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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2988/2023

JTAPI/106/2024 du 08.02.2024 ( DOMPU ) , ADMIS

Descripteurs : DOMAINE PUBLIC;USAGE COMMUN ACCRU;TERRASSE DE RESTAURANT;AMENDE;REMISE EN L'ÉTAT;OBJET DU LITIGE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : Cst; RTEDP.8; RTEDP.25; LRoutes.61; LRoutes.77; LRoutes.85; LDPu.17
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2988/2023 DOMPU

JTAPI/106/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 février 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Michael LAVERGNAT, avocat, avec élection de domicile

 

contre

VILLE DE GENÈVE

 


EN FAIT

1.             B______ Sàrl, société dont le but est l'exploitation de restaurants, bars et cafés ainsi que toutes activités liées à la restauration, est propriétaire de l'établissement à l'enseigne « C______ » (ci-après : l’établissement), sis ______[GE].

Madame A______ en est l'exploitante depuis 2018.

2.             Par formulaire daté du 19 avril 2018, Mme A______ a requis de la ville de Genève (ci-après : la ville), soit pour elle son service de l’espace public (ci-après : SEP), l’autorisation d’installer une terrasse d’été sur trottoir ainsi qu’une terrasse sur chaussée, sur le domaine public, devant son établissement.

Elle précisait dans son courrier d’accompagnement qu’ : « au niveau de l'aménagement, il y aura des tables & chaises, un parasol, un porte
manteau & quelques fleurs ».

3.             Le 12 juillet 2018, le SEP a délivré à Mme A______ une permission l'autorisant à installer les aires de terrasse requises.

4.             Cette permission a été renouvelée le 18 mars 2019, moyennant une
augmentation du périmètre de la terrasse (passant de 5,23 m x 1,66 m = 8,68 m2 à 10,70 m x 1,66 m = 17,75 m2), sans que la requête y relative ne fasse état d'une quelconque modification de son aménagement.

5.             Par requête du 20 octobre 2021, Mme A______ a requis le renouvellement de sa permission, sans faire état d'une quelconque modification de l'aménagement de ses terrasses.

6.             Par courriel du 28 octobre 2021, elle a toutefois informé le SEP avoir « investi pour le bar C______ dans une nouvelle tonnelle fixe avec des parois (sur 3 pans) » et souhaiter s’assurer qu’elle pouvait maintenir sa terrasse sur chaussée pendant l'hiver, sans ennui.

7.             Par retour de courriel, le SEP lui a confirmé que l'autorisation exceptionnelle et temporaire permettant le maintien des terrasses d'été pendant l'hiver (dans le cadre de mesures d'accompagnement liées à la pandémie de Covid-19, qui avaient pris fin le 31 octobre 2022) avait été reconduite pour l'hiver 2021-2022, lui précisant que « Les parois sont exceptionnellement autorisées par principe pour cet hiver seulement pour permettre l'exploitation des terrasses en période froide, mais celles-ci sont tolérées uniquement pour les terrasses sur la chaussée et si ces parois sont transparentes ». Il l’invitait à lui transmettre son projet d'installation pour confirmation que tout était en ordre.

8.             Aucun plan n’a été transmis.

9.             Renouvelée le 26 novembre 2021, la permission accordée à Mme A______ rappelait expressément :

« Aucune modification de l'aménagement initialement autorisé ne peut être effectuée sans l'accord préalable du SEP. L'installation de barrières ou autres éléments de délimitation de la surface est soumise à autorisation préalable du SEP. La zone terrasse peut être aménagée de manière à ce qu'elle soit abritée (notamment du vent). Tout cloisonnement de la zone terrasse est cependant exclu (cf. infra). Tout aménagement visant à abriter la zone terrasse est soumis à l'autorisation préalable du SEP » (ch. 2.2) ;

« La délimitation totale de la zone terrasse est en principe interdite, sous réserve des prescriptions mentionnées supra au chiffre 2.2. Les objets mobiliers ne doivent pas être accolés et créer des barrières infranchissables ni masquer les vues. Le cloisonnement intégral de la zone terrasse est interdit. La zone terrasse ne doit pas correspondre à un enclos ni à un espace fermé ; elle doit rester ouverte et aérée » (ch. 2.6).

10.         Par lettre-circulaire du 7 mars 2022, le SEP a notamment rappelé à l'ensemble des exploitants d'un établissement public bénéficiant d'une permission relative à une terrasse installée sur le domaine public, dont Mme A______, que « les terrasses, ainsi que leur agrandissement, ne peuvent pas être cloisonnés de quelque manière que ce soit ; aussi, toute bâche - même transparente - servant à fermer partiellement ou entièrement la terrasse est interdite et doit être retirée dès à présent ».

11.         Le 21 février 2023, faisant suite à la requête de Mme A______ du 15 novembre 2022 - laquelle ne faisait état d'aucune modification de l'aménagement de sa terrasse -, le SEP a reconduit sa permission, moyennant une très légère augmentation du périmètre de celle-ci (passant de 10,70 m x 1,66 m = 17,75 m2 à 10,90 m x 1,85 m = 20,17 m2).

Cette permission, valable jusqu'au 31 octobre 2023, était « renouvelables aux conditions définies ci-dessous », dont les conditions 2.2 et 2.6 précitées.

12.         Par courrier 17 avril 2023, se référant à ladite permission et aux conditions de cette dernière, le SEP a informé Mme A______ que, par constat du 16 mars 2023, il avait été établi qu’elle avait installé des bâches suspendues et des rideaux occultant les quatre côtés de sa terrasse sur la chaussée (podium). Or, cette installation constituait un cloisonnement de terrasse formellement proscrit en application du règlement sur les terrasses d'établissements publics (RTEP - LC 21 314). Les conditions du point 2.6 de la permission lui était par ailleurs rappelées.

Il la priait dès lors de retirer, à réception de la présente, tous les objets non autorisés, soit toutes les bâches transparentes et les rideaux occultant, lui précisant, qu’à défaut ou en cas de récidive, il prononcerait une amende à son encontre et procèderait à l’enlèvement d’office, à ses frais, des objets non conformes.

13.         Par courrier du 3 mai 2023, Mme A______, sous la plume d’un conseil, s’est étonnée dudit courrier, relevant que cet aménagement était présent depuis octobre 2020 sans que la ville n'y trouve jusqu'ici à redire. La notion de cloisonnement était un concept difficile à saisir et il était appliqué de manière inégalitaire par la ville, ce qui consacrait une discrimination et une ingérence insoutenable dans le processus concurrentiel. Elle souhaitait dès lors être traitée sur un pied d’égalité avec ses concurrents disposant de terrasses au sein du domaine public genevois. Elle proposait dès lors de conserver ses bâches sur trois côtés, de manière à protéger les clients du froid et de la pluie pendant que le bar était ouvert. Les bâches pourraient être relevées à la fermeture de l’établissement, comme cela se pratiquait en d’autres lieux. Cette alternative présentait une solution moins radicale tout en garantissant le respect des principes de l’égalité et de la proportionnalité. Elle invitait la ville à prendre position par le biais d’une décision formelle.

14.         Par décision exécutoire nonobstant recours du 15 août 2023, la ville a informé Mme A______ ne pas accéder à sa demande. En effet, à l’instar de celui qu’elle avait installé sans droit, l'aménagement proposé ne permettait pas de respecter la condition figurant sous ch. 2.2 et 2.6 de la permission du 21 février 2023, reprise de l'art. 20 al. 2 RTEP. Dès lors qu’il avait été constaté les 2 mai, 12 juin et 13 juillet 2023, photographies à l’appui, qu’elle n’avait pas obtempéré à son ordre du 17 avril 2023, un ultime délai au 8 septembre 2023 lui était imparti pour se conformer à cette prescription, en retirant l'intégralité des bâches et rideaux litigieux.

Une amende administrative de CHF 500.- tenant compte du degré de gravité de l'infraction, lui était infligée en application de l'art. 85 al 1 let. c de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10).

A toutes fins utiles, il lui était enfin rappelé que les permissions d’usage accru du domaine public étaient délivrées à titre précaire et qu'elles étaient révocables sans indemnité si le bénéficiaire ne se conformait pas aux dispositions légales ou aux conditions fixées.

15.         Par acte du 15 septembre 2023, Mme A______, sous la plume de son conseil, a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

Préalablement, elle a conclu à la restitution de l’effet suspensif au recours. La ville ne remettait pas en cause son droit d’utiliser le domaine public, d'y installer ce qu'elle nommait « podium » ou d'avoir placé une toiture au-dessus de l'édifice mais uniquement la présence de bâches et rideaux qui ne constituaient manifestement pas des éléments de mobilier au sens de l'art. 20 RTEP et n'avait ainsi pas à être expressément autorisés. L’ayant de surcroît expressément autorisée à abriter sa terrasse du vent, elle devait s'attendre à ce qu’elle installe des protections latérales contre le vent, en l'occurrence les bâches et les rideaux litigieux, et qu'elle les appose sur les cadres en bois prévu à cet effet et valablement autorisés. A cela s'ajoutait que ces rideaux et bâches étaient apposés sans contestation ni doléance depuis octobre 2020. Sous l'angle de la proportionnalité et de la pesée des intérêts, il devait être tenu compte qu’elle devait pouvoir exploiter son établissement, de taille modeste, et sa terrasse avec une certaine protection contre les intempéries. Elle devait également pouvoir bénéficier des mêmes conditions d'exploitation et de la même attractivité que ses concurrents. La ville n’avait, quant à elle, aucun intérêt public prépondérant à sa démarche, vu son concept abscons et à géométrie variable du « cloisonnement ». Elle n’invoquait pas d'urgence particulière qui justifierait de procéder par le biais d'une décision exécutoire nonobstant recours, respectivement qui commanderait de ne pas attendre la fin de la saison des terrasses d'été et par extension, la décision au fond du tribunal de céans.

Au fond, la ville avait commis un déni de justice et violé le principe de la bonne foi. Alors qu'elle l’avait expressément autorisée à protéger sa terrasse du vent (notamment), ce qui supposait des protections latérales, elle adoptait une attitude contradictoire et déloyale en le lui interdisant quelques mois plus tard et en l'amendant pour cette raison, d’abord par le biais d'un courrier, sans indication des voies de droits, puis par la décision querellée.

Cette dernière violait au demeurant les principes de la légalité, de la liberté économique et de l’égalité de traitement, ne reposait sur aucun intérêt public et était disproportionnée. Pour rappel, elle était uniquement motivée par le prétendu non-respect de l'interdiction du cloisonnement. Les installations et la structure de la terrasse n’étaient pas remises en question, seules la présence de rideaux et bâches lui étant reprochée. Or, il ne pouvait être retenu que par ces derniers elle avait cherché à diviser par cloison l'espace qui lui était dévolu. Au contraire, ces rideaux et bâches avaient des fonctionnalités esthétiques et protectrices, en lien avec les aléas météorologiques. Cette protection était par ailleurs expressément autorisée. Force était ainsi de constater que l'autorité intimée tentait en réalité, aujourd'hui, de remettre en cause la permission accordée en réinterprétant grossièrement la notion de « cloisonnement ». A cet égard, elle ne comprenait pas la ligne à adopter pour se conformer au droit et maintenir sa terrasse au vu de l’attitude et des positions contradictoires de la ville, respectivement des tolérances du SEP, qui laissaient certains concurrents cloisonner à l’envie. En tout état, les installations litigieuses ne portaient nullement atteinte à l'interdiction du cloisonnement et il existait des solutions moins coercitives, telles que celles qu’elle avait proposées.

S’agissant enfin de l’amende, elle devait être annulée car son droit d’être entendu n’avait pas été respecté, l'autorité intimée ne l'ayant, en particulier, pas interrogée sur sa situation personnelle. Elle se fondait en outre sur une injonction du 17 avril 2023 formulée en catimini, par un simple courrier, sans indication des voies de droit.

Elle a joint un chargé de pièces.

16.         Le 2 octobre 2023, la ville s’est déterminée sur la requête de restitution de l’effet suspensif au recours, indiquant s’y opposer. Elle a transmis son dossier.

Pour rappel, par décision du 17 avril 2023, ne mentionnant certes pas la voie et le délai de recours, il avait été demandé à la recourante de supprimer les bâches et rideaux occultant ses quatre côtés, lesdits aménagements contrevenant à
l'art. 20 RTEP. Ayant été constaté les 2 mai, 12 juin, 13 juillet et 14 août 2023 que la recourante ne s'était pas exécutée, elle avait rendu la décision attaquée. Ainsi, dès lors que l’intéressée n'avait jamais été autorisée à installer les bâches et rideaux litigieux et qu'elle ne pouvait se prévaloir d'aucun droit à cet égard, elle ne saurait être autorisée à les maintenir le temps de la procédure, sauf à tolérer le maintien de situations illicites. Leur dépose immédiate - sans attendre le 31 octobre 2023 - n'engendrerait pas de frais particuliers et la situation pourrait aisément être réparée si, d'aventure, le recours était admis. S’agissant de l’inégalité de traitement alléguée, la présence de certaines situations illicites ne relevait pas d’une tolérance mais de son impossibilité logistique de contrôler le respect de chaque permission et d'obtenir immédiatement des personnes concernées qu'elles rétablissent une situation conforme. Un certain nombre de situations qu’elle dénonçait n’étaient en tout état pas comparables avec la sienne.

Elle rappelait enfin que la permission de Mme A______ arriverait à échéance le 31 octobre 2023, date à laquelle elle devrait retirer l'ensemble de sa terrasse. L’on pouvait dès lors se demander si son recours garderait un objet, étant relevé qu’il n’était pas acquis qu’elle obtiendrait une nouvelle permission si elle persistait à ne pas respecter la législation en vigueur.

17.         La recourante a répliqué sur effet suspensif le 10 octobre 2023, persistant dans ses écritures et conclusions. Elle peinait à saisir l’intérêt public à agir par une décision exécutoire nonobstant recours. Son intérêt privé à pouvoir exploiter sa terrasse jusqu’au 31 octobre 2023 devait dès lors primer.

18.         Par décision du 16 octobre 2023 (DITAI/1______), le tribunal a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif au recours formée par Mme A______, l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit apparaissant prépondérant à son intérêt privé à pouvoir bénéficier des aménagements non autorisés litigieux.

19.         Dans ses observations du 9 novembre 2023, la ville s’en est rapporté à justice, s’agissant de la recevabilité du recours, relevant que la recourante avait depuis lors retiré sa terrasse du domaine public. Ainsi, dans la mesure où la décision querellée avait été exécutée, il n’était pas acquis que son recours ait conservé un objet, en tant qu’il visait l’ordre relatif à la suppression des éléments litigieux. Si toutefois, le tribunal devait renoncer à l’exigence de l’intérêt actuel au recours, ce dernier devrait être rejeté, le tout sous suite de frais et dépens.

En l’espèce, la décision querellée avait trait au prononcé d’une amende et à un ordre tendant au rétablissement d’une situation conforme au droit, c’est-à-dire la suppression d’objets installés sans droit sur le domaine public. La question de savoir si la recourante pourrait être autorisée à installer ces objets excédait donc le cadre du litige. Elle n’avait d’ailleurs pas sollicité du SEP l’autorisation d’y procéder. A toutes fins utiles, l’ordre querellé était conforme aux principes de la bonne foi, de la légalité, de la proportionnalité, de l’égalité de traitement, de la liberté économique.

S’agissant d’une éventuelle violation du droit d’être entendu quant à l’amende, la recourante n’avait effectivement pas eu la possibilité de s’exprimer avant son prononcé. Elle n’avait toutefois subi aucun préjudice, ayant pu saisir le tribunal en temps utile et faire valoir ses arguments en connaissance de cause. L’amende était pour le surplus fondée dans son principe et sa quotité. En effet, lorsque le SEP avait statué le 15 août 2023, la recourante n’avait toujours pas respecté l’ordre de rétablir une situation conforme qui lui avait été adressé le 17 avril 2023, en force. Quand bien même ce dernier n’indiquait pas de voie et délai de recours, la recourante, assistée d’un conseil, ne saurait se prévaloir aujourd’hui de cette irrégularité, facilement décelable et au demeurant décelée. Son comportement était ainsi constitutif d’une violation de l’art. 85 al. 1 let. c LRoutes et pouvait donner lieu au prononcé d’une amende. C’était pour le surplus avec pleine conscience et volonté qu’elle s’était abstenue d’obtempérer. Le montant de l’amende était enfin tout à fait mesuré au regard des circonstances et du plafond possible.

Elle a joint deux photographies constatant l’enlèvement de la terrasse sur la chaussée.

20.         Par réplique du 1er décembre 2023, la recourante, sous la plume de son conseil, a persisté intégralement dans ses écritures et conclusions, rappelant ses différentes démarches et sa bonne foi.

Elle a joint l’autorisation pour le chauffage de la terrasse délivrée le 1er octobre 2021 par l’office cantonal de l’énergie (OCEN) laquelle mentionnait notamment « La surface chauffée doit-être munie de protections garantissant la conservation de l’énergie tels des parasols, stores bannes et parois amovibles ».

21.         Dans sa duplique du 14 décembre 2023, la ville a également persisté dans ses conclusions. Concernant la pièce susmentionnée, les deux procédures étaient indépendantes et les prérogatives de l’OCEN et du SEP, définies par des législations distinctes, différentes. En particulier, la mise en application de la condition posée par l’OCEN quant à la dotation de protections (stores, bâches, rideaux ou parois) garantissant la conservation de l’énergie sur la surface susceptible d’être chauffée n’était pas du ressort de cet office mais du sien. Si la pose de tels éléments n’était pas autorisée, l’autorisation de l’OCEN ne pouvait être mise en œuvre.

22.         Par courrier du 19 décembre 2023, la recourante a encore précisé qu’elle ignorait tout du conflit de compétence entre la ville et le Canton. Elle s’était dès lors fiée de bonne foi aux indications contenue dans l’autorisation de l’OCEN, tout en s’inspirant de ce qui se pratiquait sur les terrasses environnantes.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés contre les décisions prises en application de la LRoutes ou de ses dispositions d'application tel, par exemple, le RUDP (art. 93 al. 1 cum art. 96 al. 1 LRoutes ; art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2.             L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1218/2017 du 22 août 2017 consid. 3b et l'arrêt cité). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/1218/2017 du 22 août 2017
consid. 3b ; ATA/421/2017 du 11 avril 2017 consid. 5 et les arrêts cités ; ATA/1145/2015 du 27 octobre 2015 consid. 4b).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

4.             Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 179 n. 515).

5.             En préambule, il y a lieu de rappeler que l'objet du recours porte ici sur la décision du 15 août 2023 de la ville refusant à la recourante d’accéder à sa demande de pouvoir conserver ses bâches sur trois côtés, de manière à protéger les clients du froid et de la pluie pendant que le bar était ouvert, lui impartissant un ultime délai au 8 septembre 2023 pour se conformer à son ordre du 17 avril 2023, en retirant l'intégralité des bâches et rideaux litigieux, et lui infligeant une amende de CHF 500.- en application de l'art. 85 al 1 let. c LRoutes.

Concernant l'ordre de rétablir une situation conforme au droit, il doit être constaté que la recourante a entièrement retiré sa terrasse sur chaussée de sorte que l’ordre en question a été entièrement exécuté. Partant, ce volet du recours est devenu sans objet.

6.             La recourante conclut également à l’annulation de l’amende au motif que son droit d’être entendu n’aurait pas été respecté, l'autorité intimée ne l'ayant, en particulier, pas interrogée sur sa situation personnelle. Elle se fondait en outre sur une injonction du 17 avril 2023 formulée en catimini, par un simple courrier, sans indication des voies de droit. Elle avait, quant à elle, toujours agi en parfaite bonne foi.

7.             Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond
(ATF 144 I 11 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_485/2022 du 24 mars 2023 consid. 4.2). Ce moyen doit par conséquent être examiné en premier lieu
(ATF 141 V 495 consid. 2.2). Sa portée est déterminée d'abord par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 126 I 15 consid. 2 ; 125 I 257 consid. 3a et les références). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution qui s’appliquent (art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, pp. 518-519 n. 1526). Quant à l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et les références).

8.             Tel qu’il est garanti par cette dernière disposition, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_700/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3 et les références ; ATA/949/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5a et les références).

9.             Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle mais annulable (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_31/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2.1 ; ATA/547/2021 du 25 mai 2021 consid. 6a et les références). D'après la jurisprudence, la nullité d'une décision n'est admise que si le vice dont elle est entachée est particulièrement grave, est manifeste ou du moins facilement décelable et si, en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Des vices de fond n'entraînent qu'à de rares exceptions la nullité d'une décision ; en revanche, de graves vices de procédure, ainsi que l'incompétence qualifiée de l'autorité qui a rendu la décision sont des motifs de nullité (ATF 144 IV 362 consid. 1.4.3 ; 139 II 243 consid. 11.2).

10.         En l’espèce, par courrier du 17 avril 2023, la ville a informé la recourante que, par constat du 16 mars 2023, il avait été établi qu’elle avait installé des bâches suspendues et des rideaux occultant les quatre côtés de sa terrasse sur la chaussée (podium), installations qui constituaient un cloisonnement de terrasse formellement proscrit en application du RTEP. Il la priait dès lors de retirer, à réception de la présente, tous les objets non autorisés, soit toutes les bâches transparentes et les rideaux occultant, lui précisant, qu’à défaut ou en cas de récidive, il prononcerait une amende à son encontre et procèderait à l’enlèvement d’office, à ses frais, des objets non conformes.

Par courrier du 3 mai 2023, Mme A______, sous la plume d’un conseil, s’est étonnée dudit courrier, relevant, en substance, que cet aménagement était présent depuis octobre 2020 sans que la ville n'y trouve jusqu'ici à redire. Elle proposait dès lors une solution alternative moins radicale tout en garantissant le respect des principes de l’égalité et de la proportionnalité et invitait la ville à prendre position par le biais d’une décision formelle, ce qu’elle a fait, par la décision querellée du 15 août 2023.

La recourante ne peut ainsi être suivie quand elle estime que son droit d'être entendu a été violé. En effet, quand bien même la ville ne l’a pas formellement invitée à se déterminer suite à son courrier du 17 avril 2023, elle s’est néanmoins exprimée, par courrier du 3 mai 2023, sur les manquements constatés et avant le prononcé de l’amende querellée et n'ignorait pas qu'en maintenant les aménagements installés sans autorisation, elle s'exposait à une sanction pécuniaire. Dès lors, si effectivement elle considérait que le prononcé d’une amende la plongerait dans des difficultés, il lui était loisible de le faire valoir à ce moment-là.

Ce grief est dès lors rejeté.

11.         La LRoutes et la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDPu - L 1 5) prévoient que toute utilisation des voies publiques qui excède l’usage commun, à savoir tout empiétement, occupation, travail, installation, dépôt ou saillie sur ou sous la voie publique, doit faire l’objet d’une permission ou d’une concession préalable
(art. 56 al. 1 LRoutes et art. 13 al. 1 LDPu). Les permissions sont accordées par l'autorité cantonale ou communale qui administre le domaine public (art. 15 LDPu).

12.         Selon l'art. 17 LDPu, l'autorité qui accorde une permission en fixe les conditions.

13.         L'art. 61 LRoutes prévoit que les bénéficiaires de permissions ou de concessions, ainsi que le maître de l’ouvrage, doivent se conformer aux conditions fixées et prendre toutes les mesures utiles pour éviter des accidents (al. 1).

14.         Selon l'art. 31 du règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RUDP - L 1 10.12), l’autorité compétente détermine pour chaque cas particulier l’espace qui peut être utilisé sur le domaine public pour l’aménagement de terrasses. Elle fixe la date où l’installation peut être mise en place et celle où elle doit être enlevée (al. 1). Les éléments délimitant la terrasse ne doivent pas dépasser la largeur permise pour celle-ci ; ils doivent être posés ou enlevés en même temps que la terrasse. L’installation ne doit pas constituer une gêne pour la visibilité ni entraver la circulation (al. 2).

15.         À Genève, le Conseil administratif de la ville a adopté le RTEP, en vigueur depuis le 1er janvier 2006 et applicable à toutes les terrasses situées sur le domaine public communal de la ville (art. 1 RTEP), notamment les terrasses dite d'été
(art. 2 ch. 1 RTEP).

16.         Son art. 8 prévoit que lors de l'octroi d'une permission pour une terrasse, le service procède à la délimitation de l'emprise de celle-ci au moyen de traits peints sur le sol (al. 1) ; ces limites ne peuvent être en aucun cas franchies par le mobilier de la terrasse, notamment les tables, meubles de service, parasols ou assimilés, panneaux porte-menus, végétation ainsi que les sièges des consommateurs dans le cadre de l’utilisation (al. 2). De plus, le service procède à des contrôles réguliers du respect de ces limites (al. 3).

17.         L'art. 25 RTEP prévoit que les contrevenants à ses dispositions sont passibles des mesures administratives et des sanctions prévues aux art. 77 et 85 LRoutes.

18.         Selon l’art. 85 al. 1 LRoutes, est passible d’une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- tout contrevenant à la présente loi (let. a), aux règlements et arrêtés édictés en vertu de la présente loi (let. b) et aux ordres donnés par l’autorité compétente dans les limites de la présente loi et des règlements et arrêtés édictés en vertu de celle-ci (let.c). Il est tenu compte, dans la fixation de l’amende, du degré de gravité de l’infraction (al. 2).

19.         L'art. 86 LRoutes prévoit que les amendes sont infligées par l’autorité compétente sans préjudice de plus fortes peines en cas de crimes ou délits et de tous dommages-intérêts (al. 1). Les contraventions sont constatées par les agents de la force publique et tous autres agents ayant mandat de veiller à l’observation de la loi (al. 2).

20.         Les amendes administratives sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/611/2016 du 12 juillet 2016 consid. 10b et les références citées ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif : les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, 3ème éd., 2011, n. 1.4.5.5 p. 160 s). En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006
(LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (comme notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 2 et 3 et 107 CP ; ATA/611/2016 précité consid. 10c et les références citées).

Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence. Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende. Le juge ne la censure qu’en cas d’excès ou d’abus. Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité garanti par l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) (ATA/611/2016 précité consid. 10c et les références citées).

21.         L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte et son mode d'exécution, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/611/2016 précité consid. 10d et les références citées ; cf. aussi not. arrêt du Tribunal fédéral 6B_412/2014 du 27 janvier 2015 consid. 2.1 et les arrêts cités).

22.         En l’espèce, la ville a infligé une amende de CHF 500.- à la recourante sur la base de l’art. 85 al. 1 let. c LRoutes, soit pour n’avoir pas donné suite à son ordre du 17 avril 2023, qu’elle assimile à une décision « ne mentionnant certes pas de voie et délai de recours ».

Or, si c’est effectivement ainsi qu’elle comprenait son courrier du 17 avril 2023, elle ne pouvait simplement se contenter d’accuser réception du courrier de la recourante du 3 mai 2023, l’invitant qui plus est à rendre une décision formelle. Dans la mesure où la recourante contestait l’infraction qui lui était reprochée et l’ordre donné elle aurait en effet dû transmettre ce courrier, pouvant être considéré comme un recours contre sa « décision », au tribunal ou, à tout le moins, clarifier la situation auprès de la recourante quant à la portée juridique des courriers des 17 avril et 3 mai 2023. La formulation utilisée dans son courrier : « nous vous prions de » pouvait également conforter la recourante dans son idée qu’il ne s’agissait pas encore, à ce stade, d’un ordre dont la violation entrainerait une sanction mais un courrier au sujet duquel elle était invitée à se déterminer et à la suite duquel la ville prendrait une décision formelle.

Il résulte de ce qui précède que la ville ne pouvait pas, par sa décision du 15 août 2023, sanctionner la recourante en application de l’art. 85 al. 1 let. c LRoutes, soit pour n’avoir pas donné suite à son invitation du 17 avril 2023, l’infraction visée par cette disposition n’étant pas réalisée. Tout au plus, une amende fondée sur l’art. 85 al. 1 let. a et/ou b LRoutes, en lien notamment avec le RTEP, aurait pu être prononcée.

23.         Au de ce qui précède, le recours sera admis, en tant qu’il garde un objet.

24.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient gain de cause en ce qui concerne l’amende, est condamnée au paiement d'un émolument réduit s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l'avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de son avance de frais, en CHF 400.- lui sera restitué.

25.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure réduite de CHF 500.- lui sera allouée, à la charge de la ville (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable, en tant qu’il garde un objet, le recours interjeté le 15 septembre 2023 par Madame A______ contre la décision de la Ville de Genève du 15 août 2023 ;

2.             l’admet ;

3.             annule la décision précitée en tant qu'elle inflige une amende de CHF 500.- à Madame A______ ;

4.             met un émolument de CHF 500.- à la charge de Madame A______, lequel est couvert par son avance de frais de CHF 900.-, et ordonne la restitution, en sa faveur, du solde de celle-ci, soit CHF 400.- ;

5.             condamne la Ville de Genève à verser à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Isabelle KOECHLIN-NIKLAUS et Julien PACOT, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de cette décision est communiquée aux parties

Genève, le

 

Le greffier