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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/637/2022

JTAPI/1361/2022 du 12.12.2022 ( ICCIFD ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : PROVISION; RÉSERVE; CORRECTION DE VALEUR(DROIT FISCAL);ACTIVITÉ LUCRATIVE DÉPENDANTE;VACANCES
Normes : LIFD.63.al1; LIPM.13.lete; CO.329d.al2
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/637/2022 ICC/IFD

JTAPI/1361/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 décembre 2022

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par PricewaterhouseCoopers SA, avec élection de domicile

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le présent litige concerne les impôts cantonaux et communaux (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) 2019 de A______ SA, société inscrite au registre du commerce genevois depuis le ______ 1991.

2.             Dans sa déclaration fiscale 2019, imprimée le 1er septembre 2020 mais datée et signée le 24 septembre 2020, la contribuable a fait état d’un bénéfice net et d’un capital propre imposables dans le canton de CHF 1’952’215.- respectivement CHF 14’019’029.-.

Les états financiers 2019 joints à cette déclaration montraient des provisions liées au personnel de CHF 2’088’209.-, montant reporté à l’annexe B.

3.             Le 29 avril 2021, en réponse à une demande de renseignement de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), la contribuable a indiqué que les provisions liées au personnel comprenaient notamment une provision de CHF 63’254,94 pour « congés payés », qui correspondait au coût du report des jours de vacances non pris par ses employés en lien avec l’exercice 2019, qui ne comprenait pas de provision pour d’éventuelles heures supplémentaires devant être payées et qui serait vraisemblablement dissoute en 2020, au fur et à mesure que les employés en cause prendraient leurs congés au cours de 2020.

4.             Le 6 octobre 2021, faisant suite à une deuxième demande de renseignement, la contribuable a réitéré que la provision pour « congés payés » avait été constituée pour tenir compte du solde des jours de congés non pris lors de cette année. Cette provision avait été dissoute en 2020, les jours de congés 2019 non pris en 2019 ayant tous été soldés en 2020. Elle était ainsi commercialement justifiée au sens des art. 63 al. 1 let. a de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 16B al. 1 let. a de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15).

5.             Par bordereaux ICC/IFD 2019 du 21 octobre 2021, l’AFC-GE a taxé la contribuable.

La provision pour « congés payés » a été refusée au motif qu’elle s’apparentait à une provision pour charge future, présentée principalement pour faire ressortir une marge brute effective plus favorable et ainsi diminuer le résultat fiscal. L’art. 329d al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (CO - RS 220) stipulait que tant que duraient les rapports de travail, les vacances ne pouvaient pas être remplacées par des prestations en argent. Ainsi, si les vacances et heures pouvaient être prises par un collaborateur et qu’elles ne lui étaient pas payées, il y avait lieu de soutenir que la provision ne devait pas être admise, car il s’agissait d’une charge non monétaire n’entraînant aucun décaissement. A contrario, s’il était estimé que le risque demeurait et qu’il devait être qualifié de certain ou quasi-certain car il y avait eu un décaissement effectué, les salariés disposaient alors d’un droit ferme et les heures supplémentaires payées devaient figurer sur leurs certificats de salaire.

6.             Le 19 novembre 2021, la contribuable a élevé réclamation. Elle a contesté le redressement de la provision pour « congés payés », faisant notamment valoir que cette provision était déductible par essence dans la mesure où elle devait être comptabilisée en raison des règles du droit commercial. Il n’y avait en l’espèce pas de motif justifiant une reprise fiscale de cette provision.

Elle a présenté la manière selon laquelle cette provision avait été déterminée et a remis son règlement du personnel.

7.             Par décisions sur réclamation datées du 21 janvier 2021 [recte : 2022], l’AFC-GE a rejeté la réclamation et maintenu la taxation sur le point contesté.

8.             Par acte du 23 février 2022, sous la plume de son mandataire, la contribuable a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre ces décisions. Elle a conclu à l’annulation desdites décisions et des bordereaux de taxation, ainsi qu’à l’admission de la déductibilité de la provision pour « congés payés » de CHF 63’255.-, sous suite de frais et dépens.

La provision litigieuse avait été comptabilisée conformément aux principes du droit commercial, ainsi qu’il résultait du Manuel Suisse d’Audit (ci-après : MSA). Conformément à la jurisprudence et selon la doctrine majoritaire, lorsque le droit comptable exigeait la comptabilisation d’une provision, celle-ci était par essence justifiée par l’usage commercial et donc fiscalement déductible. La méthode de calcul utilisée pour déterminer ladite provision, qui permettait d’évaluer la perte d’avantages économiques avec grande précision, était en outre une méthode généralement acceptée, conformément aux principes comptables du MSA.

La provision litigieuse constituant une provision pour un engagement de l’exercice en cause, les trois conditions pour qu’elle soit déductible étaient réunies. De nombreuses autorités fiscales cantonales, comme celle lucernoise, admettaient sans autre la déductibilité des provisions pour congés non pris.

Contrairement aux dires de l’AFC-GE, il n’y avait pas de constitution de réserve latente par le biais de la provision litigieuse. Celle-ci n’avait pas été constituée en vue d’une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que la recourante devrait supporter en raison d’une activité future, les vacances non prises correspondant à un élément passé. Sa comptabilisation ne heurtait dès lors pas le principe de périodicité : son évènement générateur était bien la constatation de congés non pris à la fin de la période fiscale 2019. En outre, sa constitution était imposée par les principes du droit comptable suisse, en particulier en vertu des principes de sincérité et d’intégralité régissant la tenue d’une comptabilité. Elle n’avait donc pas été constituée dans le but de présenter un résultat fiscal favorable. À la lumière de l’art. 329c al. 1 CO et de l’art. 22 de son règlement du personnel, la provision en cause revêtait un caractère concret, certain et imminent puisqu’il pouvait être considéré comme quasi-certain que ses employés rattraperaient leurs congés l’année suivante, comme ils étaient incités à le faire par le règlement précité afin d’éviter tout risque de déchéance de leurs droits ; tel avait d’ailleurs été le cas. Partant, cette provision ne constituait pas une provision pour charge future.

L’art. 329d al. 2 étant impératif, elle avait l’obligation légale d’accorder un report des congés l’année suivante, à hauteur des congés non pris. Cette obligation constituait l’engagement ou le « fait dommageable » justifiant la comptabilisation d’un passif de régularisation ou d’une provision au sens comptable, respectivement d’une provision déductible au sens fiscal. La provision en cause ne serait certes pas utilisée à des fins de paiements, mais ce critère ne saurait être considéré pour déterminer si une provision était déductible ou non au sens fiscal. En effet, les obligations nécessitant la comptabilisation d’un passif ne se résumaient pas aux obligations de payer, mais recouvraient également les obligations d’octroyer une prestation. En l’espèce, que les vacances soient payées ou rattrapées l’année suivante, son bénéfice serait réduit l’année où les congés non pris seraient rattrapés ou payés, comme retenu par l’autorité de recours zurichoise en matière fiscale. Dès lors, l’exigence que la provision ait le caractère d’un futur décaissement monétaire afin d’être déductible était erronée.

La jurisprudence citée par l’AFC-GE (ATA/1101/2019) ne pouvait être suivie, le raisonnement de la chambre administrative de la Cour de justice étant erroné sur deux points. Elle ne s’était pas interrogée sur la question de savoir si les provisions pour congés payés découlaient ou non de dispositions impératives du droit commercial. Quant à l’application des règles fiscales correctrices découlant du principe selon lequel les taxations devaient respecter le principe d’une imposition selon la capacité contributive, son raisonnement était incomplet. Au travers desdites règles, le droit fiscal cherchait à se rapprocher d’un système « true and fair ». Or, la comptabilisation d’une provision pour congés payés non pris était conforme aux principes comptables « true and fair ». Enfin, l’arrêt en question ne remettait pas en cause, de manière générale, la justification des provisions pour congés non pris. Il ne saurait donc être soutenu que la provision litigieuse n’était pas admise sur la seule base dudit arrêt, sans examen du cas concret.

9.             Dans sa réponse du 27 mai 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Le risque de perte n’était ni certain ni quasi-certain. En effet, le règlement du personnel indiquait que les vacances devaient être prises pendant l’année civile au cours de laquelle le droit aux vacances avait pris naissance ou pendant les trois premiers mois de l’année suivante au plus tard, sachant que l’employé qui ne prenait pas ses vacances durant la période précitée était déchu de son droit aux vacances (art. 22). De plus, la provision avait été dissoute au cours de l’exercice 2020, les jours de congés 2019 non pris lors de cette année ayant tous été soldés en 2020. La recourante avait donc implicitement confirmé ne pas avoir payé ces congés. En outre, elle n’avait pas revendiqué le départ de l’un des employés (fin des rapports de travail) dont le solde des vacances 2019 n’était pas soldé et pour lequel elle aurait dû débourser un montant. De surcroît, au 31 décembre 2019, elle devait être au courant des départs des employés et sachant que le délai légal usuel était de trois mois, elle aurait ainsi pu mesurer le risque. Enfin, même si le délai de congé serait supérieur à trois mois, l’employé aurait, dans tous les cas, dû solder ses vacances d’ici à fin mars 2020. Dans ces circonstances, la recourante était en mesure, à la date du bouclement des comptes, de réaliser qu’il n’y avait pas de risque certain ou quasi-certain qu’elle doive débourser de l’argent pour des congés non pris.

10.         Par réplique du 21 juin 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions.

L’AFC-GE ne s’était pas prononcée sur l’exigence, découlant du droit comptable, de la comptabilisation des reports de congés non pris, et partant, sur la nécessaire déductibilité de la provision litigieuse en matière fiscale. Outre de constituer une provision pour risque de perte imminente comme exposé dans son recours, et ce même si ledit risque n’était pas monétaire, la provision litigieuse constituait aussi une provision pour « engagements de l’exercice », fiscalement déductibles en vertu des art. 63 al. 1 let. a LIFD et 16B al. 1 let. a LIPM.

La comptabilisation d’une provision ou d’un passif transitoire afin de tenir compte du solde des congés non pris par les employés dans le bilan de clôture était impérative en vertu de l’art. 960e al. 2 CO (art. 669 aCo) et des prescriptions du MSA. Or, les administrations fiscales étaient tenues par les écritures comptables impératives, sauf exception fixée par la loi fiscale. En l’espèce, l’exception tirée du principe de l’imposition selon la capacité contributive ne se justifiait pas puisque les prescriptions comptables applicables en matière d’IFRS, qui appliquaient un principe de « true and fair view » se rapprochant du principe d’imposition selon la capacité contributive, imposaient aussi la comptabilisation d’une provision pour le report des congés non pris par les employés. La comptabilisation de la provision litigieuse serait donc également impérative selon le référentiel comptable IFRS. Enfin, l’évènement générateur justifiant sa comptabilisation se trouvait bien dans l’exercice 2019.

11.         Dans sa duplique du 15 août 2022, l’AFC-GE a persisté dans ses conclusions. Il fallait opérer une différence entre le droit commercial et le droit fiscal. Sur le plan de ce dernier, la condition exigeant que le risque de perte ou de charge, que la provision était censée couvrir, soit qualifié de certain ou quasi certain impliquait que la comptabilisation de la provision soit exigée, et non pas simplement permise par le droit commercial en application du principe de prudence. Or, la recourante n’avait pas prouvé que la provision litigieuse était justifiée.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             L’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net (art. 57 LIFD et 11 LIPM), tel qu’il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., 2021, p. 259 s.).

4.             Aux termes de l’art. 58 al. 1 let. b LIFD, le bénéfice net imposable comprend tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial, telle par exemple une provision non justifiée.

Selon l’art. 12 al. 1 LIPM, constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits (let. a), augmenté notamment des provisions qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial (let. e). Cette disposition, même rédigée différemment, est de même portée que l’art. 58 al. 1 LIFD (ATA/1032/2022 du 11 octobre 2022 consid. 3a).

5.             De jurisprudence constante, il ressort des dispositions précitées que le droit fiscal renvoie au droit comptable pour déterminer le bénéfice net imposable et que les comptes établis conformément aux règles du droit comptable lient les autorités fiscales, à moins que des normes impératives du droit commercial ne soient violées ou que des normes fiscales correctrices ne l’exigent (principe de l’autorité du bilan commercial ou de déterminance ; ATF 147 II 209 consid. 3.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_723/2021 du 16 août 2022 consid. 5.1).

Le contrôle du respect des normes comptables, même impératives, ne constitue ainsi qu’une première étape de l’examen des comptes que doit effectuer d’office et préalablement l’autorité fiscale en application des dispositions précitées. Le respect du droit comptable, qui résulte des art. 957 ss CO, est donc une condition préalable nécessaire, mais non suffisante, de la justification commerciale d’une dépense. Le droit fiscal ne permet en effet pas la constitution par le biais de provisions de réserves latentes, pourtant tolérées voire même imposé en droit commercial. Dans une deuxième étape, l’autorité fiscale doit notamment s’assurer du respect des règles correctrices parmi lesquelles figure l’art. 58 al. 1 let. b LIFD (arrêt du Tribunal fédéral 2C_712/2020 du 4 mars 2021 consid. 4.2 ; Markus REICH/Marina ZÜGER/Philipp BETSCHART in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 3ème édition, 2017, art. 29 ch. 9 p. 715).

6.             Selon l’art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultat pour les engagements de l’exercice dont le montant est encore indéterminé (let. a), les risques de pertes sur des actifs circulants (let. b) et les risques de pertes imminentes durant l’exercice (let. c).

Les provisions justifiées par l’usage commercial sont aussi admises en déduction du bénéfice en ICC (art. 13 let. e LIPM).

7.             L’admissibilité d’une provision au plan fiscal suppose qu’elle ait été dûment comptabilisée, qu’elle soit justifiée par l’usage commercial et qu’elle porte sur des faits dont l’origine se déroule durant la période de calcul. Le droit fiscal n’admet pas la constitution de réserves latentes par le biais de provisions, pourtant tolérées en droit des obligations et selon les usages du commerce. En particulier, les provisions constituées en vue d’une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l’entreprise devra supporter en raison de son activité future constituent des réserves ; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n’ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal (arrêt du Tribunal fédéral 2C_712/2020 du 4 mars 2021 consid. 5.1).

Est justifiée par l’usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l’exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu’une perte, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes, apparaisse ultérieurement. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (ATA/1032/2022 du 11 octobre 2022 consid. 3c et les références citées). Ainsi, seules sont justifiées par l’usage commercial, et partant déductibles fiscalement, les provisions qui sont portées au bilan en vue de couvrir un risque de perte imminent.

8.             La question de l’admission d’une provision pour des congés non pris n’a été traitée qu’à peu de reprises par la jurisprudence.

Par décision du 1er octobre 1992, la commission de recours en matière fiscale zurichoise a considéré, en se fondant sur l’art. 45 al. 1 let. a et b de la loi zurichoise sur les impôts directs du 8 juillet 1951, que le fait que des employés n’aient pas pris leurs congés pendant l’année de service en cours donnait droit à la constitution d’une provision, que ces congés soient compensés « en nature » ou par un paiement en espèces l’année suivante (StE 1993 B 72.14.1 Nr. 10). Cette décision est souvent citée comme exemple (cf. p. ex. Markus REICH/Marina ZÜGER/Philipp BETSCHART, op. cit., art. 29 ch. 23 p. 720).

Le 16 août 2017, le tribunal cantonal saint-gallois a retenu que la constitution de provisions pour les vacances non prises des employés était en principe autorisée, puisqu’à la date de clôture du bilan, il n’était pas encore certain que ce crédit des congés non pris serait compensé sous forme de rémunération ou de temps libre (cf. Newsletter Steuern Luzern 9/2018 du 15 mars 2018, Steuer+Praxis, Rückstellungen für Überstunden und Ferienguthaben).

Le 23 avril 2018, le tribunal a retenu que dans le cas d’espèce qui lui était soumis, les provisions litigieuses relatives aux congés non pris étaient disproportionnées par rapport aux sommes effectivement versées aux employés concernés ; « même si le taux de rotation du personnel apparaît très élevé, les sommes finalement versées en compensation des vacances et des heures supplémentaires non récupérées ( ) s’avèrent très faibles par rapport aux provisions comptabilisées ». En outre, le paiement de ces vacances était loin d’être prévisible, dépendant pas seulement de la fin des rapports de service, mais également d’autres facteurs aléatoires tels que la durée du contrat de travail, le fait que des vacances n’aient pas pu être prises (JTAPI/379/2018). Cette analyse a été confirmée sur recours (ATA/1101/2019 du 25 juin 2019).

De manière plus générale, le Tribunal fédéral a affirmé (ATF 141 II 83 consid. 5.1) qu’une provision sert à comptabiliser, durant l’exercice commercial, une dépense ou une perte effective ou en tous cas probable comportant un élément d’incertitude quant à son montant et qui ne se réalise « geldmässig » (littéralement « en termes monétaires », ou « financièrement » selon la traduction proposée dans l’arrêt 2C_607/2017 du 10 décembre 2018 consid. 5.5.2) que lors d’un exercice commercial postérieur.

9.             La question de savoir si une provision est justifiée par l’usage commercial doit être examinée sur la base de tous les éléments en présence et à la lumière de la situation prévalant au moment où le bilan est établi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_712/2020 du 4 mars 2021 consid. 5.1).

Lorsque des provisions, qui ont été passées en charge du compte de résultats, ne sont pas admissibles, l’autorité fiscale est en droit de procéder à la dissolution de la provision. La dissolution a lieu lors de la période durant laquelle l’absence de justification commerciale de la réserve est constatée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_723/2021 du 16 août 2022 consid. 5.2).

10.         En matière fiscale, il appartient à l’autorité de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d’impôts. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve, ces règles s’appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/1239/2021 du 1er novembre 2021 consid. 5a).

Ainsi, puisque le montant et la justification commerciale des provisions est de nature à diminuer la dette fiscale, il revient au contribuable d’en apporter la preuve (ATF 147 II 209 consid. 5.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_723/2021 du 16 août 2022 consid. 5.2).

11.         L’employeur accorde au travailleur, chaque année de service, au moins quatre semaines de vacances (art. 329a al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse - CO - RS 220), pendant lesquelles il doit lui verser le salaire total y afférent (art. 329d al. 1 CO). Ces dispositions sont relativement impératives, en ce sens qu’il ne peut y être dérogé au détriment du travailleur (art. 362 al. 1 CO).

Par ailleurs, tant que durent les rapports de travail, les vacances ne peuvent pas être remplacées par des prestations en argent ou d’autres avantages (art. 329d al. 2 CO). Cette règle est absolument impérative (art. 361 al. 1 CO).

12.         En l’occurrence, il convient en premier lieu de relever que la position de la commission de recours en matière fiscale zurichoise adoptée le 1er octobre 1992, il y a plus de trente ans et avant l’entrée en vigueur de la LIFD et de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), est dépassée et donc erronée. En effet, le fait que des employés n’aient pas pris leurs congés ne donne pas nécessairement droit à la constitution d’une provision admissible d’un point de vue fiscal puisque selon la récente jurisprudence du Tribunal fédéral en matière fiscale susmentionnée, une provision sert à comptabiliser une dépense ou une perte qui se réalise en termes monétaires, financièrement, lors d’un exercice commercial postérieur. Il est donc nécessaire que le risque qui justifie la constitution d’une provision soit « en monnaie sonnante et trébuchante », ce qui n’est pas le cas si les congés non pris pendant une année en cause sont compensés « en nature » l’année suivante ; dans un tel cas de figure, il n’y a en effet pas de coûts monétaires pour l’employeur. Une provision pour des congés non pris donc n’est fiscalement acceptable, quoi qu’en dise la recourante, que pour autant que ceux-ci impliquent effectivement un risque financier pour l’employeur au cours d’un exercice commercial postérieur. Or, étant donné qu’en vertu du droit du travail, les congés ne peuvent pas être remplacés par des prestations en argent tant que durent les rapports de travail, il est indispensable qu’existe un certain risque qu’un employé quitte son emploi sans avoir pris la totalité de ses congés, puisque l’employeur devrait alors les payer, ce qui induit un risque monétaire. La position du tribunal cantonal saint-gallois du 16 août 2017 ne dit d’ailleurs pas autre chose, pas plus que celle du tribunal de céans du 23 avril 2018, confirmée sur recours le 25 juin 2019.

En l’espèce, le tribunal ne peut faire sienne la position de la recourante. En effet, s’il résulte certes du droit commercial que les congés non pris doivent faire l’objet d’une provision, cela n’implique pas forcément, à teneur de la jurisprudence susmentionnée, que ladite provision doive être acceptée par l’autorité fiscale puisque celle-ci doit également s’assurer du respect de l’art. 58 al. 1 let. b LIFD, une règle correctrice exigeant en particulier que la provision soit justifiée par l’usage commercial et donc qu’elle exprime le fait que le résultat de l’exercice ne puisse pas être tenu pour définitif en raison d’un risque de perte réel, concret et imminent. Or, à cet égard, force est de constater que la recourante n’a pas établi, à satisfaction de droit, l’existence concret d’un risque lié au versement d’une somme d’argent pour congé non pris en 2019 suite à une rupture des rapports de travail en 2020. Certes, la provision effectuée par la recourante peut se justifier lorsqu’un employé ayant des congés non pris risque de cesser de travailler pour son compte et qu’elle soit de ce fait menacée, si elle ne le libère pas de son obligation de travailler lors du délai de congé (cf. à ce sujet Rémy WYLER/Boris HEINZER, Droit du travail, 4ème édition, 2019, p. 499-502), de devoir payer lesdits congés en espèce. Un tel risque doit néanmoins reposer sur des éléments factuels - par exemple un litige ou des réclamations d’un employé - et non dans l’abstrait, sous peine de devoir accepter fiscalement des provisions créées en vue de couvrir un risque hypothétique. Or, aucun élément du dossier ne laisse apparaître en l’espèce qu’un litige risquant de conduire à une rupture des relations de travail avec l’un des employés en cause était né ou sur le point de naître en 2019. Dès lors, le risque de devoir débourser de l’argent pour compenser des congés non pris en 2019 est trop hypothétique pour retenir l’existence d’un risque de perte certain ou quasi-certain.

À titre superfétatoire, il est en outre évident que la recourante ne peut faire valoir une provision pour des congés non pris en 2019 alors qu’ils ont déjà été récupérés lorsqu’elle établit ses comptes. Or, la recourante n’indique ni quand les congés non pris en 2019 ont été récupérés en 2020, ni la date d’établissement de son bilan, des éléments factuels d’importance capitale puisque l’examen de la justification d’une provision par l’usage commercial s’effectue à la lumière de la situation prévalant au moment où le bilan est établi. Faute du moindre élément à ce sujet - étant rappelé que le fardeau de la preuve lui incombe - et compte tenu que sa déclaration fiscale 2019, imprimée le 1er septembre 2020, date du 24 septembre 2020, il ne pourrait être sans autre admis que lors de l’établissement du bilan, les employés en cause n’avaient pas déjà récupéré leurs congés non pris en 2019. Il serait parfaitement envisageable que le bilan ait été établi à fin août 2020, peu avant l’impression de la déclaration fiscale, de sorte que la recourante, qui savait que les congés avaient été repris « en nature » à cette date, ne pouvait constituer une provision. Cette considération conduirait également à refuser la prise en compte de la provision litigieuse.

13.         Au vu de ce qui précède, le recours, mal fondé, sera rejeté.

14.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 900.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 23 février 2022 par A______ SA contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale datées du 21 janvier 2022 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée lors du dépôt du recours ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Michèle PERNET, présidente, Laurence DEMATRAZ et Pascal DE LUCIA, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Michèle PERNET

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière