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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/92/2024

JTAPI/24/2024 du 12.01.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);ASSIGNATION À RÉSIDENCE;LÉGALITÉ;PROCÉDURE DUBLIN
Normes : LEI.80.al3; LEI.76a.al1; LEI.76a.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/92/2024 MC

JTAPI/24/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 janvier 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Mansour CHEEMA, avocat

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1982, est originaire d'Algérie.

2.             Il a déposé une demande d'asile en Autriche le 23 janvier 2022.

3.             Par ordonnance pénale du Ministère public de Genève du 26 août 2023, il a été condamné à une peine privative de liberté de 90 jours pour infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) (séjour illégal) et vol (art. 139 ch. 1 al. 1 du code pénal (CP; RS 311.0).

4.             Le même jour, le commissaire de police lui a fait interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois en application de l'art. 74 LEI.

5.             Le 5 octobre 2023, il a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon, en vue de purger la peine privative de liberté précitée, après avoir été acheminé de Lausanne.

6.             Après avoir été auditionné le 12 octobre 2023 par la police internationale en vue de sa reprise en charge par un pays Dublin, le service d'Etat aux migrations (ci-après: SEM) a soumis une requête aux fins de son admission aux autorités autrichiennes, le 24 octobre 2023.

7.             Le 27 octobre 2023, les autorités autrichiennes ont accepté l'admission de M. A______ sur leur territoire.

8.             Le 31 octobre 2023, le SEM a rendu à l'encontre de l'intéressé une décision de renvoi au sens de l'art. 64a al. 1 LEI, entrée en force le 1er novembre 2023.

9.             Le 2 janvier 2024, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six semaines, aux fins de permettre l'exécution de son renvoi de Suisse.

Au commissaire de police, il a déclaré ne pas être d'accord de retourner en Autriche ni en Algérie et préférer rejoindre sa famille en France.

10.         Un vol le 8 janvier 2024 à destination de l'Autriche a été réservé en sa faveur. Il a refusé de le prendre.

11.         Par requête du 9 janvier 2024, reçue au tribunal le 11 janvier à 8h30, M. A______ a déposé une demande d'examen de la légalité et de l'adéquation de la détention administrative.

12.         Invité à se déterminer sur cette demande d'ici au 11 janvier 2023 à 14h00, le commissaire de police a, par courriel du même-jour à 15h09, indiqué ne pas avoir d'observations à formuler dans la mesure où un vol avec escorte policière était en cours d'organisation.

13.         Dans le délai imparti, M. A______, sous la plume de son conseil, a conclu principalement à ce que le tribunal constate l'inadéquation et l'illicéité de sa détention et à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement à ce que le tribunal constate l'inadéquation et l'illicéité de sa détention, à sa mise en liberté immédiate, à ce qu'il soit ordonné au commissaire de police de prononcer une assignation à un lieu de résidence en lieu et place de la détention administrative et à ce que l'affaire soit renvoyée au commissaire de police pour déterminer les modalités de l'assignation à un lieu de résidence.

Son grand-père était Monsieur B______, figure de proue dans l'opposition algérienne postcoloniale, contraint à l'exil, réfugié en Suisse où il mourra le 23 décembre 2015. Son père avait également vécu en Suisse. En raison de cette histoire familiale, il avait voulu trouver refuge en Suisse mais il avait été arrêté en Autriche au préalable.

Le vol qu'il avait commis portait sur six-cent capsules de café, ce qui ne constituait pas une menace pour l'ordre public suisse. On ne pouvait déduire de son refus de prendre le vol du 8 janvier 2024, qu'il entendait se soustraire à son renvoi. Il obéissait aux injonctions de l'autorité. On en voulait pour preuve qu'il avait quitté le canton de Genève pour le canton de Vaud lorsqu'on lui avait notifié l'interdiction de pénétrer sur le territoire genevois pour douze mois. Il avait pris conscience qu'il ne pouvait pas déposer une demande d'asile et acceptait maintenant de se rendre en Autriche. Il souhaitait néanmoins s'y rendre par ses propres moyens et récupérer au préalable des affaires dans le canton de Vaud. Il n'existait donc aucun élément concret faisant craindre qu'il entendait se soustraire à son renvoi.

Le principe de proportionnalité n'était pas respecté car il remplissait les conditions d'une assignation à résidence, laquelle devait être ordonnée en lieu et place de sa détention administrative.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance (ci-après le tribunal) est compétent pour examiner les demandes de levée de détention faites par l'étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. g de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Selon l'art. 80a al. 3 LEI, la légalité et l'adéquation de la détention ordonnée dans le cadre d'une procédure Dublin sont examinées, sur demande de la personne détenue, par une autorité judiciaire au terme d'une procédure écrite. Cet examen peut être demandé à tout moment.

3.             La LaLEtr, qui n'a pas été mise en jour suite à l'adoption et l'entrée en vigueur des art. 76a et 80a LEI, ne définit pas la compétence et ne détermine pas la procédure applicable dans les cas de figure envisagés par ces dispositions. Il ne fait néanmoins pas de doute que la compétence du tribunal est donnée s'agissant des demandes formées par les personnes détenues sur la base de l'art. 76a LEI (cf. not. JTAPI/803/2019 du 6 septembre 2019 ; JTAPI/720/2018 du 27 août 2018 ; JTAPI/13172018 du 13 février 2018 ; cf. aussi ATA/557/2017 du 16 mai 2017).

4.             En l'espèce, M. A______ a dûment requis du tribunal qu'il contrôle la légalité et l'adéquation de sa détention.

5.             Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l'étranger (cf. art. 9 al. 3 LaLEtr).

6.             La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).

7.             Selon l'art. 28 par. 2 du règlement, les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément audit règlement lorsqu'il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d'une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. À teneur du par. 3 du même article, le placement en rétention est d'une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu'à l'exécution du transfert au titre du présent règlement.

8.             En vertu de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a.    des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi ;

b.    la détention est proportionnée ;

c.    d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du règlement [UE] n° 604/2013).

9.             L'art. 76a al. 2 LEI mentionne les éléments concrets dont il s'agit de conclure qu'il y a lieu de craindre que l’étranger entend se soustraire à l’exécution du renvoi. Il en va ainsi, notamment, du fait de son comportement en Suisse ou à l’étranger permettant de conclure qu’il refuse d’obtempérer aux instructions des autorités (let. b), s'il menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l’objet d’une poursuite pénale ou a été condamné pour ce motif (let. g) ou s'il a été condamné pour crime (let. h) ;

10.         À compter du moment où la détention a été ordonnée, l’étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de sept semaines pendant la préparation de la décision relative à la responsabilité du traitement de la demande d’asile, les démarches y afférentes comprenant l’établissement de la demande de reprise en charge adressée à un autre État Dublin, le délai d’attente de la réponse à la demande ou de son acceptation tacite, la rédaction de la décision et sa notification (art. 76a al. 3 let. a LEI).

11.         Un comportement en Suisse ou à l'étranger adopté par l'intéressé permettant « de conclure qu'il refuse d'obtempérer aux instructions des autorités » constitue un élément concret faisant craindre qu'il entende se soustraire à l'exécution du renvoi (art. 76a al. 2 let. b LEI). Selon l'art. 76a al. 2 let. g LEI, le fait que l'étranger menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l’objet d’une poursuite pénale ou a été condamné pour ce motif fait aussi craindre qu'il entende se soustraire à l'exécution du renvoi.

12.         Il ressort du Message relatif à l'approbation et à la mise en œuvre des échanges de notes entre la Suisse et l'Union européenne concernant la reprise des règlements (UE) nos 603/2013 et 604/2013 (développements de l'acquis de Dublin/Eurodac) du 7 mars 2014 (FF 2014 2587, 2614) que l'art. 76a al. 2 LEI définit les critères relatifs au risque de passage à la clandestinité (cf. let. a à i). Il s'agit là d'indices concrets relevés au cas par cas justifiant de craindre que la personne concernée n'entende se soustraire à l'exécution du renvoi (non-observation des prescriptions des autorités, p. ex. violation de l'obligation de collaborer, dépôt de plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes, etc.).

13.         Ces critères s'apparentent aux motifs déjà existants de détention en phase préparatoire ou de détention en vue du renvoi définis aux art. 75 et 76 LEI (cf. Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 17 ad art. 76a p. 808).

14.         En l'espèce, M. A______ a clairement indiqué s'opposer à son renvoi en Autriche et dans son pays d'origine. Il l'a d'ailleurs démontré en refusant de prendre le vol réservé en sa faveur le 8 janvier 2024, de sorte qu'un vol avec escorte policière doit lui être organisé. Il dit accepter aujourd'hui de se rendre en Autriche. Ce revirement apparaît toutefois dicté par son souhait, légitime, de recouvrer la liberté et non par une vraie volonté de retourner dans ce pays. Sans aucuns liens avec la Suisse – le fait que son grand-père et son père y auraient vécu ne constituant pas un ancrage suffisant – ni domicile fixe ni revenu, il y a lieu de craindre que M. A______ se soustrait à l'exécution de son renvoi, notamment par un passage dans la clandestinité. Par ailleurs et contrairement à ce qu'il prétend, quand bien même le vol qu'il a commis portait sur six-cents capsules de café, il n’en demeure pas moins que son comportement est constitutif d’un crime (art. 10 al. 2 CP). En poursuivant un séjour illégal en Suisse et en s’en prenant au patrimoine d’autrui, l'intéressé est une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

15.         Partant, c'est de manière tout à fait fondée que le commissaire de police a ordonné sa détention sur la base de l'art. 76a al. 1 et 2 let. b et h LEI, les conditions de la let. g LEI étant également remplies.

16.         Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit dans tous les cas respecter le principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 et 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et art. 76a al. 1 let. b et c LEI ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Il convient en particulier d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi constitue une mesure appropriée et nécessaire (cf. art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ; ATF 134 I 92 consid. 2.3 et 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_624/2011 du 12 septembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 et 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. ATF 130 II 425 consid. 5.2).

17.         S'agissant du fait que sa détention administrative pourrait être remplacée par une assignation à résidence, il convient tout d'abord de relever que M. A______ n'a aucune attache particulière en Suisse ni domicile fixe et qu'on le ne sait pas comment il vit, étant apparemment sans travail. Dès lors, la décision de lever sa détention au profit d'une assignation à résidence n'apparaît pas réalisable. Par ailleurs, cette mesure ne permet pas de palier au risque de fuite concret, respectivement de passage dans la clandestinité mais au mieux, de constater celle-ci. A ces éléments s'ajoute que l'intéressé se sait sous la menace d'un renvoi forcé à destination d'un pays où il a très clairement indiqué ne pas vouloir retourner. Par conséquent, il apparaît que seule sa détention administrative permet de s'assurer de la possibilité d'exécuter son renvoi.

18.         Au vu de ce qui précède, l'ordre de mise en détention du 2 janvier 2024 sera confirmée et la demande de levée de détention formée par M. A______ le 9 janvier 2024 sera rejetée.

19.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______ à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 2 janvier 2024 à l’encontre de Monsieur A______ ;

2.             rejette la demande de levée de détention formée par Monsieur A______ le 9 janvier 2024 ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière