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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/531/2024

JTAPI/136/2024 du 19.02.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;LÉGALITÉ;PROCÉDURE DUBLIN
Normes : LEI.80a.al3; LEI.76a.al1; LEI.76a.al2.letd
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/531/2024 MC

JTAPI/136/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 février 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Kathryn KRUGLAK, avocate

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Le 22 février 2020, le commissaire de police a prononcé à l'égard de Monsieur A______, né le ______ 1998, originaire du Nigéria, en possession à l'époque d'une attestation de demande d'asile en France, une interdiction de pénétrer sur le territoire cantonal pour une durée de douze mois, suite à une transaction d'ecstasy le 7 février 2020 et une autre transaction d'ecstasy le 22 février 2020 survenues à ______[GE].

2.             Cette mesure a été confirmée par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 12 mars 2020 (JTAPI/1_____/2020_).

3.             Par jugement du 4 février 2022, la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après : CPAR) a confirmé que M. A______ s'était rendu coupable d'infraction à l'art. 19 al. 1 let. c de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup ; RS 812.121) et qu'il avait violé, le 28 août 2020, l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée à son encontre par le commissaire de police.

4.             Le 21 octobre 2022, les forces de l'ordre ont mis en place un dispositif de surveillance entre ______[GE] et ______[GE] ; elles ont vu un échange entre M. A______ et un toxicomane et, suspectant une transaction de drogue, ont procédé aux interpellations. Le toxicomane a d'emblée remis une boulette de cocaïne à la police (poids total: 0,6 g) qu'il a affirmé avoir achetée peu de temps avant à l'individu de type africain dont il venait de se séparer.

5.             Entendu dans les locaux de la police, M. A______ a reconnu avoir effectué la transaction illicite. Il a toutefois précisé qu'il s'était fait aborder par le toxicomane et, n'ayant pas de stupéfiants sur lui, avait décidé d'aller voir un ami pour récupérer la drogue et procéder à la vente. Il devait gagner ainsi CHF 10.-. Au sujet de sa situation personnelle, il a précisé qu'il effectuait des allers-retours entre la Suisse et la France, qu'il dormait dans la rue quand il était à Genève et subvenait à ses besoins au moyen de dons et de l'aide des associations caritatives. Il n'avait pas de liens particuliers avec Genève.

6.             Le 22 octobre 2022, l’intéressé, après avoir été entendu par le procureur, a été condamné, par ordonnance pénale du Ministère public, en référence aux éléments de son arrestation.

7.             Le même jour, le commissaire de police lui a notifié une interdiction de pénétrer sur le territoire cantonal pour une durée de 18 mois.

8.             Le 29 novembre 2022, l'intéressé a été arrêté par les forces de l'ordre à ______[GE] et prévenu de séjour illégal et de non-respect d'une interdiction de pénétrer sur le territoire cantonal (art 115 al. 1 et 119 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20), puis a été incarcéré le lendemain à la prison de Champ-Dollon en exécution d'un ordre d'écrou émanant du SAPEM.

9.             Le 5 novembre 2022, l'intéressé a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public et mis à disposition du Ministère public en référence aux éléments de son arrestation du 29 novembre 2022.

10.         La consultation de la base de données centrale de l’Union européenne où sont collectées les empreintes digitales des personnes relevant de la législation sur l’asile « EURODAC » a permis de révéler que M. A______ avait déposé trois demandes d'asile (en France le 16 janvier 2019, en Autriche le 21 mai 2017, et en Italie le 31 mai 2016).

11.         Par jugement du 30 janvier 2024, le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) a ordonné la libération conditionnelle de M. A______ pour le 9 février 2024.

12.         Les démarches en vue de la reprise en charge par un Etat DUBLIN de M. A______, en application de la réglementation Dublin, ont été entamées depuis le 29 janvier 2024, notamment par son audition conformément à l'art. 24 al. 3 et l'art 5 du RÈGLEMENT (UE) No 604/2013 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Règlement Dublin III).

13.         Le 9 février 2024, l'intéressé a été libéré de détention pénale et remis en mains des services de police.

14.         Le même jour, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de M. A______ pour une durée de sept semaines sur la base de l’art. 76a LEI.

Il avait violé les interdictions de pénétrer dans le canton de Genève qui lui avaient été notifiées le 22 février 2020 et le 29 novembre 2022 et avait été condamné par le Ministère public à plusieurs reprises. La détention était dès lors fondée sur la base de l’art. 76a al. 2 let. b LEI. Une mise en détention se justifiait pleinement et apparaissait proportionnée aux circonstances pour assurer la préparation de la décision relative à la responsabilité du traitement de sa demande d’asile puis son renvoie de Suisse.

Lors de son audition par le commissaire de police, il a indiqué être d’accord de retourner dans le pays Dublin compétent pour la prise en charge de sa demande d’asile car il voulait retourner voir sa famille. Il était surpris par la détention car il pensait pouvoir repartir en France et pensait qu’il allait être reconduit à la frontière.

15.         Par requête du 13 février 2024, reçu par le tribunal le 16 février 2024, M. A______ a déposé une demande d’examen de la légalité et de l’adéquation de sa détention administrative.

16.         Le 16 février 2024, le commissaire de police, sur demande du tribunal, a transmis son dossier.

17.         Invité par le tribunal à lui communiquer ses éventuelles observations écrites d’ici au 16 février 2024 à 15h00, le commissaire de police a indiqué, par courriel du 16 février 2024 à 10h22 que ni lui ni l’OCPM n’avaient de nouvelles pièces à transmettre au tribunal. En particulier, les autorités françaises ne s’étaient pas encore déterminées sur la prise en charge de M. A______ conformément aux dispositions du règlement Dublin III. Pour le surplus, il concluait à la confirmation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de sept semaines.

18.         M. A______, sous la plume de son conseil, a transmis des déterminations le 16 février 2024.

Au moment de se rendre en Suisse, il vivait avec sa femme et sa fille à Montpellier, il n’avait eu aucune volonté de s’installer en Suisse. Dès sa sortie de prison, il avait manifesté son intention de se rendre en France : il n’avait dès lors aucunement l’intention de se soustraire à son renvoi.

La durée de la détention était disproportionnée puisque les démarches avaient déjà débuté avec les autorités françaises. De plus, elle était illicite car contraire aux art. 76a al. 1 LEI et au Règlement Dublin III.

Il concluait à la levée de la détention, subsidiairement à la réduction de sa durée à deux semaines.

EN DROIT

1.             Le tribunal est compétent pour examiner d’office la légalité et l’adéquation de la détention administrative (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d LaLEtr).

2.             Selon l'art. 80a al. 3 LEI, la légalité et l'adéquation de la détention ordonnée dans le cadre d'une procédure Dublin sont examinées, sur demande de la personne détenue, par une autorité judiciaire au terme d'une procédure écrite. Cet examen pouvant être demandé à tout moment.

3.             La LaLEtr, qui n'a pas été mise en jour suite à l'adoption et l'entrée en vigueur des art. 76a et 80a LEI, ne définit pas la compétence et ne détermine pas la procédure applicable dans les cas de figure envisagés par ces dispositions. Il ne fait néanmoins pas de doute que la compétence du tribunal est donnée s'agissant des demandes formées par les personnes détenues sur la base de l'art. 76a LEI (cf. not. JTAPI/817/2021 du 20 août 2021 confirmé par ATA/903/2021 du 3 septembre 2021; JTAPI/1004/2020 du 19 novembre 2020 confirmé par ATA/1252/2020 du 8 décembre 2020 ; JTAPI/803/2019 du 6 septembre 2019).

4.             En l'espèce, M. A______ a demandé par acte du 13 février 2024 reçu par le tribunal le 16 février 2024, que ce dernier contrôle la légalité et l'adéquation de sa détention.

5.             Statuant ce jour, le tribunal respecte les délais légaux.

6.             Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l'étranger (cf. art. 9 al. 3 LaLEtr).

7.             La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).

8.             Selon l’art. 28 ch. 2 du Règlement Dublin III, les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément audit règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. À teneur du ch. 3 du même article, le placement en rétention est d’une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu’à l’exécution du transfert au titre du présent règlement.

9.             À teneur de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies : des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi (let. a), la détention est proportionnée (let. b) et d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du règlement [UE] n° 604/2013) (let. c).

10.         Selon l'art. 76a al. 2 LEI, les éléments concrets font craindre que l'étranger entende se soustraire à l'exécution du renvoi s’il quitte la région qui lui est assignée ou pénètre dans une zone qui lui est interdite en vertu de l’art. 74 LEI (let. d).

11.         Les motifs énumérés, de manière exhaustive, à l'art. 76a al. 2 LEI correspondent en principe à ceux déjà retenus aux art. 75 et 76 LEI (Gregor CHATTON/ Laurent MERZ in Code annoté de droit des migrations, volume II : loi sur les étrangers, n° 2.5 ad art. 76a, p. 808).

12.         Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit dans tous les cas respecter le principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 et 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et art. 76a al. 1 let. b et c LEI ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Il convient en particulier d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi constitue une mesure appropriée et nécessaire (cf. art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ; ATF 134 I 92 consid. 2.3 et 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_624/2011 du 12 septembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 et 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. ATF 130 II 425 consid. 5.2).

13.         En l’espèce, M. A______ considère que sa détention doit être levée au motif qu'il pourrait retourner en France immédiatement par ses propres moyens, pays dans lequel sa femme et sa fille vivaient et où il avait déposé sa demande d’asile.

14.         M. A______ a fait l’objet d’une interdiction territoriale – ensemble du territoire genevois – d’une durée de douze mois, notifiée le 22 février 2020, et confirmée par le tribunal par jugement du 12 mars 2020 (JTAPI/1_____/2020). Il a violé cette interdiction en pénétrant dans le canton de Genève le 28 août 2020.

Revenu ensuite à Genève à tout le moins le 21 octobre 2022, date de son arrestation, il a fait l’objet d’une seconde interdiction territoriale de l’entier du canton notifiée le 22 octobre 2022 pour une durée de 18 mois. Malgré cette décision, il est revenu à Genève et a été interpelé le 29 novembre 2022.

Dès lors, les conditions d’une détention fondée sur l’art. 76a al. 2 let. d LEI sont remplies.

Par ailleurs, la détention respecte le principe de proportionnalité, aucune autre mesure moins incisive ne permettrait de s’assurer de la présence de l’intéressé au moment où son renvoi devra être exécuté, celui-là n’ayant ni attaches ni lieu de résidence à Genève.

Enfin, la durée de la détention décidée par le commissaire de police (soit sept semaines) respecte le cadre légal fixé par l'art. 76a al. 3 LEI et est adéquate pour assurer l'exécution du renvoi. En effet, les démarches en vue de la réadmission de M. A______ en France ont été entreprises le 29 janvier 2024 déjà, soit alors qu’il se trouvait en détention pénale. Les autorités suisses sont dans l’attente de la réponse des autorités françaises et une fois la réponse obtenue ou en l’absence de celle-ci, valant acceptation, elles devront encore statuer sur le renvoi de l’intéressé et finaliser les démarches en vue de la concrétisation effective du renvoi.

15.         Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l’ordre de mise en détention administrative.

16.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 9 février 2024 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de sept semaines, soit jusqu'au 28 mars 2024, inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière