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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1227/2022

JTAPI/1435/2022 du 19.12.2022 ( ICCIFD ) , ADMIS

ADMIS par ATA/183/2024

Normes : LDS; LIFD
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1227/2022 ICC/IFD

JTAPI/1435/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 décembre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par ECHO SA, avec élection de domicile

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le présent litige a trait aux impôts cantonaux et communaux (ICC) et à l’impôt fédéral direct (IFD) 2020 de Madame A______.

2.             La fondation panaméenne B______ (ci-après : la fondation) a été constituée par Madame C______ (ci-après : de cujus), grande-tante de la contribuable, en 2004. Elle en était, de son vivant, la première bénéficiaire (elle est décédée le ______ 2012).

3.             Le 11 décembre 2019, la fondation a interpellé l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) au sujet du traitement fiscal des distributions qu’elle était chargée d’effectuer en vertu du règlement édicté par le Conseil de Fondation le 14 mars 2012 (ci-après : le règlement).

En son art. 2, le règlement prévoyait qu’au décès de la première bénéficiaire, le Conseil de Fondation se chargerait d’effectuer des distributions de montants de CHF 10’000.- à CHF 100’000.- à des tiers, le solde des avoirs devant ensuite être réparti à parts égales entre les petits-neveux et les petites-nièces nés ou à naître (ci-après : les deuxièmes bénéficiaires), qui auraient libre accès à leur part à l’âge de 30 ans. L’art. 3 du règlement stipulait qu’il devenait irrévocable après le décès de la première bénéficiaire.

Afin que les deuxièmes bénéficiaires puissent connaître les conséquences fiscales de leur statut et des distributions qu’ils percevraient dans le futur, la fondation a demandé à l’AFC-GE que les modes de taxation suivant soient validés :

« 1. Tant que les deuxièmes bénéficiaires n’avaient pas 30 ans et n’avaient pas reçu leur part : aucune imposition dans leur chef des avoirs de la fondation.

2. En cas de distribution :

- IFD : Imposition au titre de revenu de la différence entre le capital soumis aux droits de succession et le capital reçu ;

- ICC : Imposition au titre de revenu de la différence entre le capital soumis aux droits de succession et le capital reçu, déduit des éventuels gains en capital attribuables à la part reçue de la fortune de la Fondation ».

4.             Le 11 décembre 2020, l’AFC-GE a validé le premier mode de taxation présenté par la fondation, mais non le deuxième, considérant que les distributions devraient être soumises dans leur intégralité à l’impôt sur le revenu en vertu de la règle générale des art. 16 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 17 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08).

5.             Le 19 février 2021, la fondation a réitéré sa demande et l’AFC-GE a, le 17 août 2021, maintenu sa position.

6.             Dans sa déclaration fiscale 2020 du 3 août 2021, la contribuable a indiqué, sous la rubrique « Observations », être bénéficiaire de la fondation et avoir accès depuis le 30 décembre 2020 au montant de CHF 363’600.-, précisant que le traitement fiscal de celui-ci était en cours de discussion avec l’AFC-GE.

En annexe, elle a produit un courrier de la fondation lui confirmant qu’elle avait accès, le ______ 2020, jour de son trentième anniversaire, à l’équivalent du 1/8ème de la valeur du portefeuille de la fondation, soit un montant, à cette date, de CHF 363’600.-. Cette somme était tenue à sa disposition pour une distribution à la date souhaitée. Elle a aussi produit un courrier de la fondation du 12 février 2021 (au contenu similaire du courrier adressé par la fondation à l’AFC-GE le 19 février 2021).

7.             Par bordereaux ICC/IFD 2020 du 4 février 2022, l’AFC-GE a imposé au titre de revenu la distribution de la fondation de CHF 363’600.-. Dans les avis de taxation, elle a indiqué, sous les « remarques sur titres », que « la distribution 2020 du trust est de CHF 363’600.- ».

Les ICC s’élevaient à CHF 104’106,55 et l’IFD à CHF 36’833,10.

8.             Les 3 et 10 mars 2022, par l’intermédiaire de son mandataire, la contribuable a formé réclamation.

Sa grande-tante n’avait pas déclaré l’existence de la fondation. Au moment de son décès, l’exécuteur testamentaire de la succession avait déposé une dénonciation spontanée relative aux avoirs de ladite fondation, déposés sur un compte bancaire. L’AFC-GE avait rectifié les taxations antérieures de la de cujus, en intégrant ce compte bancaire dans ses éléments imposables. La fondation avait, dès lors, été traitée en transparence. Suite au dépôt de la déclaration de succession, l’AFC-GE avait rendu un bordereau de droits de succession en date du 22 mai 2015, notifié à l’hoirie de feue la de cujus : les avoirs de la fondation avaient été taxés en mains des héritiers. Suite à la réclamation élevée à l’encontre dudit bordereau au motif que ces avoirs devaient être taxés non pas en mains des héritiers mais en celles de ses bénéficiaires, l’AFC-GE avait émis, le 24 août 2016, un bordereau de droits de succession rectificatif : y figuraient les cinq héritiers et tous les bénéficiaires sous la rubrique « legs/assurances ». Les deuxièmes bénéficiaires - dont elle faisait partie - avaient été chacun imposés à l’impôt sur les successions sur le 1/9ème des avoirs de la fondation, à savoir CHF 317’540.-, au taux relatif à leur lien de parenté avec la de cujus, soit petits-neveux et petites-nièces (art. 20 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 - LDS - D 3 25). Dès lors, la distribution de CHF 363’600.- effectuée par la fondation n’était imposable en tant que revenu qu’à raison de CHF 46’060.- (soit la différence entre la distribution précitée et l’imposition au moment de la succession). La contribuable a fait référence aux art. 24 LIFD et 27 LIPP et indiqué que l’AFC-GE avait appliqué par analogie le traitement fiscal d’un trust irrévocable discrétionnaire.

9.             Par décisions sur réclamation du 17 mars 2022, l’AFC-GE a maintenu les taxations litigieuses. Les versements effectués par la fondation devaient être soumis, dans leur intégralité, à l’impôt sur le revenu en vertu de la clause générale fixée aux art. 16 LIFD et 17 LIPP, conformément à l’arrêt du Tribunal fédéral 2A. 668/2004 du 22 avril 2005.

10.         Par acte du 13 avril 2022, sous la plume de son mandataire, la contribuable a interjeté recours contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, avec suite de frais et dépens, à leur annulation et à la modification de ses taxations ICC/IFD 2020.

Ayant pour but de permettre à sa fondatrice de faire des libéralités à titre gratuit aux membres de sa famille, la fondation était un outil successoral. L’AFC-GE avait considéré la fondation en transparence et a imposé ses avoirs dans le chef de la de cujus jusqu’à son décès, puis prélevé des droits de succession, considérant qu’elle était devenue opaque au décès de sa fondatrice qui avait fait des libéralités pour cause de mort en lui transférant les fonds. Étant considérée comme opaque, les bénéficiaires de la fondation n’avaient pas été imposés à titre de revenu et de fortune relativement à leur part. Ainsi, l’AFC-GE avait traité la fondation de manière analogue à un trust révocable, puis irrévocable au décès de la de cujus, et non comme un sujet fiscal autonome. La recourante ayant payé des droits de donation de CHF 79’087,30 suite aux donations pour cause de mort résultant de l’apport du capital initial de CHF 317’540.- à la fondation, le capital de cette dernière avait été taxé et il ne pouvait, en vertu des art. 24 let. a LIFD et 27 let. d LIPP, plus l’être lors de son remboursement. La jurisprudence citée par l’AFC-GE n’était pas pertinente puisqu’elle ne traitait pas de la déductibilité de l’apport (si ce dernier avait subi une imposition) au montant imposable à titre de revenus distribués ensuite aux bénéficiaires.

La contribuable a produit diverses pièces à l’appui de ses allégations, dont le bordereau rectificatif des droits de succession SUCC/32/2013 du 24 août 2016 concernant l’hoirie de la de cujus. Il en résulte que la fondation n’a pas été prise en compte, ni en tant qu’héritière ou légataire, et que les avoirs en ses mains ont été imposés dans le chef des petits-neveux et petites-nièces. En particulier, l’avoir destiné à la recourante a été fixé au montant de CHF 317’540.- et celle-ci devait s’acquitter, étant en quatrième catégorie, d’un impôt de CHF 79’087,30.

11.         Dans sa réponse du 4 juillet 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Le jour de son trentième anniversaire, la recourant avait acquis, conformément au règlement, un droit ferme à percevoir une prestation de CHF 363’300.- de la fondation. En vertu de la jurisprudence, cette prestation constituait un revenu imposable au sens des art. 16 al. 1 LIFD et 17 LIPP, et non pas une donation exonérée au sens des art. 24 let. a LIFD et 27 let. d LIPP, en l’absence d’animus donandi de la fondation. C’était ainsi à juste titre qu’elle avait été imposée en tant que revenu.

La recourante faisait fausse route en revendiquant, au titre de déduction du revenu imposable, l’imposition initiale de l’apport à la fondation. Aucune disposition de la LIFD ou de la LIPP ne permettait une telle déduction. Au contraire, l’énuméra-tion exhaustive des déductions générales prévues aux art. 33 LIFD et 31 à 33 LIPP ne prévoyait pas une telle déduction, ce qui était expressément confirmé dans la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). En outre, la recourante n’avait pas démontré avoir supporté un quelconque montant en lien avec l’apport à la fondation, contrairement aux exigences jurisprudentielles. Cet apport, soumis aux droits d’enregistrement, ne la concernait en rien.

Le traitement fiscal d’un trust irrévocable discrétionnaire n’avait pas été appliqué par analogie, dès lors qu’il visait des situations non comparables au cas d’espèce. À cet égard, la qualification de « trust » ressortant des remarques sur titres des avis de taxation querellés était certes incorrecte, mais il n’en demeurait pas moins que la distribution devait être imposée en tant que revenu.

La constitution d’une fondation représentait une donation qui, en Suisse, était en principe assujettie, à l’échelon cantonal, à l’impôt sur les donations et, dans le cadre d’une constitution testamentaire, à l’impôt sur les successions. Si une fondation d’utilité publique était constituée par l’affectation d’actifs, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, l’impôt sur les donations et l’impôt sur les successions n’étaient pas dus. Certes, le nom de la recourante apparaissait sur le bordereau de droits de succession du 24 août 2016, entré en force. Cela n’était néanmoins pas l’objet du présent litige qui concernait l’imposition, en tant que revenu, de la distribution effectuée par la fondation.

12.         Par réplique du 27 juillet 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions.

L’AFC-GE contestait le parallèle fait entre un trust et la fondation alors qu’elle avait elle-même utilisé cette terminologie, dans le bordereau du 4 février 2022. En retenant la terminologie de l’AFC-GE et en faisant le parallèle avec un trust, on se retrouvait dans la position décrite dans la réclamation et le recours.

En outre, la distribution effectuée par la fondation ne devait pas être vue sous l’angle de la donation. En réalité, dans la mesure où, au décès de sa grande-tante, les droits de succession avaient été calculés - puis acquittés - sur le lien de parenté entre cette dernière et la recourante, cela signifiait que les bénéficiaires étaient bien propriétaires de la part apportée à la fondation de manière irrévocable. Il ne pouvait donc y avoir une nouvelle imposition sur la part apportée et déjà imposée au moment du versement au bénéficiaire par la fondation. Seul le surplus éventuel devait être imposé (principe de l’accroissement de fortune). La fondation, considéré comme irrévocable au décès de la de cujus, n’existait auparavant pas, fiscalement parlant, car révocable, raison pour laquelle la de cujus avait été imposée au titre de revenu et de fortune sur les biens détenus par la fondation. Ensuite, les droits de succession avaient été acquittés au taux du lien de parenté. Ainsi, le bénéficiaire était titulaire de sa part de la fortune de la fondation, de manière similaire à une fondation testamentaire. Les bénéficiaires n’avaient certes pas été imposés en fortune sur leur part dans la fondation, mais cela résultait du fait qu’ils n’avaient pas un droit ferme sur cette dernière avant leurs 30 ans et qu’il n’y avait aucune certitude qu’ils atteignent cet âge, sachant que s’ils étaient décédés avant cet âge, leur propre succession n’aurait pas eu droit à cette part de fortune. Pour l’imposition de la distribution, les bénéficiaires étaient les quasi-nues-propriétaires de leur part, de sorte que lors de sa distribution, cette dernière ne devait pas être intégralement imposée, mais seulement pour la part d’accroisse-ment.

13.         Par duplique du 19 août 2022, l’AFC-GE a intégralement persisté dans les considérants et les conclusions de sa réponse.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 LIFD).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Est litigieuse la qualification de revenu de la somme de CHF 363’600.- mis à disposition de la recourante le jour de son trentième anniversaire.

4.             Toute transmission de biens résultant d’un décès, à quelque titre que cette transmission ait lieu, est frappée par des droits de succession (art. 1 al. 1 et
2 LDS). Ils sont calculés sur les parts héréditaires nettes, les legs, les assurances et rentes dévolues aux bénéficiaires et attributaires, les avances d’hoirie et donations ainsi que la part attribuée au conjoint ou au partenaire enregistré, conformément à l’art. 1 al. 1 let. b et c LDS (art. 16 LDS).

Le tarif d’imposition applicable aux droits de succession est fixé par l’art. 20 LDS pour les oncles ou tantes, les grands-oncles ou grand-tantes, les neveux ou nièces, les petits-neveux ou petites-nièces (quatrième catégorie).

5.             L’art. 16 LIFD exprime, pour l’imposition du revenu des personnes physiques, le concept de l’accroissement net du patrimoine, respectivement de l’imposition du revenu global net. Au regard de la clause générale de l’art. 16 al. 1 LIFD et de la liste exemplative des art. 17-23 LIFD, sont ainsi considérés comme revenus imposables tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. Les gains en capital réalisés lors de l’aliénation d’éléments de la fortune privée et les différents cas de figure prévus par la liste exhaustive de l’art. 24 LIFD font par contre exceptions ; ces exceptions doivent être interprétées restrictivement (ATF 146 II 6 consid. 4.1 ; 143 II 402 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_628/ 2018 du 7 mai 2019 consid. 5.1 et les références citées).

L’art. 17 LIPP a un contenu similaire à l’art. 16 LIFD et conforme à l’art. 7 al. 1 LHID (ATA/1068/2021 du 12 octobre 2021 consid. 2a).

6.             En vertu des art. 24 let. a LIFD et 27 let. d LIPP, les dévolutions de fortune ensuite d’une succession, d’un legs ou d’une donation sont exonérées de l’impôt sur le revenu. Ces dévolutions sont exonérées de l’impôt direct sur le revenu afin d’éviter une double imposition avec l’impôt sur les successions respectivement sur les donations, que pratiquement tous les cantons prélèvent et qui est de leur compétence exclusive (ATF 146 II 6 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_ 44/2018 du 31 janvier 2020 consid. 6.1 et les références citées).

Dès lors, l’impôt sur les successions et l’impôt sur le revenu sont exclusifs l’un de l’autre (arrêt du Tribunal fédéral 2C_148/2020 du 19 janvier 2021 consid. 7 ; ATA/1068/2021 du 12 octobre 2021 consid. 2a ; YVES NOËL, Commentaire romand de l’impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 8 ad art. 24 LIFD p. 592).

7.             Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 ; 1C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7).

8.             Le 22 août 2007, la Conférence suisse des impôts a publié la circulaire n° 30, intitulée « imposition des trusts » (ci-après : circulaire n° 30). Dans sa circulaire n° 20 du 27 mars 2008, l’administration fédérale des contributions a signalé qu’elle avait collaboré à l’élaboration de la circulaire n° 30 et que les dispositions de cette dernière étaient également applicables à l’IFD.

Selon la circulaire n° 30, la notion de trust décrit un rapport juridique ayant effet à l’encontre des tiers, qui prend naissance lorsque, sur la base d’un document de constitution (trust deed), le constituant (settlor) transfère des valeurs patrimoniales déterminées à une ou plusieurs personnes (trustees), lesquelles ont l’obligation de les gérer et de les utiliser dans un but établi à l’avance par le constituant en faveur d’un ou de plusieurs tiers (beneficiaries) (ch. 2.1).

Le constituant est la personne qui constitue un trust. Pour autant qu’il crée un trust irrévocable (irrevocable trust), il s’appauvrit définitivement et, en principe, il n’a plus ni droits ni obligations relativement au patrimoine du trust. Alternativement, il peut créer un trust révocable (revocable trust) et il conserve alors une emprise sur le patrimoine du trust (ch. 3.1). Le bénéficiaire est la personne qui bénéficie des prestations du trust. Il peut s’agir du constituant ou de toute autre personne physique ou morale du pays ou étrangère désignée comme telle (ch. 3.4).

Un trust n’étant pas reconnu comme un sujet fiscal, son patrimoine et les revenus qu’il génère sont imposés en Suisse en transparence, en fonction de l’existence de critères de rattachement personnels ou économiques (ATA/686/2017 du 20 juin 2017 consid. 23). Ainsi, la circulaire n° 30 retient que le constituant qui constitue un trust révocable ne se dessaisit pas définitivement du patrimoine attribué au trust (ch. 5.1.1.1), de sorte qu’il convient de procéder à un traitement fiscal en transparence, en lui attribuant le patrimoine du trust et ses rendements (ch. 5.2.1). En présence d’un trust irrévocable, le bénéficiaire n’est pas imposé en ce qui concerne l’impôt sur la fortune sur les actifs du trust et les distributions provenant du patrimoine du trust qu’il perçoit ne peuvent être imposées qu’au moment de leur versement, respectivement de l’obtention d’un droit ferme à la prestation. Les distributions doivent en principe être considérées comme un revenu. Ce revenu sera imposé sous réserve que la preuve soit faite qu’il ne s’agit pas d’un revenu ou que seule une part de la distribution constitue un revenu (preuve qu’il s’agit de capital initial du trust, qui a déjà été traité comme donation lors de l’apport au trust ; cette constatation ne se réfère qu’au capital apporté lors de la création du trust ou ultérieurement et le contribuable supporte le fardeau de la preuve) (ch. 5.2.3).

9.             En l’occurrence, il n’est pas contesté que la fondation a été, à juste titre d’ailleurs, traitée en transparence et imputée à sa fondatrice dans la mesure où celle-ci était libre, jusqu’au jour de son décès, de modifier à son bon vouloir les statuts et donc pouvoir accéder aux avoirs détenues par la fondation. Il n’est également pas contesté qu’à la suite de son décès, l’AFC-GE a dressé le bordereau de droits de succession du 22 mai 2015, puis, suite à une réclamation, celui rectificatif du 24 août 2016.

En l’espèce, le tribunal doit constater que l’AFC-GE a toujours traité la fondation comme s’il s’agissait d’un trust, et plus spécialement un trust révocable lorsque la de cujus était en vie et un trust irrévocable suite à son décès ; elle a d’ailleurs elle-même qualifié la fondation de trust dans les avis de taxation du 4 février 2022. En vertu du principe de la bonne foi entre administration et administré, l’AFC-GE doit rester cohérente dans son analyse au fil du temps. En outre, la fondation ne peut être assimilée à une fondation de famille au sens du droit suisse, leurs caractérisques étant différentes vu qu’une fondation de famille est destinée à durer dans le temps, tandis que la fondation n’a que pour but de distribuer son capital lorsque ses bénéficiaires atteignent l’âge de 30 ans et ainsi de disparaître.

Au décès de la cujus, l’AFC-GE a soumis au droit de succession le transfert des avoirs à la fondation et a imposé la part attribuée aux bénéficiaires, par l’acte de fondation ou le règlement de celle-ci, en fonction des liens de parenté entre la défunte et les bénéficiaires. Partant, la fondation a été constituée, fiscalement parlant, par acte pour cause de mort et le capital apporté imposé à l’impôt sur les successions, en tant que donation pour cause de mort. Ce transfert a dès lors été appréhendé, d’un point de vue fiscal par l’AFC-GE, comme un apport, de la même manière que pour les trusts révocables qui deviennent irrévocables au décès du settlor.

Dans ces circonstances, force est pour le tribunal de constater que la recourante a versé un impôt sur les successions pour sa part des avoirs provenant de sa grande-tante et que l’AFC-GE, qui l’avait requis, ne peut dès lors lui réclamer, sur ce même montant de CHF 317’540.-, un impôt sur le revenu, ceux-ci étant exclusifs l’un de l’autre, à moins qu’elle n’allègue que cet impôt n’était en fait pas dû et adopte ainsi un comportement contraire à la bonne foi.

S’agissant en revanche du montant de CHF 46’060.-, à savoir la différence entre la distribution de CHF 363’600.- et le montant de CHF 317’540.- imposé lors de la succession, c’est à juste titre que l’AFC-GE l’a qualifié de revenu puisqu’il s’agit d’un revenu de la fortune de la recourante.

10.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la cause renvoyée à l’AFC-GE pour nouvelles taxations au sens des considérants.

11.         En application des art. 87 al. 1 de la LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient gain de cause, est dispensée du paiement d’un émolument. L’avance de frais de CHF 700.-, versée à la suite du dépôt du recours, lui sera restituée.

Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’000.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 13 avril 2022 par Madame A______ contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 17 mars 2022 ;

2.             l’admet ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation au sens des considérants ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution à la recourante de l’avance de frais de CHF 700.- ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 1’000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Michèle PERNET, présidente, Nicole FRAGNIÈRE MEYER et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Michèle PERNET

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière