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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1006/2024

JTAPI/278/2024 du 27.03.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;LÉGALITÉ;PROCÉDURE DUBLIN
Normes : CEDH.3; LEI.80.al3; LEI.76a.al1; LEI.76a.al2; LEI.76a.al3.leta
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1006/2024 MC

JTAPI/278/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 27 mars 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Anna SERGUEEVA, avocate

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1985, originaire d'Algérie, a déposé une demande d'asile en Suisse le 20 juin 2013, demande sur laquelle l'autorité fédérale compétente, désormais dénommée le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) n'est pas entré en matière, en application de l'art. 31a al. 2 let. d de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), et a, simultanément, prononcé son renvoi vers la Bulgarie, État Dublin responsable. L’exécution du renvoi de M. A______ a été confiée au canton de Zoug. Le transfert de l'intéressé vers la Bulgarie devait s'effectuer, sous réserve d'interruption ou de prolongation du délai de transfert, au plus tard le 5 janvier 2014.

2.             Le transfert de l'intéressé dans le délai précité ne s'est pas concrétisé.

3.             Le 5 octobre 2023, M. A______ a été appréhendé par les services de police français, alors qu'il était en possession d'objets provenant de cambriolages perpétrés en Suisse, à Genève, les 19 et 20 mai 2023.

4.             Le même jour, l'intéressé a été extradé en Suisse et incarcéré à la prison de
Champ-Dollon dans l'attente de son jugement.

5.             Par jugement définitif et exécutoire du 29 janvier 2024, le Tribunal de police a déclaré M. A______ coupable de vol (art. 139 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 ; CP - RS 311.0), de tentative de vol (art. 139 cum 22 CP), de dommages à la propriété (art. 144 CP), de violation de domicile (art. 186 CP) et d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 ; LEI - RS 142.20), l'a condamné à une peine privative de liberté de huit mois, sous déduction de 117 jours de détention avant jugement (dont 46 jours en exécution anticipée de peine ; art. 40 CP) et a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans (art. 66a al. 1 CP).

6.             Par jugement du 6 mars 2024, le Tribunal d'application des peines et des mesures a ordonné la libération conditionnelle de M. A______ pour le 13 mars 2024.

7.             Le 14 mars 2024, à 10h16, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de M. A______ pour une durée de sept semaines sur la base de l’art. 76a LEI.

Les démarches en vue de sa reprise en charge par un État Dublin
(Pays-Bas, voire Croatie), en application de la réglementation Dublin, entamées le 28 février 2024, étaient en cours.

Lors de son audition par la police, l’intéressé a déclaré qu’il était d’accord de retourner dans un État Dublin et qu’il préférait être renvoyé en Croatie,
plutôt aux Pays-Bas.

8.             Par courrier du 22 mars 2024, reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 25 mars 2024, M. A______ a requis l’examen de la légalité et de l’adéquation de sa détention administrative, notamment en raison des conditions de détention à Favra.

9.             Le 25 mars 2024, le commissaire de police, sur demande du tribunal, a transmis son dossier.

10.         Dans le délai imparti, le conseil de M. A______ a présenté des observations. Compte tenu de la détention de 7 semaines demandée au sein de l’établissement de la Favra, son mandant s’opposait à sa détention. En effet, par jugement du 20 avril 2023, le tribunal de céans avait reconnu que les conditions de détention au sein de cet établissement étaient contraires à l’art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950
(CEDH - RS 0.101). Faute de solution alternative, il concluait à sa libération immédiate.

EN DROIT

1.             Le tribunal est compétent pour examiner d’office la légalité et l’adéquation de la détention administrative (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d LaLEtr).

2.             Selon l'art. 80a al. 3 LEI, la légalité et l'adéquation de la détention ordonnée dans le cadre d'une procédure Dublin sont examinées, sur demande de la personne détenue, par une autorité judiciaire au terme d'une procédure écrite. Cet examen pouvant être demandé à tout moment.

3.             La LaLEtr, qui n'a pas été mise en jour suite à l'adoption et l'entrée en vigueur des art. 76a et 80a LEI, ne définit pas la compétence et ne détermine pas la procédure applicable dans les cas de figure envisagés par ces dispositions. Il ne fait néanmoins pas de doute que la compétence du tribunal est donnée s'agissant des demandes formées par les personnes détenues sur la base de l'art. 76a LEI
(cf. not.
JTAPI/817/2021 du 20 août 2021 confirmé par ATA/903/2021 du 3 septembre 2021; JTAPI/1004/2020 du 19 novembre 2020 confirmé par ATA/1252/2020 du 8 décembre 2020 ; JTAPI/803/2019 du 6 septembre 2019).

4.             En l'espèce, M. A______ a demandé par acte du 22 mars 2024 reçu par le tribunal le 25 mars 2024, que ce dernier contrôle la légalité et l'adéquation de sa détention.

5.             Statuant ce jour, le tribunal respecte les délais légaux.

6.             Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l'étranger (cf. art. 9 al. 3 LaLEtr).

7.             La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).

8.             Selon l’art. 28 ch. 2 du Règlement Dublin III, les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément audit règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. À teneur du ch. 3 du même article, le placement en rétention est d’une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu’à l’exécution du transfert au titre du présent règlement.

9.             À teneur de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies : des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi (let. a), la détention est proportionnée (let. b) et d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du règlement [UE] n° 604/2013) (let. c).

10.         Selon l'art. 76a al. 2 LEI, les éléments concrets font craindre que l'étranger entende se soustraire à l'exécution du renvoi si :

-          son comportement en Suisse ou à l'étranger permet de conclure qu'il refuse d'obtempérer aux instructions des autorités (let. b) ;

-          a été condamné pour crime (let. h).

11.         Les motifs énumérés, de manière exhaustive, à l'art. 76a al. 2 LEI correspondent en principe à ceux déjà retenus aux art. 75 et 76 LEI (Gregor CHATTON/ Laurent MERZ in Code annoté de droit des migrations, volume II : loi sur les étrangers, n° 2.5 ad art. 76a, p. 808).

12.         Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit dans tous les cas respecter le principe de la proportionnalité
(cf. art. 5 al. 2 et 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et art. 76a al. 1 let. b et c LEI ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Il convient en particulier d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi constitue une mesure appropriée et nécessaire (cf. art. 5 par. 1 let. f CEDH ; ATF 134 I 92 consid. 2.3 et 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_624/2011 du 12 septembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 et 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. ATF 130 II 425 consid. 5.2).

13.         Selon l'art. 76a al. 3 let. a LEI, à compter du moment où la détention a été ordonnée, l'étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de sept semaines pendant la préparation de la décision relative à la responsabilité du traitement de la demande d'asile ; les démarches y afférentes comprennent l'établissement de la demande de reprise en charge adressée à un autre État Dublin, le délai d'attente de la réponse à la demande ou de son acceptation tacite, la rédaction de la décision et sa notification.

14.         Selon l'art. 3 CEDH, nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Cette disposition fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d'exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (ACEDH Enoaie c. Roumanie du 4 novembre 2014, req. n° 36513/12, § 46 ;
Kuda c. Pologne [GC] du 26 octobre 2000, req. n° 30210/96, rec. 2000-XI, § 94).

15.         La légalité de la détention administrative au sein de l’établissement de Favra, dans son principe, a encore dernièrement été confirmée par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), notamment les 23 février et 19 janvier 2024 (ATA/235/2024 du 23 février 2024 et ATA/55/2024 du 19 janvier 2024).

16.         En l’espèce, M. A______ a été condamné par jugement définitif et exécutoire du 29 janvier 2024 par le tribunal de police pour notamment vol au sens de l’art. 139 CP, soit un crime. Ce dernier a en outre ordonné son expulsion judiciaire de Suisse pour une durée de cinq ans. Partant, c'est de manière tout à fait fondée que le commissaire de police a ordonné sa détention sur la base de l'art. 76a al. 1 et 2 let. h LEI, les conditions de la let. b apparaissant au demeurant également remplies vu les déclarations de l’intéressé et le comportement qu’il a adopté jusqu’ici.

Par ailleurs, la détention respecte le principe de proportionnalité, aucune autre mesure moins incisive ne permettant de s’assurer de la présence de l’intéressé au moment où son renvoi devra être exécuté, celui-là n’ayant ni attaches ni lieu de résidence à Genève. Rien ne permet au surplus de considérer que les conditions de sa détention à Favra seraient illégales et/ou contraires à l’art. 3 CEDH. À cet égard, l’intéressé se contente d’invoquer des généralités. Dans ces conditions et dans les présentes circonstances, soit en particulier l’imminence de son renvoi et la nécessité des autorités suisses de s’assurer de son départ, rien ne permet de considérer que tel serait effectivement le cas et, partant, d’ordonner son transfert de Favra ou sa mise en liberté immédiate.

Enfin, la durée de la détention décidée par le commissaire de police (soit sept semaines) respecte le cadre légal fixé par l'art. 76a al. 3 LEI et est adéquate pour assurer l'exécution du renvoi, étant relevé que les démarches en vue de la réadmission de M. A______ dans l’état Dublin responsable ont immédiatement été initiées et sont toujours en cours.

17.         Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l’ordre de mise en détention administrative de l’intéressé pour une durée de sept semaines, soit jusqu'au 1er mai 2024.

18.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 14 mars 2024 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de sept semaines, soit jusqu'au 1er mai 2024 ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le 27 mars 2024

 

Le greffier