cause sera, en conséquence, renvoyée au Procureur pour qu’il rende une décision formelle concernant les éventuelles infractions aux art. 179septies et 180 CP.

4.5. Il est exact que la décision entreprise est muette s’agissant de l’art. 67b CP.

Le Ministère public a toutefois implicitement rejeté l’application de cette norme, faute d’infraction retenue contre le prévenu. Il n’y a donc pas de place pour une violation du droit d’être entendu sur ce point.

5. La recourante estime qu’il existe une prévention suffisante, contre le prévenu, d’infraction à l’art. 174/173 CP.

5.1.1. La procédure doit être classée lorsqu’il est établi que certaines conditions à l’ouverture de l’action pénale ne peuvent pas être remplies ou que des empêchements de procéder sont apparus (art. 319 al. 1 let. d CPP).

5.1.2. Tel est le cas lorsque l'action pénale est prescrite (ACPR/497/2022 du 26 juillet 2022 consid. 7.1.1), respectivement lorsqu’une plainte requise par le droit matériel n'a pas été (valablement) déposée (ATF 136 III 502 consid. 6.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_139/2021 du 9 juin 2021 consid. 2).

Les infractions contre l'honneur (art. 173, 174 et 177 CP) se poursuivent sur plainte, acte qui doit être déposé dans le délai de trois mois prévu par l'art. 31 CP, applicable par le renvoi de l'art. 178 al. 2 CP. Ce délai est "déclenché" par la connaissance de l'auteur et de l'acte délictueux (ATF 144 IV 161 consid. 2).

5.2.1. La procédure doit aussi être classée lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réalisés (art. 319 al. 1 let. b CPP). Cette condition s’interprète à la lumière du principe in dubio pro duriore, selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Le procureur et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_378/2022 du 3 mai 2022 consid. 2.1).

5.2.2. Quiconque, en s'adressant à un tiers, le cas échéant par écrit (art. 176 CP), aura accusé une personne, ou jeté sur elle le soupçon, de tenir une conduite contraire à l'honneur se rend coupable de diffamation (art. 173 CP). Le prévenu n'encourra aucune peine s'il prouve que les allégations qu'il a articulées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies (art. 173 al. 2 CP); il ne sera cependant pas admis faire ces preuves s’il s’est exprimé sans motif suffisant et a agi principalement pour dire du mal d’autrui (art. 173 al. 3 CP).

Si l’auteur connaît la fausseté de ses allégations, il commet une calomnie (art. 174 CP).

L'art. 177 CP réprime le comportement de celui qui aura, de toute autre manière, injurié autrui.

L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer l’individu visé au mépris en sa qualité d'homme (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_15/2021 du 12 novembre 2021 consid. 2.1.2). Un écrit doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 145 IV 462 précité, consid. 4.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_15/2021 précité).

Constituent des injures les termes de "pute" (AARP/136/2022 du 2 mai 2022, consid. 6.2) et de "salope" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_87/2013 du 13 mai 2013 consid. 4.3).

5.3. En l’occurrence, la question de savoir si les propos prétendument tenus par le prévenu à I______ l’ont été en automne 2019 (comme le soutient la recourante) ou en juin 2018 (soit juste après la seconde séparation des parties, ce que le Ministère public semble avoir retenu) – et partant si l’action pénale y relative est prescrite – souffre de demeurer indécise.

En effet, la recourante savait, en automne 2019, que son ex-compagnon avait raconté à la prénommée leurs soi-disant "pratiques sexuelles", puisqu’elle a affirmé lui avoir enjoint, à cette époque, de cesser de tenir de tels propos.

Aussi le délai pour porter plainte à leur sujet échoyait-il à fin 2019 ou début 2020. Les dénonciations des 17 février et 7 mai 2021 étant tardives, il existe bien un empêchement de procéder.

Le classement sera donc confirmé sur ce point, par substitution de motif (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1335/2015 du 23 septembre 2016 consid. 2.3 et 1B_137/2012 du 25 juillet 2012 consid. 4.3).

5.4. Le prévenu admet avoir dit à G______ que son ex-compagne avait "fait la pute à H______", au motif qu’elle aurait été, en cet endroit et "durant une année", "à gauche et à droite".

Une telle assertion est propre à exposer la recourante – qui a porté plainte à cet égard dans le délai requis – au mépris et lèse le droit au respect dont elle peut se prévaloir. Elle porte donc, a priori, atteinte à son honneur.

Rien ne permet, à ce stade, de considérer que le prévenu pourrait se prévaloir de la preuve libératoire de l’art. 173 al. 2 CP, l’instruction n’ayant pas porté sur cet aspect (l’intéressé ayant uniquement allégué être intimement convaincu de la réalité de ses accusations). Une infraction à l’art. 174 CP n’est pas non plus d’emblée exclue.

Contrairement à l’opinion du Ministère public, il est plausible que le prévenu ait pu tenir à la prénommée les autres propos litigieux ("augmentation mammaire" démesurée, pole dance suggestive et "infirmière salope"). En effet, outre que G______ n’a aucun intérêt à énoncer des contrevérités, les scènes que le prévenu lui aurait décrites illustrent le comportement que ce dernier prête à la recourante (à savoir celui de "faire la pute"). Replacés dans ce contexte, lesdits propos sont aussi susceptibles de porter atteinte à l’honneur de l’intéressée.

Les conditions de l’art. 319 al. 1 let. b CPP ne sont, en conséquence, pas réunies. Partant, le chiffre 1 du dispositif de l’ordonnance attaquée sera annulé, en tant qu'il porte sur les (prétendues) affirmations du prévenu à G______ (art. 173 et ss CP), et la cause renvoyée au Procureur pour complément d’instruction.

6. La recourante sollicite l'octroi de dépens pour la procédure préliminaire.

6.1.1. L'art. 433 al. 1 CPP permet à la partie plaignante de demander au prévenu une juste indemnité pour ses honoraires d'avocat lorsqu'elle obtient gain de cause (let. a) ou que le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 CPP (let. b).

6.1.2. D'après cette dernière norme, quand la cause est classée, tout ou partie des frais peuvent être imputés au prévenu s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure.

À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais concernés, entre en ligne de compte. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation de ces frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement, écrite ou non, résultant de l'ordre juridique suisse (ATF 144 IV 202 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1011/2018 du 11 décembre 2018 consid. 1).

6.2. La Chambre de céans est habilitée, lorsque l’absence de motivation suffisante d’une décision l’empêche de statuer, à renvoyer d’office la cause au Ministère public (cf. ACPR/177/2022 du 10 mars 2022, consid. 9.2 et 9.3; ACPR/752/2019 du 27°septembre 2019, consid. 2; ACPR/597/2017 du 1er septembre 2017, consid. 4.3).

6.3. Dans la présente affaire, le Procureur a refusé d’indemniser la recourante, au motif que l’art. 426 al. 2 CPP était inapplicable.

Faute d’avoir explicité cette affirmation, l’on ignore pourquoi il a nié – au sujet des points qui sont définitivement classés et des frais y relatifs – l’existence d’un acte illicite et fautif éventuellement imputable au prévenu.

La Chambre de céans – qui n’a pas à rechercher d’elle-même ce qu’il en est (cf. à cet égard ACPR/177/2022 précité) – ne peut donc exercer son contrôle sur l’argument soulevé par la recourante (prétendue réalisation des réquisits de la norme précitée).

Les chiffres 2 et 3 du dispositif de la décision attaquée seront donc annulés et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il rende une décision motivée sur les frais de la cause liés aux infractions classées, respectivement sur les éventuels dépens dus à la plaignante.

7. La recourante fait grief au Ministère public d’avoir omis de transmettre au prévenu ses prétentions civiles en lien avec les faits classés afin qu’il puisse se déterminer à leur sujet.

7.1. Le classement ôte au juge pénal la faculté de statuer sur des conclusions civiles(art. 126 al. 2 let. a et 320 al. 3 CPP). La partie plaignante se voit donc contrainte d’agir devant une autre juridiction (M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 12 ad art. 320).

7.2. À l’aune de ces principes, le Procureur, qui ne pouvait statuer sur les prétentions de la recourante, n’avait pas à les soumettre au prévenu.

Du reste, rien n’empêche l’intéressée, s'agissant des points définitivement classés, d’agir elle-même en ce sens.

Le grief doit donc être rejeté.

8. L’admission partielle du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

Les sûretés versées par la plaignante (CHF 1'000.-) lui seront, en conséquence, restituées.

9. Bien que représentée par un avocat, la recourante, partie plaignante, n'a pas chiffré ni justifié sa demande d'équitable indemnité, au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point allouée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours en tant qu’il vise la décision de classement implicite relative aux infractions alléguées aux art. 179septies et 180 CP.

Admet partiellement le recours, dans la mesure où il porte sur la décision de classement explicite, et annule le chiffre 1 du dispositif de cette ordonnance – en lien avec les propos (prétendument) tenus par B______ à G______ (art. 173 et ss CP) – ainsi que les chiffres 2 et 3 de ce même dispositif.

Renvoie, en conséquence, la cause au Procureur pour qu’il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l’État.

Restitue à A______ les sûretés versées en CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la prénommée, soit pour elle son conseil, à B______ ainsi qu’au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de droit :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).