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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/346/2024

JTAPI/1084/2024 du 05.11.2024 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : PERMIS DE DÉMOLIR;RECENSEMENT;COORDINATION(AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE OU ENVIRONNEMENT);OBJET DU LITIGE
Normes : LCI.3.al3; LCI.3A; LCI.15.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/346/2024 LCI

JTAPI/1084/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 31 octobre 2024

 

dans la cause

 

VILLE DE A______

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

B______ SA, représentée par Me Claire BOLSTERLI, avocate, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             C______ SA (ci-après : la propriétaire) est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de A______ (ci-après : la commune), à l’adresse ______[GE].

Elle est également propriétaire des deux bâtiments (F2______ et F3______) érigés sur cette parcelle qui se trouvent pour partie en zone 2 et pour partie en zone 3.

2.             Le 5 juin 2023, la propriétaire, soit pour elle, B______ SA, a déposé auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département), par le biais de son mandataire, une demande d’autorisation de démolir le bâtiment F3______.

Dans sa lettre d’accompagnement, il a notamment exposé le projet dans sa globalité. En effet, une demande d'autorisation de construire, enregistrée sous le n° DD 4______, portant sur la rénovation partielle du bâtiment F2______ et la construction d'un nouvel immeuble mixte en lieu et place du bâtiment F3______, avait été déposée en parallèle.

En l’état, les bâtiments F2______ et F3______ étaient composés de deux niveaux en sous-sol, d’un rez inférieur (accès sur la ______), d’un entresol, d’un rez supérieur (accès sur cour) et de cinq étages. Le bâtiment F2______ comportait, en sus, un sixième étage en attique.

Le projet était issu d’un concours privé organisé par le maître de l’ouvrage. Il avait pour but d’assainir l'enveloppe thermique du bâtiment F2______, les cuisines, les salles de bains et les locaux techniques. Le bâtiment F3______ et ses sous-sols seraient démolis, à l’exception des murs d’enceinte des sous-sols. À la place, un bâtiment à affectations mixtes (logements, bureaux et commerces) dans les étages, deux niveaux de sous-sols abritant un parking, des locaux techniques, un abri PC et des caves seraient construits.

Le nouveau bâtiment F3______ accueillerait une arcade commerciale au rez inférieur, des espaces de bureaux à l’entresol et au rez supérieur, ainsi que 21 nouveaux logements du rez supérieur au cinquième étage.

S’agissant du bâtiment F2______ cinq nouveaux logements seraient créés par division de deux grands appartements existants et la création d’une annexe latérale.

Le maître de l'ouvrage souhaitait réaliser un projet durable et renoncer aux énergies fossiles. La structure du nouveau bâtiment F3______ serait ainsi en bois avec des dalles mixte (bois-béton) fondée sur un sous-sol et les premiers deux étages en béton. Le nouveau bâtiment et le bâtiment rénové avaient respectivement obtenus, les labels Minergie provisoire et Minergie rénovation provisoire.

Cette demande a été enregistrée sous le n° M 5______.

3.             Lors de l’instruction de la requête M 5______, les instances suivantes ont notamment préavisé le projet :

-          le 12 juin 2023, l’office de l’urbanisme et la direction des autorisations de construire ont chacun émis un préavis favorable, sans observation ;

-          la direction de l’information du territoire, l’office cantonal des transports et les Transports publics genevois ont préavisé favorablement le projet, sous conditions, respectivement les 12 juin, 3 juillet et le 11 juillet 2023 ;

-          le 8 août 2023, le service de géologie, sols et déchets (ci-après : GESDEC) a émis un préavis favorable, sous conditions en lien notamment avec : le recyclage des bétons (COD-1), la « Déconstruction-Recyclage du béton (non pollué) » (COD-2), la « Valorisation matière-Réutilisation des matériaux terreux » (COD-3) et la « Protection des eaux souterrains – Nappe d’eau souterraine du domaine public – Mesures lors de la démolition des sous-sols et du radier de base » (COD-4) ;

-          le 28 août 2023, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a préavisé favorablement le projet, sous conditions, précisant qu’il s’agissait d’un bâtiment construit en 1970, recensé comme intéressant au recensement architectural cantonal (ci-après : RAC), sous la référence RAC-VGE-6______. Suite à la consultation du service de l'inventaire des monuments d'arts et d'histoire (ci-après : E______), le SMS était favorable à « cette démolition partielle (bâtiment F3______ soit la galette de logements et bureaux formant la pointe, compris sous-sols). Sachant qu’une étude patrimoniale mandatée par l’E______ (ci-après : l’étude patrimoniale) est actuellement en cours de réalisation par l’architecte F______, il est demandé en conditions que tous les moyens et accès soient mis en œuvre afin que cette étude puisse se conclure de manière complète et exhaustive » ;

-          le 21 août 2023, la Ville de A______ (ci-après : la ville) a émis un préavis défavorable. « Considérant la valeur de recensement de cet immeuble composé de deux unités (bâtiments F2______ et F3______) et la stratégie climat portée par la Ville de A______, celle-ci n’encourage pas les opérations de démolitions-reconstructions et plaid[ait] pour des solutions de transformation qui ont l’avantage de présenter un bilan carbone nettement moindre et moins de déchets. Ainsi la Ville de A______ demande que le projet soit modifié afin de permettre le maintien de cet ensemble bâti à comprendre comme un socle existant pour la nouvelle construction » (DEF-1). En outre, le requérant devait déposer une demande de permission d’utilisation du domaine public pour l’emprise temporaire de chantier (DEF-2). « Par ailleurs, à l’occasion de la démolition/reconstruction du bâtiment, il conviendrait de supprimer ou de réaligner, à l’intérieur de la parcelle privée, le bac à végétaux qui déborde de 10 à 130 cm sur le trottoir situé à la ______ et le H______ (domaine public communal) » (DEF-3).

L’analyse de ce document a conduit l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC) à retenir qu’il s’agissait d’un préavis favorable, sous conditions. Il a ainsi édité, le 29 août 2023, une copie de ce préavis sur laquelle il a mentionné, en rouge, avoir écarté l’élément qui figurait sous rubrique « DEF-1 » et avoir requalifié les éléments qui figuraient sous rubrique « DEF-2 » et « DEF-3 » en condition à respecter. Il a également précisé que les positions de l’OAC indiquées en rouge « visent à clarifier les problèmes de formes dans les préavis ou à écarter les demandes qui n[‘étaient] pas justifiées par une base légale. Le contenu des préavis formulées par les instances consultées restent inchangés (en noir dans le texte) ».

4.             Par décision du ______ 2023, publiée le jour même dans la Feuille d’avis officielle (ci-après : FAO), le DT a accordé l’autorisation de démolir M 5______, les conditions prévues dans les préavis ou dans les analyses de l’OAC devant être strictement respectées et faisant partie intégrante de la décision.

5.             Par courrier du même jour adressé à la ville, le DT a notamment rappelé que l’autorisation de démolir ne portait que sur le bâtiment F3______ et que le projet prévoyait une rénovation partielle du bâtiment F2______. Quand bien même ces bâtiments avaient été recensés comme « intéressants », ils ne bénéficiaient d’aucune mesure de protection particulière. Le SMS ne s’était d’ailleurs pas opposé à la démolition requise. Il avait seulement exigé que l’étude patrimoniale en cours puisse être achevée.

S’agissant de la solution préconisée par la ville, soit une transformation du bâtiment à la place d’une opération de démolition-reconstruction, elle ne reposait sur aucune base légale. Sous l’angle de la gestion des déchets, le GESDEC avait exigé dans son préavis du 8 août 2023, que des mesures soient prises en matière de recyclage du béton et des autres déchets minéraux.

Concernant enfin les autres exigences de la ville (DEF-2 et DEF-3), elles seraient reprises au titre de conditions.

6.             Par acte du 30 janvier 2024, la ville (ci-après : la recourante) a recouru contre l’autorisation de démolir M 5______ auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation.

Les bâtiments F2______ et F3______ formaient un ensemble cohérent. Ils avaient été réalisés en même temps et par un même architecte. Le RAC leur avait attribué la valeur « intéressant ». Leur qualité architecturale avait été mise en évidence, « avec les effets d'ombre et de lumière créant une animation qui contrebalance la répétitivité de la subdivision modulaire, ainsi que le dialogue qu'il instaure avec le bâtiment voisin en fait un exemple représentatif d’une architecture des années 1970 dans cette portion du quartier ».

L’autorisation M 5______ s’inscrivait dans un projet global en lien avec la DD 4______ qui était toujours en cours d’instruction. À ce jour, les diverses instances consultées avaient demandé la modification du projet et/ou la production de pièces complémentaires.

Le DT avait excédé son pouvoir d’appréciation en écartant le préavis défavorable de la recourante qui se fondait notamment sur la nécessité de sauvegarder l’ensemble construit concerné, pour des raisons patrimoniales.

À cet égard, après avoir décrit les éléments constitutifs du bâtiment et rappelé qu’il était composé de deux unités (F2______ et F3______), le RAC avait notamment retenu que : « Proche de son état d'origine, l'immeuble n'a pas subi de transformations répertoriées, hormis un changement intérieur en 1986 et en 1994 Sa qualité architecturale, avec les effets d'ombre et de lumière créant une animation qui contrebalance la répétitivité de la subdivision modulaire, ainsi que le dialogue qu'il instaure avec le bâtiment voisin en fait un exemple représentatif d'une architecture des années 1970 dans cette portion de quartier. Il est en outre réalisé par I______ et J______, les architectes ayant construit plusieurs grands ensembles à Genève. Ces points confèrent à cet objet une valeur patrimoniale élevée ».

Les deux bâtiments avaient ainsi été recensés comme « intéressants », soit la deuxième plus haute valeur selon l'échelle de recensement, dont il ressortait également que le bâtiment F3______ formait « un tout » avec le bâtiment F2______. Partant, la démolition projetée remettrait en question la valeur de l’ensemble, dont l'évaluation devrait alors être revue et validée par la Commission scientifique cantonale. Il convenait également de préciser que les résultats de ce recensement qui dataient de mai 2022 étaient très récents. Il intégrait des données actuelles qui lui conféraient une valeur accrue.

Le DT avait également violé le principe de coordination en autorisant la démolition du bâtiment F3______, alors que la demande DD 4______ était en cours d'instruction et que les bâtiments concernés formaient un tout selon le RAC. Or, compte tenu de la teneur des préavis émis dans le cadre de l’instruction de la demande DD 4______ et des demandes formulées par les instances consultées, il était probable que cette instruction prenne encore du temps. Or, les deux projets étaient liés, ce qui ressortait d’ailleurs du site « K______ ». La demande DD 4______ contenait en effet un lien vers l’autorisation M 5______, signifiant que le DT lui-même considérait qu’elles étaient liées.

Enfin, l’autorisation litigieuse contrevenait au plan climat cantonal 2030 (ci-après : le PCC 2030 2030) qui visait notamment une réduction de la production des déchets. La législation en vigueur n'imposait certes pas de prendre en compte « l'énergie grise » lors de l'examen des demandes d’autorisation de démolir et de construire. Néanmoins, l'urgence climatique, consacré par le PCC 2030, imposait de privilégier des solutions de rénovation, dont le bilan carbone était nettement inférieur et qui produisaient moins de déchets, plutôt que des opérations de démolition/reconstruction.

7.             Dans ses observations du 30 avril 2024, le DT a conclu, sous suite de frais et dépens, au rejet du recours. Il s’en est rapporté à justice s’agissant de sa recevabilité, tout en relevant qu’il ne s’expliquait pas en quoi la décision litigieuse porterait particulièrement atteinte aux intérêts juridiques et patrimoniaux de la recourante. Elle ne prétendait pas non plus que cette décision l’affecterait dans ses prérogatives de puissance publique ou qu'elle aurait des répercussions immédiates sur la majorité de ses habitants.

Sur le fond, à teneur de la jurisprudence, la mention d'un objet au RAC ne constituait pas une mesure de protection légale. Le RAC n’avait pas de valeur légale et n'impliquait pas l'adoption automatique de mesures de protection (mise à l’inventaire ou procédure de classement). À défaut d’être classée ou portée à l'inventaire, une construction pouvait être démolie même si elle était située dans un secteur ISOS avec objectif de protection A. Or, l’immeuble en cause ne faisait l’objet d’aucune mesure de protection, ce que la recourante reconnaissait.

De plus, contrairement aux allégations de la recourante, le SMS s'était déclaré favorable à la démolition dans son préavis du 28 août 2023, après avoir consulté le service compétent en matière de recensement. Il avait ainsi considéré que la valeur intéressante attribuée à l'immeuble ne faisait pas obstacle à sa démolition.

Dans ces conditions, il ne pouvait être reproché au DT d’avoir abusé de son pouvoir d’appréciation en délivrant l’autorisation attaquée.

Sous l’angle du principe de coordination, il ressortait de l’art. 15 al. 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) a contrario qu’une autorisation de démolir n’était pas subordonnée à la délivrance d'une autorisation de construire et la jurisprudence avait confirmé que la délivrance d'une autorisation de démolir avant celle de construire ne violait pas le principe de coordination.

Quant au PCC 2030, il s’agissait d’un document d’orientation ayant pour principale vocation de proposer une vision et de fixer un cap. Il n’était pas opposable aux tiers et n’avait aucun effet contraignant pour les particuliers. De plus, l’objectif du PCC 2030 cité par la recourante concernait la construction et la rénovation de bâtiments et non pas leur démolition. En tout état, la recourante ne démontrait pas une violation du PCC 2030. Ce grief était ainsi irrecevable.

8.             Le 30 avril 2024, B______ SA (ci-après : l’intimée) a présenté ses observations sous la plume de son conseil.

Comme cela ressortait de l’étude de faisabilité annexée, la structure du bâtiment F3______ ne permettait pas de le surélever, ce qui impliquait la démolition/reconstruction. À cet égard, le SMS avait émis un préavis clairement favorable. De plus, conformément à son souhait, l’étude patrimoniale avait pu être menée à bien et s’était achevée en septembre 2023. Il en ressortait que la valeur « intéressant » avait été attribuée par le RAC aux bâtiments F2______ et F3______ qui ne formaient toutefois pas de véritable unité entre eux. Ils constituaient plutôt « deux volumes distincts qui ne répondaient plus à une logique d'ensemble : cette composition de deux volumes, dont la jonction et la relation semble peu étudiée, dessert la compréhension d'unité architecturale ».

Cela étant, ni la parcelle ni les bâtiments concernés ne bénéficiaient d’une protection particulière et l’étude patrimoniale avait mis en évidence un manque d’unité et de cohérence entre lesdits bâtiments. Ils n’avaient ainsi pas la valeur patrimoniale que la recourante semblait vouloir leur attribuer et ne devaient pas être considérés comme formant un ensemble. Aucun excès du pouvoir d’appréciation ne pouvait être reproché au DT.

Par ailleurs, il n’était pas contesté que l'autorisation de démolir M 5______ et l'autorisation de construire DD 4______ étaient intimement liées. Elles n’étaient toutefois pas soumises expressément l'une à l'autre et le fait que la première, qui concernait un bâtiment abritant uniquement des bureaux, avait été délivrée avant la seconde ne prêtait pas le flanc à la critique, sous l’angle du principe de coordination. Cela correspondait à la pratique du département et était conforme à la jurisprudence et à l’art. 15 al. 3 LCI.

Enfin, rien dans la législation en vigueur n’imposait la prise en compte de l'énergie grise dans le cadre de constructions et de rénovations. La recourante ne pouvait ainsi pas invoquer le PCC 2030, qui n'avait aucune force contraignante, pour s’opposer à l’autorisation litigieuse.

Il convenait toutefois de rappeler que les labels Minergie provisoire et Minergie rénovation provisoire avaient été obtenus et qu’il était prévu d’utiliser du bois dans la structure du nouveau bâtiment, ce qui correspondait à l’un des objectifs du PCC 2030. La future construction serait ainsi assurément respectueuse de l'environnement.

L’intimée a notamment produit les pièces suivantes :

-          un document intitulé « Analyse technique du bâtiment existant F3______ par rapport à sa capacité de supporter un projet de surélévation sans démolir la structure existante » (ci-après : étude de faisabilité) établi le 11 mars 2024 par un bureau d’ingénieurs-conseils de la place ;

-          l’étude patrimoniale datée de septembre 2023.

9.             La recourante a répliqué le 6 juin 2024.

Sa qualité pour recourir contre une autorisation de construire ou de démolir découlait directement de l’art. 145 al. 2 LCI, sans qu’il lui soit nécessaire de démontrer en quoi elle était atteinte dans ses intérêts. Cela étant, dans la présente procédure, elle poursuivait l’intérêt à la défense du patrimoine genevois, la lutte pour la protection du climat et pour le droit de vivre dans un environnement sain, tel que garanti, de façon générale par la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), dont la mise en œuvre à Genève était consacrée par le PCC 2030, ainsi que la bonne application du principe de coordination.

S’agissant de l’étude patrimoniale, si elle nuançait l’unité architecturale des bâtiments F2______ et F3______, il n’en demeurait pas moins qu’elle confirmait leur intérêt patrimonial et notamment, celle de la galette dont la démolition était projetée.

Quant à l’autre étude qui avait pour but d’évaluer la faisabilité de « la réalisation du futur projet », ses conclusions devaient être admises avec retenue car elle avait été réalisée pour les besoins de la cause. En outre, la situation avait été analysée en prenant en compte la construction projetée. À teneur de cette étude, le bâtiment présentait des limitations importantes en termes de capacité portante. « D'un point de vue constructif, l'intensité des efforts supplémentaires est telle qu'il est difficilement envisageable de renforcer les piliers existants » et « l'ampleur de la surélévation qui prévoit une augmentation de 5 niveaux par rapport à l'état existant engendre des efforts qu'il est impossible de reprendre sur la structure existante ». Or, aucune indication n’avait été fournie quant aux mesures à prendre et à leurs coûts ni sur la faisabilité d’un projet de construction moins élevée qui permettrait de conserver la galette.

Même sans considérer les bâtiments F2______ et F3______ comme un ensemble au sens de la LCI, l’étude patrimoniale confirmait la présence de qualités intéressantes, en particulier de la galette, et ses conclusions rejoignaient la position du RAC. Leurs qualités patrimoniales avaient été reconnues par l’ensemble des spécialistes consultés et la démolition avait été autorisée à tort.

Il convenait également de relever l’incohérence de la position des instances cantonales spécialisées en matière patrimoniale. En effet, l’office du patrimoine et des sites avait sollicité une étude patrimoniale des bâtiments en cause tout en préavisant favorablement la démolition de l’un des deux et ce, avant même d’attendre les conclusions de cette étude. Il y avait ainsi lieu de s’interroger sur l’intérêt même de cette étude. Se posait également la question de l’intérêt pour le SMS d’exiger la finalisation d’une étude portant sur un objet dont la démolition était d’emblée admise.

Par ailleurs, cela faisait six mois que l’autorisation de démolir avait été délivrée alors que l’autorisation de construire était toujours en cours d’instruction. Il ressortait également du site « AC-Démat » que la Commission d'architecture (ci-après : CA) avait demandé d'importantes modifications du projet. Un écart de plusieurs mois entre les deux autorisations étant prévisibles, la coordination ne pouvait être qualifiée de « suffisante » au sens de la jurisprudence.

De plus, l’art. 15 al. 3 LCI ne visait pas à régler la question de la coordination des procédures, mais celle de l'esthétique des constructions.

Quant à la jurisprudence citée par l’autorité intimée, elle traitait d’une situation très particulière, sans rapport avec la présente procédure.

Enfin, même si la législation en vigueur n’imposait pas le respect du principe de la réduction de la production de déchets, il ressortait de l’étude de faisabilité que la « galette » était en bon état et qu’aucun état de délabrement n’imposait sa démolition. À cela s’ajoutait que l’étude patrimoniale et le RAC confirmaient la valeur « intéressant » des constructions concernées, et notamment de la galette, ce qui aurait dû conduire le DT a refusé de délivrer l’autorisation litigieuse.

10.         Dans sa duplique du 28 juin 2024, le DT a persisté dans ses conclusions.

Les conclusions que tiraient la recourante des deux études figurant au dossier ne pouvaient être suivies. En effet, l’étude patrimoniale retenait l’intérêt architectural des bâtiments concernés et non pas un quelconque intérêt patrimonial qu'il conviendrait de préserver et elle ne contredisait en rien la position du DT.

Il ne ressortait pas non plus de l’étude de faisabilité que la décision litigieuse serait contraire au droit. Au demeurant, il n’appartenait pas au DT de se prononcer sur une éventuelle variante lorsque le projet qui lui était soumis respectait, comme en l’espèce, les prescriptions du droit de la construction. L'objet du litige se limitait à déterminer si le projet autorisé respectait le droit en vigueur. Il ne portait pas sur la question de savoir si un « meilleur » projet aurait pu être envisagé.

Par ailleurs, la logique du raisonnement de la recourante quant aux comportements incohérents qu’elle avait relevés n’était pas évidente. En tout état, le DT n’était pas lié par les choix d’une instance portant sur des mesures d’instruction ou des préavis. Un excès du pouvoir d’appréciation ne pouvait ainsi lui être reproché.

Sous l’angle de l’art. 15 al. 3 LCI, non seulement la coordination des procédures et la question de l’esthétique des constructions ne s’excluaient pas, mais l’aspect esthétique était particulièrement pertinent en l’espèce, dès lors que la recourante prêtait une telle qualité à la galette.

En outre, il ressortait de la jurisprudence citée par le DT – dont l’application ne se limitait pas au cas jugé – que la délivrance simultanée d’une autorisation de construire et d’une autorisation de démolir ne permettait pas de pallier le risque que la deuxième demeure inexploitée par son bénéficiaire, après la mise en œuvre de la première.

Enfin, la recourante admettait que le PCC 2030 n’était pas opposable aux tiers.

11.         Le 2 juillet 2024, l’intimée a dupliqué, sous la plume de son conseil, concluant, sous suite de frais et dépens, au rejet du recours et à la confirmation de l’autorisation litigieuse.

En substance, il ne ressortait nullement de l’étude patrimoniale que le bâtiment F3______ devait être conservé. Au contraire, son intérêt patrimonial y était fortement relativisé.

Quant à l’étude de faisabilité, elle indiquait que tout projet de surélévation était inenvisageable, y compris une surélévation moins importante que celle prévue par le projet litigieux. La recourante tentait de substituer sa propre appréciation de la situation à celle d'un bureau d'ingénieurs civils largement reconnu de la place et des services spécialisés de l'État.

Sous l’angle du principe de coordination, on peinait à comprendre quel intérêt aurait l’intimée de démolir le bâtiment F3______ avant la délivrance de la DD 4______.

12.         Le détail des pièces produites et des arguments des parties sera repris ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente par la commune sur le territoire de laquelle est situé le bâtiment dont la démolition a été autorisée, le recours est recevable au sens des art. 145 al. 2 LCI et 60, 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

4.             L’objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'elle ou il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/185/2020 du 18 février 2020 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés.

5.             En l’espèce, la recourante conteste l’autorisation M 5______ qui porte uniquement sur la démolition du bâtiment F3______. Dans cette mesure et sous réserve de l’examen du grief relatif à la violation du principe de coordination, les considérations en lien avec la demande d’autorisation de construire DD 4______, et plus particulièrement la question de la faisabilité d’un autre projet, excèdent l’objet du présent litige et ne seront pas examinées.

6.             À teneur de l'art. 1 al. 1 let. c LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation. L'alinéa 7 précise qu'aucun travail ne doit être entrepris avant que l'autorisation ait été délivrée. Si les travaux portent sur une démolition, ils ne peuvent commencer avant l'entrée en force de l'autorisation s'y rapportant.

Dès que les conditions légales sont réunies, le département est tenu de délivrer l’autorisation de construire (art. 1 al. 6 LCI).

7.             Dans un premier grief, la recourante reproche au département d'avoir excédé son pouvoir d'appréciation en délivrant l’autorisation litigieuse, alors qu’elle avait émis un préavis défavorable le 21 août 2023, aux motifs que le bâtiment F3______ avait la valeur « intéressant » au RAC et que sa démolition contrevenait à sa stratégie climatique.

8.             Le RAC a débuté en 1976, suite à l’adoption de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). Selon le site Internet qui lui est dédié, l'opération de recensement vise à renseigner la construction et les transformations des bâtiments, et à comprendre leur évolution, grâce à l'analyse de la documentation ancienne et grâce à l'examen de visu des édifices. Elle permet de déterminer leur valeur patrimoniale. L'étude se concentre sur le patrimoine construit avant 1985, considérant le manque de recul pour estimer la valeur patrimoniale des édifices construits durant les trente dernières années. L'évaluation patrimoniale des objets recensés repose sur une échelle de quatre valeurs : « Exceptionnel », « Intéressant », « Intérêt secondaire », « Sans intérêt ». Celle-ci est fondée sur des critères historiques, artistiques, techniques, urbanistiques et de situation (contexte), rapportés à l'échelle locale, nationale, voire internationale. Sa mise à jour découle de la définition du Plan directeur cantonal 2030 (fiche A 15) (https://genevepatrimoine.ch/home.php consulté le 4 octobre 2024).

Le RAC n'est mentionné par aucune disposition de la LPMNS et la doctrine rappelle qu'il n'est pas un instrument prévu directement par la loi. Il s'agit simplement d'un outil de travail interne à l'administration, permettant à cette dernière de connaître et d'identifier les objets de son territoire, sous l'angle patrimonial (Lucien LAZZAROTTO, La protection du patrimoine, in Bénédict FOËX / Michel HOTTELIER (éd.), La garantie de la propriété à l'aube du XXIe siècle, Expropriation, responsabilité de l'Etat, gestion des grands projets et protection du patrimoine, Genève - Zurich - Bâle 2009 p. 118). Le site Internet précité souligne d'ailleurs son simple caractère d'enquête visant à orienter l'adoption de mesures de protection.

En outre, le RAC recense plus de 46'000 objets dans le canton, ce qui impose de nuancer l’importance à accorder à ses fiches (ATA/826/2022 du 23 août 2022 consid. 11b).

9.             L’art. 3 al. 3 LCI prévoit notamment que les demandes d’autorisation sont soumises, à titre consultatif, au préavis des communes, des départements et des organismes intéressés. L’autorité de décision n’est pas liée par ces préavis.

Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités et n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/486/2023 du 9 mai 2023 consid. 6.1.1 et les références citées).

10.         Selon une jurisprudence constante, les juridictions administratives observent une certaine retenue pour éviter de substituer leur propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/422/2023 du 25 avril 2023 consid. 5.3 ; ATA/1125/2020 du 10 novembre 2020 et les références citées).

11.         Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3). Elle doit en outre utiliser sa marge de manœuvre conformément à ses devoirs en tenant compte du but de la loi, afin de servir au mieux l’intérêt public (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 513 p. 179).

Commet un excès positif de son pouvoir d’appréciation l’autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l’exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d’appréciation dans le cas où l’excès de pouvoir est négatif, soit lorsque l’autorité considère être liée, alors que la loi l’autorise à statuer selon son appréciation, ou qu’elle renonce d’emblée, en tout ou partie, à exercer son pouvoir d’appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_472/2016 du 14 février 2017 consid. 5.1.2), par exemple en appliquant des solutions trop schématiques ne tenant pas compte des particularités des cas d’espèce, que l’octroi du pouvoir d’appréciation avait justement pour but de prendre en considération. On peut alors estimer qu’en refusant d’appliquer les critères de décision prévus explicitement ou implicitement par la loi, l’autorité viole directement celle-ci (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 514 p. 179).

12.         En l’espèce, la recourante s’est déclarée défavorable au projet pour les motifs qu’elle a exposés sous les rubriques DEF-1, DEF-2 et DEF-3 de son préavis du 21 août 2023.

S’agissant de ses demandes relatives au dépôt d’une demande de permission d’utilisation du domaine public (DEF-2) et à la suppression ou au réalignement du bac à végétaux (DEF-3), il ressort du dossier que le DT a requalifié ces éléments en conditions à respecter qui font partie intégrante de la décision litigieuse, comme indiqué dans la publication du 15 décembre 2023 dans la FAO. Il a ainsi donné une suite favorable à ces deux requêtes.

Concernant le grief de la recourante en lien avec le RAC (DEF-1), il convient de distinguer l’intérêt patrimonial du bâtiment F3______, qui fait l’objet de l’autorisation de démolir litigieuse, de celle de l’existence d’une mesure de protection fondée sur une base légale. Or, s’il ressort certes du dossier que le bâtiment F3______, est recensé comme « intéressant » au RAC (fiche RAC-VGE-6______), il n’en demeure pas moins qu’il ne bénéficie d’aucune mesure de protection particulière telle qu’une mise à l’inventaire (art. 7ss LPMNS) ou un classement (art. 10ss LPMNS).

Par ailleurs, le fait que la démolition projetée ne soit pas en accord avec la stratégie climatique poursuivie par la recourante (DEF-1) n’est pas opposable à l’intimée. Cette question sera examinée plus en détails dans les considérants qui suivent. Néanmoins, à ce stade, et sous l’angle de la gestion des déchets, il convient de rappeler que le GESDEC, service spécialisé compétent dans ce domaine, a émis un préavis favorable le 8 août 2023, sous conditions en lien notamment avec le recyclage, la réutilisation et la valorisation des matériaux.

Ainsi, à l’exception de la recourante, l’ensemble des instances consultées ont émis des préavis favorables, en particulier le SMS et le GESDEC. Ces derniers sont non seulement composés de spécialistes disposant des différentes connaissances et compétences utiles pour se prononcer respectivement sur des questions d’ordre patrimoniales et de gestion des déchets dans le respect de l’environnement, mais ils disposent également d’une garantie d’objectivité importante en tant que services publics. Leurs préavis apparaissent ainsi déterminants et rien ne laisse supposer qu'ils auraient pris en compte des éléments sans pertinence pour forger leur conviction ou qu'ils n'auraient pas procédé à l’examen de la demande avec soin et diligence.

Au vu de ce qui précède, il ne peut être reproché au DT d’avoir suivi les préavis favorables des instances consultées, en particulier celui du SMS et du GESDEC, et d’avoir délivré l’autorisation de démolir requise. Le fait qu'il a, en tenant compte de tous les intérêts en présence, apprécié la situation différemment que la recourante ne permet pas de retenir qu'il se serait fondé sur des critères et considérations dénués de pertinence et étrangers au but visé par la législation. Partant, le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter le pouvoir d’appréciation conféré au département, ne saurait en corriger le résultat en fonction d'une autre conception, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit (art. 61 al. 2 LPA).

Ce grief sera ainsi écarté.

13.         La recourante soutient que le DT aurait violé le principe de coordination en accordant l’autorisation de démolir le bâtiment F3______, avant même de délivrer l’autorisation de construire DD 4______, dont l’instruction est toujours en cours.

14.         D’abord ancré à l’art. 25a LAT, le principe de coordination formelle et matérielle est désormais expressément consacré par le droit cantonal. Selon l’art. 3A LCI, lorsque plusieurs législations ayant entre elles un lien matériel étroit sont applicables à un projet de construction, la procédure directrice est celle relative aux autorisations de construire, à moins qu’une loi n’en dispose autrement ou sauf disposition contraire du Conseil d’État (al. 1). En sa qualité d’autorité directrice, le département coordonne les diverses procédures relatives aux différentes autorisations et approbations requises et veille à ce que celles-ci soient délivrées et publiées simultanément dans la FAO (al. 2). L’art. 12A LPA rappelle quant à lui le principe général selon lequel les procédures doivent être coordonnées lorsque plusieurs législations ayant entre elles un lien matériel étroit sont applicables à un projet.

À de nombreuses reprises, la jurisprudence a dégagé les principes imposant une coordination matérielle et formelle des décisions impliquant l’application de plusieurs dispositions légales différentes pour la réalisation du même projet. S’il existe entre celles-ci une imbrication telle qu’elles ne sauraient être appliquées indépendamment les unes des autres, il y a lieu d’en assurer la coordination matérielle (ATF 118 IV 381 ; 118 Ib 326 ;117 Ib 35 ; 116 Ib 175 ; 116 Ib 50 ; 114 Ib 125 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_14/2011 du 26 avril 2011 consid. 2.1 ; ATA/453/2011 du 26 juillet 2011 ; ATA/676/2006 du 19 décembre 2006 ; ATA/32/2002 du 15 janvier 2002). De l’exigence de coordination matérielle naît une obligation de coordination formelle (ATF 117 Ib 35 et 325). Ces principes développés dans le cadre de l’application du droit fédéral valent par analogie dans tous les cas où un projet relève de dispositions légales cantonales étroitement imbriquées, au sens des art. 3A LCI et 12A LPA.

15.         Dans l’arrêt cité par l’autorité intimée (ATA/51/2013 rendu le 29 janvier 2013), le litige avait pour objet une autorisation de démolir les aménagements intérieurs de locaux commerciaux qui se trouvaient dans un « bâtiment maintenu », datant du XIXème, situé dans le périmètre protégé du plan de site de la rade. Hormis la ville qui avait émis un préavis défavorable, les autres instances consultées s’étaient déclarées favorables, en particulier la Commission des monuments, de la nature et des sites (ci‑après : CMNS). Or, la société recourante s’était opposée à l’autorisation de démolir au motif, notamment, qu’elle n’avait pas été accompagnée ou précédée par le dépôt d’une demande d’autorisation de construire, en violation du principe de coordination.

La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a toutefois rejeté ce grief. Elle a retenu que le département avait délivré l’autorisation de démolir en tenant compte de toutes les dispositions légales pertinentes en la matière et que même s’il avait exigé que l'intimée dépose les demandes d'autorisation de démolir et de construire en même temps, il n'aurait de toute manière pas pu entièrement pallier le risque qu'après la mise en œuvre de la première de ces autorisations, la seconde demeure inexploitée par sa bénéficiaire. Dans cette mesure, le département n’avait pas violé le principe de coordination en ne délivrant, dans un premier temps, que l'autorisation de démolir requise (consid. 9).

Se fondant notamment sur cette jurisprudence, le tribunal de céans a écarté à plusieurs reprises le grief de violation du principe de coordination, rappelant qu’il n’était pas obligatoire pour le DT de traiter des demandes d'autorisation de démolir et de construire en même temps. La délivrance de l’autorisation de démolir n'était juridiquement pas conditionnée par celle de l’autorisation de construire, la délivrance de la première n'impliquant par ailleurs pas l'obligation, pour la propriétaire, de réaliser le programme de construction prévu dans la seconde (JTAPI/841/2019 du 19 septembre 2019 consid. 22 et 23; JTAPI/51/2018 du 18 janvier 2018 consid. 11 et ss ; JTAPI/974/2017 du 18 septembre 2017 consid. 13).

16.         En l’espèce, l’intimée a déposé simultanément la demande d’autorisation de démolir litigieuse et la demande d’autorisation de construire DD 4______. Le département a d’abord statué sur la première, en tenant compte de toutes les dispositions légales pertinentes et après avoir recueilli les préavis des instances spécialisées compétentes, notamment du SMS. Considérant que l’ensemble des conditions légales requises étaient remplies, il a délivré l’autorisation de démolir, conformément à l’art. 1 al. 6 LCI, quand bien même l’autorisation de construire DD 4______ est toujours en cours d’instruction.

Or, en application des principes précités, le département était fondé à dissocier le traitement de l’autorisation de démolir de celui de l’autorisation de construire, la délivrance de la première n’étant juridiquement pas conditionnée par celle de la seconde. Au demeurant, le lien qui figure sur le site « AC-Démat » et qui renvoie de l’une vers l’autre (et vice-versa) n’est que de nature informative. Il convient également de rappeler que la délivrance de l’autorisation de démolir, qui est soumise à ses propres exigences, n’induit nullement l’obligation pour l’intimée de réaliser le programme de construction prévu. En tout état, la conformité de l’autorisation de construire avec les normes en vigueur pourra s’examiner dans un deuxième temps et ce processus par étapes ne porte aucun préjudice à la recourante qui a pu faire valoir ses droits dans le cadre de la présente procédure et qui pourra, cas échéant, le faire également à l’encontre de la DD 4______ (ATA/51/2013 op. cit. consid. 9c et les références citées).

Dans le cadre de ce grief, la recourante soutient également que l’ensemble formé par les bâtiments F2______ et F3______ constituerait un obstacle à la démolition de ce dernier. Ce faisant, la recourante entend avant tout substituer sa propre appréciation de la situation à celle du département qui s’est notamment fondé sur le préavis favorable du SMS, étant rappelé que ces deux bâtiments ne bénéficient d’aucune protection particulière même s’ils sont recensés comme « intéressant » au RAC.

Au surplus, l’art. 15 al. 3 LCI prévoit certes que le département peut subordonner la délivrance d’une autorisation de démolir à la présentation préalable par le requérant d’un projet de nouvelle construction dont l’exécution soit assurée dans un délai maximum de dix ans. Il confère ainsi un certain pouvoir d’appréciation en la matière à l’autorité intimée, mais ne l'oblige en revanche pas à subordonner la délivrance d'une autorisation de démolir à la présentation préalable d'un projet de nouvelle construction (JTAPI/978/2020 du 10 novembre 2020 consid. 18).

Le département n’a donc pas violé le principe de coordination en considérant que l’autorisation attaquée pouvait être délivrée indépendamment de l’autorisation de construire DD 4______.

Partant, ce grief doit également être écarté.

17.         La recourante reproche enfin au département d’avoir rendu une décision en violation du PCC 2030 qui impliquait d’éviter les opérations de démolition/reconstruction et de privilégier la transformation des bâtiments, de façon à produire moins de déchet et à présenter un bilan carbone nettement inférieur.

18.         À teneur de la synthèse présentée au début du document, le PCC 2030 est une feuille de route qui pose les bases nécessaires, au niveau institutionnel, aux transformations significatives qui devront être menées dans les années à venir au niveau des institutions, de l’économie et de la société dans son ensemble (p. 9). Il présente en premier lieu les objectifs qu’il poursuit et la stratégie nécessaire à l’atteinte de ces derniers et, en seconde partie, les mesures à mettre en œuvre sur la période 2021-2030, Il s’agit d’un document d’orientation qui a pour vocation de proposer une vision, de fixer un cap, de faciliter et d’accélérer la convergence des politiques publiques vers les nouveaux objectifs climatiques (p. 11). Les mesures qu’il préconise en matière d’aménagement du territoire s’inscrivent dans la vision du projet du territoire pour le canton décrit dans le PDCn 2030, étant précisé qu’une révision de ce dernier est nécessaire pour assurer la comptabilité avec la neutralité carbone à l’horizon 2050 (p. 59) (https://www.ge.ch/document/24973/telecharger consulté le 7 octobre 2024).

Ce document a pour vocation de servir de guide et feuille de route à l’administration sur le thème du climat et de l’environnement. Il n’est pas opposable aux particuliers et n’a aucun effet contraignant, ce que la recourante reconnaît d’ailleurs. Elle admet de surcroît, qu’à ce jour, rien dans la législation n’impose la prise en compte de l’énergie grise dans le cadre des projets de construction et de rénovation.

Dans ces circonstances, force est de constater que le grief tiré de la violation du PCC 2030 est irrecevable.

19.         Mal fondé, le recours sera rejeté et la décision entreprise confirmée.

20.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'200.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours.

21.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge de la recourante, sera allouée à l’intimée (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2024 par la Ville de A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la Ville de A______ un émolument de CHF 1'200.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 900.- ;

4.             condamne la Ville de A______ à verser à B______ SA une indemnité de procédure de CHF 2'000.-.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Patrick BLASER et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière