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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/11/2024

JTAPI/4/2024 du 04.01.2024 ( MC ) , CONFIRME

REJETE par ATA/55/2024

Normes : LEI.76
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/11/2024 MC

JTAPI/4/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 4 janvier 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Alexandre ALIMI, avocat

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 2001, est ressortissant de la Sierra Leone.

2.             Le 15 octobre 2018, il a déposé une demande d'asile en Suisse que le Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après : SEM) a radiée le 19 novembre 2018, à la suite de sa disparition.

3.             Au cours de sa minorité, M. A______ a occupé les services de police genevois à réitérées reprises, ainsi que le Tribunal des mineurs par lequel il a été condamné, par jugement du 8 avril 2019, notamment pour délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).

4.             Le 21 novembre 2019, M. A______ a été interpellé par le police genevoise, après qu’il eut été observé en train de se livrer à la vente de 3,5 grammes de marijuana. Lors de son audition, il a nié toute implication dans le trafic de stupéfiants. L’argent trouvé en sa possession provenait du travail au noir auquel il s’était livré en France, à Annemasse. Il se trouvait en Suisse depuis quatre jours, après avoir quitté le territoire en février 2019 pour se rendre en Italie où il avait alors fait établir la carte d’identité précitée, au nom de B______, qui était selon lui sa vraie identité.

5.             Par ordonnance pénale du 22 novembre 2019, le Ministère public l’a condamné pour les faits constatés la veille par la police.

6.             Le même jour, le commissaire de police lui a fait interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois, soit jusqu’au 21 novembre 2020, mesure qu’il a violée le 10 décembre 2019.

7.             Le 13 octobre 2022, M. A______ a derechef été interpellé par le police genevoise, après qu’il eut vendu à un policier en civil une boulette de cocaïne de 1,2 gramme Lors de son audition, M. A______ a reconnu les faits. Il a précisé que c’était la première fois qu’il se livrait au trafic de drogue. Lui-même consommait occasionnellement de la cocaïne. Il était arrivé en Suisse le 8 octobre 2022 en provenance d’Italie pour rendre visite à sa petite amie qui vivait à Genève. Il comptait retourner en Italie dès que possible.

8.             Par ordonnance pénale du 14 octobre 2022, le Ministère public l’a condamné pour les faits constatés la veille par la police. L'intéressé a formé opposition à cette ordonnance pénale, laquelle a été confirmée par jugement du Tribunal de police du 28 septembre 2023.

9.             Le 14 octobre 2022, le commissaire de police lui a fait interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois, mesure qu’il a violée à quatre reprises, soit les 27 octobre 2022, 24 avril 2023, 4 juillet 2023 et 9 août 2023, avant d'être incarcéré le 10 août 2023 à la prison de Champ-Dollon.

10.         Par jugement du 28 septembre 2023, définitif et exécutoire, le Tribunal de police a déclaré M. A______ coupable de délit contre la LStup (art. 19 al. 1 let. c et d LStup ; commission répétée ; dates des infractions : 13 octobre 2022; 27 octobre 2022), d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI ; commission répétée ; dates des infractions : 27 octobre 2022; 24 avril 2023; 04 juillet 2023; 09 août 2023), de séjour illégal pour la période du 8 au 13 octobre 2022 (art. 115 al. 1 let. b LEI), de violation d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI ; commission répétée ; dates des infractions : 27 octobre 2022; 24 avril 2023; 04 juillet 2023; 09 août 2023), d'infraction à l'art. 19a ch. 1 LStup et de souillure (art. 11C al. 1 let. a LPG), puis l'a condamné à une courte peine privative de liberté de cinq mois, sous déduction de cinquante-six jours de détention avant jugement (art. 41 et 51 CP), ainsi qu'à une amende de CHF 400.- (art. 106 CP).

11.         Le Tribunal de police a également et notamment ordonné l'expulsion de Suisse de M. A______ pour une durée de trois ans (art. 66abis CP), expulsion dont l'office cantonal de la population et de des migrations, par décision du 14 décembre 2023 a prononcé le non-report.

12.         Le 1er novembre 2023, la Brigade migration et retour (ci-après: BMR) a adressé au SEM un formulaire de demande de réadmission de M. A______, conformément à l'Accord européen sur le transfert de la responsabilité à l’égard des réfugiés (RS 0.142.305), dans la mesure où ce dernier bénéficiait de la "protezione sussidiaria" sous son alias "B______". Parmi les annexes accompagnant cette demande figurait une copie du document de voyage dont était porteur M. A______ sous cette dernière identité, délivrée par les autorités italiennes le 6 octobre 2022 avec durée de validité jusqu'au 27 septembre 2023.

13.         Arrivé au terme de sa peine privative de liberté le 3 janvier 2024, M. A______ a été remis en mains des services de police.

14.         La réadmission de M. A______ en Italie était alors toujours en cours d'organisation.

15.         Le 3 janvier 2024, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de deux mois, retenant comme motif de la détention, notamment, le fait qu'il avait enfreint une interdiction de pénétrer dans une zone.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu’il était d’accord de retourner en Italie tout de suite, mais pas dans deux mois.

16.         Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

17.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a expliqué qu'il aurait dû renouveler son titre de séjour italien alors qu'il était encore en détention et à cause de cela il n'avait pas pu le faire. Il était fatigué de devoir rester en détention. Il avait d'abord subi cinq mois en prison et à présent cela continuait avec sa détention administrative. L'expulsion de trois ans prononcée à son encontre lui paraissait faible en regard du fait qu'il n'avait plus aucune intention de revenir en Suisse de toute sa vie. Tout ce qu'il demandait à présent c'était de pouvoir immédiatement quitter le territoire suisse, retourner en Italie via la France, faire renouveler ses papiers et poursuivre son avenir en Italie.

Sur question de son conseil, son lien avec l'Italie tenait dans le fait que c'était le seul pays d'Europe où il disposait d'une autorisation de séjour et c'était dans ce pays qu'il avait effectivement séjourné jusqu'ici. Il n'y avait pas de famille mais beaucoup d'amis. Il disposait également d'un emploi dans le domaine de la restauration. Si le tribunal prononçait la levée de sa détention ce jour, il quitterait immédiatement le territoire suisse.

La représentante du commissaire de police a déclaré, sur question du tribunal relative au cheminement du formulaire produit en pièce 16, à l'en-tête du SEM, que celui-ci avait été signé par un inspecteur de la BMR le 1er novembre 2023 et adressé au SEM avec les annexes mentionnées afin que celui-ci requiert auprès des autorités italiennes la réadmission de M. A______. Elle ne disposait pas au dossier de la pièce indiquant à quelle date le SEM avait acheminé cette demande aux autorités italiennes mais en pratique cela se faisait immédiatement et donc cela avait dû être fait en l'occurrence soit le jour même soit le lendemain ou au plus tard le surlendemain.

Sur question du tribunal, l'absence de réponse des autorités italiennes jusqu'ici découlait du fait que, pour les personnes ayant un statut comme celui de M. A______, les autorités italiennes n'étaient pas tenues de répondre aux autorités suisses dans un délai déterminé et il arrivait ainsi dans la pratique que la réponse parvienne dans des délais qui pouvaient aller jusqu'à six mois.

La représentante du commissaire de police a renvoyé le tribunal aux échanges de mails intervenus avec le SEM, selon sa pièce 18. Il en découlait d'une part que les démarches auprès de l'Italie avaient été initiées rapidement et d'autre part qu'une confirmation orale avait d'ores et déjà été donnée au SEM par les autorités italiennes, qui devaient encore le faire par écrit.

Sur question du conseil de M. A______, une fois que les autorités italiennes auraient donné leur accord à la réadmission de ce dernier, le SEM indiquerait aux autorités genevoises qu'elles pouvaient concrètement organiser le renvoi, qui aurait lieu par voie ferroviaire avec un départ uniquement le mercredi. La personne concernée arrivait au Tessin le même jour et passait la nuit dans un établissement de détention avant d'être remise le jeudi aux autorités italiennes. Cela supposait qu'une place de détention devait être disponible le mercredi soir au Tessin. Elle ignorait si la confirmation donnée oralement par les autorités italiennes dans le cas présent était une pratique systématique du côté du SEM.

La commissaire de police a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention pour une durée de deux mois.

Me ALIMI a conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention.

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 3 janvier 2024.

3.            À teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI (cum art. 75 al. 1 let. b LEI), après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si elle quitte la région qui lui est assignée ou pénètre dans une zone qui lui est interdite en vertu de l’art. 74 LEI.

4.            En l'espèce, M. A______ a fait l'objet d'une décision prise par le commissaire de police le 14 octobre 2022, lui faisant interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois. Il a violé cette mesure à quatre reprises, soit les 27 octobre 2022, 24 avril 2023, 4 juillet 2023 et 9 août 2023, ainsi que constaté par jugement du Tribunal de police du 28 septembre 2023. Ce même jugement a par ailleurs prononcé son expulsion du territoire suisse pour une durée de trois ans. Par conséquent, sur le principe, les conditions de sa détention, au sens des dispositions légales précitées, sont réalisées, ce que M. A______, par son conseil, ne semble d'ailleurs pas contester.

5.             Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité "peut" prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

6.             Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

7.             Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

8.            Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

9.            En l'espèce, la propension manifestée à plusieurs reprises par M. A______ à se soustraire aux mesures d'interdiction territoriales prononcées contre lui conduit le tribunal à considérer que toute autre mesure que sa détention administrative ne ferait que lui donner à nouveau l'occasion de se déplacer à sa guise et mettrait très probablement en échec l'exécution de son expulsion et sa réadmission sur territoire italien, que la Suisse doit de son côté exécuter conformément aux dispositions conventionnelles qui la lient à l'Italie.

10.        Compte tenu de ce qui précède, les assurances données par M. A______ à l'audience de ce jour sur le fait qu'il est déterminé à quitter ce jour même la Suisse à destination de l'Italie ne sauraient être considérées comme crédibles et ont bien plutôt pur but de servir ses propres intérêts dans la situation où il se trouve. C'est le lieu de préciser qu'en tout état, les autorités suisses ne peuvent laisser M. A______ retourner de son propre chef en Italie, quelle que soit la route qu'il emprunte. En effet, comme dit ci-dessus, la Suisse est liée à l'Italie par une convention qui lui impose d'obtenir préalablement l'accord des autorités de ce pays avant d'y renvoyer une personne disposant à priori d'un droit d'y séjourner. Il n'est donc pas question pour la Suisse de laisser M. A______ retourner en Italie en faisant fi de cette règle, ce d'autant qu'en l'occurrence, le droit de M. A______ de retourner en Italie ne paraît pas clairement établi, vu que son titre de voyage italien arrivait à expiration le 26 septembre 2023. Ce n'est donc que par la réponse des autorités italiennes qu'il pourra être juridiquement déterminé si M. A______ peut être renvoyé dans ce pays.

11.        Sous cet angle, sa détention apparaît donc comme proportionnée. Par ailleurs, il n'apparaît pas que les autorités suisses auraient violé leur devoir de diligence en tardant à organiser la réadmission de M. A______ en Italie, puisque la demande adressée aux autorités de ce pays remonte déjà à plusieurs semaines. Contrairement à ce que soutient M. A______, le délai de réponse que les autorités italiennes sont susceptibles de prendre, même s'il va jusqu'à six mois, ne contredit pas l'obligation de diligence des autorités suisses, qui ne sont pas responsables de ce délai.

12.        Quant à la durée de la détention, prononcée pour une durée de deux mois, elle ne paraît pas à priori disproportionnée compte tenu de l'incertitude qui pèse sur le délai dans lequel les autorités italiennes donneront leur réponse sur la réadmission de M. A______.

13.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.

14.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 3 janvier 2024 à 13h45 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 2 mars 2024 inclusivement ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière