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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3533/2023

ACST/7/2024 du 18.06.2024 ( DIV ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3533/2023-DIV ACST/7/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 18 juin 2024

 

dans la cause

 

A______, B______, C______et

D______

représentés par Me Alain MAUNOIR, avocat recourants

contre

CONSEIL D'ÉTAT intimé

 


EN FAIT

A. a. Le ______ novembre 2019, le Conseil d'État a adopté le plan localisé de quartier (ci‑après : PLQ) 1______E_____ (ci-après : le PLQ E_____), comportant notamment deux îlots, A et B.

b. Le 20 novembre 2019, l'État de Genève, représenté par le Conseiller d'État en charge du département du territoire (ci-après : DT), et F______SA (ci-après : F______) ont conclu une convention concernant le PLQ E_____, îlot B (ci-après : la convention).

Selon le préambule, l'État de Genève avait pris note de la volonté de F______ de maîtriser la totalité des droits à bâtir de l'îlot B, soit 66'500 m2 de surface brute de plancher (ci-après : SBP), en vue de développer ses activités dans le périmètre et d'ancrer de manière pérenne son siège dans le canton de Genève. Compte tenu de la maîtrise foncière importante de F______ dans le périmètre, soit 40'031 m2 de SBP dédiée aux activités, et la nécessité de procéder à des remaniements parcellaires afin d'assurer des assiettes cohérentes et autonomes conformément au PLQ E_____, l'État de Genève et F______ s'étaient mis d'accord sur l'octroi, par le premier en faveur de la seconde, d'un droit de superficie distinct et permanent (ci-après : DDP) afin de réaliser le bâtiment B4 d'un total de 12'186 m2 (let. A) et la cession, en faveur de la seconde, de droits à bâtir complémentaires, soit 5'283 m2 de SBP dédiée aux activités, pour la réalisation des bâtiments B1, B2 et B3 (let. B).

Selon la let. B de la convention, l'État de Genève s'engageait à céder, en faveur de F______, 5'283 m2 de SBP, représentant les mètres carrés manquant à F______ pour la réalisation et l'exploitation des bâtiments B1, B2 et B3, lesquels seraient consacrés exclusivement à des activités pour un total de 54'314 m2 de SBP. Le coût d'acquisition desdits droits à bâtir était fixé à CHF 16'000'000.-, correspondant à CHF 3'028.60/m2 de SBP (let. a). F______ s'engageait par ailleurs à participer financièrement aux aménagements extérieurs publics à hauteur d'un montant de CHF 47.-/m2 de SBP, soit CHF 2'552'758.-. Elle s'engageait également à verser une contribution forfaitaire extraordinaire de CHF 2'000'000.-, laquelle serait dévolue aux aménagements publics (let. b).

c. Le ______ novembre 2019, le DT et F______ ont conjointement publié un communiqué de presse intitulé « G______ – L'État et le groupe F______ signent une convention pour E______ », paru notamment sur le site de l'État de Genève.

L'État de Genève et F______ avaient signé une convention permettant à cette dernière de développer ses activités dans le quartier de E______ et ainsi d'ancrer de manière pérenne son siège dans le canton de Genève. La convention ouvrait la voie à la réalisation d'un premier îlot urbain de quatre bâtiments à E______ d'ici à 2025. L'accord foncier issu de la convention concernait des parcelles situées dans le périmètre du PLQ E_____. Il confirmait que F______, déjà propriétaire d'importantes surfaces de terrain au sein du périmètre de E______, serait le constructeur de l'un des deux îlots du PLQ. F______ bénéficierait notamment d'un DDP et de droits à bâtir lui permettant la réalisation et l'exploitation de l'ensemble des bâtiments de l'îlot B pour un total de 66'500 m2 de SBP. La convention portait sur un montant de transaction de CHF 21'800'000.- (hors rente de servitude de superficie). Afin de contribuer à la qualité des espaces publics, F______ s'engageait dans le cadre de l'accord foncier à contribuer à hauteur de près de CHF 5'800'000.- à la réalisation des espaces et équipements publics de l'îlot B.

d. Le ______ novembre 2019, le lendemain, des articles sont parus dans la presse genevoise au sujet de la convention.

Selon la Tribune de Genève, F______ possédait une bonne partie du terrain concerné par l'îlot. L'État était propriétaire du reste. Ce dernier allait donc vendre à F______ l'équivalent de 5'000 m2 de droits à bâtir pour la somme de CHF 16'000'000.- et octroyer un DDP pour 12'000 m2 pour une rente annuelle de CHF 950'000.-. F______ financerait à hauteur de CHF 5'800'000.- les espaces publics.

Selon Le Courrier, l'État allait céder un DDP et des droits à bâtir sur une superficie de 65'500 m2. La transaction portait sur une somme de CHF 21'800'000.-.

e. Le 16 novembre 2022, C______a posé au Conseil d'État la question écrite urgente (ci‑après : QEU) n° 2______relative à la cession des droits à bâtir pour le projet de F______ en construction dans le quartier G______(ci‑après : G______) côté H______ (route I______).

Il était apparu dans les travaux de la commission des travaux du Grand Conseil qu'un échange de terrains avait été effectué par le Conseil d'État pour faciliter la construction de l'immeuble de F______. Il avait été constaté qu'une cession de droits à bâtir avait été accordée par le Conseil d'État à F______ à hauteur de 5%. Il avait été affirmé devant la commission d'aménagement que le droit d'engager la procédure de cession et de l'accorder relevait du Conseil d'État. Il était établi que c'était le Conseil d'État qui avait attribué des droits à bâtir à F______ à hauteur de 5%. Cela paraissait problématique, dans la mesure où la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE ‑ A 2 00) prévoyait que c'était le Grand Conseil qui devait se prononcer sur les cessions de propriété, étant relevé que le fait d'ériger une tour pour F______ n'était pas d'utilité publique.

Les questions étaient dès lors les suivantes : l'échange des terrains et la cession des droits à bâtir relevaient-ils des compétences du Conseil d'État ? Si oui, sur quel avis juridique le Conseil d’État se fondait-il, notamment pour la cession des droits à bâtir ? Sinon, le Conseil d'État comptait-il soumettre au Grand Conseil les nombreuses cessions de droits à bâtir qui devraient être réalisées sur tout le secteur du G______ ? Sinon, le Conseil d'État comptait-il soumettre rétroactivement au Grand Conseil la cession des droits à bâtir accordés indûment à F______ ?

f. Le 14 décembre 2022, le Conseil d'État a répondu à la QEU no 2______. L'attribution des droits à bâtir dans le périmètre d'un PLQ résultait du tableau de répartition des droits à bâtir, contenu dans le règlement de quartier du PLQ. Les droits à bâtir n'ayant aucun lien réel avec la parcelle à laquelle le tableau de répartition les rattachait, ils pouvaient être cédés indépendamment de cette parcelle au moyen d'une convention sous seing privé. Les droits à bâtir n'étant que virtuellement rattachés à une parcelle, ils ne constituaient pas en tant que tels des immeubles, de sorte qu'une approbation du Grand Conseil en vue de leur cession n'était pas nécessaire.

B. a. Le 27 février 2023, C______a sollicité auprès du Conseil d'État la transmission de la ou des conventions signées lors des aliénations ou échanges de droits à bâtir, conformément à la législation sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles.

Le fondement de l'argumentation développée dans la réponse à sa QEU se basait sur un PLQ et le tableau de répartition des droits à bâtir contenu dans le règlement de quartier. En l'absence de PLQ et de règlement de quartier en l'espèce, il n'y avait pas d'intérêt public s'y attachant. Le Conseil d'État n'était pas compétent pour valider les actes qui avaient été passés entre les parties.

b. Le 26 avril 2023, le Conseil d'État a confirmé à C______qu'une convention avait été établie entre l'État de Genève et F______ concernant la cession de droits à bâtir en vue de la réalisation de l'îlot B du PLQ E_____. Cette convention se fondait sur le PLQ, en force. Sa demande d'accès à la convention était en cours de traitement.

c. Le 14 septembre 2023, C______a relancé le Conseil d'État.

d. Le 28 septembre 2023, le Conseil d'État a transmis la convention à C______.

C. a. Par acte du 30 octobre 2023, A______, B______, C______et D______ (ci-après : les consorts) ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre « la décision du Conseil d'État de vendre à F______ des droits à bâtir correspondant à 5'283 m2 de SBP », attribuée à une ou plusieurs parcelles propriétés de l'État de Genève par le PLQ E_____. Ils ont conclu principalement à l'annulation de cette décision, à l'injonction au Conseil d'État de saisir sans délai le Grand Conseil d'un projet de loi sollicitant son approbation au sujet de la vente des droits à bâtir en cause et à la condamnation du Conseil d'État aux dépens.

Le courrier du 28 septembre 2023 leur avait permis de prendre connaissance de certains éléments essentiels de « la décision contestée », de sorte que le délai de recours commençait à courir au plus tôt le 29 septembre 2023. Le recours portait sur la nécessité d'approbation par le législateur de l'aliénation d'immeubles, à laquelle le Conseil d'État s'était soustrait, ayant ce faisant supprimé la possibilité de contester l'opération immobilière par le biais d'un référendum. La contestation concernait donc un acte d'autorité portant atteinte aux droits politiques cantonaux des citoyens, dont les consorts. Il s'agissait d'un litige relatif à l'exercice des droits politiques relevant de la compétence de la chambre constitutionnelle. Les consorts avaient la qualité pour recourir. Si l'autorisation de construire avait été accordée et les travaux avaient commencé en mars 2022, ils conservaient un intérêt dans la mesure où l'État de Genève ou des fondations de droit public étaient propriétaires de très nombreuses parcelles dans le G______ et où il était très vraisemblable qu'ils envisageraient, à l'avenir, de vendre à des tiers tout ou partie des droits à bâtir attribués auxdites parcelles. Il était sous cet angle important de faire confirmer par l'autorité judiciaire que de telles opérations devaient obtenir l'approbation du Grand Conseil.

La décision de vendre, au profit d'une entité privée, des droits à bâtir correspondant à 5'283 m2 de SBP, qui revenait à dépouiller une ou plusieurs parcelles propriétés de l'État de Genève de la totalité de leurs droits à bâtir, devait être assimilée à une aliénation. La conservation de biens-fonds dépourvus de tous droits à bâtir ne représentait aucun intérêt. Toute vente future était improbable ou alors à un prix symbolique, la valeur de la parcelle étant nulle, ou presque.

b. Par réponse limitée à la compétence et à l'existence d'une décision attaquée du 15 décembre 2023, le Conseil d'État, soit pour lui l'office cantonal du logement et de la planification foncière, a conclu à l'irrecevabilité du recours.

Les consorts reprochaient au Conseil d'État d'avoir empiété sur les compétences du législateur. Les droits politiques n'étaient susceptibles d'être touchés qu'indirectement. Le recours en matière de droits politiques n'était pas ouvert et la chambre constitutionnelle n'était pas compétente. Le cas cité par les consorts était différent : le projet de loi était incomplet, de sorte que la libre formation de l'opinion des citoyens avait été atteinte et qu'il y avait atteinte aux droits politiques.

Le recours semblait dirigé contre l'arrêté du Conseil d'État du ______ novembre 2019 autorisant la signature de la convention, lequel ne constituait ni un acte normatif, ni une décision. Il ne réglait pas de manière obligatoire et contraignante les rapports d'un administré avec l'État.

Même à considérer que le dies a quo du délai de recours était le 28 septembre 2023, le délai de recours de six jours serait arrivé à échéance le 4 octobre 2023. Les consorts avaient eu connaissance de l'irrégularité dont ils se prévalaient dès le ______ novembre 2019, date du communiqué de presse sur le site internet de l'État de Genève, encore librement accessible, ainsi que par au moins trois articles de presse. C______avait formulé la QEU le 16 novembre 2022, ce qui démontrait que les consorts étaient déjà à ce moment-là pleinement au courant de tous les éléments de fait fondant la problématique soulevée. Le recours ne portait pas sur un élément de détail dont les consorts n'avaient eu connaissance que par la lecture de la convention. Le recours était tardif, même à appliquer un délai de 30 jours.

c. Le 23 janvier 2024, les consorts ont maintenu leur recours.

La jurisprudence citée avait retenu qu'en soustrayant à l'approbation du Grand Conseil le prix de vente de l'immeuble, le Conseil d'État n'avait pas accordé au peuple souverain la possibilité de contester le montant dans le cadre d'un référendum. Dans les deux cas, les recourants se plaignaient d'un acte de l'autorité exécutive ayant pour conséquence que la décision d'aliéner un immeuble propriété de l'État de Genève ne pouvait pas faire l'objet d'une contestation par le biais d'un référendum.

Sous l'angle du grief soulevé, la décision du Conseil d'État de ne pas solliciter, dans le cas d'espèce, l'accord du Grand Conseil constituait un acte suffisamment précis et concret ayant pour conséquence d'annuler l'exercice de certains droits politiques. Il existait une décision attaquable.

Le délai de recours de six jours ne concernait que les décisions rendues en matière d'opérations électorales. Aucune votation ni élection n'était prévue en relation avec l'aliénation décidée par le Conseil d'État, de sorte que le délai usuel de 30 jours était applicable. Pour un citoyen n'ayant pas connaissance du contenu de la convention, il n'était pas possible de déduire du communiqué de presse que le Conseil d'État avait décidé de vendre à une entreprise la totalité de ses droits à bâtir liés à un bien-fonds propriété de l'État. Il ne découlait pas non plus du texte de la QUE que son auteur avait connaissance du fait que plus de 5'000 m2 de SBP avaient été prélevés sur la parcelle de l'État pour être vendus à un établissement J______. La réponse du Conseil d'État à la QEU était confuse et théorique, ne permettant pas de déduire si la convention comportait des échanges de terrains, le versement d'une soulte ou le transfert de droits à bâtir. Ce n'était qu'à réception de la convention par courrier du 28 septembre 2023 que le contenu précis de l'opération immobilière avait été révélé. Le Conseil d'État avait opté pour une stratégie impliquant une certaine dissimulation, saucissonnant les informations divulguées, ce qui était contraire au principe de la bonne foi, de sorte qu'il ne pouvait reprocher aux administrés d'avoir violé ce même principe. L'argument du Conseil d'État conduirait à interjeter recours à chaque nouvelle communication de l'exécutif cantonal, ce qui multiplierait les recours prématurés et potentiellement inutiles. Le Conseil d'État perdait de vue que certains des consorts n'étaient que de simples citoyens auxquels il ne pouvait être reproché de ne pas prendre connaissance de toutes les communications adressées par le gouvernement cantonal aux députés du Grand Conseil.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             L'autorité intimée conteste la compétence de la chambre constitutionnelle.

1.1 La compétence des autorités est déterminée par la loi et ne peut être créée par accord entre les parties (art. 11 al. 1 et 76 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La chambre constitutionnelle examine d’office sa compétence (art. 11 al. 2 et 76 LPA). Si elle décline sa compétence, elle transmet d’office l’affaire à l’autorité compétente et en avise les parties (art. 11 al. 3 et 76 LPA).

1.2 Selon l’art. 124 let. b de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), la Cour constitutionnelle – à savoir la chambre constitutionnelle (art. 1 let. h ch. 3 1er tiret de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05) – est compétente pour traiter les litiges relatifs à l’exercice des droits politiques en matière cantonale et communale.

Par la loi 11'311 du 11 avril 2014 mettant en œuvre la Cour constitutionnelle, le législateur a prévu que la chambre constitutionnelle connaît des recours en matière de votations et d’élections (art. 130B al. 1 let. b LOJ) ainsi qu’en matière de validité des initiatives populaires (art. 130B al. 1 let. c LOJ), et il a transféré à la chambre constitutionnelle, par une modification de l’art. 180 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05), la compétence qu’avait jusqu’alors la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) de connaître des recours contre les violations de la procédure des opérations électorales, indépendamment de l’existence d’une décision (art. 180 aLEDP ; ACST/21/2023 du 17 mai 2023 consid. 1.2 ; ACST/8/2022 du 10 mai 2022 consid. 1a).

Ces dispositions légales (soit les art. 130B al.1 let. b et c LOJ et 180 LEDP) concrétisent l’art. 124 let. b Cst-GE (ACST/23/2018 du 9 novembre 2018 consid. 2 et les références citées ; ACST/13/2018 du 7 juin 2018 consid. 1 ; ACST/14/2017 du 30 août 2017 consid. 2a). Elles doivent s’interpréter à l’aune des art. 82 let. c et 88 al. 2 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), selon lesquels – comme l’exige l’art. 189 al. 1 let. f de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) – le Tribunal fédéral connaît des recours qui concernent le droit de vote des citoyens ainsi que les élections et votations populaires, les cantons ayant l’obligation de prévoir une voie de recours contre tout acte d’autorité qui est susceptible de violer les droits politiques cantonaux (y compris communaux) des citoyens, sous réserve des actes du parlement et du gouvernement (ACST/23/2018 précité consid. 2 et les références citées).

1.3 Entrent dans le cadre des opérations électorales, et sont donc sujets à recours au sens de cette dernière disposition, tous les actes destinés au corps électoral, de nature à influencer la libre formation et expression du droit de vote telle qu’elle est garantie par les art. 34 al. 2 Cst. et 44 Cst-GE (ACST/40/2021 du 30 novembre 2021 consid. 1 et les références citées). Ces deux normes constitutionnelles prévoient, de façon identique à leur al. 2, que la garantie des droits politiques protège la libre formation de l’opinion des citoyennes et des citoyens et l’expression fidèle et sûre de leur volonté. L’art. 45 al. 1 Cst-GE précise en outre que les droits politiques ont pour objet la participation aux élections et votations, l’éligibilité, ainsi que la signature des initiatives et des demandes de référendum.

La notion d’opérations électorales figurant à l’art. 180 LEDP est conçue largement : elle ne se réduit pas aux seules élections mais vise également les votations et englobe aussi bien les scrutins populaires eux-mêmes que les actes préparant ces derniers (ACST/3/2022 du 14 mars 2022 consid. 1).

1.4 Dans une jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancienne loi d'organisation judiciaire fédérale (aOJ), le Tribunal fédéral a retenu que pour qu'un acte cantonal puisse faire l'objet d'un recours pour violation des droits politiques, selon l'art. 85 let. a aOJ, il fallait que l'atteinte alléguée au droit de vote résulte directement de l'acte lui-même, ou bien il fallait que le parlement (ou un autre organe compétent) omette de soumettre au référendum un acte qui, en vertu de la constitution, devait y être soumis. Lorsqu'en revanche la violation du droit de vote n'était qu'indirecte, l'inconstitutionnalité alléguée (par exemple la violation du principe de la séparation des pouvoirs) devait le cas échéant être dénoncée par la voie du recours pour violation de droits constitutionnels des citoyens, prévu à l'art. 84 al. 1 let. a  aOJ (ATF 131 I 386 consid. 2.2 et les références citées; 123 I 41 consid. 6b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_11/2007 du 3 mai 2007 consid. 1.3). Ainsi, selon cette jurisprudence, seule était ouverte la voie du recours de droit public pour violation des droits constitutionnels (art. 84 al. 1 let. a aOJ) lorsque la personne recourante, invoquant une violation du principe de la séparation des pouvoirs, reprochait au gouvernement cantonal d'avoir pris des mesures ressortissant au pouvoir législatif et qui auraient dû, à ce titre, être soumises au référendum facultatif (ATF 131 I 386 consid. 2.2 et les références citées).

L'ouverture du recours pour violation des droits politiques uniquement lorsque sont directement en jeu les droits politiques des citoyens a ensuite été reprise sous l'empire de la LTF par rapport à son art. 82 let. c, ceci encore récemment. Les arrêts concernés traitent cependant plus particulièrement de l'élection indirecte par le parlement (arrêts du Tribunal fédéral 1C_257/2021 du 6 septembre 2021 consid. 1.1 ; 1C_11/2007 précité consid. 1.3), mais non de mesures prises par l'exécutif ressortissant aux compétences du législatif et qui auraient partant dû être soumises à référendum.

1.5 Dans un arrêt de 2009, et donc antérieur à l'actuelle Cst-GE et à la création de la chambre constitutionnelle, le Tribunal fédéral a eu à connaître d'un recours portant sur l'aliénation d'un immeuble, alors régie par l'art. 80A de l'ancienne Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1874 (aCst-GE). Cet article avait une substance similaire à l'actuel art. 98 Cst-GE. Le recourant faisait valoir qu'en soustrayant à l'approbation du Grand Conseil le prix de vente de l'immeuble litigieux, le Conseil d'État n'avait pas accordé au peuple souverain la possibilité de contester ce montant dans le cadre d'un référendum, ce qui a conduit le Tribunal fédéral à constater que le recours pour violation des droits politiques était ouvert en vertu de l'art. 82 let. c LTF. À l'époque, le recours était directement recevable devant le Tribunal fédéral car selon l'art. 88 al. 2 2e phr. LTF, l'obligation pour les cantons de prévoir une voie de recours contre tout acte d'autorité susceptible de violer les droits politiques cantonaux des citoyens ne s'étendait pas aux actes du gouvernement et, dans le canton de Genève, aucune disposition de droit cantonal n'avait alors été adoptée sur cette question spécifique (arrêt du Tribunal fédéral 1C_74/2009 du 23 septembre 2009 consid. 1). Le Tribunal fédéral a cependant finalement déclaré le recours irrecevable pour défaut de motivation en lien avec l'acte attaqué et les conclusions formulées (arrêt du Tribunal fédéral 1C_74/2009 précité consid. 3). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral n'a fait aucune référence à la jurisprudence susmentionnée relative aux questions de recevabilité d'un recours pour atteinte indirecte aux droits politiques.

1.6 Le Grand Conseil approuve par voie législative l’aliénation de tout immeuble propriété de l’État ou d’une personne morale de droit public à des personnes physiques ou morales autres que les personnes morales de droit public (art. 98 al.1 Cst-GE). Sont exceptés et soumis à l’approbation du Conseil d'État l’aliénation d’immeubles propriété des Services industriels, des communes ou des fondations communales de droit public (let. a), les échanges et transferts résultant d’opérations d’aménagement du territoire, de remembrement foncier, de projets routiers ou d’autres projets déclarés d’utilité publique (let. b ; art. 98 al. 2 Cst‑GE).

1.7 En l'espèce, les recourants soutiennent que le recours porte sur le fait que le Conseil d'État s'est soustrait à la nécessité d'approbation par voie législative de l'aliénation d'immeubles, ayant ce faisant supprimé la possibilité de contester l'opération immobilière par le biais d'un référendum. Il s'agirait donc d'une contestation au sujet d'un acte portant atteinte aux droits politiques et le recours, similaire à celui connu par le Tribunal fédéral en 2009, devrait être déclaré recevable.

Le Conseil d'État affirme quant à lui qu'il s'agirait ici d'une contestation indirecte, puisque le référendum n'était en jeu que de manière indirecte car l'approbation du Grand Conseil n'avait pas été requise, et qu'en application de la jurisprudence initialement développée sous l'empire de l'aOJ, le recours devrait être déclaré irrecevable.

Or, il ressort des considérants 1.4 et 1.5 ci-dessus que la jurisprudence semble sur ce point comporter des contradictions sur la qualification ou non de recours en matière de droits politiques d'un recours interjeté pour des compétences exercées par l'exécutif alors qu'il est allégué que la compétence revenait au législateur, impliquant la suppression de la possibilité de former un référendum.

Il n'est cependant ici pas nécessaire de trancher cette question, la compétence de la chambre constitutionnelle pouvant en effet demeurer indécise dans le cas d'espèce, vu ce qui suit.

2.             L'autorité intimée affirme que le recours serait tardif.

2.1.1 Les recours en matière de votations et d’élections doivent être formés dans les six jours (art. 62 al. 1 let. c LPA), délai non susceptible d’être suspendu (art. 63 al. 2 let. a LPA). Ce délai court dès le lendemain du jour où, en faisant montre à cet égard de la diligence commandée par les circonstances, le recourant a pris connaissance de l’irrégularité entachant, selon lui, les opérations électorales (ACST/16/2023 précité consid. 4.1).

2.1.2 Selon la jurisprudence constante rendue en matière de votations et d’élections, le citoyen qui veut s’en prendre aux dispositions de l’autorité fixant les modalités du vote doit en principe former son recours immédiatement, sans attendre le résultat du scrutin ; s’il omet de le faire alors qu’il en a la possibilité, il s’expose aux risques de la péremption de son droit de recourir. Dans de tels cas, le délai commence à courir au moment où l’intéressé a connaissance de l’acte préparatoire qu’il critique. Il serait contraire aux principes de la bonne foi et de l’économie de procédure démocratique que le recourant attende le résultat du vote pour attaquer les actes antérieurs dont il pourrait, encore avant le vote, faire cas échéant corriger l’irrégularité alléguée (ATF 147 I 194 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_221/2021 du 27 septembre 2021 consid. 3.3 ; ACST/16/2023 précité consid. 4.1). Si le délai de recours contre l’acte préparatoire n’est pas encore échu au moment du vote, le citoyen peut encore déposer son recours après celui-ci, mais avant l’expiration du délai (ATF 118 Ia 415 consid. 2), même si le vote a déjà eu lieu et qu’il n’est plus possible de remédier à l’irrégularité alléguée (ACST/6/2018 du 5 avril 2018 consid. 4c et les références citées ; Yvo HANGARTNER et al., Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2e éd., 2023, p. 1053 s n. 2635 s).

2.1.3 La jurisprudence a tiré de l’art. 29 al. 1 Cst. et de l’obligation d’agir de bonne foi à l’égard des justiciables (art. 5 et 9 Cst.), le principe de l’interdiction du déni de justice formel qui comprend la prohibition de tout formalisme excessif. Un tel formalisme existe lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique sans raison objective la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 145 I 201 consid. 4.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_741/2022 du 7 mars 2023 consid. 2.4.2 ; 4A_462/2022 du 6 mars 2023 consid. 5.1.2).

L’irrecevabilité qui sanctionne l’inobservation d’un délai de recours n’est pas constitutive d’un formalisme excessif prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst., une stricte application des règles relatives aux délais étant justifiée par des motifs d’égalité de traitement et par un intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_160/2021 du 27 septembre 2021 consid. 4.5.1 et les références citées). En matière de droits politiques, la brièveté des délais et la nécessité de leur stricte application se justifient également afin de permettre que les irrégularités puissent être, si possible, corrigées avant la votation en cause (ATF 121 I 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_365/2019 du 5 novembre 2019 consid. 2.2). Le principe de la bonne foi empêche lui aussi que le citoyen attende l’issue de la votation pour se plaindre d’une irrégularité (Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, Genève 2008, p. 28 et 36).

2.2 Le délai de recours est de 30 jours s’il s’agit d’une décision finale ou d’une décision en matière de compétence (let. a), dix jours s’il s’agit d’une autre décision (let. b), 30 jours s’il s’agit d’une loi constitutionnelle, d’une loi ou d’un règlement du Conseil d'État (let. d ; art. 62 al. 1 LPA).

2.3 Les délais de réclamation et de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d’être prolongés (art. 16 al. 1, 1re phr., LPA), restitués ou suspendus, si ce n’est par le législateur lui-même. Ainsi, celui qui n’agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire. Les cas de force majeure restent toutefois réservés (art. 16 al. 1 2e phr. LPA). Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de l’extérieur de façon irrésistible (ACST/40/2021 du 30 novembre 2021 consid. 2b et les références citées).

2.4 En l'espèce, les recourants affirment que leur recours serait recevable car il serait soumis à un délai de 30 jours à compter de la transmission de la convention par courrier du 28 septembre 2023.

L'autorité intimée affirme que le recours serait soumis à un délai de six jours et qu'il serait tardif même à admettre un délai de 30 jours.

2.4.1 En l'occurrence, les recourants ont formé un recours pour violation de leurs droits politiques, soit leur droit à faire référendum contre l'approbation du Grand Conseil qui n'a pas été demandée par le Conseil d'État et donc leur droit à demander un vote sur ladite approbation. Il s'agit donc à suivre cette argumentation d'un litige en matière d'élections et de votations.

Or, un tel recours, qui n'est dirigé ni contre une décision finale ou en matière de compétence, ni contre une autre décision, ni contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d'État, est soumis à un délai de six jours conformément à l'art. 62 let. c LPA et les recourants eux-mêmes, qui ont formé recours le 30 octobre 2023, reconnaissent ne pas avoir agi dans ledit délai. S'il n'y a pas autant d'urgence dans le cas présent que lorsqu'une élection ou une votation est directement en jeu, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'un délai légal applicable à tout recours en matière de votations et d'élections.

Le recours est par conséquent tardif.

Au demeurant, même à admettre que le recours serait soumis à un délai de 30 jours, il serait également tardif.

En effet, l'irrégularité alléguée s'est produite lors de l'adoption de l'arrêté du Conseil d'État, qui n'a pas été versé à la procédure, et de la signature de la convention, le 20 novembre 2019, puisque c'est ce jour-là que le Conseil d'État a procédé sans l'approbation du Grand Conseil que les recourants affirment nécessaire. Si les recourants n'avaient alors aucun moyen d'avoir connaissance de ces faits, un communiqué de presse a été publié le lendemain puis des articles de presse le surlendemain. Comme le soulignent les recourants, le communiqué de presse ne contient pas beaucoup de précisions sur l'opération relative aux droits à bâtir, puisqu'il indique simplement que F______ bénéficierait d'un DDP et de droits à bâtir lui permettant la construction de l'ensemble des bâtiments de l'îlot B, sans mentionner directement le fait que des droits à bâtir avaient été transférés. Toutefois, les articles de presse du 22 novembre 2019 parlent de « vente » et de « cession » de droits à bâtir de 5'000 m2 pour la somme de CHF 16'000'000.- ou pour un montant total de transaction de CHF 21'800'000.-. La demande d'autorisation de construire (DD 3______) a ensuite été déposée le 6 mai 2021 et l'autorisation de construire a été accordée le 25 octobre 2021, selon les informations publiques figurant sur la plateforme SAD Consult (https://app2.ge.ch/sadconsult/dossier/DD 3______/1, consulté le 16 mai 2024). Lors de son octroi, l'autorisation de construire a été publiée le jour même sur la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO ; https://fao.ge.ch/avis/______, consulté le 16 mai 2024). Le chantier a ensuite commencé le 15 mars 2022 (https://app2.ge.ch/sadconsult/dossier/DD/3______/1, consulté le 16 mai 2024), ce dont les recourants ont connaissance, comme indiqué dans leur acte de recours.

Dès lors, en faisant montre de la diligence qui pouvait être attendue de leur part, les recourants, qui avaient accès aux informations essentielles concernant l'opération exposées ci-dessus, ne pouvaient de bonne foi pas attendre le 30 octobre 2023, soit presque quatre ans après l'irrégularité alléguée, le communiqué de presse et les articles de presse, deux ans après l'octroi de l'autorisation de construire et un an et demi après le début des travaux pour se plaindre de l'absence d'approbation par le Grand Conseil du transfert des droits à bâtir et, par voie de conséquence, de l'impossibilité de référendum populaire contre ladite approbation.

Si la compétence de la chambre constitutionnelle devait être reconnue, le recours interjeté devant elle serait par conséquent manifestement irrecevable.

2.4.2 Par ailleurs, à supposer qu'en vertu de la jurisprudence relative aux atteintes indirectes mentionnée au consid. 1.4, la chambre constitutionnelle soit incompétente, l'acte attaqué serait vraisemblablement l'arrêté du Conseil d'État, comme il découle du contenu de l'acte de recours, interjeté dans les 30 jours après la communication de la convention – étant relevé que le caractère attaquable de cet arrêté n'est pas évident –, ou éventuellement l'autorisation de construire appliquant le transfert des droits à bâtir.

Dans le premier cas, la compétence pourrait, le cas échéant, revenir à la chambre administrative (art. 132 LOJ) et, dans le second, au Tribunal administratif de première instance (art. 145 al. 1 loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05), puis sur recours à la chambre administrative (art. 132 LOJ).

Or, le raisonnement qui précède sur le délai de 30 jours serait directement transposable en cas de recours contre l'arrêté, qui serait donc tardif. Il en irait de même du recours contre l'autorisation de construire, interjeté plus de 30 jours après sa publication dans la FAO.

Vu cette irrecevabilité manifeste, même à retenir que la chambre constitutionnelle serait incompétente, toute transmission du recours au TAPI ou à la chambre administrative (art. 11 al. 3 LPA) constituerait une formalité inutile et se heurterait au principe d'économie de procédure, de sorte qu'il ne se justifierait pas de procéder à une telle transmission.

Dans ces circonstances, le recours sera déclaré irrecevable.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

déclare irrecevable le recours interjeté le 30 octobre 2023 par A______, B______, C______et D______ contre l'aliénation, en faveur de F______SA de droits à bâtir correspondant à 5'283 m2 de surfaces brutes de plancher liés à une ou plusieurs parcelles de l'État de Genève ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de A______, B______, C______et D______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alain MAUNOIR, avocat des recourants ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Blaise PAGAN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Philippe KNUPFER, juges.

 

 

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la secrétaire-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

le président :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :