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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2067/2020

JTAPI/159/2024 du 26.02.2024 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : EFFET CONFISCATOIRE DE L'IMPÔT
Normes : LIPP.60.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2067/2020 ICC

JTAPI/159/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 février 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______ et Madame B______, représentés par BERNEY ASSOCIES SA, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne l'impôt cantonal et communal (ICC) 2012 à 2017.

2.             Par bordereau de taxation du 12 mai 2015, l'administration fiscale cantonale 
(ci-après : AFC-GE) a fixé l'ICC 2012 de Monsieur A______ et Madame B______ (ci-après : les contribuables) à CHF 123'740.40.- sur la base d'un revenu imposable de CHF 45'797.- et d'une fortune imposable de CHF 15'399'265.-.

3.             Par bordereau de taxation du 19 mai 2015, l'AFC-GE a fixé l'ICC 2013 des contribuables à CHF 131'582.40.- sur la base d'un revenu imposable de CHF 61'389.- et d'une fortune imposable de CHF 15'186'182.-.

4.             Le 11 juin 2015, sous la plume de leur mandataire, les contribuables ont formé réclamations contre les deux bordereaux de taxations précités, concluant à leur annulation et à la notification de nouveaux bordereaux calculés selon leurs calculs.

Leurs taxations présentant un caractère confiscatoire, le bouclier fiscal (art. 60 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 ; LIPP - D 3 08), soit le « 60 % du 1 % de la fortune nette imposable », devait leur être appliqué comme suit :

Année

Rendement de 1 % sur la fortune

Application du bouclier fiscal sur le rendement (60 %)

ICC demandé (avec TP, IIC et imputations)

2012

CHF 156'869.-

CHF 94'121.-

CHF 96'221.80.-

2013

CHF 154'347.-

CHF 92'608.-

CHF 94'708.80.-

Tableau 1

5.             Par bordereau de taxation du 3 décembre 2018, l'AFC-GE a fixé l'ICC 2014 des contribuables à CHF 159'781.80 sur la base d'un revenu imposable de CHF 90'040.- et d'une fortune imposable de CHF 14'953'416.-.

6.             Par bordereau de taxation du 3 décembre 2018, l'AFC-GE a fixé l'ICC 2016 des contribuables à CHF 157'138.95.- sur la base d'un revenu imposable de CHF 105'235.- et d'une fortune imposable de CHF 14'642'788.-.

7.             Par bordereau de taxation du 12 décembre 2018, l'AFC-GE a fixé l'ICC 2015 des contribuables à CHF 149'882.40.- sur la base d'un revenu imposable de CHF 78'522.- et d'une fortune imposable de CHF 14'868'135.-.

8.             Par courrier du 21 décembre 2018, les contribuables ont formé réclamation contre leurs bordereaux de taxation ICC 2014, 2015 et 2016, concluant à leur annulation et à la notification de nouveaux bordereaux.

Leurs taxations ICC 2014 à 2016 avaient été effectuées sur la base d'une récente jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle ils ne bénéficiaient pas ou très peu de l'application de l'art. 60 LIPP, car leurs revenus imposables ne comprenaient pas un rendement net de fortune de 1 %. Un revenu fictif était ainsi ajouté à leurs revenus imposables et les nouveaux revenus calculés, même limités à 60 %, ne bénéficiaient quasiment pas du bouclier fiscal.

Ces taxations étaient disproportionnées par rapport à leurs revenus imposables et avaient donc un caractère confiscatoire. En effet, pour les payer, ils devraient se dessaisir de leur fortune.

Par ailleurs, leur fortune mobilière était principalement investie dans la société C______ SA, dont la contribuable était actionnaire. Cette société étant en surendettement, une partie de la créance de Mme B______ avait été postposée. De plus, les créances des actionnaires n'étaient pas rémunérées et il n'y avait pas de dividende distribué. Les rendements nets de leur fortune étaient ainsi négatifs pour les années 2014 à 2016.

Pour pouvoir payer leurs impôts et vivre sans devoir se dessaisir de leur fortune, les ICC 2014 à 2016 devaient être limités à 60 % du revenu imposable sans tenir compte d'un rendement net de la fortune.

À l'appui de leurs explications, ils ont produit les calculs suivants :

Année

ICC fixé par l'AFC-GE (hors TP, IIC et imputations)

Revenu imposable

Charge fiscale

Dessaisissement de fortune

ICC demandé (60 % du revenu imposable)

2014

157'901.40.-

90'040.-

175.36 %

67'861.-

54'024.-

2015

148'317.-

78'522.-

188.88 %

69'795.-

47'113.20.-

2016

157'813.40.-

105'235.-

149.96 %

52'578.-

63'141.-

Tableau 2

9.             Par bordereau de taxation du 22 mai 2019, l'AFC-GE a fixé l'ICC 2017 des contribuables à CHF 153'597.10.- sur la base d'un revenu imposable de CHF 134'809.- et d'une fortune imposable de CHF 13'639'823.-.

10.         Le 11 juin 2019, les contribuables ont formé réclamation contre le bordereau précité, concluant à son annulation et à la notification d'un nouveau bordereau.

Leur argumentation était en substance similaire à celle développée pour les périodes fiscales 2014 à 2016.

Ils ont produit les calculs suivants :

Année

ICC fixé par l'AFC-GE hors TP, IIC et imputations

Revenu imposable

Charge fiscale

Dessaisissement de fortune

ICC demandé (60 % du revenu imposable)

2017

155'807.10.-

134'809.-

115.58 %

23'745.-

80'885.-

Tableau 3

11.         Par courrier du 24 avril 2020, l'AFC-GE a transmis aux contribuables les détails du calcul du bouclier fiscal pour les taxations 2012 à 2017, lequel tenait compte de la nouvelle jurisprudence en la matière. Le nouveau mode de calcul engendrait un supplément fiscal pour les années 2012 et 2013.

Le bouclier fiscal avait été déterminé comme suit :

Année

Rendement de la fortune déterminant (1 %)

Revenu net déterminant pour le bouclier

ICC avant bouclier

ICC après bouclier hors TP, IIC et imputations (charge fiscale)

2012

156'869.-

251'160.-

153'145.-

150'696.- (60 %)

2013

154'347.-

262'585.-

153'401.-

153'401.- (58 %)

2014

152'019.-

284'771.-

157'901.-

157'901.- (55 %)

2015

151'166.-

247'195.-

153'056.-

148'317.- (60 %)

2016

148'913.-

272'200.-

157'813.40.-

157'813.40.- (58 %)

2017

141'749.-

283'431.-

155'807.10.-

155'807.10.- (54 %)

Tableau 4

Un délai au 2 juin 2020 était accordé aux contribuables pour se prononcer quant à ces calculs.

12.         Le 3 juin 2020, les contribuables ont répondu à l'AFC-GE.

Leur cas était particulier et se détachait de la simple application du bouclier fiscal. La majorité de leur fortune imposable était investie dans la société C______ SA qui se trouvait en surendettement et dont la valeur fiscale des actions était nulle, raison pour laquelle leurs revenus imposables ne comprenaient pas 1 % de rendement net de fortune. De plus, la contribuable avait postposé une partie de sa créance envers cette société. Pour ces raisons, il ne fallait pas tenir compte de cette créance, constituant de la fortune non rémunératrice, pour calculer leur bouclier fiscal.

De plus, pour payer leurs impôts, ils devaient, chaque année, se dessaisir de leur fortune. Il convenait ainsi d'atténuer le caractère confiscatoire des ICC.

Ils sollicitaient par ailleurs un rendez-vous pour discuter de ce cas particulier et renvoyaient pour le surplus aux arguments développés dans leurs réclamations.

13.         Par décisions sur réclamation du 10 juin 2020, l'AFC-GE a rectifié les taxations ICC 2012 et 2013, conformément à son courrier du 24 avril 2020.

Pour l'année 2012, elle a retenu un revenu imposable de CHF 45'797.- et une fortune imposable de CHF 15'399'265.-, fixant ainsi l'ICC à CHF 152'836.80.-. La réduction liée au bouclier fiscal était de CHF 1'925.80.-.

Pour l'année 2013, elle a retenu un revenu imposable de CHF 61'389.- et une fortune imposable de CHF 15'186'182.-, fixant ainsi l'ICC à CHF 155'541.25.-. Il n'y avait pas de réduction liée au bouclier fiscal.

Elle a pour le surplus maintenu les taxations 2014 à 2017, son courrier du 24 avril 2020 étant resté sans suite.

14.         Par acte du 9 juillet 2020, sous la plume de leur mandataire, les contribuables ont recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal), concluant à leur annulation et à ce qu'il soit demandé à l'AFC-GE de notifier des nouvelles décisions en tenant compte de leur calcul d'impôt confiscatoire pour l'ICC 2012 à 2017.

À titre préalable, ils étaient surpris que l'autorité intimée ait considéré qu'ils n'avaient pas donné suite à son courrier du 24 avril 2020. En effet, ils avaient contacté l'AFC-GE pour vérifier si leur réponse, envoyée par recommandé le 3 juin 2020, avait bien été reçue. Un collaborateur de l'AFC-GE leur avait répondu que leur courrier s'était croisé avec les décisions sur réclamation, leur dossier n'ayant pas été ouvert entre les 4 et 10 juin 2020. L'AFC-GE avait par la suite refusé de réexaminer ses décisions en tenant compte de leur réponse du 3 juin 2020. Par ailleurs, le courrier du 24 avril 2020 était un courrier simple et un rappel aurait dû leur être envoyé avant la notification des décisions.

Leurs taxations ICC 2012 à 2017 étaient disproportionnées par rapport à leurs revenus imposables. La charge fiscale de l'ICC représentait entre 115.58 % (2017) et 265.52 % de leurs revenus selon les années (cf. tableau 4). Bien qu'ils disposaient d'une fortune importante, entre CHF 14'174'985.- et CHF 15'399'265.- selon les années, leurs impositions avaient un caractère confiscatoire contraire à l'art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et à la jurisprudence. Ils devraient en effet se dessaisir de leur fortune pour un total de CHF 565'735.- pour payer leurs ICC 2012 à 2017.

Pour remédier à la portée limitée du bouclier fiscal dans leur cas, il ne fallait pas tenir compte de la fortune non rémunératrice de rendement dans le calcul de ce dernier. Les actions de C______ SA et la créance envers cette dernière devaient ainsi être exclues du calcul, la société étant surendettée et une partie de la créance de la recourante étant postposée. Avec cette méthode toutefois, l'ICC représenterait entre 76.64 % (en 2017) et 166.65 % (en 2012) de leurs revenus et aurait donc encore un caractère confiscatoire. La meilleure solution était donc d'appliquer le bouclier fiscal directement sur leurs revenus imposables, sans tenir compte d'aucun rendement net de la fortune. À ce propos, ils renvoyaient aux calculs présentés dans leurs réclamations (cf. tableaux 2 et 3).

Ils ont produit des pièces dont les décisions sur réclamation de l'AFC-GE et des tableaux de calculs expliquant la méthode qu'ils souhaitaient faire appliquer.

15.         Dans le délai prolongé au 12 octobre 2020 pour ses observations, l'AFC-GE a demandé la suspension de la cause pour instruction complémentaire auprès des recourants.

Elle a joint deux courriers envoyés à ces derniers leur demandant la production de plusieurs pièces relatives à leurs titres et à la situation de la société C______ SA.

16.         Par courrier du 3 décembre 2020, les recourants ont informé le tribunal qu'ils étaient d'accord de suspendre la cause.

Ils avaient par ailleurs transmis à l'AFC-GE les pièces demandées par cette dernière.

17.         Par décision du 4 décembre 2020 (DITAI/495/2020), le tribunal a prononcé la suspension de l'instruction du recours.

18.         Cette suspension a été reconduite par décision du 21 janvier 2022 (DITAI/33/2022), toujours avec l'accord des parties.

19.         Par courrier du 17 mars 2023, les recourants ont demandé au tribunal la reprise de l'instruction de la cause.

20.         Le 18 août 2023, dans le délai prolongé à sa demande, l'AFC-GE a communiqué ses observations et transmis son dossier au tribunal, concluant au rejet du recours.

Les propositions formulées par les recourants allaient à l'encontre de la jurisprudence fédérale et s'écartaient du texte de l'art. 60 LIPP.

Leur premier calcul consistant à comparer la charge fiscale ICC effective avec le revenu imposable pour démontrer une charge d'impôt située entre 115 % et 265 % ne tenait pas compte du fait que le revenu net ne devait pas être pris tel quel mais retravaillé afin de tenir compte de la deuxième phrase de l'art. 60 al. 1 LIPP.

De la même manière, leur second calcul consistant à appliquer partiellement la deuxième phrase de l'art. 60 al. 1 LIPP en excluant certains actifs dans la détermination du rendement minimum de la fortune nette pour le calcul n'était pas soutenable dans la mesure où l'ensemble des revenus du contribuable devait être pris en compte dans la détermination du bouclier fiscal.

S'agissant de leur solution consistant à appliquer la limitation de la charge fiscale à hauteur de 60 % du revenu imposable en tenant compte d'aucun rendement minimum de fortune, elle vidait totalement de sa substance la volonté du législateur d'imposer un rendement minimum de fortune dans la détermination de la charge fiscale maximale. En effet, il n'avait jamais été question d'exclure ou, à contrario, de privilégier certains types d'investissements réalisés de manière libre et indépendante par les contribuables. Créer une telle hiérarchisation entre types d'actifs reviendrait à créer une inégalité de traitement entre les investisseurs selon la nature de leurs placements et le potentiel de rémunération de ceux-ci.

La charge fiscale que représentait l'ICC sur le revenu net déterminant des recourants entre 2012 et 2017 ne dépassait jamais 60 % et respectait l'art. 60 LIPP, de sorte que le taux ne pouvait pas être qualifié de confiscatoire. À l'appui de cela, ils avaient produit leurs calculs du bouclier fiscal (cf. tableau 4).

Bien qu'un investissement réalisé dans une société non cotée, comme C______ SA, était nécessairement moins liquide que d'autres types de placement, la contribuable occupait tant une position de détentrice de droit de participation à l'égard des actions qu'elle détenait dans la société que de créancière à l'égard des avances consenties à celle-ci. Elle en était également administratrice et d'autres membres de sa famille proche occupaient des postes dirigeants. Malgré sa situation compliquée, la société réalisait des bénéfices certaines années, soit CHF 203'106.- en 2013, CHF 1'239'471.- en 2014 et CHF 1'094'055.- en 2017. Le fait qu'aucun intérêt sur créances ou affectation d'une part du bénéfice aux actionnaires n'ait été octroyé relevait de décisions qui incombaient aux organes de la société dont la recourante était partie prenante, à l'instar de ses parents et de son frère. Par ailleurs, la recourante ainsi que les membres proches de sa famille étaient partie prenante dans plusieurs sociétés dans lesquelles C______ SA détenait des participations. Exclure du rendement minimum de la fortune nette des actifs dont la rémunération dépendait directement ou indirectement du pouvoir décisionnel de la recourante reviendrait ainsi à permettre à cette dernière d'influer sur la détermination de sa charge fiscale.

21.         Par réplique du 9 octobre 2023, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

Leur recours ne concernait pas l'application du bouclier fiscal, mais la limite de cette application dans le cadre de leurs taxations ICC qui généraient un impôt confiscatoire, dans la mesure où leur imposition, y compris celle sur la fortune, dépassait durablement leurs revenus.

Pour déterminer si l'impôt était confiscatoire, il ne fallait pas, comme l'avait fait l'AFC-GE, additionner le revenu fictif correspondant au rendement net de fortune de 1 % au revenu net déterminant, mais tenir uniquement compte de ce dernier.

Quant aux bénéfices générés par la société, il ne s'agissait que de bénéfices comptables ne permettant pas la distribution de dividende. Cette dernière dépendait en effet du compte de pertes et profits de la société, lequel avait toujours été négatif entre 2012 et 2017. Ils n'avaient ainsi pas agi dans le but d'éviter délibérément l'obtention d'un rendement de leur fortune.

22.         Par duplique du 6 novembre 2023, l'AFC-GE a persisté dans ses conclusions, renvoyant à sa réponse du 18 août 2023.

L'art. 60 LIPP ne prévoyait aucune exception permettant d'exclure certains éléments de fortune dans la détermination du rendement minimum. À l'instar de ce qui prévalait pour d'autres actifs improductifs de revenus (espèces, numéraire, bien-fonds, etc.), le rendement minimum de 1 % devait s'appliquer.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.

3.             Les recourants reprochent à l'autorité intimée de ne pas avoir pris en compte leur courrier du 3 juin 2020 avant de rendre ses décisions sur réclamation.

4.             Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 41 LPA, comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d'être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu'elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2 et les références citées). Il implique notamment que l’administré soit informé de l’objet de la procédure et du contenu prévisible de la décision envisagée à son égard. Il doit avoir la possibilité de se prononcer préalablement à celle-ci sur l’appréciation juridique des faits et l’argumentation juridique si l’autorité envisage de la fonder sur une norme ou un motif qu’aucune des parties à la procédure n’avait invoquée jusque-là, ou dont elle ne pouvait supputer la pertinence (ATF 144 I 11 ; 125 V 368 ; 124 I 49 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 519 n. 1529).

Une violation du droit d’être entendu peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s’exprimer devant une autorité de recours jouissant d’un plein pouvoir d’examen, à l’instar de l’autorité inférieure. Si une telle réparation dépend de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception, elle peut cependant se justifier même en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure. En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; ATA/782/2022 du 9 août 2022 consid. 2b ; ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 6c et les références citées).

5.             À teneur de l'art. 50 al. 2 LPFisc, dans la procédure de recours, le Tribunal administratif de première instance a les mêmes compétences que le département dans la procédure de taxation.

6.             En l'espèce, dans son courrier du 24 avril 2020, l'AFC-GE avait fixé un délai au 2 juin 2020 aux recourants pour se déterminer. Or, ces derniers expliquent
eux-mêmes avoir envoyé leurs observations le 3 juin 2020, soit après le délai imparti. Quoi qu'il en soit, ils ont eu la possibilité de produire ce courrier dans le cadre de la présente procédure et ils font au demeurant valoir les arguments avancés dans ce dernier dans leur recours, soit notamment le fait que la part de leur fortune en lien avec la société C______ SA doit être déduite du calcul du bouclier fiscal. L'autorité intimée a pu, dans sa réponse du 18 août 2023, se déterminer à leur propos. En outre, un double échange d’écritures a eu lieu devant le tribunal, au cours duquel les recourants ont pu compléter leur argumentation après avoir pris connaissance de la réponse de l’AFC-GE.

Dès lors, leur droit d'être entendu n'a pas été violé.

7.             Les recourants estiment que, malgré l'application du bouclier fiscal, leurs ICC 2012 à 2017 avaient un caractère confiscatoire, dans la mesure où ils devaient se dessaisir de leur fortune pour payer ces impôts. Pour remédier à cela, ils demandent à ce que le rendement théorique de 1 % de leur fortune nette ne soit pas ajouté à leur revenu net imposable, ou à tout le moins, à ce que la partie de leur fortune composée d'actions et de créances envers la société C______ SA ne soit pas prise en compte, cette dernière étant surendettée et ne distribuant pas de dividende.

8.             Aux termes de l’art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. En matière fiscale, cette disposition ne va pas au-delà de l’interdiction d’une imposition confiscatoire, laquelle porte atteinte à l’institution même et au noyau essentiel de la propriété privée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_579/2009 du 25 juin 2010 consid. 6.2 ; 2C_277/2008 du 26 septembre 2008 consid. 4.1). Pour juger si l’impôt a un effet confiscatoire, il faut examiner la charge que représente l’imposition sur une assez longue période, en faisant abstraction des circonstances extraordinaires. À cette fin, il y a lieu de prendre en considération l’ensemble des circonstances concrètes, la durée et la gravité de l’atteinte, ainsi que le cumul avec d’autres taxes ou contributions, de même que la possibilité de reporter l’impôt sur d’autres personnes (ATF 128 II 112 consid. 10b/bb ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_579/ 2009 précité du 25 juin 2010 6.2 ; 2C_277/2008 du 26 septembre 2008 consid. 4.1) ou encore le fait que l’impôt sur la fortune devait en principe pouvoir être couvert par les rendements de celle-ci (ATF 106 Ia 342 consid. 6b). Le noyau essentiel de la propriété privée n’est pas touché si, pendant une courte période, le revenu à disposition ne suffit pas au contribuable à s’acquitter de la charge fiscale sans entamer la fortune (ATF 106 Ia 342 consid. 6c ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_277/2008 du 26 septembre 2008 consid. 4.1 ; 2P.139/2004 du 30 novembre 2004 consid. 4.1). En particulier, dans les cas dans lesquels la fortune ne produit que peu ou pas de rendement, l’imposition ne saurait être jugée confiscatoire si le contribuable renonce volontairement à un rendement suffisant en raison de relations familiales ou dans l’attente d’une réalisation future bien supérieure au revenu de la fortune (ATF 106 Ia 342 consid. 6c).

9.             Dans le but de lutter contre l'effet confiscatoire potentiel d'un cumul de l'impôt sur la fortune et de l'imposition globale du revenu, certains cantons, dont celui de Genève, ont introduit un mécanisme particulier, sous la forme d'un bouclier fiscal, dans l'idée d'assurer que l'addition du taux effectif d'impôt sur la fortune et le revenu ne dépasse pas un certain seuil maximum de l'imposition du revenu (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème édition, 2017, p. 45 n. 47). Ainsi, selon l'art. 60 al. 1 LIPP, entré en vigueur le 1er janvier 2011, pour les contribuables domiciliés en Suisse, les impôts sur la fortune et sur le revenu, centimes additionnels cantonaux et communaux compris, ne peuvent excéder au total 60 % du revenu net imposable. Toutefois, pour ce calcul, le rendement net de la fortune est fixé au moins à 1 % de la fortune nette. Sont considérés comme rendement net de la fortune, au sens de cette disposition, les revenus provenant de la fortune mobilière et immobilière, sous déduction notamment des frais mentionnés à
l'art. 34 let. a, c, d et e LIPP (al. 2).

10.         La chambre administrative de la Cour de justice a jugé que, lorsque l'art. 60 al. 1 LIPP est en vigueur durant l'exercice fiscal litigieux, le caractère confiscatoire de l'ICC doit être examiné à la lumière de cette disposition. Le contribuable ne peut dès lors pas procéder à une simple comparaison entre l'ICC total et son revenu imposable, sans tenir compte des règles et critères de l'art. 60 LIPP, pour déterminer la charge fiscale (ATA/712/2022 du 5 juillet 2022 consid. 10).

11.         En l'espèce, les périodes fiscales litigieuses s'étalent entre 2012 et 2017 et sont donc postérieures à l'entrée en vigueur de l'art. 60 LIPP. Partant, le caractère confiscatoire de ces taxations sera examiné, conformément à la jurisprudence précitée, à l'aune de cette disposition.

12.         Selon la jurisprudence relative à l'art. 60 LIPP, le rendement net de la fortune n'est qu'un élément parmi d'autres revenus nets imposables du contribuable et il ne peut pas être inférieur à 1 % de la fortune nette. En d'autres termes, un contribuable ne peut pas se prévaloir, dans le cadre du calcul du bouclier fiscal, d'un rendement nul ou inférieur à 1 % de sa fortune nette (Arrêt du Tribunal fédéral 9C_638/2022 consid. 5.1.2 et les références citées).

13.         Lorsqu’il fait valoir que l’impôt a un caractère confiscatoire, le contribuable, qui a la charge de la preuve (cf. ATA/168/2018 du 20 février 2018 consid. 6), ne peut se limiter à alléguer celui-ci sans aucune démonstration de sa réalité, le seul niveau d’imposition ne suffisant pas à cet égard (ATA/168/2018 du 20 février 2018 consid. 6 ; ATA/779/2015 du 28 juillet 2015 consid. 5d ; ATA/781/2015 du 28 juillet 2015 consid. 4c)

14.         En l'espèce, les recourants allèguent que la charge fiscale des taxations ICC 2012 à 2017 représentait entre 115.58 % et 265.52 % de leurs revenus et était ainsi confiscatoire. Pour arriver à ces résultats, ils ont comparé la charge fiscale de l'ICC uniquement avec leur revenu imposable. Or, conformément à l'art. 60 al. 1 LIPP et la jurisprudence précitée, pour déterminer si un impôt est confiscatoire, le rendement net de la fortune doit être ajouté au revenu imposable. Il ressort des pièces produites par l'autorité intimée que leur fortune imposable variait pendant la période litigieuse entre CHF 14'174'985.- et CHF 15'399'265.- et qu'elle avait généré chaque année un rendement inférieur à 1 % de son total. C'est ainsi ce rendement minimum qui devait être appliqué dans le calcul du bouclier fiscal. Par ailleurs, les recourants ne remettant pas en cause les montants de leur fortune imposable figurant sur les bordereaux, il est justifié de se baser sur ces derniers pour calculer le rendement fictif.

Selon les calculs produits par l'AFC-GE (cf. tableau 4), lorsque les principes précités sont appliqués, la charge fiscale des recourants ne dépasse jamais la limite de 60 % durant les années litigieuses. Le tribunal n'a ainsi pas de raison de s'écarter de ces résultats dans la mesure où les recourants se limitent à contester la méthode utilisée par l'autorité intimée, bien qu'elle soit conforme à l'art. 60 LIPP et à la jurisprudence. Partant, les chiffres dont ils se prévalent ne sauraient démontrer un caractère confiscatoire de l'impôt.

S'agissant des deux propositions de calcul du bouclier fiscal que les recourants voudraient se voir appliquer, elles ne sauraient également être validées. Il ne ressort en effet ni de la loi ni de la jurisprudence qu'il serait possible de déduire des actifs du calcul du rendement minimum de la fortune nette au motif que ceux-ci sont investis dans une société en difficulté financière ne générant pas de dividende. De la même manière, exclure tout rendement de la fortune du calcul du bouclier fiscal va totalement à l'encontre de l'art. 60 LIPP. Les recourants ne font ainsi que substituer leur propre interprétation de la loi à celle du législateur et des tribunaux.

Au vu de ce qui précède, le tribunal retiendra que les ICC 2012 à 2017 des recourants ne présentent pas de caractère confiscatoire, le mécanisme du bouclier fiscal ayant été correctement appliqué par l'autorité intimée.

15.         Mal fondé, le recours sera rejeté.

16.         En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'000.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 9 juillet 2020 par Monsieur A______ et Madame B______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 10 juin 2020 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'000.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier