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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3088/2022

JTAPI/506/2023 du 08.05.2023 ( ICC ) , REJETE

REJETE par ATA/494/2024

Descripteurs : TAXE D'INSCRIPTION AU REGISTRE;LIQUIDATION DU RÉGIME MATRIMONIAL
Normes : LDE.62.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3088/2022 ICC

JTAPI/506/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 mai 2023

 

dans la cause

 

Mesdames B______ et D______ et C______, représentées par Me Claude BRECHBUHL, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né en 1930, et Madame B______, née en 1943, se sont mariés en 1971 en France. De leur union sont issues Mesdames C______, née en 1972, et D______ née en 1974.

2.             En 1990, les époux A______ et B______ ont acquis en copropriété, pour moitié chacun, un appartement sis à Genève (ci-après : l’immeuble).

3.             Par son testament public du 24 avril 2003, instrumenté par Maître F______, notaire, M. A______ a :

-          préalablement rappelé que les époux avaient adopté le régime matrimonial de la communauté universelle ;

-          soumis sa succession au droit suisse ;

-          institué son épouse en tant qu'héritière du « maximum de biens » que la loi lui permettait de disposer en sa faveur, tant en pleine propriété, qu'en usufruit, y compris l'usufruit de toute la part qui sera dévolue à leurs descendants communs conformément à l'art. 473 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), en lui laissant la faculté de choisir l'une de ces alternatives : 5/8ème en pleine propriété ou 1/4ème en pleine propriété (ou toute autre quotité disponible en pleine propriété admise par la loi ou le Tribunal fédéral) et le solde en usufruit  ou l'usufruit de la totalité de sa succession ;

-          précisé que le solde de sa succession devrait revenir, à parts égales, à ses deux filles, Mmes D______ et C______ ;

-          prévu, à titre de règles de partage au sens des art. 608 et 612 CC, que son épouse pourrait demander l’attribution, en pleine et exclusive propriété et en imputation sur sa part : les droits qu'il détiendrait dans le bien immobilier qui constituerait leur logement commun au jour de son décès ; de tous les meubles meublants et objets mobiles garnissant leur logement commun, précisant qu’en lieu et place de la propriété, son épouse pourrait, à sa libre discrétion, demander l'attribution de ses biens, en usufruit ou en droit d'habitation.

4.             M. A______ est décédé à ______ le ______ 2020.

5.             Le 7 mai 2020, par devant Me F______, Mme B______ a déclaré opter pour 5/8ème, en pleine propriété, de la succession de son défunt époux.

6.             A teneur de l’attestation d’héritier établie par Me F______ suite au décès de feu M. A______:

-          « suivant contrat de mariage reçu par Me F______ le 24 avril 2003, les époux A______ et B______ ont confirmé vouloir rester soumis au régime de la communauté de biens universelle du droit français et convenu qu'au décès du premier d'entre eux, la communauté de biens devra se partager par moitié (1/2) entre l'époux survivant et les héritiers de l'époux décédé » ;

-          feu M. A______ avait laissé pour ses seules héritières légales et réservataires son épouse et ses deux filles et sa succession leur avait été dévolue à raison de respectivement 5/8ème et 3/16ème.

7.             Le 18 août 2021, par le biais de Me F______, Mme B______ et ses deux filles ont requis du registre foncier l’inscription, en copropriété, de leurs parts respectives (5/8ème et 2 fois 3/16ème) pour la moitié de l’immeuble qu’elles avaient héritée de feu M. A______.

8.             Par bordereau de droits d’enregistrement du 13 septembre 2021, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a taxé les opérations « mutation immobilière en copropriété » et « partage » portant sur une valeur de CHF 3'656’174.-, instrumentées par l’acte du 18 aout 2021. A teneur de ce bordereau, Me F______ y était désigné comme débiteur des droits dus sur ces opérations (CHF 21.- pour la première et CHF 7'678,90 pour la seconde, y compris les centimes additionnels).

9.             Le 8 octobre 2021, Me F______ a formé réclamation contre ce bordereau, dans la mesure où il tenait compte des droits de partage, au motif qu’aucun partage n’était intervenu entre les héritières.

10.         Par décision datée du 22 octobre 2021, l'AFC-GE a annulé les droits de partage successoral (CHF 3'656’174.-) et maintenu ceux dus pour la mutation immobilière (CHF 10.- plus les centimes additionnels de CHF 11.-).

Pour le surplus, elle a expliqué qu’en application de la jurisprudence du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) du 28 juin 2021 (JTAPI/662/2021), elle notifierait directement à Mme B______ les droits d’enregistrement dus au titre de la liquidation du régime matrimonial.

11.         Par bordereau de droits d’enregistrement daté du 21 octobre 2021, l'AFC-GE a taxé l’opération « liquidation du régime matrimonial » portant sur une valeur de CHF 3'656’174.-. Mme B______ y était désigné comme débitrice des droits dus sur cette opération (CHF 7'678,90). La « date de l’acte » concerné était celle du « 18 août 2021 ».

12.         Le 16 novembre 2021, Mme B______ et ses deux filles, sous la plume de leur conseil, ont formé conjointement réclamation contre ce bordereau, au motif qu’« à ce stade des formalités relatives à la succession, aucun partage matrimonial ni successoral n’est encore intervenu entre les héritières ».

Avant le décès de son mari, Mme B______ était déjà inscrite au registre foncier en tant que copropriétaire, à raison d'une moitié, de l’immeuble. La réquisition soumise à ce registre se bornait à refléter une situation de droit découlant d'une option reconnue par le législateur et non de la volonté des héritières de procéder au partage anticipé du régime matrimonial et de la succession du défunt. Cette réquisition concernait uniquement le transfert de la part de copropriété du défunt en faveur de ses héritières. Aucun accord n’était intervenu et aucune opération de liquidation du régime matrimonial et de partage n’avait été entreprise entre les héritières, de sorte que la perception des droits de partage était, en l’état, injustifiée.

L'AFC-GE n’avait jamais prélevé des droits de partage au stade de la mutation des droits immobiliers en faveur des héritiers, mais uniquement lors du dépôt de l’acte de partage relatif à la liquidation du régime matrimonial ou de la succession. Les conditions de changements de sa pratique en la matière n’étaient pas réunies, aucun motif sérieux ne justifiant une perception anticipée de ces droits, qui n’étaient dus que lors du dépôt de l’acte de partage.

Enfin, leur situation n’était pas assimilable à celle faisant l’objet du jugement du tribunal JTAPI/662/2021 du 28 juin 2021. En effet, l’acte que Me F______ avait déposé au registre foncier le 18 août 2021 ne comportait aucune attribution pouvant être assimilée à un partage.

13.         Par décision du 26 août 2022, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation.

Le décès d’une personne entrainait la dissolution du mariage et la liquidation du régime matrimonial. La liquidation du régime de la participation aux acquêts était nécessaire pour pouvoir déterminer le patrimoine personnel du de cujus. Ainsi, en l’occurrence, la mutation en hoirie sur la part de copropriété du défunt avait été taxée conformément à l'art. 62 al. 1 let. b de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30), puisqu'il n'était pas possible de muter un immeuble au nom de l'hoirie sans liquider le régime matrimonial. Peu importait le fait que cet immeuble était détenu en copropriété par les époux, s'il faisait partie de la masse des acquêts. Il appartenait ensuite aux héritiers, conformément à l'art. 67 LDE, de fixer leurs parts sur l'immeuble hérité s’ils ne souhaitaient pas rester en indivision.

14.         Par acte du 21 septembre 2022, sous la plume de leur conseil, Mme B______ et ses deux filles, Mmes C______ et D______, ont recouru conjointement contre cette décision auprès du tribunal, concluant à son annulation et à ce que seul un droit fixe de CHF 10.- (plus centimes additionnels) soit perçu sur la mutation immobilière au sens de l’art. 67 LDE, le tout avec suite de dépens.

Reprenant en substance leur argumentation précédente, elles ont notamment ajouté que lorsque les conditions de l'art. 67 LDE étaient réalisées - comme en l'espèce, puisque l'épouse survivante avait simplement fait le choix de recevoir les 5/8èmes des biens dépendant de la succession - la perception des droits de partage étaient exclue.

En l'absence d'un partage définitif, l'art. 63 LDE n'était pas applicable. En l'espèce, la réquisition de mutation déposée au registre foncier ne contenait aucune stipulation permettant d'établir la volonté des parties de procéder à une opération de partage ou de liquidation du régime matrimonial entre les héritières. Par conséquent, la perception de droit de partage était, en l'état, contraire au caractère formaliste de la LDE.

15.         Dans sa réponse du 21 novembre 2022, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Reprenant les considérants du jugement du tribunal JTAPI/662/2021 du 28 juin 2021, elle a relevé qu’en l’espèce, il y avait lieu de distinguer deux opérations, soumises aux dispositions légales distinctes, soit la mutation de l'immeuble au nom de la communauté héréditaire [recte : mutation en copropriété entre héritiers] et la liquidation du régime matrimonial, et non le partage successoral. La première de ces deux opérations avait été taxée conformément à l'art. 67 al. 2 LDE [recte : art. 67 al. 1 LDE] et la seconde en application de l'art. 62 al. 1 let. b LDE.

Pour déterminer quelle était la masse successorale de feu M. A______, il était logiquement nécessaire de liquider d'abord son régime matrimonial.

C’était Mme B______ qui était débitrice des droits d'enregistrement sur cette liquidation (art. 166 al. 1 LDE), étant précisé que cette opération lui avait profité (art. 163 al. 2 LDE) et qu'elle était tenue de la déclarer à l'enregistrement (cf. art. 138), ce qu'elle n'avait pas fait. Le fait qu’elle eût été déjà inscrite en tant que copropriétaire de l’immeuble avant le décès de son mari n'y changeait rien. Partant, c'était à juste titre qu’un bordereau de droits d'enregistrement sur la liquidation du régime matrimonial lui avait été notifié, sur la base de l'art. 62 al. 1 let. b LDE.

16.         Par réplique du 15 décembre 2022, respectivement duplique du 9 janvier 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

17.         Par courrier du 27 mars 2023, le tribunal a demandé à l'AFC-GE de lui transmettre une copie de la déclaration de succession de feu M. A______, ainsi que tout document lui ayant permis d’arrêter la valeur de la liquidation du régime matrimonial à CHF 3'656'174.-.

18.         Le 3 avril 2023, l'AFC-GE a transmis au tribunal une copie de la déclaration de succession de feu M. A______ du 19 mai 2021, à teneur de laquelle l’avoir successoral net s'élevait à CHF 1'528’087.-, après une « reprise du conjoint survivant » de CHF 1'528’087.-, au titre de « liquidation du régime matrimonial ».

 

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE en matière de droits d’enregistrement (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 et 2 LDE).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (cf. art. 178 al. 7 et 179 al. 1 et 2 LDE et 62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3.             La recevabilité du recours suppose également que son auteur dispose de la qualité pour recourir.

4.             À teneur de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, a qualité pour recourir toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Cette notion de l'intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l'art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), que les cantons sont tenus de respecter en application de la règle d'unité de la procédure figurant à l'art. 111 al. 1 LTF
(arrêt du Tribunal fédéral
1C_91/2018 du 29 janvier 2019 consid. 3.1 ; ATF 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 135 II 145 consid. 5).

L'intérêt digne de protection représente tout intérêt pratique ou juridique à demander la modification ou l'annulation de la décision attaquée. Il consiste donc dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. Il implique que le recourant doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d'être prise en considération avec l'objet de la contestation et qu'il soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés de manière à empêcher l'action populaire (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_91/2018 précité consid. 3.1).

5.             En l’espèce, la décision sur réclamation querellée et le bordereau de droits d’enregistrement y relatif du 21 octobre 2021 ne portent que sur l’opération de la liquidation du régime matrimonial et fixent uniquement les droits y relatifs. Ceux-ci étant dus exclusivement par Mme B______, en vertu de l’art. 166 al. 1 let. f LDE (dont la teneur sera citée ci-après), Mmes C______ et D______ ne peuvent en aucune mesure se prévaloir d'un intérêt digne de protection pour les contester. Elles ne disposent donc pas de la qualité pour recourir contre cette décision, étant précisé que celle qui les concerne, du 13 septembre 2021, a été annulée suite à leur contestation.

Ainsi, le recours est recevable qu’en tant qu’il a été interjeté par Mme B______ (ci-après : la recourante).

6.             Cette dernière fait valoir que dans la mesure où la réquisition du registre foncier effectuée le 18 août 2021 par Me F______ ne porte pas sur la liquidation du régime matrimonial, aucuns droits d’enregistrement ne peuvent lui être réclamés sur cette opération, mais seulement un droit fixe de CHF 10.- prévu par l’art. 67 al. 1 LDE.

7.             Aux termes de l’art. 1 al. 1 LDE, toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et, en général, « toute opération » ayant un caractère civil ou judiciaire, soumise soit obligatoirement, soit facultativement à la formalité de l’enregistrement, fait l’objet d’un impôt dénommé « droits d’enregistrement ».

8.             Est déterminante pour la fixation des droits, la nature réelle des actes et opérations ainsi que celle des stipulations qui y sont contenues (art. 8 al. 1 LDE). Lorsque dans un acte ou une opération quelconque, il existe plusieurs dispositions indépendantes ou ne découlant pas nécessairement les unes des autres, chacune d’elles, selon sa nature, est soumise au droit fixé par la présente loi (art. 8 al. 2 LDE).

9.             Aux termes de l’art. 62 al. 1 let. b LDE, est soumis obligatoirement à l’enregistrement au droit de 1 ‰ et au minimum de CHF 10.- le partage des biens matrimoniaux existant au moment du changement ou de la liquidation du régime matrimonial, que ce partage ait lieu après le décès de l’un des conjoints ou de leur vivant.

10.         Selon l’art. 204 al. 1 CC, applicable en matière fiscale (cf. ATA/1007/2019 du 11 juin 2019 consid. 5), le régime matrimonial est dissous au jour du décès d’un époux. La composition des biens communs et des biens propres est arrêtée au jour de la dissolution (art. 236 al. 3 CC). Lorsque la communauté de biens prend fin par le décès d’un époux ou par l’adoption d’un autre régime, elle se partage par moitié entre les époux ou leurs héritiers (art. 241 al. 1 CC).

Le décès d'une personne mariée entraîne la dissolution du mariage et la liquidation du régime matrimonial. La liquidation d'une participation aux acquêts ou d'une communauté de biens est nécessaire avant le partage de la succession pour pouvoir déterminer le patrimoine personnel du de cujus au moment de son décès (Florence GUILLAUME in Pascal PICHONNAZ, Bénédict FOËX, Denis PIOTET, Commentaire romand du code civil II, ad art. 462, § 6, p. 19 ; cf. JTAPI/574/2018 du 18 juin 2018 consid. 10 et 11).

11.         Les biens faisant l’objet du changement ou de la liquidation du régime matrimonial sont taxés à leur valeur vénale à la date du changement ou de la liquidation du régime matrimonial, sans tenir compte du passif matrimonial (art. 63 LDE).

12.         Selon l’art. 67 al. 1 LDE, l’acte de mutation en copropriété entre héritiers d’immeubles dépendant d’une succession n’est pas soumis au droit de partage, mais à un droit fixe de CHF 10.-, à condition toutefois que l’inscription au registre foncier soit faite conformément aux droits successoraux des héritiers.

13.         Aux termes de l’art. 161 al. 1 LDE, intitulé « Débiteurs des droits », les droits dus sur les actes et opérations soumis obligatoirement ou facultativement à l’enregistrement doivent être payés avant cette formalité : par les notaires, pour les actes de leur ministère (let. a), par les parties, pour tous autres actes et « opérations » (let. f).

Les droits sont supportés par les parties auxquelles ces actes et opérations profitent (cf. art. 163 al. 2 LDE).

Sont solidairement responsables du paiement des droits, intérêts et frais, les cohéritiers qui se partagent une succession, les époux dont le régime matrimonial est modifié « ou liquidé » (art. 166 al. 1 LDE).

14.         Sur la base de ce qui précède, le tribunal, dans son jugement JTAPI/662/2021 que l'AFC-GE a appliqué en l’espèce, a retenu que pour pouvoir requérir du registre foncier l'inscription de mutation en communauté héréditaire d’un immeuble, il fallait tout d'abord déterminer dans quelle mesure celui-ci faisait partie de la masse successorale, ce qui impliquait nécessairement la liquidation préalable du régime matrimonial. Cette conclusion ne permettait toutefois pas de considérer le notaire comme débiteur des droits d’enregistrement sur cette liquidation, dans la mesure où l’acte qu’il avait instrumenté ne portait manifestement pas sur celle-ci, même s’il en tenait compte implicitement. C’était en effet seule l’épouse survivante qui en était débitrice et responsable (cf. 166 al. 1 LDE), dès lors que cette opération lui profitait (cf. art. 163 al. 2 LDE) et qu’elle était tenue de la déclarer à l’enregistrement (cf. art. 138 LDE), ce qu’elle n’avait en l’occurrence pas fait. Ce jugement est entré en force sans avoir été contesté.

Dans son jugement JTAPI/1420/2022 du 19 décembre 2022, le tribunal a considéré que dans la mesure où la déclaration de succession du de cujus faisait état d’une « déduction pour liquidation du régime matrimonial », la détermination du montant des acquêts et le partage de ceux-ci étaient intervenus avant le dépôt de cette déclaration et que, par conséquent, il appartenait à la recourante de déclarer cette liquidation à l’enregistrement (cf. art. 138 LDE), ce que, au vu du dossier, elle n’avait pas fait. Il n’était ainsi pas nécessaire de déterminer si les droits litigieux pouvaient être réclamés sur la base de l’acte notarié en question. Du reste, le bordereau contesté ne visait pas cet acte, ni donc les opérations qu’il instrumentait, mais seulement l’opération de liquidation du régime matrimonial. Ce jugement fait actuellement l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (cause A/2195/2022).

15.         En droit fiscal, le principe de la légalité doit être strictement observé. S'agissant en particulier des déductions autorisées par la loi, leur caractère d'exception à l'impôt doit entraîner une interprétation restrictive de leur nature et de leur étendue (ATA/1728/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3f ; ATA/858/2018 du 21 août 2018 ; ATA/958/2014 du 2 décembre 2014). Les exonérations, exemptions, restitutions ou les déductions ont un caractère exceptionnel et doivent être expressément prévues par des dispositions appelant une interprétation restrictive des normes applicables (ATA/276/2006 du 16 mai 2006 consid. 5c ; ATA/510/2004 du 8 juin 2004). Le principe de la légalité ne permet donc pas d'introduire des déductions fiscales qui ne sont pas prévues par la loi (cf. ATA/1728/2019 du 26 novembre 2019 consid. 4).

En droits d’enregistrement, plus spécifiquement, le caractère formaliste de l'enregistrement implique une interprétation restrictive des dispositions contenues dans la LDE. Les droits étant ainsi normalement prélevés à chaque fois qu'un acte translatif de propriété à titre onéreux est soumis à l'enregistrement, il faut déterminer pour chaque acte, pris séparément, s'il donne lieu à une exonération. L'exonération constituant l'exception à la perception des droits d'enregistrement, il convient d'interpréter les conditions de celle-ci de manière stricte (ATA/163/2021 du 9 février 2021 consid. 2g).

16.         Il convient de rappeler aussi que les parties sont tenues de faire enregistrer tous les actes et « opérations » ainsi que les déclarations de transfert et d’autres opérations dont l’enregistrement est obligatoire en application de la LDE. Cette obligation incombe solidairement aux donateur et donataire, aux cohéritiers en matière de partage successoral et aux époux dont le régime matrimonial est modifié ou liquidé (art. 138 LDE), qui doivent la satisfaire dans un délai de deux mois à compter de la date de l’acte ou de l’opération (cf. art. 160 LDE).

Par ailleurs, en matière de droits de succession, il est prévu que tout héritier légal ou institué doit déposer la formule de déclaration de succession du de cujus, dans un délai de 3 mois, à dater du décès, pour les successions ouvertes dans le canton de Genève (cf. art. 31 al. 1 let. a et 32 al. 1 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 - LDS - D 3 25). Cette déclaration doit contenir notamment « le détail des biens composant l’avoir brut du défunt ; l’avoir des deux époux doit être déclaré intégralement, sauf en cas de séparation de biens » (art. 29 al. 3 let. b LDS).

17.         En l’espèce, tout d’abord, la conclusion de la recourante tendant à ce que seul un droit fixe de CHF 10.- soit perçu sur l’opération de la mutation immobilière, au sens de l’art. 67 al. 1 LDE, se révèle sans objet, puisque le bordereau litigieux du 21 octobre 2021 ne porte aucunement sur cette opération, mais exclusivement sur celle visée par l’art. 62 al. 1 let. b LDE, à savoir le partage des biens matrimoniaux existant au moment de la liquidation du régime matrimonial. D’ailleurs, ce droit fixe de CHF 10.- est dû déjà en vertu du bordereau initial du 13 septembre 2021, lequel est entré en force, l'AFC-GE ne l’ayant annulé, par sa décision du 22 octobre 2021, que dans la mesure il tenait compte des droits de partage successoral.

Pour le surplus, le tribunal tient à souligner en premier lieu que - contrairement à ce que semble penser la recourante - pour qu’une opération parmi celles visées par l’art. 1 al. 1 LDE soit soumise aux droits d’enregistrement, elle ne doit pas nécessairement être stipulée dans un acte notarié, ni d’ailleurs dans un quelconque acte formel. En effet, par son expression « toute opération ayant un caractère civil », cette disposition vise non seulement les opérations instrumentées formellement dans un acte écrit, mais également celles qui ne le sont pas. Ainsi, il suffit que ces opérations se réalisent en soi pour qu’elles soient soumises à l’obligation déclarative au sens de l’art. 138 LDE, cette disposition visant tous les actes « et opérations » dont l’enregistrement est obligatoire. Il est dès lors erroné d’affirmer, comme le fait la recourante, que les droits ne sont dus que lors du « dépôt de l’acte de partage » relatif à la liquidation du régime matrimonial.

En conséquence, il s’agit de déterminer en l’espèce si la liquidation du régime matrimonial a effectivement eu lieu, indépendamment de la question de savoir si la réquisition foncière du 18 août 2021 porte sur cette opération ou non, étant observé à toutes fins utiles que tel n’est manifestement pas le cas, cette réquisition ne relevant que de l’art. 67 al. 1 LDE. L’autorité intimée n’aurait donc pas dû indiquer dans le bordereau litigieux du 21 octobre 2021 (sous la rubrique « Date de l’acte ») que l’acte concerné était celui du « 18 août 2021 ». Ces indications pouvaient en effet porter à confusion.

Cela étant, au vu des pièces produites, force est d’admettre que la liquidation du régime matrimonial a bel et bien eu lieu. En effet, aux termes de leur contrat de mariage du 24 avril 2003, les époux A______ et B______ ont stipulé « qu'au décès du premier d'entre eux, la communauté de biens devra se partager par moitié », comme le prévoit au demeurant l’art. 241 al. 1 CC. Par ailleurs, la déclaration de succession de feu M. A______ du 19 mai 2021 ne pouvait être déposée, conformément à l’art. 29 LDS, sans qu’on y indique une déduction pour liquidation du régime matrimonial. Elle démontre que cette liquidation a eu lieu et qu’elle s’est réalisée par un partage par moitié des biens y relatifs. En effet, elle fait état d’un actif successoral brut de CHF 3'656'174.- et, après une « déduction pour liquidation du régime matrimonial » de CHF 1'528'087.-, d’un actif successoral net de CHF 1'528'087.-, ce qui démontre que la détermination du montant des acquêts et leur partage sont intervenus avant le dépôt de cette déclaration. Ainsi, dès le décès de feu M. A______, la recourante disposait d’une créance envers l’hoirie, correspondant à la moitié des biens communs des époux, précisément parce que la liquidation du régime matrimonial avait eu lieu. Au demeurant, cette déclaration aurait pu être considérée, d’une part, comme acte stipulant également l’opération de liquidation du régime matrimonial, puisqu’elle en fait expressément état
(cf. art. 8 al. 2 LDE), et, d’autre part, comme valant déclaration de cette liquidation, au sens de l’art. 138 LDE. En tout état, en vertu de l’art. 138 LDE, il appartenait à la recourante de déclarer cette opération à l’enregistrement, puisqu’elle en était seule débitrice et responsable (art. 166 al. 1 LDE) dès lors que cette opération lui profitait (art. 163 al. 2 LDE), ce qu’elle n’a pas fait.

Enfin, rien ne permet au tribunal d’exclure l’application de l’art 62 al. 1 let. b LDE lorsque - comme en l’espèce - une liquidation du régime matrimonial se réalise sans qu’il soit nécessaire de partager objectivement les biens y relatifs, parce qu’intervenant entre les membres d’une même famille. La LDE ne prévoit en effet aucune exonération ou imposition privilégiée pour de telles situations. Un tel avantage ne se justifie pas non plus sous l’angle du principe de l’égalité de traitement. L’on ne voit au demeurant pas pourquoi seul le partage découlant d’une liquidation du régime des époux vivants devrait y être soumis, d’autant moins que cette disposition vise également expressément celui résultant d’une liquidation causée par le décès de l’un des conjoints. Le fait que dans une constellation familiale, comme celle en l’occurrence, ce partage n’a pas nécessairement besoin d’avoir lieu concrètement n’y change rien. En pareilles circonstances, il y a lieu de considérer que le partage est intervenu simultanément avec la liquidation du régime matrimonial, à savoir au jour du décès de feu M. A______, la moitié des biens du régime entrant à ce moment-là dans sa succession. Il ne s’agit donc pas ici d’un changement injustifié de la pratique administrative, mais d’une application parfaitement justifiée de l’art. 62 al. 1 let. b LDE. Cette disposition serait en effet vidée de manière significative de sa substance si l’on adhérait à la position défendue par la recourante, étant relevé qu’elle ne prétend pas qu’elle n’aurait jamais un droit exclusif sur des biens lui revenant du régime matrimonial.

Au vu de ce qui précède, la décision sur réclamation contestée et le bordereau y relatif doivent être confirmés.

18.         Partant, le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

19.         En application des art. 87 al. 1 LPA, 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourantes, qui succombent, sont condamnées conjointement et solidairement au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’000.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours.

20.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 21 septembre 2022 par Mesdames B______ et D______ et C______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 26 août 2022 ;

2.             met à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’000.-, lequel est partiellement couvert par leur avance de frais de CHF 700.- ;

3.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Nicole FRAGNIÈRE MEYER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier