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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1726/2024

JTAPI/539/2024 du 05.06.2024 ( MC ) , ADMIS

Descripteurs : INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE
Normes : LEI.74
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1726/2024 MC

JTAPI/539/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 5 juin 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Carole REVELO, avocate, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Entre le 15 janvier 2023 et le 23 février 2024, Monsieur A______, se présentant sous cette identité et se disant né le ______ 1993 et originaire d'Algérie, mais démuni de tout document d'identité, a été condamné trois fois, pour entrée illégale, séjour illégal et vol d'importance mineure.

2.            Le 13 mai 2024, M. A______ a été arrêté, de même qu'une autre personne qui se trouvait être son frère, par les forces de l'ordre genevoises, dans le quartier des Pâquis, après qu'un patron de bar ait appelé la police en se plaignant que le précité l'avait injurié et menacé, un couteau à la main, ainsi que des clients de l'établissement. Entendu par les enquêteurs, M. A______ a nié les faits et a notamment déclaré consommer du crack. Il a en outre indiqué n'avoir aucun lien particulier avec la Suisse (hormis son frère, lui-même en situation illégale sur le territoire helvétique, et par ailleurs impliqué dans la même affaire), ni aucune source légale de revenu. Il a été prévenu d'injure, de menaces ainsi que d'infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

3.            Le rapport de police établi suite à ces faits le jour même indique que ceux-ci étaient corroborés par les images enregistrées par des caméras de vidéosurveillance. En outre, lorsque la police avait rencontré M. A______ dans la rue à proximité de l'établissement concerné, il avait lâché le couteau qu'il tenait dans la main droite.

4.            Le même jour, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public pour les faits ayant mené à son arrestation, puis il a été libéré.

5.            Le 13 mai 2024, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de douze mois.

6.            Le 21 mai 2024, il a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon en raison de la conversion d'amendes en peine privative de liberté de substitution.

7.            M. A______ a formé opposition le 22 mai 2024, par l'intermédiaire de son conseil, contre la décision prise le 13 mai 2024 par le commissaire de police.

8.            Lors de l'audience du 4 juin 2024 devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), M. A______ a déclaré que le premier motif de son opposition à la mesure d'éloignement résidait dans le fait qu'il avait commencé un traitement pour se sevrer de sa dépendance au crack. Il avait commencé ce traitement environ un mois et demi ou deux avant son arrestation et il était suivi aux HUG. Le traitement consistait notamment dans la prise de 200 mg de Seresta par jour à raison d'un cachet toutes les quatre heures. Il voyait également tous les jours les médecins de la consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique (ci‑après : CAAP), soit un psychiatre et un généraliste, une infirmière, ainsi qu'un pair aidant. Cette thérapie avait progressé, ce qui s'était traduit par une diminution progressive de sa consommation de crack. Depuis son incarcération, il était à zéro consommation de crack. Lorsqu'il était encore à l'extérieur, il faisait attention à consommer à l'écart des autres consommateurs, par exemple ceux que l'on rencontrait au Quai 9.

L'autre motif de son opposition résidait dans le fait qu'il avait tout son cercle social à Genève, en plus de son frère cadet, et cela l'aidait dans la période qu'il traversait. S'il devait quitter le canton de Genève, il serait en danger de rechuter.

Sur question du tribunal concernant son parcours personnel, il a expliqué que son parcours migratoire hors d'Algérie avait commencé en 2018. Il avait atteint l'Europe occidental en traversant d'abord la Turquie, la Grèce puis les Balkans et il était ensuite arrivé en Italie et il avait été présent dans différents pays d'Europe à partir de là. Il était arrivé à Genève environ trois ans auparavant et il n'en était pas reparti. C'était l'endroit où il s'était senti le mieux et il avait pu s'y faire plusieurs amis. Il avait exercé la profession de concepteur graphique à B______ (Algérie), il avait appris le français tout petit avec son père, mais il maitrisait également l'arabe et parlait couramment l'anglais et un peu d'allemand.

Pour résumer, il considérait que sa présence à Genève était une question de survie pour les raisons qu'il avait déjà expliquées.

Il a produit différentes pièces, dont une attestation rédigée le 3 juin 2024 par le CAAP, à teneur duquel M. A______ était suivi auprès de ce centre depuis le 30 avril 2024 pour une problématique de consommation de substances. Il avait honoré la totalité de ses rendez-vous depuis son entrée dans les soins et manifestaient une grande motivation pour y rester. Il était très impliqué dans sa prise en charge et avait fourni déjà de nombreux efforts. À teneur d'une attestation d'hébergement rédigée le 3 juin 2024 par C______, il avait été hébergé au sein du D______ à plusieurs reprises. Il pouvait y revenir selon les places disponibles. Il s'agissait d'une structure proposant une solution d'hébergement d'urgence temporaire pour des hommes sans-abri.

La représentante du commissaire de police a remis au tribunal différentes pièces qui se référaient en particulier à la condamnation de M. A______ en date du 21 mai 2024 pour non-respect de l'interdiction territoriale prononcée contre lui, ainsi qu'aux démarches effectuées actuellement en vue d'un renvoi Dublin à destination de l'un des pays auprès desquels il avait déposé quatre demandes d'asile au total.

L'intéressé, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu principalement à l'annulation de la décision d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève et, subsidiairement, à ce que son étendue ne l'empêche pas d'accéder à ses lieux de soin et d'hébergement actuels.

La représentante du commissaire de police a quant à elle conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de l'interdiction pour une durée de douze mois.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Selon l'art. 74 al. 1 LEI, qui a repris l'art. 13e de l'ancienne loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 (aLSEE- RS 142.20 ; cf. message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les étrangers du 8 mars 2002
in FF 2002 3469, p. 3570), l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants :

a. l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants ;

b. l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire ;

c. l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (art. 69 al. 3 LEI).

Conformément à l'art. 74 al. 2 LEI, la compétence d'ordonner ces mesures incombe au canton qui exécute le renvoi ou l'expulsion ; s'agissant de personnes séjournant dans un centre d'enregistrement ou dans un centre spécifique au sens de l'art. 26 al. 1bis de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), cette compétence ressortit au canton sur le territoire duquel se trouve le centre ; l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée peut aussi être prononcée par le canton dans lequel est située cette région.

5.             De son côté, l'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

6.             Les mesures d'assignation d'un lieu de séjour et d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée répondent à deux préoccupations. Elles permettent d'intervenir pour protéger la sécurité et l'ordre publics - plus particulièrement dans les domaines qui ne peuvent guère être couverts par le droit pénal - à l'encontre de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage. En outre, elles peuvent être ordonnées à l'égard d'étrangers dont le renvoi est durablement entravé et pour lesquels il est nécessaire de les tenir éloignés d'un endroit déterminé ou de pouvoir les surveiller (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 rendu sous l'égide de
l'art. 13 aLSEE, remplacé par l'art. 74 al. 1 LEI - cf. supra).

7.             L'étranger est passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire s'il n'observe pas les mesures qui lui sont imposées dans ce cadre (cf. art. 119 LEI).

8.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

D'après la jurisprudence, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie même une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2). En outre, de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2A.148/2003 du 30 mai 2003 consid. 3.3). Les étrangers qui sont mêlés au commerce des stupéfiants doivent s'attendre à faire l'objet de mesures d'éloignement, la protection de la collectivité publique face au développement du marché de la drogue présentant incontestablement un intérêt public prépondérant justifiant l'éloignement d'un étranger (arrêt du Tribunal fédéral 2C_530/2007 du 21 novembre 2007 consid. 5).

9.             En l'espèce, M. A______ conteste pouvoir faire l'objet d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, au motif que, nonobstant l'ordonnance pénale prononcée contre lui le 13 mai 2024, à laquelle il dit avoir fait opposition, les éléments du dossier ne permettraient pas de retenir les faits pour lesquels il a été arrêté et condamné à cette date.

Le tribunal ne saurait le suivre sur ce point. Si l'opposition qui l'a formé contre l'ordonnance pénale du 13 mai 2024 ne permet pas de retenir l'existence d'une condamnation en force, la jurisprudence rappelée plus haut souligne qu'un simple soupçon est suffisant au sens de l'art. 74 LEI. Or, en l'espèce, outre le fait que la police a établi son rapport d'arrestation non seulement sur la base des déclarations du tenancier du bar, mais également d'après des images de vidéosurveillance, il résulte également du rapport d'arrestation que M. A______ tenait dans sa main droite, au moment de son interpellation, un couteau qu'il a lâché à la vue de la police. L'ensemble de ces éléments constituent des indices suffisants pour fonder une mesure d'interdiction territoriale au sens de l'art. 74 LEI, dont les autres conditions d'application ne sont pas contestées.

10.         Compte tenu de ce qui précède, la mesure litigieuse s'avère correctement fondée quant au principe.

11.         Les mesures d'assignation à un lieu de séjour et l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst.- RS 101) (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4), lequel se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/3019/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

Pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction d'un droit fondamental, en l'occurrence la liberté de mouvement, doit être apte à atteindre le but visé, ce qui ne peut être obtenu par une mesure moins incisive. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4 : arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1).

Les mesures d'assignation à un lieu de séjour et l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée doivent ainsi être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés ; les moyens doivent être proportionnés au but poursuivi, au regard notamment de la délimitation géographique et de la durée de la mesure (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2002 consid. 2c).

Le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles ; elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Cela étant, le périmètre d'interdiction peut inclure l'ensemble du territoire d'une ville (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; 2A.647/2006 du 12 février 2007 consid. 3.3 pour les villes d'Olten et de Soleure ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 4.2 pour la ville de Berne).

12.         Les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner les mesures d'assignation d'un lieu de séjour et d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. Des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2b et les références citées ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014 ; ATA/778/2012 du 14 novembre 2012).

13.         Dans un jugement récent (JTAPI/68/2024 du 29 janvier 2024), le tribunal a passé en revue la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (CJCA) rendue en 2023, constatant que certains cas de très peu de gravité, c'est-à-dire n'impliquant qu'une seule condamnation pour un vol d'importance relative ou pour le trafic de quelques grammes de drogues dures, font l'objet, de la part du commissaire de police, d'interdictions territoriales pour une durée de six mois, tandis que le même type de situation peut parfois faire l'objet d'interdictions territoriales pour une durée de douze mois. Des cas plus graves, impliquant deux ou trois, voire plusieurs condamnations pénales, ainsi que des situations dans lesquelles des interdictions territoriales avaient déjà été prononcées une première fois (et dans certains cas violées) ont, quant à eux, fait parfois l'objet d'interdictions territoriales pour des durées de douze à dix-huit mois, et non pas systématiquement pour des durées de vingt-quatre mois.

Dans le même jugement susmentionné du 29 janvier 2024, le tribunal a également rappelé qu'il avait récemment réduit de dix-huit à six mois une mesure d'éloignement du territoire du canton de Genève prise à l'encontre d'une personne condamnée à une seule reprise en Suisse, pour faux dans les certificats et infractions contre la LEI, et contre laquelle deux autres procédures pénales étaient en cours, dont l'une concernait une infraction contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) (JTAPI/1453/2023 du 21 décembre 2023), ce jugement n'ayant pas fait l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative. Par conséquent, le tribunal, dans l'affaire objet du JTAPI/68/2024, a à nouveau réduit de douze à six mois la durée de l'interdiction territoriale, constatant que l'on avait affaire à des troubles de très peu de gravité contre l'ordre public liés au vol d'une faible somme d'argent (CHF 60.-) et d'un téléphone portable usagé, ainsi qu'à l'obtention d'un prestation d'assurance sociale que le Tribunal de police avait qualifiée de peu de gravité. Sur recours du commissaire de police, la chambre administrative a confirmé ce jugement en relevant que "Cette réduction permet de tenir dûment compte des particularités du cas d’espèce. Contrairement aux exemples que cite le recourant, l’intimé n’a pas participé à un trafic de drogues ni acquis des stupéfiants pour sa propre consommation, soit des infractions susceptibles de porter une atteinte importante à la sécurité et l’ordre publics" (ATA/232/2024 du 20 février 2024 consid. 3.5).

14.         Il résulte de ce dernier considérant que la chambre administrative entend établir une différence de traitement, quant à la durée d'une mesure d'interdiction de pénétrer sur le territoire du canton de Genève, selon que la personne concernée a commis une infraction telle qu'un vol de peu d'importance ou selon qu'elle a participé à un trafic de stupéfiants.

15.         Dans le cas d'espèce, le trouble à l'ordre public dont M. A______ est soupçonné, soit le fait d'avoir menacé des personnes à l'aide d'un couteau, ne peut être considéré comme anodin et doit être davantage comparé, quant à sa gravité, à un trafic de stupéfiants plutôt qu'à un vol de peu d'importance.

16.         Cela étant, le cas d'espèce présente une particularité que l'on ne retrouve pas dans les différentes situations que le tribunal a récemment passées en revue dans le jugement susmentionné (JTAPI/68/2024 du 29 janvier 2024). En effet, il est établi non seulement que M. A______ est consommateur de stupéfiants, lui-même précisant qu'il s'agit de crack, mais également qu'il suit un traitement depuis le 30 avril 2024 auprès du CAAP, traitement dans lequel il s'était investi complètement jusqu'à son arrestation et son incarcération le 21 mai 2024.

17.         La mesure litigieuse aurait pour effet de forcer M. A______ à quitter le territoire genevois. À cet égard, il faut considérer, puisqu'il réside actuellement en Suisse, quand bien même illégalement, qu'il n'aurait d'autre choix que de se rendre dans un autre canton. La possibilité de son départ en France, par exemple, ne peut être valablement retenue dans l'évaluation que les autorités administratives ou judiciaires suisses doivent faire de la situation, étant donné qu'il ne dispose vraisemblablement d'aucun titre de séjour dans ce pays. Or, le départ de M. A______ dans un autre canton le forcerait à trouver non seulement un nouveau lieu de soins dans son traitement contre son addiction au crack, mais également un nouveau lieu d'hébergement, outre que cela romprait les liens sociaux qu'il a pu se créer à Genève durant les trois années où il y a désormais séjourné. Ces diverses difficultés constituent un risque non négligeable qu'il perde le bénéfice actuel de sa prise en charge et de son sevrage et qu'il recommence ainsi à consommer du crack ou d'autres drogues, l'exposant lui-même à d'importants risques pour sa santé, mais exposant également autrui aux mesures qu'il pourrait prendre pour s'en procurer.

Au vu de ces éléments, qui sont apparus durant l'audience et dont le commissaire de police ne pouvait pas tenir compte lorsqu'il a pris la décision litigieuse, il existe non seulement un intérêt fort de M. A______ à pouvoir rester dans le canton de Genève et ainsi à pouvoir poursuivre le traitement qu'il a entrepris, tout en bénéficiant également d'un lieu d'hébergement, mais également un intérêt public à ce qu'il ne se retrouve pas à nouveau sans possibilité immédiate de soins ni hébergement et qu'il ne recommence pas à consommer des drogues dures. Quand bien même cet intérêt concernerait davantage l'ordre et la sécurité publique du canton dans lequel M. A______ trouverait refuge, il n'en demeure pas moins légitime et doit également être pris en considération dans la pesée des intérêts.

18.         Par conséquent, sous l'angle du principe de la proportionnalité, il apparaît plus approprié que M. A______ soit soumis à une mesure d'assignation à un lieu de résidence situé dans le canton de Genève, dont le périmètre pourra être défini de manière relativement étroite, tout en lui ménageant la possibilité de se rendre dans les lieux de soins ou dans les lieux de prise en charge sociale dont il a besoin, étant souligné qu'il a fourni au tribunal, lors de l'audience, différentes cartes de la ville de Genève indiquant quels pourraient être les axes sur lesquels il serait autorisé à circuler.

19.         Partant, le tribunal annulera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______ et renverra la cause au commissaire de police pour nouvelle décision au sens du considérant précédent, au besoin en prenant préalablement contact avec le conseil de M. A______.

20.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

21.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 22 mai 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 13 mai 2024 pour une durée de douze mois ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 13 mai 2024 à l'encontre de M. A______ et renvoie le dossier au commissaire de police pour nouvelle décision au sens des considérants ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier