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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1279/2023

JTAPI/1186/2023 du 30.10.2023 ( LCR ) , ADMIS

Descripteurs : PERMIS DE CONDUIRE;EXPERTISE;CANNABIS
Normes : LCR.14; LCR.15d.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1279/2023 LCR

JTAPI/1186/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 octobre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Donia ROSTANE, avocate, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 2000, est titulaire du permis de conduire pour les catégories A, A1, B, B1, F, G et M depuis le 8 juillet 2019.

2.             Par courrier du 4 juin 2021, la Police a informé l’office cantonal des véhicules
(ci-après : OCV) avoir contrôlé l’intéressé, le jour en question, en possession de 3,48 grammes (poids total) de haschich alors qu’il était à l’arrêt avec son motocycle immatriculé GE 1______. L’intéressé avait déclaré être consommateur régulier de ce produit.

3.             Interpellé le 21 juin 2021 par l’OCV quant à sa consommation de stupéfiants (quels stupéfiants consommez-vous, depuis quand, en quelle quantité et à quel rythme), M. A______ a exposé, par courrier du 2 juillet 2021, qu’il consommait du cannabis depuis deux ans, à raison de 5g par mois. Cette substance lui permettait de mieux dormir. Il n’en consommait que le week-end et jamais lorsqu’il devait conduire ou travailler.

4.             Par courrier du 9 juillet 2021, l’OCV a rappelé à M. A______ la teneur des art. 14 al. 2 let. c et 16 al. 1 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01). Compte-tenu des circonstances, il ne se justifiait pas, à l’heure actuelle, de prendre une décision d’une gravité telle que le retrait de son permis de conduire. En cas de nouvelles infractions à la LStup, il serait toutefois dans l’obligation de prononcer une telle mesure, ou à tout le moins, de lui imposer un examen approfondi auprès d’une institution médicale spécialisée, afin de confirmer son aptitude à la conduite.

5.             Le 25 février 2023, à 16h00, l’intéressé a été contrôlé par la police alors qu’il était passager d’un motocycle immatriculé GE 2______. A cette occasion, il se serait opposé à son interpellation et à sa conduite au poste de police par les policiers, en tentant de quitter les lieux, en se débattant fortement, en donnant des coups, menaçant et insultant l’un des policiers, l’obligeant à faire usage de la force pour le maîtriser, et en griffant un autre à la main.

6.             Entendu par la police le lendemain, M. A______ a notamment expliqué n’avoir pas compris que la police voulait l’interpeller et indiqué avoir consommé des stupéfiants le 23 février 2023.

7.             Par ordonnance pénale du 26 février 2023 (P/4437/2023), M. A______ a été reconnu coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 ; CP - RS 311.0), de mise à disposition d'un véhicule à une personne non titulaire du permis de conduire requis (art. 95 al. 1 let. e LCR), de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 al. 1 CP), d'injure (art. 177 al. 1 CP) et d’infraction à l'art. 19a ch. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).

Il était relevé que, par ordonnance pénale du 9 février 2023, l’intéressé avait été reconnu coupable de conduite sans permis de conduire valable, à réitérées reprises, et de violation simple des règles de la circulation routière.

8.             Le 8 mars 2023, M. A______ a formé opposition contre l’ordonnance du 26 février 2023. La procédure est toujours en cours.

9.             Par courrier du même jour, l’OCV a informé M. A______ que les autorités de police avaient porté à sa connaissance l’infraction du 25 février 2023. Un délai de quinze jours ouvrables lui était octroyé pour faire parvenir ses observations écrites, « notamment quant à sa consommation de stupéfiants : quels stupéfiants consommez-vous, depuis quand, en quelle quantité et à quel rythme ».

10.         Par courrier du 20 mars 2023, M. A______ a informé l’OCV que sa consommation de CBD était très occasionnelle et rare pour ce qui était du cannabis. Il ne consommait ce dernier produit que le weekend et jamais lorsqu’il savait qu’il allait conduire. Le jour de son arrestation, étant passager, il avait expliqué aux agents qu’il avait consommé du CBD le soir du jeudi 23 février 2023. En effet, ayant récemment subi une opération de la main, il savait qu’il n’allait pas conduire.

11.         Par décision du 29 mars 2023, l’OCV a ordonné à M. A______ de se soumettre à une expertise médicale et psychologique du trafic en application de l’art. 15d al. 1 LCR, lui précisant que s’il ne donnait pas suite aux requêtes et convocations des experts, son permis de conduire lui serait retiré pour une durée indéterminée.

Cette décision était motivée par les faits survenus suite à son interpellation du 25 février 2023, soit avoir insulté, donné des coups de pied et griffé l’agent de police et reconnu avoir consommé du CBD le 23 février 2023 au soir. Il ne pouvait pas justifier d'une bonne réputation, le système d'information relatif à l'admission à la circulation (SIAC) faisant apparaître un retrait du permis de conduire d’une durée d’un mois prononcé par décision du 1er janvier 2018, pour conduite d’un motocycle sans être titulaire du permis de la catégorie correspondante. Par ailleurs, le 9 juillet 2021, une mise en garde concernant la consommation de stupéfiants lui avait été notifiée.

Une décision serait prise lorsque les questions relatives à son aptitude auraient été élucidées ou, en cas de non soumission à l'examen imposé, dans un délai de trois mois.

12.         Par acte du 12 avril 2023, M. A______, sous la plume d’un conseil, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance
(ci-après : le tribunal) contre cette décision, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation.

Il contestait toute consommation de stupéfiants telle que mentionnée en page 2 § 4 de l'ordonnance pénale du 26 février 2023. Il avait fait opposition à cette dernière et déposé plainte contre les policiers qui l’avaient interpellé le 25 février 2023, alors qu’il était passager. En toute transparence, il avait admis avoir consommé uniquement du CBD le 23 février 2023. Il contestait a fortiori une quelconque consommation de produits stupéfiants alors qu'il aurait été au volant. Son casier judiciaire, sans antécédents, ne comportait aucune mention d'une conduite avec une quelconque trace de consommation de stupéfiants et il confirmait, au besoin, que cela ne s'était jamais produit. La décision querellée apparaissait plus comme une sanction liée à l'ordonnance pénale contestée et ainsi non-applicable en l'état. Les faits concernés n’avaient rien à voir avec une conduite problématique, étant rappelé que la consommation légale de CBD, admise spontanément, était intervenue hors de toute conduite et n'était ainsi pas contestable ni relevante pour alléguer un doute quant à son aptitude à la conduite. Qui plus était la mention du SIAC dans la décision entreprise s'apparentait à un abus de droit respectivement à de l'arbitraire en ce sens qu'il y était mentionné des faits datant d'il y avait près de 5 ans qui n'avaient jamais entraîné de doutes quant à une problématique d'aptitude à la conduite. Rien ne laissait ainsi penser que d'une quelconque manière il serait inapte à la conduite, n'ayant jamais été condamné ou surpris pour une quelconque attitude dangereuse ne serait-ce que potentiellement lors de sa conduite. La décision devait ainsi être annulée, soit subsidiairement, suspendue jusqu'à droit connu sur la procédure pénale.

13.         Dans ses observations du 13 juin 2023, l'OCV, après avoir rappelé les circonstances l’ayant conduit au prononcé de la décision querellée, a souligné avoir formellement avisé le recourant, le 9 juillet 2021, de l'incompatibilité de la conduite des véhicules à moteur avec la consommation de stupéfiants. Lors de son audition, le recourant avait déclaré être consommateur régulier de cette substance, puis, dans ses observations du 2 juillet 2021, indiqué consommer du cannabis depuis 2 ans, substance qui lui permettait de mieux dormir selon ses dires. Par ordonnance pénale du 9 février 2023, il avait par ailleurs été reconnu coupable d'avoir dépassé un automobile par la droite, de ne pas observer la signalisation lumineuse qui se trouvait à la phase rouge et de conduire un véhicule avec un permis échu. Il n’avait toutefois pas retenu administrativement ces faits.

Concernant la décision litigieuse, il fallait retenir, en premier lieu, que le recourant déclarait consommer des stupéfiants depuis l'âge de 18 ans et notamment du cannabis, de façon hebdomadaire à tout le moins. Rien ne permettait d'établir à ce jour qu’il était capable de dissocier la conduite de toute consommation de stupéfiants, ces deux activités n'étant pas compatibles. En second lieu, ses manquements répétés aux règles de la circulation routière (conduites sans permis, inobservations des signalisations, etc.) attestaient qu’il faisait fi de manière régulière aux règles de la circulation routière et reflétaient un manque d'égards envers les autres usagers de la route, ce que venaient encore confirmer les évènements du 25 février 2023 (lésions corporelles, menaces, mise à disposition d'un véhicule dont le conducteur n'était pas titulaire du permis requis). Il estimait dès lors qu'il ressortait du comportement du recourant qu'il ne présentait pas la garantie d'observer les prescriptions et de respecter autrui lorsqu'il est au volant. C'était en effet la réitération de ses comportements ainsi que la consommation de stupéfiants qui faisaient naître des doutes quant à son aptitude caractérielle et médicale à la conduite. Ces doutes ne pourraient être levés que sur présentation de l'expertise ordonnée.

Il n’accepterait enfin de suspendre la procédure en attente de l'issue pénale qu’à réception de ladite expertise.

Il a transmis son dossier.

14.         Par courrier du 19 juillet 2023, M. A______ a répliqué, sous la plume de son conseil.

Reprenant l’essentiel de l’argumentation développée dans son recours, il a rappelé n’avoir jamais fait d’accident ni été contrôlé sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue (haschich, cannabis, CBD ou autre), alors qu’il conduisait. Il n’avait commis que des infractions mineures à la LCR. Ayant formé opposition à l’ordonnance pénale du 26 février 2023, les faits du 25 février 2023 ne sauraient être pris en compte.

15.         Par courrier du 10 août 2023, l’OCV a informé le tribunal ne pas souhaiter dupliquer et laisser la cause à juger.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l’office cantonal des véhicules (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 17 de la loi d'application de la législation fédérale sur la circulation routière du 18 décembre 1987 - LaLCR - H 1 05).

2.             Interjeté en temps utile, c’est-à-dire dans le délai de dix jours, s’agissant d’une décision incidente (art. 4 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), car prise pendant le cours de la procédure et ne représentant qu’une étape vers la décision finale (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1 ; cf. aussi ATA/765/2021 du 15 juillet 2021 consid. 1 et l'arrêt cité ; Cédric MIZEL, La preuve de l'aptitude à la conduite et les motifs autorisant une expertise, Circulation routière 3/2019, p. 35 ; cf. encore, par analogie, ATF 122 II 359 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_212/2021 du 16 juin 2021 consid. 1.1 ; 1C_154/2018 du 4 juillet 2018 consid. 1.1 et 1C_514/2016 du 16 janvier 2017 consid. 1.1, portant sur le retrait à titre préventif du permis de conduire), et devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 115 et 116 LOJ ; art. 17 LaLCR ; art. 17 al. 1, 3 et 4, 57 let. c, 62 al. 1 let. b, 62 al. 3 1ère phr. et 63 al. 1 let. c LPA).

3.             À teneur de l'art. 57 let. c LPA, les décisions incidentes sont susceptibles de recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

4.             Lorsqu’il n’est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d’expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; 133 II 353 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1 ; ATA/765/2021 du 15 juillet 2021 consid. 2).

5.             Selon la jurisprudence, une décision est susceptible de causer un préjudice irréparable si le recourant encourt un retrait provisoire du permis de conduire et doit avancer les frais de l'examen médical auquel il doit se soumettre et qui ne lui seront peut-être pas restitués (arrêts du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 1 ; 1C_248/2011 du 30 janvier 2012 consid. 1 et les références ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1 ; cf. également arrêt 1C_328/2011 du 8 mars 2012 consid. 1).

6.             En l'occurrence, le recourant ne s'est aucunement prononcé sur cette question, alors qu'il lui incombait de le faire. Néanmoins, dès lors que ladite décision stipule, conformément à ce que prévoit l'art. 45 du règlement sur les émoluments de l’office cantonal des véhicules du 15 décembre 1982 (REmOCV - H 1 05.08), que les frais d'expertise seront à sa charge (cf. à cet égard art. 9 al. 1 let. d du règlement du centre universitaire romand de médecine légale, site de Genève, du 25 septembre 2013 - RCURML - K 1 55.04), qu'il devra (très vraisemblablement) s'acquitter d'une avance et que s'il ne se soumet pas à l'expertise, son permis de conduire lui sera retiré, la condition de l'art. 57 let. c LPA apparaît réalisée, si bien qu'il convient d'entrer en matière (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 1 ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 1).

7.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

8.             Selon l'art. 14 al. 1 LCR, tout conducteur de véhicule automobile doit posséder l’aptitude et les qualifications nécessaires à la conduite. Est apte à la conduite, aux termes de l'art. 14 al. 2 LCR, celui qui a atteint l’âge minimal requis (let. a), a les aptitudes physiques et psychiques requises pour conduire un véhicule automobile en toute sécurité (let. b), ne souffre d’aucune dépendance qui l’empêche de conduire un véhicule automobile en toute sécurité (let. c) et dont les antécédents attestent qu’il respecte les règles en vigueur ainsi que les autres usagers de la route (let. d).

9.             Si l'aptitude à la conduite soulève des doutes, la personne concernée fera l'objet d'une enquête dans les cas énumérés de manière non exhaustive à l'art. 15d al. 1 let. a à e LCR (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.1.1), notamment en cas d'infractions aux règles de la circulation dénotant un manque d'égards envers les autres usagers de la route (art. 15d al. 1 let. c LCR).

10.         Le Tribunal fédéral a notamment considéré que plusieurs excès de vitesse massif (« délit de chauffard ») ou un autre comportement en matière de circulation routière qui se révèle être particulièrement dangereux sans égard pour autrui peuvent constituer des indices suffisants pour une possible inaptitude à la conduite. On peut en déduire des motifs caractériels ou de santé psychique, qui justifient un retrait préventif du permis de conduire (cf. art. 90 al. 3 et 4 et 15d al. 1 let. c ; arrêt 1C_658/2015 du 20 juin 2016 consid. 2). Même un premier excès de vitesse massif peut, dans certaines circonstances, faire douter de l'aptitude à la conduite, ce qui justifie un retrait préventif et une expertise psychologique (cf. notamment arrêts du Tribunal fédéral 1C_154/2018 du 4 juillet 2018 consid. 4.3 ; 1C_658/2015 consid. 2 et 3 ; 1C_604/2012 du 17 mai 2013 consid. 6.1 et 6.2).

11.         Les faits objet des hypothèses de l’art. 15d al. 1 LCR fondent un soupçon préalable que l'aptitude à la conduite pourrait être réduite (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.1.1 ; ATA/1138/2017 du 2 août 2017 consid. 5d et la référence). Si des indices concrets soulèvent des doutes quant à l'aptitude à la conduite de la personne concernée, un examen d'évaluation de l'aptitude à la conduite par un médecin et/ou un examen d'évaluation de l'aptitude à la conduite par un psychologue du trafic doivent être ordonnés (art. 28a al. 1 OAC ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_41/2019 du 4 avril 2019 consid. 2.1 ; 1C_76/2017 du 19 mai 2017 consid. 5 ; cf. aussi ATF 139 II 95 consid. 3.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.4.2 ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1).

12.         Sous le titre « Détermination de l'aptitude et des qualifications nécessaires à la conduite », l'art. 15d al. 1 let. b LCR, entré en vigueur le 1er janvier 2013, prévoit que si l'aptitude à la conduite soulève des doutes, la personne concernée fait l'objet d'une enquête, notamment en cas de conduite sous l'emprise de stupéfiants ou de transport de stupéfiants qui altèrent fortement la capacité de conduire ou présentent un potentiel de dépendance élevé, cette énumération n'étant pas exhaustive (cf. message du Conseil fédéral du 20 octobre 2010 in FF 2010 p. 7755).

13.         Le permis de conduire est retiré lorsque l'autorité constate que les conditions légales de sa délivrance, énoncées par la disposition précitée, ne sont pas ou ne sont plus remplies (art. 16 al. 1 1ère phr. LCR).

14.         L'art. 16d al. 1 let. b LCR prévoit en outre que le permis de conduire est retiré pour une durée indéterminée à la personne qui souffre d'une forme de dépendance la rendant inapte à la conduite.

15.         Ces deux mesures constituent des retraits de sécurité (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1; 122 II 359 consid. 1a ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1 ; 1C_384/2011 du 7 février 2012 consid. 2.3.1), en ce sens qu'elles ne tendent pas à réprimer une infraction fautive à une règle de la circulation, mais sont destinées à protéger la sécurité du trafic contre les conducteurs incapables (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3a).

16.         La décision de retrait de sécurité du permis de conduire, notamment pour alcoolisme ou d'autres causes de toxicomanie, constitue une atteinte grave à la sphère privée de l'intéressé ; elle doit donc reposer sur une instruction précise des circonstances déterminantes (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; 133 II 284 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_557/2014du 9 décembre 2014 consid. 3 ; 1C_819 du 25 novembre 2013 consid. 2 ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1 ; 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3a ; cf. en ce qui concerne le retrait justifié par des raisons médicales ou l'existence d'une dépendance : ATF 129 II 82 consid. 2.2 ; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 1C_819 du 25 novembre 2013 consid. 2), le pronostic devant être posé sur la base des antécédents du conducteur et de sa situation personnelle (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; 125 II 492 consid. 2a).

17.         Avant d'ordonner un retrait de sécurité, l'autorité doit éclaircir d'office la situation de la personne concernée. En particulier, elle doit examiner l'incidence de la toxicomanie sur son comportement comme conducteur ainsi que le degré de la dépendance. En cas de doute, il y a lieu d'ordonner un examen médical (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1), l'intérêt public lié à la sécurité routière commandant en effet que l'on procède à un examen approfondi à chaque fois qu'il existe suffisamment d'éléments pour faire naître un doute au sujet de l'aptitude à la conduite (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.3 ; 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.4).

18.         Un tel doute peut reposer sur de simples indices, en particulier lorsqu'il en va d'une dépendance en matière de produits stupéfiants (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1).

19.         La jurisprudence considère que les mesures appropriées à cet effet, notamment l'opportunité d'une expertise médicale, varient en fonction des circonstances et relèvent du pouvoir d'appréciation de l'autorité cantonale appelée à se prononcer sur le retrait (ATF 129 II 82 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1 ; 1C_248/2011 du 30 janvier 2012 consid. 3.1 ; 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.2 ; 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3a). Cela étant, en cas de soupçon de dépendance à une drogue, l'autorité de retrait doit soumettre l'intéressé à une expertise médicale ; elle ne peut y renoncer qu'à titre exceptionnel, par exemple en cas de toxicomanie grave et manifeste (arrêts du Tribunal fédéral 1C_819/2013 du 25 novembre 2013 consid. 2 ; 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.3, in JdT 2008 I 464).

20.         Ainsi, un défaut d'aptitude à conduire peut être admis lorsque la personne considérée n'est plus capable de séparer de façon suffisante sa consommation de cannabis et la conduite d'un véhicule automobile, ou s'il y a un risque important qu'elle conduise un véhicule automobile sous l'effet aigu de cette drogue (ATF 129 II 82 consid. 4.1 ; 127 II 22 consid. 3c ; 124 II 559 consid. 3d ; arrêt du Tribunal fédéral 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3b).

21.         Le Message du Conseil fédéral du 20 octobre 2010 concernant Via sicura (FF 2010 pp. 7703 ss) précise que la détermination de l'aptitude et des qualifications nécessaires à la conduite de l'art. 15d LCR s'applique d'une part à la conduite sous l'influence d'un stupéfiant, et d'autre part « au transport » (dans sa voiture) de drogues dites « dures » comme la cocaïne ou l'héroïne, même si la personne ne se trouve pas sous l'influence de ces substances au moment du contrôle. Le législateur explique que c'est le risque important de dépendance aux « drogues dures » qui justifie que l'on procède à un examen, même si la personne considérée ne se trouve pas sous l'effet d'une drogue au moment de son interpellation. « En revanche, quiconque transporte dans sa voiture des « drogues douces » (p. ex. du cannabis) ne doit se soumettre à une vérification de son aptitude que s'il se trouve au volant dans l'incapacité de conduire » (FF 2010 7756).

22.         Cette affirmation catégorique, qui ne fait toutefois que reprendre le Manuel du 26 avril 2000 du groupe d'expert de l'OFROU (« inaptitude à conduire: motifs de présomption, Mesure, Rétablissement de l'aptitude à conduire », ci-après : manuel OFROU), exclut donc des éclaircissements de l'aptitude pour consommation « hors-conduite automobile », même si par hypothèse le conducteur admet lors de son interpellation une grosse consommation de drogue douce (Cédric MIZEL, Stupéfiants et contrôle de l'aptitude à la conduite sous Via sicura, in Pratique juridique actuelle, 2014, p. 220; BUSSY/ RUSCONI/ JEANNERET/ KUHN/ MIZEL/ MULLER, in Code suisse de la circulation routière commenté, n° 2.2 ad art. 15d LCR).

23.         Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de confirmer que le fait de consommer régulièrement du cannabis ne justifie pas la mise en place d'un examen médical s'il n'y avait pas d'autres indices concrets relatifs à un manque de capacité de conduire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_556/2012 du 23 avril 2013 consid. 2.2; ATF 128 II 335 consid. 4b, JT 2002 I 563; 127 II 122 consid 4b, JT 2001 I 430). Le consommateur occasionnel de cannabis qui ne mélange pas cette drogue avec des médicaments ou de l'alcool est en général en mesure d'identifier une perte de performance liée à la consommation et d'agir en conséquence (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_445/2012 du 26 avril 2013).

24.         La consommation de cannabis, même si elle n'est qu'occasionnelle et ne porte que sur de faibles quantités, est susceptible d'altérer l'aptitude à conduire. Il peut, par exemple, en résulter une diminution de l'acuité visuelle dynamique, un allongement du temps de réaction, une altération de la capacité de coordination ou encore une diminution de la précision des automatismes de conduite. Parmi les erreurs de conduite typiques, on peut citer les difficultés à tenir sa ligne, l'éloignement de sa voie de circulation, la mauvaise appréciation des manœuvres de dépassement, la confusion entre limites extérieures et intérieures de la route, l'augmentation de la fréquence des collisions et les excès de vitesse (ATF 130 IV 32 consid. 5.2 ; 124 II 559 consid. 3c/aa et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 6A.84/2003 du 27 janvier 2004 consid. 3.1.2).

25.         Cela étant, la consommation contrôlée de cannabis, même régulière et importante, n'entraîne pas nécessairement une diminution de l'aptitude à conduire (ATF 128 II 335 consid. 4b ; 127 II 122 consid. 4b ; 124 II 559 consid. 4d et 4e ; arrêt du Tribunal fédéral 6A.33/2001 et 35/2001 du 30 mai 2001 consid. 3b).

26.         En l'espèce, la question à trancher est celle de savoir s'il existait des doutes suffisants quant à l'aptitude à la conduite du recourant, susceptibles de justifier la mise en œuvre d'une expertise.

L’OCV motive sa décision par les faits survenus suite à l’interpellation du recourant le 25 février 2023, soit avoir insulté, donné des coups de pied et griffé l’agent de police et reconnu avoir consommé du CBD le 23 février 2023 au soir. Il relève que l’intéressé ne justifie pas d'une bonne réputation, le SIAC faisant apparaître un retrait du permis de conduire d’une durée d’un mois prononcé par décision du 1er janvier 2018, pour conduite d’un motocycle sans être titulaire du permis de la catégorie correspondante. Par ailleurs, le 9 juillet 2021, une mise en garde concernant la consommation de stupéfiants lui avait été notifiée. Cette dernière faisait suite à l’interpellation du recourant en possession de 3,48 g de haschich alors qu’il était à l’arrêt avec son motocycle. A cette occasion et bien que l’intéressé ait déclaré être consommateur régulier de ce produit, l’OCV a retenu qu’il ne se justifiait pas de lui retirer son permis de conduire mais qu’en cas de nouvelles infractions à la LStup, il serait dans l’obligation de prononcer une telle mesure, ou à tout le moins, de lui imposer un examen approfondi auprès d’une institution médicale spécialisée, afin de confirmer son aptitude à la conduite.

Aucun élément du dossier ne permet de retenir que M. A______ aurait conduit sous l'influence de stupéfiants, ce que l’OCV ne prétend du reste pas. Le recourant a systématiquement indiqué ne jamais consommer de cannabis lorsqu’il savait devoir conduire. S’agissant par ailleurs de sa consommation de ce produit, régulière en 2021, elle serait aujourd’hui, rare, limitée au week-end et jamais lorsqu’il savait qu’il allait conduire. Il admet pour le surplus une consommation occasionnelle de CBD. Aucun élément du dossier ne vient infirmer ses dires ou plaider en faveur d’une dépendance à l’égard des produits précités.

Si le recourant a certes un antécédent en matière de circulation routière, ce dernier n’est pas lié à une quelconque consommation de stupéfiants. Quant à ses manquements aux règles de la circulation routière (conduites sans permis, inobservations des signalisations, etc.) ils ne sauraient, comme le retient l’OCV, pour la première fois dans ses observations, attester que l’intéressé ferait fi de manière régulière aux règles de la circulation routière ou refléter un manque d'égards de ce dernier envers les autres usagers de la route. L’OCV avait d’ailleurs renoncé à sanctionner le recourant à l’époque pour les faits retenus dans l’ordonnance pénale du 9 février 2023. S’agissant des évènements du 25 février 2023 (lésions corporelles, menaces, mise à disposition d'un véhicule dont le conducteur n'était pas titulaire du permis requis), contestés par le recourant sous réserve de la mise à disposition du véhicule, ils ne permettraient pas plus, s’ils devaient être définitivement retenus sur le plan pénal, de parvenir à une autre conclusion.

Dès lors, le tribunal estime que l'intéressé paraît tout à fait capable de séparer consommation de cannabis/CBD et conduite automobile et que les infractions aux règles de la circulation qu’il a commises, certes regrettables, ne dénotent pas pour autant un manque d'égards envers les autres usagers de la route au sens de l’art. 15d al. 1 let. c LCR, exigeant qu’il se soumette à une expertise médicale et psychologique du trafic en application de l’art. 15d al. 1 LCR.

Par conséquent, au regard des principes légaux et jurisprudentiels cités ci-dessus et des éléments du dossier, les soupçons émis par l'autorité intimée quant à l'inaptitude à la conduite du recourant n'apparaissent pas fondés. L’OCV a dès lors abusé de son pouvoir d'appréciation en ordonnant au recourant de se soumettre à une expertise médicale.

27.         Bien fondé, le recours sera admis et la décision querellée annulée.

28.         Dans la mesure où il obtient gain de cause, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA).

Une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’OCV, lui sera par ailleurs allouée à titre de dépens (art. 87 al. 2 LPA et 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 12 avril 2023 par Monsieur A______ contre la décision de l’office cantonal des véhicules du 29 mars 2023 ;

2.             l’admet ;

3.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’office cantonal des véhicules, à verser au recourant une indemnité de procédure de CHF 800.- ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. b et 65 LPA, la présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné de la présente décision et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de cette décision est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier