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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3267/2024

JTAPI/1031/2024 du 22.10.2024 ( MC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

recours terminé sans jugement

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS)
Normes : LEI.74
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3267/2024 MC

JTAPI/1031/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 octobre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le ______ 1982, originaire du Nigéria, était titulaire d'une autorisation de séjour italienne de type "Prot. Sussidiaria" échue le 14 décembre 2020, laquelle a été renouvelée jusqu'au 3 juin 2026.

2.            L'intéressé a occupé à de nombreuses reprises la justice pénale suisse. Entre le 14 septembre 2014 et le 12 juin 2020, il a été condamné seize fois par les instances pénales vaudoises, valaisannes et genevoises, principalement pour des délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; art. 19 al. 1), séjour et entrée illégal en application de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; art. 115).

3.            M. A______ a fait l'objet de trois interdictions d'entrée en Suisse. La première valable du 21 octobre 2014 au 20 octobre 2019, notifiée le 13 novembre 2014, la deuxième valable du 21 octobre 2019 au 15 février 2021, notifiée le 16 juin 2016, et la troisième valable du 16 février 2021 au 19 février 2025, notifiée le 7 juillet 2020.

4.            Il a été réadmis en Italie à sept reprises, respectivement le 21 octobre 2014, le 11 février 2016, le 1 juin 2017, le 10 mai 2018, le 18 octobre 2018, le 5 juin 2019 et le 11 décembre 2020.

5.            Le 5 octobre 2018, le commissaire de police a prononcé à l'égard de M. A______ une interdiction de pénétrer sur le territoire cantonal pour une durée de douze mois, après que ce dernier avait vendu à un toxicomane une "boulette" de cocaïne.

6.            Le 23 septembre 2024, les forces de l'ordre ont interpellé M. A______ à la rue de Neuchâtel à Genève, après qu'il eût vendu deux boulettes de cocaïne à un policier en civil en échange de CHF 120.-. Entendu dans les locaux de la police, M. A______ a reconnu le trafic de stupéfiants. S'agissant de sa situation personnelle, l'intéressé a déclaré vivre à B______ (Italie). Il était venu à Genève il y avait deux ou trois mois, en train, en provenance de l'Italie, pour visiter une amie. Il n'avait pas de liens particuliers avec Genève.

7.            Prévenu d’infractions à la LStup et à la LEI (séjour et entrée illégal), M. A______ a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police.

8.            Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours du 24 septembre 2024, dûment notifiée, l'office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) a prononcé le renvoi de Suisse de M. A______, en application de l’art. 64 LEI.

9.            Le 24 septembre 2024, l’intéressé a été entendu par le procureur puis libéré, la procédure pénale allant être traitée conjointement avec une autre procédure pénale le concernant.

10.        Le 24 septembre 2024, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès dans le canton de Genève) pour une durée de 18 mois. Cette décision mentionne notamment que lors de son audition à la police le 23 septembre 2024, M. A______ aurait indiqué habiter et travailler au Portugal où il avait une fille de dix mois. Venu à Genève depuis l'Italie pour visiter une amie, il n'avait pas de liens particuliers avec Genève.

11.        Par courrier du 26 septembre 2024, reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 4 octobre 2024, M. A______ a formé opposition contre cette décision devant le commissaire de police, sous la plume de son conseil.

12.        Lors de l'audience de ce jour, M. A______ a produit à la procédure une lettre signée par Mme C______ le 27 septembre 2024, ainsi qu'une copie de son permis de séjour italien de type "protezione sussidiaria" qui expirait le 3 juin 2026. Il a expliqué que ce document lui avait été volé, de même que son passeport. Les autorités italiennes lui avaient dit qu'il devait aller à l'école pour apprendre à parler et écrire l'italien et pour recevoir des enseignements en informatique.

Le tribunal a entendu à titre de témoin Madame C______, née en 1947, domiciliée à Genève. Elle était bien l'auteure du courrier adressé à qui de droit en date du 26 septembre 2024. Elle connaissait M. A______ depuis 2017. Ils avaient noué un lien quasiment filial. Elle le considérait comme un membre de sa famille, comme un petit-fils. Depuis qu'il était de retour à Genève, il venait la voir trois ou quatre fois par semaine depuis D______ (VD) où il dormait dans un abri de la protection civile. Etant donné qu'il faisait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse, elle ne l'avait plus vu depuis quatre ans jusqu'à son retour vers la fin du mois de mai 2024, moment à partir duquel ils avaient pu recommencer à se voir plusieurs fois par semaine. Durant les quatre années de son absence, ils se téléphonaient régulièrement, l'initiative étant prise aléatoirement par lui ou elle. Lorsqu'il était à B______ (Italie), il allait voir sa sœur environ une fois par mois et elle avait ainsi également des nouvelles par ce biais. Elle ne savait pas vraiment de quoi vivait M. A______ en Italie, mais elle pensait qu'il subsistait notamment en vendant un peu de drogue ici et là. Lorsqu'il lui rendait visite, M. A______ lui rendait service en faisant les courses ou un peu de ménage et il lui tenait également compagnie. Elle avait dû partir aux urgences il y a peu de temps et il l'avait attendue chez elle jusqu'à son retour.

Sur question du conseil de M. A______ de savoir comment elle avait vécu ces quatre dernières années de séparation, elle a répondu que c'était terrible, elle était en souci permanent pour lui et elle avait éprouvé aussi un terrible manque de cette proximité. Sur question de la représentante du commissaire de police, elle n'avait pu voyager qu'à une seule reprise en Italie durant ces quatre dernières années, car cela lui était difficile en raison de son état de santé.

Elle souhaitait encore ajouter que les décisions prises à l'encontre de M. A______ les condamnaient quasiment à se retrouver en faute comme cela avait été le cas lors de son récent retour en Suisse, puisqu'il n'aurait pas dû revenir avant 2025. La séparation était cependant trop difficile à supporter et à un moment donné ils se retrouvaient dans une situation irrégulière.

Sur question de son conseil, M. A______ a confirmé connaître Mme C______ depuis 2017. Elle l'avait recueilli alors qu'on lui avait volé ses documents d'identité et qu'il dormait dans la rue. Il avait fait connaissance de sa famille et elle était pour lui comme sa grand-mère. Il serait mort sans son aide.

Sur question du tribunal, la représentante du commissaire de police a précisé que pour les deux dernières interdictions d'entrée en Suisse, la date de notification qui précédait respectivement de près de trois ans et de près d'une année le début de validité de la mesure, découlait du fait qu'il s'agissait d'un renouvellement anticipé de celle qui était en cours au moment de la notification.

Sur question de la représentante du commissaire de police, M. A______, a indiqué qu'il n'avait jamais pu travailler en Italie, bien qu'il en avait en principe le droit sur la base du titre de séjour qui lui avait été remis, mais il n'avait cependant pas le droit de le faire étant donné qu'on lui avait volé ses documents d'identité.

M. A______, par la voix de son conseil, a conclu à une réduction de la durée de l'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de l'interdiction de pénétrer pour une durée de dix-huit mois.

EN DROIT

1.             Le tribunal est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Selon l'art. 74 al. 1 LEI, qui a repris l'art. 13e de l'ancienne loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 (aLSEE- RS 142.20 ; cf. message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les étrangers du 8 mars 2002 in FF 2002 3469, p. 3570), l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants :

a. l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants ;

b. l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire ;

c. l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (art. 69 al. 3 LEI).

5.             Conformément à l'art. 74 al. 2 LEI, la compétence d'ordonner ces mesures incombe au canton qui exécute le renvoi ou l'expulsion ; s'agissant de personnes séjournant dans un centre d'enregistrement ou dans un centre spécifique au sens de l'art. 26 al. 1bis de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), cette compétence ressortit au canton sur le territoire duquel se trouve le centre ; l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée peut aussi être prononcée par le canton dans lequel est située cette région.

De son côté, l'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

Les mesures d'assignation d'un lieu de séjour et d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée répondent à deux préoccupations. Elles permettent d'intervenir pour protéger la sécurité et l'ordre publics - plus particulièrement dans les domaines qui ne peuvent guère être couverts par le droit pénal - à l'encontre de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage. En outre, elles peuvent être ordonnées à l'égard d'étrangers dont le renvoi est durablement entravé et pour lesquels il est nécessaire de les tenir éloignés d'un endroit déterminé ou de pouvoir les surveiller (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 rendu sous l'égide de l'art. 13 aLSEE, remplacé par l'art. 74 al. 1 LEI - cf. supra).

6.             L'étranger est passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire s'il n'observe pas les mesures qui lui sont imposées dans ce cadre (cf. art. 119 LEI).

7.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

8.             D'après la jurisprudence, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie même une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2). En outre, de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2A.148/2003 du 30 mai 2003 consid. 3.3). Les étrangers qui sont mêlés au commerce des stupéfiants doivent s'attendre à faire l'objet de mesures d'éloignement, la protection de la collectivité publique face au développement du marché de la drogue présentant incontestablement un intérêt public prépondérant justifiant l'éloignement d'un étranger (arrêt du Tribunal fédéral 2C_530/2007 du 21 novembre 2007 consid. 5).

9.             Même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contact répété avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1).

10.         Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.3 ; cf. aussi ATA/45/2014 du 27 janvier 2014).

11.         A l'instar de l'art. 13e aLSEE, l'art. 74 al. 1 LEI constitue par ailleurs une clause générale permettant de prendre des mesures également à l'encontre d'étrangers qui ont gravement violé les prescriptions de police des étrangers qui tendent à garantir l'ordre public en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3a et la référence citée cum FF 2002 3469, 3570).

12.         Les mesures d'assignation à un lieu de séjour et l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst.- RS 101) (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4), lequel se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/3019/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

13.         Pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction d'un droit fondamental, en l'occurrence la liberté de mouvement, doit être apte à atteindre le but visé, ce qui ne peut être obtenu par une mesure moins incisive. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4 : arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1).

14.         Les mesures d'assignation à un lieu de séjour et l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée doivent ainsi être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés ; les moyens doivent être proportionnés au but poursuivi, au regard notamment de la délimitation géographique et de la durée de la mesure (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2002 consid. 2c).

15.         Le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles ; elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Cela étant, le périmètre d'interdiction peut inclure l'ensemble du territoire d'une ville (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; 2A.647/2006 du 12 février 2007 consid. 3.3 pour les villes d'Olten et de Soleure ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 4.2 pour la ville de Berne).

16.         Les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner les mesures d'assignation d'un lieu de séjour et d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. Des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2b et les références citées ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014 ; ATA/778/2012 du 14 novembre 2012).

17.         Dans un jugement relativement récent (JTAPI/68/2024 du 29 janvier 2024), le tribunal a passé en revue la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (CJCA) rendue en 2023, constatant que certains cas de très peu de gravité, c'est-à-dire n'impliquant qu'une seule condamnation pour un vol d'importance relative ou pour le trafic de quelques grammes de drogues dures, font l'objet, de la part du commissaire de police, d'interdictions territoriales pour une durée de six mois, tandis que le même type de situation peut parfois faire l'objet d'interdictions territoriales pour une durée de douze mois. Des cas plus graves, impliquant deux ou trois, voire plusieurs condamnations pénales, ainsi que des situations dans lesquelles des interdictions territoriales avaient déjà été prononcées une première fois (et dans certains cas violées) ont, quant à eux, fait parfois l'objet d'interdictions territoriales pour des durées de douze à dix-huit mois, et non pas systématiquement pour des durées de vingt-quatre mois.

18.         Dans le même jugement susmentionné du 29 janvier 2024, le tribunal a également rappelé qu'il avait récemment réduit de dix-huit à six mois une mesure d'éloignement du territoire du canton de Genève prise à l'encontre d'une personne condamnée à une seule reprise en Suisse, pour faux dans les certificats et infractions contre la LEI, et contre laquelle deux autres procédures pénales étaient en cours, dont l'une concernait une infraction contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) (JTAPI/1453/2023 du 21 décembre 2023), ce jugement n'ayant pas fait l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative. Par conséquent, le tribunal, dans l'affaire objet du JTAPI/68/2024, a à nouveau réduit de douze à six mois la durée de l'interdiction territoriale, constatant que l'on avait affaire à des troubles de très peu de gravité contre l'ordre public liés au vol d'une faible somme d'argent (CHF 60.-) et d'un téléphone portable usagé, ainsi qu'à l'obtention d'un prestation d'assurance sociale que le Tribunal de police avait qualifiée de peu de gravité. Sur recours du commissaire de police, la chambre administrative a confirmé ce jugement en relevant que "Cette réduction permet de tenir dûment compte des particularités du cas d’espèce. Contrairement aux exemples que cite le recourant, l’intimé n’a pas participé à un trafic de drogues ni acquis des stupéfiants pour sa propre consommation, soit des infractions susceptibles de porter une atteinte importante à la sécurité et l’ordre publics" (ATA/232/2024 du 20 février 2024 consid. 3.5).

19.         Il résulte de ce dernier considérant que la chambre administrative entend établir une différence de traitement, quant à la durée d'une mesure d'interdiction de pénétrer sur le territoire du canton de Genève, selon que la personne concernée a commis une infraction telle qu'un vol de peu d'importance ou selon qu'elle a participé à un trafic de stupéfiants.

20.         En l'espèce, M. A______, à raison, ne conteste pas la légalité de la décision litigieuse. De manière conforme à l'art. 74 LEI, celle-ci se fonde, d'une part, sur l'absence d'autorisation de séjour de l'intéressé et, d'autre part, sur l'important soupçon de participation à du trafic de stupéfiants qui pèse sur lui suite aux faits ayant conduit à son interpellation le 23 septembre 2024.

21.         En revanche, M. A______ considère que la durée de dix-huit mois d'interdiction de pénétrer sur le territoire du canton de Genève devrait être réduite, en tirant argument de l'ancienneté de la précédente mesure prise en ce sens par le commissaire de police, le 5 octobre 2018, ainsi de la relation privilégiée qui le lie à Mme C______.

22.         Si la précédente interdiction de pénétrer sur le territoire du canton de Genève a certes été rendue il y a déjà plusieurs années, M. A______ passe sous silence le fait qu'il a été condamné à plusieurs reprises, jusqu'en 2020, pour délit contre la LStup. Non seulement son comportement en Suisse a-t-il troublé l'ordre et la sécurité publics à réitérées reprises, mais son attention a-t-elle également été amplement attirée sur le caractère inacceptable de ce comportement. Or, en revenant en Suisse en mai 2024 (selon les explications du témoin entendu par le tribunal), il ne s'est pas contenté de violer une nouvelle fois une interdiction d'entrée, mais a repris son activité consistant à vendre de la cocaïne dans la rue. Il avait d'ailleurs, précédemment, déjà violé à six reprises des interdictions d'entrer en Suisse, montrant le peu de cas qu'il faisait des décisions prises à son encontre. Ces circonstances justifient en soi qu'une mesure plus sévère quant à sa durée soit prise dans le cas d'espèce.

23.         Cela étant, la durée de dix-huit mois prononcée par la décision litigieuse se fonde uniquement sur ces éléments, sans faire aucune mention des intérêts privés de M. A______ qu'il conviendrait éventuellement de prendre en considération sous l'angle du principe de proportionnalité. Cela peut s'expliquer, implicitement, par la soi-disant absence de lien du précité avec Genève, la décision retenant à cet égard que selon ses déclarations faites à la police le 23 septembre 2024, M. A______ vivrait et travaillerait au Portugal, où il aurait une fille, et sur le fait qu'il serait venu à Genève dans le seul but de rendre visite à une amie, mais sans y avoir d'attaches particulières. Cependant, outre le fait que le précité n'a en réalité donné aucune explication à la police en lien avec le Portugal ou sur le fait qu'il serait le père d'un enfant, mais au contraire qu'il vivrait en Italie, l'instruction de la cause par le tribunal a permis à ce dernier de se convaincre de l'authenticité du lien qu'entretient M. A______ avec Mme C______. Certes, au moment de prendre sa décision, l'autorité intimée n'avait pas connaissance de ce lien, puisque l'intéressé n'avait donné aucune explication spécifique à ce sujet. C'est donc sans faute de sa part qu'elle n'en a pas tenu compte. Cela étant, nanti de cette information, le tribunal ne saurait en faire abstraction et doit donc examiner si la relation de M. A______ avec Mme C______ implique une modification de la durée pour laquelle a été prise la décision litigieuse. Tel est le cas. En effet, le témoignage de Mme C______, dont il n'y a aucune raison de douter, fait état d'une relation de grande proximité affective qui s'est nouée il y a environ sept ans et qui, nonobstant la distance géographique qui les a séparés durant les quatre dernières années, ne s'est jamais interrompue, puisque tous deux ont continué à entretenir cette relation par le biais de contacts téléphoniques. Manifestement, M. A______ a un lien très proche avec Mme C______, que tous deux comparent à celui d'une grand-mère avec son petit-fils. Lorsque M. A______ est en Suisse, il retrouve Mme C______ trois à quatre fois par semaine, ce qui est bien davantage que le temps qu'un petit-fils consacre usuellement à un grand-parent. Il prend soin d'elle, dans la mesure où elle est atteinte dans sa santé, par exemple en faisant ses courses ou en s'occupant de son ménage. Ce lien, qui a une vraie valeur humaine, mérite ainsi tout à fait d'être pris en considération.

24.         Par conséquent, la durée de l'interdiction prononcée contre M. A______ sera réduite à douze mois.

25.         Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______, mais la réduira à une durée de douze mois.

26.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

27.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 4 octobre 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 24 septembre 2024 pour une durée de 18 mois ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 24 septembre 2024 à l'encontre de Monsieur A______, mais la réduit à une durée de douze mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

 

 

 

Genève,

 

Le greffier