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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3364/2023

JTAPI/173/2024 du 29.02.2024 ( OCPM ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : REGROUPEMENT FAMILIAL;CONJOINT;ENFANT;DÉLAI
Normes : LEI.43; LEI.47.al1; LEI.47.al3.letb; CEDH.8; OASA.75
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3364/2023

JTAPI/173/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 29 février 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______ agissant en son nom et en celui de son épouse Madame B______ et de ses enfants mineurs C______, D______ et E______

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1975, de nationalité gambienne, est titulaire d'une autorisation d'établissement à Genève. Il est arrivé en Suisse le 20 octobre 2006.

2.             Le ______ 2013, M. A______ a contracté mariage, en Gambie, avec Madame B______, née le ______ 1990, de nationalité gambienne.

3.             De leur union sont issus les mineurs C______, née le ______ 2013, D______, né le ______ 2019 et E______, née le ______ 2022, tous trois également de nationalité gambienne.

4.             Le 12 avril 2023, une demande d'autorisation d'entrée en Suisse effectuée en ligne en faveur de Mme B______ et de ses trois enfants, dans le cadre du regroupement familial avec M. A______, est parvenue à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

5.             Selon attestation de l'Hospice général du 24 avril 2023, M. A______ a perçu des prestations financières en 2022 (CHF 9'233.45) et 2023 (CHF 176.95).

6.             Par courrier du 26 avril 2023, l'OCPM a informé M. A______ de son intention de refuser sa demande d'entrée et d'octroi d'une autorisation de séjour en faveur de sa femme et de ses enfants. Un délai de trente jours lui était imparti pour exercer son droit d'être entendu.

Mme B______ ne pouvait se prévaloir des dispositions cumulatives de l'art. 43 al. 1 de loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). En effet, en vertu de l'art. 47 al. 1 LEI, le regroupement familial aurait dû avoir lieu au plus tard cinq ans après la célébration du mariage, soit au ______ 2018, et aucune raison familiale majeure ne pouvait être retenue au sens de l’art. 47 al. 4 LEI. Les époux avaient vécu plus de dix ans de manière séparée et il n’était pas démontré que le déplacement du centre d'intérêt de Mme B______ et le déracinement des enfants étaient nécessaires, hormis l'aspect socio-économique.

En tout état, les conditions légales fixées à l'art. 43 al. 1 LEI n'étaient pas réunies, le logement de 2,5 pièces dans lequel vivait M. A______ ne permettant pas d'y accueillir une famille composée de cinq personnes et ses moyens financiers étant insuffisants au regard des normes de l'aide sociale individuelle dans le canton de Genève, vu son revenu mensuel moyen de CHF 4’500.-. En conséquence, le risque que Mme B______ puisse bénéficier des prestations d'aide sociale demeurait concret, étant observé que son mari était, à ce jour, partiellement dépendant de ladite aide au vu de son revenu variable.

Il était encore relevé que cette décision était conforme au principe de la protection de la vie familiale au sens de l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0,101) étant donné qu'il ne s'agissait pas d'une séparation de la famille, que les conditions ultérieures du regroupement familial au sens de l'art. 43 al. 1 LEI n'étaient pas toutes remplies et que cette disposition ne conférait pas de droit inconditionnel à l'octroi d'une autorisation d'entrée et de séjour en Suisse.

L'autorisation d'entrée en faveur de Mme B______ devant être refusée, il en allait de même pour les enfants du couple.

7.             Aucune suite n'a été donnée à ce courrier.

8.             Le 13 juin 2023, Mme B______ et ses enfants ont formellement déposé une demande d'autorisation d'entrée en Suisse auprès de l’Ambassade suisse à Dakar.

9.             Par décision du 17 août 2023, l'OCPM a refusé, pour les mêmes motifs que ceux ressortant de sa lettre d'intention du 26 avril 2023, d'octroyer un autorisation d'entrée et de séjour en faveur de Mme B______ et ses enfants.

10.         Par acte du 28 septembre 2023, M. A______, agissant en son nom et celui de son épouse et de ses enfants mineurs, a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision.

Il n'était plus dépendant des prestations d'aide-sociale depuis le mois de juin 2023. Il n'avait pas fait sa demande de regroupement familial plus tôt car il n'avait pas une situation financière stable alors que son épouse avait un travail plus rémunérant et en raison des grossesses de son épouse et de l'arrivée des enfants. La crise sanitaire du Covid-19 avait par ailleurs retardé sa demande. Il avait déposé des demandes de logement auprès de la Ville de F______ et à ______[GE]. Son épouse travaillait dans le secteur de la santé et n’aurait aucun souci à trouver un emploi aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG). Elle avait déjà commencé à apprendre le français et poursuivrait son apprentissage à l'IFAGE dès son arrivée. En février 2021, il était resté cinq mois auprès de sa famille ce qui l'avait motivé à trouver un emploi stable afin de pouvoir la faire venir vivre à ses côtés. Il souhaitait voir ses enfants grandir et s'épanouir entourés de leurs deux parents.

Il a joint un chargé de pièces dont la demande d'autorisations d'entrée en Suisse déposée auprès de l'Ambassade suisse à Dakar, ses demandes de logement, son contrat de mission (indéterminée) chez G______ SARL, pour un salaire horaire de CHF 26.-, ses trois dernières fiches de salaires et une confirmation d'engagement du 1er mars 2017 de Mme B______ comme « Lab assistant ».

11.         Dans ses observations du 8 novembre 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours pour les motifs étayés dans sa décision du 17 août 2023. Le souhait de voir la famille réunie ne constituait pas en soi une raison familiale majeure. Celle-ci avait au surplus volontairement vécu séparée durant plusieurs années. En tout état, la situation financière de M. A______ ne permettait pas l'octroi d'une autorisation de séjour en faveur de sa femme et de ses enfants.

Il a transmis son dossier.

12.         Invité à répliquer par courrier du tribunal du 10 novembre 2023, M. A______ n'a pas donné suite.

13.         Par courrier du 19 février 2024, faisant suite à l’invitation du tribunal, Mme B______ a informé ce dernier donner procuration à son époux, M. A______, de la représenter dans le cadre de la présente procédure.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ;
140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             Les recourants contestent la décision de l’OCPM en tant qu’elle refuse l’octroi d’autorisations de séjour en faveur de Mme B______ et de leurs enfants au titre du regroupement familial.

6.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Gambie.

7.             L'art. 43 al. 1 LEI prévoit que le conjoint étranger du titulaire d'une autorisation d'établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l'octroi d'une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité aux conditions suivantes : ils vivent en ménage commun avec lui (let. a) ; ils disposent d'un logement approprié (let. b) ; ils ne dépendent pas de l'aide sociale (let. c) ; ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile (let. d); la personne à l'origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires (LPC - RS 831.30) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial (let. e).

8.             Le Secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) a précisé les dispositions précitées dans ses directives (Directives LEI, Domaine des étrangers, octobre 2013, état au 1er septembre 2023 ; ci-après : Directives LEI) qui ne lient pas le juge mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré, pourvu qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATA/1304/ 2019 du 27 août 2019 consid. 6), conformément à l'art. 89 OASA.

Selon ces directives (ch. 6.3.1.3), les moyens financiers doivent garantir que le regroupement familial n’entraîne pas une dépendance à l’aide sociale (art. 43 al. 1 let. c LEI). Pour évaluer le risque de dépendance à l’aide sociale, il faut se baser sur la situation passée et actuelle et estimer l’évolution financière probable à long terme, en prenant en compte les possibilités financières de tous les membres de la famille. La possibilité d’exercer une activité lucrative et les revenus qui en découlent doivent être concrètement prouvés et doivent, avec un certain degré de probabilité, être assurés à moyen ou long terme (ATF 139 I 330 consid. 4.1 ; arrêts du TAF 2C_1144/2014 du 5 août 2015 consid. 4.5.2 ; 2C_502/2020 du 4 février 2021 consid. 5.1 ; 2C_309/2020 du 5 octobre 2021 consid. 5.5). Les moyens financiers doivent au moins correspondre aux normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (Normes CSIAS). Les cantons sont libres de prévoir des moyens supplémentaires permettant de garantir l’intégration sociale des étrangers. La personne établie en Suisse ne doit pas percevoir de prestation complémentaire, ni pouvoir en percevoir en raison du regroupement familial (art. 43 al. 1 let. e. LEI). Lors de l’appréciation de la non-perception de prestations complémentaires, les critères développés pour l’évaluation du risque de dépendance à l’aide sociale s’appliquent par analogie (ATF 2C_309/2021 du 5 octobre 2021 consid. 5.5).

9.             Selon l’art. 47 al. 1 LEI, le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois.

Les délais commencent à courir, pour les membres de la famille d’étrangers, lors de l’octroi de l’autorisation de séjour ou d’établissement ou lors de l’établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. b LEI).

Passé ce délai, le regroupement familial différé n'est autorisé que pour des raisons familiales majeures. Si nécessaire, les enfants de plus de 14 ans sont entendus (art. 47 al. 4 LEI).

10.         Ces limites d'âge et ces délais visent à permettre une intégration précoce et à offrir une formation scolaire en Suisse aussi complète que possible (ATF 133 II 6 consid. 5.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1172 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.2 ; 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2 ; 2C_467/2016 du 13 février 2017 consid. 3.1.2). Les délais prévus à l'art. 47 LEI ont également pour objectif la régulation de l'afflux d'étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1172 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.2 ; 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2). Ces buts étatiques légitimes sont compatibles avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101)
(cf. ATF 142 II 35 consid. 6.1 ; 139 I 330 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1172 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.2 et les autres références).

Le Tribunal fédéral a précisé que même si le législateur a voulu soutenir une intégration des enfants le plus tôt possible, les délais fixés par la loi sur les étrangers ne sont pas de simples prescriptions d'ordre, mais des délais impératifs, leur stricte application ne relevant dès lors pas d'un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_289/2019 du 28 mars 2019 consid. 5).

11.         Aux termes de l'art. 75 OASA, des raisons familiales majeures au sens de l'art. 47 al. 4 LEI et des art. 73 al. 3 et 74 al. 4 OASA, peuvent être invoquées lorsque le bien de l'enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse.

12.         Selon la volonté du législateur, l'octroi d'une autorisation en vue de regroupement familial, lorsque la demande déposée en ce sens intervient en dehors des délais prévus à cet effet, doit rester l'exception et ne pas constituer la règle (cf. notamment arrêts du Tribunal fédéral 2C_781/2015 du 1er avril 2016 consid. 4.2 ; 2C_767/2015 du 19 février 2016 consid. 5.1.1). Il n'est fait usage de l'art. 47 al. 4 LEI qu'avec retenue (cf. notamment ATF 137 I 284 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_969/2017 du 2 juillet 2018 consid. 3.3 ; 2C_1102/2016 du 25 avril 2017 consid. 3.2 ; 2C_363/2016 du 25 août 2016 consid. 2.3).

Les principes jurisprudentiels développés sous l'ancien droit en matière de regroupement familial partiel subsistent lorsque le regroupement familial est demandé pour des raisons familiales majeures (ATF 137 I 284 consid. 2.3.1 ;
136 II 78 consid. 4.7).

13.         Selon la jurisprudence rendue sous l'empire de la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE - RS 1 113), le regroupement familial partiel différé est soumis à des conditions strictes. La reconnaissance d'un droit au regroupement familial suppose qu'un changement important de circonstances, notamment d'ordre familial, se soit produit, telle qu'une modification des possibilités de la prise en charge éducative à l'étranger. Il existe une raison majeure lorsque la prise en charge nécessaire de l'enfant dans son pays d'origine n'est plus garantie, à la suite par exemple du décès ou de la maladie de la personne qui s'en occupait (arrêts du Tribunal fédéral 2C_969/2017 du 2 juillet 2018 consid. 3.3 ; 2C_467/2016 du 13 février 2017 consid. 3.1.3 et 2C_147/2015 du 22 mars 2016 consid. 2.4.3). Lorsque le regroupement familial est demandé à raison de changements importants des circonstances à l'étranger, notamment dans les rapports de l'enfant avec le parent qui en avait la charge, il convient d'examiner s'il existe des solutions alternatives permettant à l'enfant de rester où il vit ; cette exigence est d'autant plus importante pour les adolescents (cf. not. ATF 133 II 6 consid. 3.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_969/2017 du 2 juillet 2018 consid. 3.3 ; 2C_905/2015 du 22 décembre 2015 consid. 4.2 ; 2C_438/2015 du 29 octobre 2015 consid. 5.1).

14.         Le regroupement familial partiel suppose également de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, comme l'exige l'art. 3 par. 1 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (CDE - RS 0.107). Enfin, les raisons familiales majeures pour le regroupement familial ultérieur doivent être interprétées d'une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 Cst. et 8 CEDH ; cf. not. arrêts du Tribunal fédéral 2C_969/2017 du 2 juillet 2018 consid. 3.3 ; 2C_1025/2017 du 22 mai 2018 consid. 6 ; 2C_207/2017 du 2 novembre 2017 consid. 5.3.1 ; 2C_781/2015 du 1er avril 2016 consid. 4.2 ; 2C_1129/2014 du 1er avril 2015 consid. 3.2).

La reconnaissance d'un droit au regroupement familial suppose que le parent établi en Suisse ait maintenu avec ses enfants une relation familiale prépondérante en dépit de la séparation et de la distance (ATF 133 II 6 consid. 3.1 ; ATA/495/2017 du 2 mai 2017 consid. 6a). On peut notamment admettre qu'il y a une relation familiale prépondérante entre les enfants et le parent vivant en Suisse lorsque
celui-ci a continué d'assumer de manière effective pendant toute la période de son absence la responsabilité principale de leur éducation, en intervenant à distance de manière décisive pour régler leur existence sur les questions essentielles. Il faut toutefois réserver les situations d'abus de droit, soit notamment celles dans lesquelles la demande de regroupement vise en priorité une finalité autre que la réunion de la famille sous le même toit. Par ailleurs, indépendamment de ces situations d'abus, il convient, surtout lorsque la demande de regroupement familial intervient après de nombreuses années de séparation, de procéder à un examen d'ensemble des circonstances portant en particulier sur la situation personnelle et familiale de l'enfant et sur ses réelles possibilités et chances de s'intégrer en Suisse et d'y vivre convenablement. Pour en juger, il y a notamment lieu de tenir compte de son âge, de son niveau de formation et de ses connaissances linguistiques. Un soudain déplacement de son centre de vie peut en effet constituer un véritable déracinement pour lui et s'accompagner de grandes difficultés d'intégration dans le nouveau cadre de vie ; celles-ci seront d'autant plus probables et potentiellement importantes que son âge sera avancé (ATF 133 II 6 consid. 3.1.1 ; 129 II 11 consid. 3.3.2).

Les circonstances (politiques, économiques, sécuritaires, sociales, etc.) affectant l'ensemble de la population ne sauraient justifier, de manière générale, une autorisation fondée sur des raisons familiales majeures au sens de l'art. 47 al. 4 LEI (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_767/2013 du 6 mars 2014 consid. 3.5 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral F-3819/2014 du 1er novembre 2016 consid. 6.3.3 et C-5312/2011 du 15 janvier 2013 consid. 6.5).

15.         Le désir de voir tous les membres de la famille réunis en Suisse est à la base de toute demande de regroupement familial, y compris celles déposées dans les délais, et représente même une des conditions du regroupement. La seule possibilité de voir la famille réunie ne constitue dès lors pas une raison familiale majeure (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1025/2017 du 22 mai 2018 consid. 6.1 ; 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 3.1 ; 2C_887/2014 du 11 mars 2015 consid. 3.2 ; 2C_205/2011 du 3 octobre 2011 consid. 4.5). Ainsi, lorsque la demande de regroupement est effectuée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d'autres raisons sont nécessaires (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1025/2017 du 22 mai 2018 consid. 6.1 ; 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 3.1 et les références).

16.         S’agissant en particulier du regroupement familial du conjoint après l’échéance du délai légal, tant que des raisons objectives et plausibles ne justifient pas le contraire, il y a lieu d’admettre que les conjoints qui vivent volontairement séparés pendant des années manifestent ainsi un moindre intérêt à vivre ensemble (arrêts du Tribunal fédéral 2C_348/2016 du 17 mars 2017 consid. 2.3 et 2C_914/2014 du 18 mai 2015 consid. 4.1). Un motif apparaît d’autant plus sérieux que les époux ne pourraient remédier à leur situation de vie séparée qu’au prix d’un préjudice important (arrêt 2C_544/2010 du 23 décembre 2010 consid. 2.3.1 ; Directives LEI, ch. 6.10.3).

17.         En vertu de l'art. 8 CEDH, toute personne a notamment droit au respect de sa vie privée et familiale. Cette garantie peut conférer un droit à une autorisation de séjour en faveur des enfants mineurs d'étrangers bénéficiant d'un droit de présence assuré en Suisse ou de ressortissants suisses si les liens noués entre les intéressés sont étroits et si le regroupement vise à assurer une vie familiale commune effective (cf. notamment ATF 137 I 284 consid. 1.3; 135 I 143 consid. 1.3.1). La protection accordée par l'art. 8 CEDH suppose que la relation étroite et effective avec l'enfant ait préexisté (arrêt du TF 2C_553/2011 du 4 novembre 2011 consid. 4.3 in fine). Les signes indicateurs d'une relation étroite et effective sont en particulier le fait d'habiter sous le même toit, la dépendance financière, des liens familiaux particulièrement proches, des contacts réguliers (cf. notamment ATF 135 I 143 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1045/2014 du 26 juin 2015 consid. 1.1.2). Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue un droit d'entrée et de séjour, ni non plus, pour un étranger, le droit de choisir le lieu de domicile de sa famille (ATF 144 II 1 consid. 6.1; 142 II 35 consid. 6.1; 137 I 247 consid. 4.1.1 et arrêts cités). Ainsi, lorsqu'un étranger a lui-même pris la décision de quitter sa famille pour aller vivre dans un autre État, ce dernier ne manque pas d'emblée à ses obligations de respecter la vie familiale s'il n'autorise pas la venue des proches du ressortissant étranger ou la subordonne à certaines conditions (ATF 143 I 21 consid. 5.1; arrêt du TF 2C_781/2017 du 4 juin 2018 consid. 3.1). Une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale est possible aux conditions de l'art. 8 § 2 CEDH. La question de savoir si, dans un cas d'espèce, les autorités compétentes sont tenues d'accorder une autorisation de séjour fondée sur l'art. 8 CEDH doit être résolue sur la base d'une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence (ATF 139 I 145 consid. 2.2; 137 I 284 consid. 2.1 et réf. citées).

S'agissant d'un regroupement familial, il convient de tenir compte, dans cette pesée des intérêts, notamment des exigences auxquelles le droit interne soumet celui-ci (ATF 137 I 284 consid. 2.6; arrêt du TF 2C_1172/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.1). Il n'est en effet pas concevable que, par le biais de l'art. 8 CEDH, un étranger qui ne dispose, en vertu de la législation interne, d'aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par les art. 42 ss LEI ne soient réalisées (arrêts du TF 2C_677/2018 du 4 décembre 2018 consid. 6; 2C_723/2018 du 13 novembre 2018 consid. 5.3). Notamment, le regroupement familial doit avoir été demandé dans les délais prévus à l'art. 47 LEI et ne doit pas intervenir en violation claire des intérêts et des relations familiales de l'enfant, la relation antérieure entre l'enfant et le parent qui requiert le regroupement devant faire l'objet d'une appréciation, et il ne doit pas y avoir d'abus de droit (cf. ATF 137 I 284 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1075/2015 du 28 avril 2016 consid. 3.1 ; 2C_176/2015 du 27 août 2015 consid. 2.1 ; 2C_303/2014 du 20 février 2015 consid. 4.1).

18.         Enfin, comme évoqué plus haut, il doit encore être tenu compte de l'art. 3 § 1 CDE, qui impose d'accorder une importance primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_639/2012 du 13 février 2013 consid. 4.3 ; 2C_247/2012 du 2 août 2012 consid. 3.2). Les dispositions de la CDE ne font toutefois pas de l'intérêt de l'enfant un critère exclusif, mais un élément d'appréciation, dont l'autorité doit tenir compte lorsqu'il s'agit de mettre en balance les différents intérêts en présence (cf. ATF 139 I 315 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_851/2014 du 24 avril 2015 consid. 4.2). Le Tribunal fédéral a en outre jugé que les dispositions de cette convention ne conféraient aucune prétention directe à l'octroi d'une autorisation de séjour (cf. ATF 139 I 315 consid. 2.4 ; 126 II 377 consid. 5 ; 124 II 361 consid. 3b).

19.         En l’espèce, le recourant disposait d’un délai impératif de cinq ans depuis l’établissement du lien familial avec son épouse, respectivement ses trois enfants, pour requérir le regroupement familial avec ces derniers. Son mariage ayant été célébré le ______ 2013, ce délai est arrivé à échéance le ______ 2018, concernant son épouse. Concernant sa fille aînée C______, née le ______ 2013, il est arrivé à échéance le ______ 2018. Par conséquent, déposée le 12 avril 2023, la demande de regroupement familial en leur faveur est manifestement tardive, ce qui n’est au demeurant pas contesté.

Tel n’est en revanche pas le cas concernant D______ et E______, nés en 2019 et 2022. Le recourant n’a toutefois nullement exprimé l’hypothèse, même à titre subsidiaire, d’un regroupement familial en faveur des précités uniquement, et rien ne laisse penser qu’un tel regroupement familial serait souhaité, le recourant ayant au contraire indiqué qu’il souhaitait voir la famille réunie. En tout état, il doit être constaté que ces derniers, actuellement âgés de 4 et 1 ans, nécessiteraient une prise en charge totale, en raison de leur jeune âge, que le recourant, qui exerce une activité lucrative, serait difficilement à même de leur offrir seul. Le recourant n’a de plus jamais fait ménage commun avec ces derniers au-delà d’une période de cinq mois, à une reprise. Séparer ces enfants de leur mère et de leur sœur avec lesquelles ils vivent depuis leur naissance afin de venir vivre dans un environnement inconnu auprès de leur père serait sans conteste un déracinement pour eux. Un tel regroupement partiel n’apparait ainsi manifestement pas dans leur intérêt prépondérant.

Il convient donc d’examiner si des raisons familiales majeures sont susceptibles de justifier un regroupement familial différé s’agissant de Mme B______ et de sa fille aînée, seule hypothèse dans laquelle cette dernière et ses enfants pourraient voir leurs requêtes acceptées.

Le recourant fait valoir, au titre de raisons personnelles majeures, sa situation financière instable alors que son épouse avait un travail plus rémunérant, les grossesses de son épouse et l'arrivée des enfants ainsi que la crise sanitaire du Covid-19. Ces motifs l’avaient empêché de déposer sa demande dans les délais légaux. Or, le tribunal ne peut que constater que ces éléments ne constituent pas des raisons familiales majeures au sens de l’art. 47 al. 4 LEI. En effet, dès lors que l’indépendance financière est précisément l’une des conditions d’acceptation du regroupement familial, le requérant d’un tel regroupement ne peut se prévaloir du fait qu’il ne remplit pas les conditions posées par la loi pour justifier la prolongation du délai légal applicable jusqu’à ce qu’il les remplisse enfin, sauf à violer le but de la loi, qui est précisément de maîtriser l’afflux migratoire par le biais d’un cadre précis. Quant à la pandémie de Covid-19 qui aurait retardé ses démarches, conformément à la jurisprudence, les circonstances affectant l’ensemble de la population ne sauraient justifier une autorisation fondée sur des raisons familiales majeures. Or, prendre en compte une pandémie qui a touché l’ensemble la planète contreviendrait précisément à ce principe ainsi qu’à celui de l’égalité de traitement avec les autres candidats au regroupement familial en Suisse, qui étaient de facto dans la même situation que le recourant durant la pandémie et auxquels le délai légal de cinq ans a également été appliqué. En tout état, le délai pour requérir le regroupement familial a commencé à courir bien avant la pandémie. Partant,
celle-ci ne saurait justifier un regroupement familial différé. Il doit quoiqu’il en soit être constaté qu’aucun changement important de circonstances, notamment d’ordre familial, impactant la prise en charge en Gambie de Mme B______ et ses enfants n’a été démontré, ni même allégué. En effet, il ne ressort pas des éléments au dossier ni des explications du recourant que les intéressés ne seraient plus en mesure de continuer à vivre en Gambie, comme ils l’ont fait jusqu’alors. L’on relèvera à cet égard que le recourant, lorsqu’il a épousé Mme B______, savait que cette dernière, en l’absence de dépôt d’une demande en vue de vivre ensemble en Suisse, ne pourrait faire ménage commun avec lui après leur union. Ainsi, le fait de vivre dans deux pays différents suite à la célébration de leur mariage il y a plus de dix ans découle d’un choix de vie que les époux ont fait en toute connaissance de cause et dans lequel ils ont persisté même après la naissance de leurs enfants. Il apparaît ainsi que Mme B______ et son époux ont choisi de vivre séparés, nonobstant les inconvénients qui en découlaient. Partant, ils ne sauraient désormais valablement se prévaloir de ces inconvénients, étant rappelé que le désir des requérants de voir les membres de leur famille réunis en Suisse ne constitue, conformément à la jurisprudence précitée, pas une raison familiale majeure. Les conditions restrictives posées au regroupement familial différé par l’art. 47 al. 4 LEI, en relation avec les art. 73 al. 3 et 75 OASA ne sont ainsi pas remplies

Au vu de ce qui précède, c’est dès lors à juste titre que l’autorité intimée a refusé de donner une suite positive à la demande de regroupement familial déposée en faveur de Mme B______ et ses enfants.

20.         Enfin, la décision de refus querellée ne consacre aucune violation de l’art. 8 CEDH.

En effet, compte tenu du raisonnement qui précède, force est de constater que Mme B______ et ses enfants ne disposent, en vertu de la législation suisse, d’aucun droit à obtenir un titre de séjour sur le sol helvétique. Par conséquent, les conditions posées par les art. 43 ss LEI n'étant pas réalisées, ils ne sauraient valablement se prévaloir du droit conventionnel pour contourner la législation interne et obtenir un titre de séjour en leur faveur, étant rappelé que le droit au respect de la vie familiale n’est pas absolu et que la mise en œuvre d’une politique restrictive en matière de séjour des étrangers constitue précisément un but légitime susceptible de justifier une ingérence dans ce domaine, conformément à la jurisprudence citée supra.

En tout état, le tribunal constate que la famille pourra continuer d’entretenir des relations à distance, comme elle l’a fait jusqu’à présent.

Enfin, pour les motifs exposés précédemment, la décision litigieuse est également conforme au bien des enfants, notamment sous l’angle de la CDE, qui n'accorde, au demeurant, aucun droit à une réunification familiale.

21.         En conclusion, l'OCPM n'a violé ni le droit conventionnel, ni le droit fédéral, ni encore excédé ou abusé de son pouvoir d'appréciation (cf. art. 96 LEI) en rejetant la demande de regroupement familial formulée en faveur de Mme B______ et de ses trois enfants.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

22.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

23.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 10 octobre 2023 par Monsieur A______, agissant en son nom et celui de son épouse Madame B______ et de ses enfants mineurs C______, D______ et E______, contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 17 août 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier