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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1445/2022

ACST/3/2023 du 16.02.2023 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1445/2022-ABST ACST/3/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 16 février 2023

 

dans la cause

A______ SA
et
B______ SA
et
C______ SA
et
D______ SA
et
E______ SA
et
F______
représentées par Me Pierre-Yves Baumann, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT
et
GRAND CONSEIL


EN FAIT

1) La société A______ SA (ci-après : A______) est inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Vaud, avec siège à G______. Elle possède quatre succursales à Genève, inscrites au RC de ce canton, qui ont pour but statutaire notamment de fournir tous conseils et services en matière de recherche, sélection, promotion, formation, recrutement et mise à disposition de personnel, à titre intérimaire ou permanent.

La société B______ SA (ci-après : B______) est inscrite au RC du canton de Vaud, avec siège à H______. Elle possède une succursale à Genève, inscrite au RC de ce canton, et a pour but statutaire des prestations de services dans le domaine du placement de personnel temporaire et fixe, notamment dans le bâtiment, l’industrie et le commerce, les conseils en matière d’entreprises et de personnel.

La société C______ SA (ci-après : C______) est inscrite au RC du canton de Vaud, avec siège à I______. Elle possède trois succursales à Genève, inscrites au RC de ce canton, qui ont pour but statutaire le placement de personnel temporaire ou fixe.

La société D______ SA (ci-après : D______) est inscrite au RC du canton de Vaud et a son siège à J______. Elle possède une succursale à Genève, inscrite au RC de ce canton, qui a pour but statutaire la recherche, la sélection, les conseils, la formation de personnel, la mise à disposition de personnel pour le placement fixe, temporaire et à temps partiel, la prise en charge et le management de personnel sur demande, la gestion de salaire et tous travaux en relation avec des contrats d’outsourcing.

La société E______ SA (ci-après : E______) est inscrite au RC du canton de Zurich, avec siège à K______. Elle possède deux succursales inscrites au RC du canton de Genève, dont l’une a pour but la prestation de services dans le secteur du personnel, soit le recrutement et la mise à disposition du personnel de toute profession.

F______ est une association de droit suisse au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Elle est inscrite au RC du canton de Zurich, où elle a son siège. Elle poursuit ses buts notamment en défendant les intérêts supérieurs de ses membres vis-à-vis de l’opinion publique, des autorités, des parlements et de l’économie. Elle les représente auprès d’associations d’employés et d’employeurs, d’entreprises, d’autorités et du public. Elle a pour membre toute entreprise juridiquement autonome qui offre des services de l’emploi. Ses membres sont répartis en trois sections, à savoir le travail temporaire (location de services), la sélection et le recrutement (placement privé) et le conseil d’entreprise dans le management des ressources humaines.

2) Dans un communiqué de presse du 5 octobre 2016, le Conseil d’État a annoncé avoir initié la modification du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) en vue de limiter le recours au travail temporaire dans les marchés publics de la construction. Constatant l’importance du travail temporaire dans ce secteur et notamment les risques élevés de santé et de sécurité pour les travailleurs temporaires, il souhaitait engager la réflexion en concertation avec les partenaires sociaux afin d’empêcher un recours illimité au travail temporaire.

3) Par règlement du 28 juin 2017, publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 4 juillet 2017, le Conseil d’État a modifié le RMP notamment comme suit :

« Art. 33 al. 2 (nouveau)

Pour les marchés de construction, les entreprises doivent justifier qu’elles disposent du nombre d’employés fixes nécessaires à la réalisation de la prestation en équivalence plein temps, le nombre d’employés annoncés aux assurances sociales faisant foi.

 

Art. 35A Travail temporaire (nouveau)

Sur les marchés de construction, le recours au travail temporaire est soumis aux règles prévues dans le présent article. Celles-ci s’appliquent à toute entreprise participant à l’exécution du marché.

Selon le nombre d’employés fixes sur le chantier concerné, le nombre de travailleurs temporaires admissibles par entreprise exécutante est établi comme suit :

a) de 1 à 3 employées ou employés fixes, maximum 2 travailleuses ou travailleurs temporaires ;

b) de 5 à 8 employés fixes, 3 travailleurs temporaires ;

c) de 9 à 12 employés fixes, 4 travailleurs temporaires ;

d) de 13 à 20 employés fixes, 5 travailleurs temporaires ;

e) dès 21 employés fixes, 20 % de travailleurs temporaires, arrondis à l'unité supérieure.

Exceptionnellement, ces plafonds peuvent être dépassés pendant la durée nécessaire à la réalisation des travaux pour les motifs ci-après :

a) poste de spécialiste ne faisant pas partie de l’effectif standard de l’entreprise ;

b) travaux devant être exécutés impérativement pendant la période des vacances scolaires ;

c) circonstances imprévues non imputables à l’entreprise ; dans ce cas, le dépassement du nombre de travailleurs temporaires ne peut excéder 100 % du plafond autorisé.

Les motifs de dérogation visés à l’alinéa 3 doivent faire l’objet d’une annonce formelle auprès de l’autorité adjudicatrice. Il est interdit de faire intervenir les travailleurs temporaires supplémentaires sur le chantier avant l’accomplissement de cette démarche.

L’autorité adjudicatrice peut en tout temps procéder à l’examen de la licéité d’un dépassement des valeurs fixées à l’alinéa 2. Elle est tenue de procéder à cet examen sur demande des organes de contrôle des conditions de travail et de leur communiquer sa détermination.

Lorsque l’entreprise refuse de collaborer à l’établissement des faits ou lorsque l’autorité adjudicatrice constate que les conditions d’une dérogation ne sont pas réunies, elle ordonne à l’entreprise concernée de retirer immédiatement du chantier les travailleurs temporaires excédentaires et prononce l’amende visée à l’article 2, alinéa 1, lettre c, de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics, du 12 juin 1997.

Le montant de l’amende tient compte de l’importance du dépassement des valeurs fixées à l’alinéa 2 ainsi que des circonstances. Le défaut de l’annonce prévu à l’alinéa 4 constitue un facteur aggravant.

[ ]

Art. 36 (nouvelle teneur)

Dans le cadre des marchés de construction adjugés à une entreprise générale, l’entrepreneur général se conforme aux exigences des articles 35, 35A et 35B et s’engage par écrit à exiger de ses prestataires qu’ils remplissent les conditions des articles 31 à 33.

L’entrepreneur général doit s’assurer, au moment de la soumission et pendant toute la durée des travaux, que ses prestataires respectent les règles instituées aux articles 35, 35A et 35B, notamment au moyen de contrôles réguliers.

En cas de violation des articles 35, 35A ou 35B par un de ses prestataires, l’autorité adjudicatrice prononce à l’encontre de l’entreprise générale l’amende visée à l’article 2, alinéa 1, lettre c, de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics, du 12 juin 1997 ».

4) a. Par acte du 1er septembre 2017, enregistré sous cause n° A/3596/2017, F______, E______ et deux autres sociétés actives dans les domaines du placement de personnel et de la location de services ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre ladite modification du RMP, concluant principalement à l’annulation des art. 33 al. 2, 35A et 36 RMP.

b. Après avoir, dans ladite cause, par décision du 2 octobre 2017, octroyé l’effet suspensif au recours (ACST/19/2017), la chambre constitutionnelle a, par arrêt du 12 décembre 2018 (ACST/28/2018), annulé les art. 33 al. 2 et 35A RMP, ainsi que la référence auxdits articles figurant à l’art. 36 RMP au motif que les restrictions, graves, imposées par ces dispositions à la liberté économique ne reposaient pas sur une base légale formelle.

5) Le 8 septembre 2021, le Conseil d’État a déposé auprès du Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 13'018 modifiant la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0).

Selon l’exposé des motifs y relatif, des dispositions réglementaires renforçant, pour les marchés de construction, le critère de l’aptitude organisationnelle avaient été adoptées en 2017, à la suite du constat de l’excès de recours au travail temporaire, mais avaient été annulées par la chambre constitutionnelle au motif qu’elles ne reposaient pas sur une loi formelle. Le PL visait à compléter la L-AIMP en y intégrant une disposition portant spécifiquement sur l’aptitude des soumissionnaires à réaliser le marché, la possibilité de recourir au travail temporaire pour les marchés de construction et une clause pour le contrôle de la sous-traitance. En effet, lors d’un appel d’offres, l’autorité adjudicatrice définissait des critères d’aptitude pour l’évaluation de la capacité du soumissionnaire à réaliser le marché, évaluation qui portait notamment sur l’expérience du prestataire, sur sa capacité de production et ses ressources humaines et qui ne devait pas être faussée au moment de l’exécution du marché par un recours trop important à la sous-traitance ou à la main-d’œuvre temporaire. C’était pourquoi une limitation de la sous-traitance, notamment au deuxième degré, et une restriction du recours au travail temporaire se justifiait.

L’art. 4 al. 2 du PL constituait la base légale formelle à la limitation du travail temporaire et était complété par les al. 3 à 7 pour garantir la proportionnalité des dispositions d’exécution.

La novelle n’avait pas pour but d’interdire le recours à la main-d’œuvre temporaire, mais de s’assurer que la plupart des ouvriers actifs sur un chantier soient employés de l’entreprise adjudicatrice, sélectionnée pour ses compétences et ses références. Ladite entreprise devait toutefois pouvoir compléter son effectif par des intérimaires si le déroulement des travaux l’exigeait, ce qui lui laissait une certaine flexibilité dans l’organisation de son travail. En outre, seul le secteur de la construction était concerné, en raison des abus y ayant été constatés.

La règle de l’art. 4 al. 5 du PL concernait la capacité du soumissionnaire à réaliser la prestation et exigeait de sa part la justification, au moment du dépôt de son offre, qu’il disposât du nombre d’employés nécessaires à la réalisation de la prestation, en respectant la limitation du travail temporaire. Il devait ainsi, pour soumissionner, disposer au sein de son entreprise d’au moins 80 % de l’effectif nécessaire au chantier, ce qui évitait la participation à l’appel d’offres d’entreprises de type « boîte aux lettres » ne disposant pas de personnel fixe. Au moment de l’exécution de la prestation, un certain nombre de principes encadreraient la limitation du travail temporaire. Le PL fixait à 20 % le pourcentage maximum d’employés temporaires par rapport aux employés fixes affectés à l’exécution du marché. Ce taux avait été fixé d’entente avec les partenaires sociaux de la construction et tenait compte des besoins de l’économie, tout en protégeant les travailleurs d’abus, et garantissait la proportionnalité de la limitation en autorisant le recours a la main-d’œuvre temporaire dans une mesure correspondant a la pratique des entreprises. Lorsqu’une entreprise affectait moins de vingt et un travailleurs sur un chantier, des quotas d’employés temporaires étaient fixés par rapport au nombre de travailleurs fixes actifs sur le chantier, une certaine souplesse d’organisation étant laissée aux petites entreprises composant l’essentiel du secteur de la construction. Des dérogations pouvaient être prévues par voie réglementaire en fonction de la nature du marché ou de conditions particulières pouvant contraindre l’entreprise à recourir au travail temporaire dans une mesure excédant les limites fixées, par exemple en raison de circonstances imprévues non imputables à l’entreprise ou de l’obligation de recourir à des spécialistes ne faisant pas partie de l’effectif standard de l’entreprise.

Le fait de fixer de telles règles dans la loi garantissait une densité normative suffisante ainsi que le respect du principe de la proportionnalité, tout en laissant à l’exécutif une marge d’appréciation dans l’élaboration des dispositions réglementaires.

6) Lors de la séance du 7 octobre 2021, le Grand Conseil a renvoyé sans débat le PL 13'018 à la commission des affaires communales, régionales et internationales (ci-après : la commission parlementaire).

7) Le 6 janvier 2022, la commission parlementaire a rendu son rapport et proposé l’adoption du PL 13'018.

a. Selon le représentant du Conseil d’État, il avait été observé que des entreprises répondaient à des appels d’offres sans être toujours en mesure de réaliser elles-mêmes les prestations, en faisant appel à de la main-d’œuvre temporaire ou à des sous-traitants, le taux de travailleurs temporaires devenant excessif dans certains chantiers, ce qui pouvait conduire à des distorsions de la concurrence. Il avait donc été décidé de mettre une limite au nombre de travailleurs temporaires, à la suite des discussions menées avec les partenaires sociaux. Des dérogations étaient néanmoins possibles, en particulier pendant les vacances scolaires, lorsque les effectifs étaient réduits.

b. Les représentants syndicaux et patronaux ont expliqué que les métiers de la construction comptaient plus de dix mille travailleurs et que pour lisser les effets de la baisse conjoncturelle, le recours au travail temporaire était relativement fréquent. Au cours des dix dernières années, les effectifs fixes avaient largement baissé. Des situations abusives avaient été observées à Genève, comme, lors des travaux de la liaison ferroviaire Cornavin - Eaux-Vives - Annemasse (ci-après : CEVA), dans le cas d’une entreprise qui avait recouru à 60 % de travailleurs temporaires ou, sur le chantier du quartier de l’Étang, dans celui d’une entreprise générale « virtuelle » composée uniquement de travailleurs temporaires.

Le travail temporaire avait ainsi « explosé » depuis 2014, devenant un véritable modèle d’affaires, certains chantiers employant jusqu’à 80 % de travailleurs de ce type. Les travailleurs temporaires pouvaient être facilement licenciés, y compris en cas d’accident, ce qui se produisait fréquemment en fin de saison et les forçait alors à s’inscrire au chômage, si bien qu’ils perdaient, année après année, des cotisations et donc la possibilité d’obtenir une retraite anticipée dès 60 ans. Ils n’avaient pas non plus droit aux indemnités en cas d’intempéries, contrairement aux travailleurs fixes. Les entreprises faisaient souvent miroiter la perspective d’un engagement fixe si le travailleur effectuait ses tâches « à fond », ce qui augmentait les risques d’accidents, tout comme l’absence de présentation des dangers par le contremaître, puisque les chantiers fonctionnaient à flux tendu et qu’il était fait appel aux travailleurs temporaires pour aller plus vite, au détriment de la sécurité, sous l’angle de laquelle les agences de placement ne formaient pas non plus suffisamment les travailleurs concernés. Il s’agissait d’une précarisation du travail, dès lors que le travail temporaire ne constituait que rarement un choix et que les travaux les plus pénibles étaient réservés à ces employés. La plupart d’entre eux tournaient de trois mois en trois mois, de chantier en chantier. En outre, les travailleurs fixes de plus de 50 ans étaient souvent licenciés et réengagés sous le statut de travailleurs temporaires.

Les grandes entreprises avaient tendance à engager un nombre important de travailleurs temporaires, tandis que les petites, par exemple dans le ferraillage ou le jardinage, engageaient plutôt du personnel au noir.

Le PL permettait en outre de soutenir les entreprises structurées et formatrices d’apprentis.

c. Les représentants de F______ ont expliqué que la convention collective de travail (ci-après : CCT) relative à la location de services du 29 mars 2016 (ci-après : CCT location de services) plaçait, dans le domaine de la construction, les travailleurs temporaires sur un pied d’égalité par rapport aux travailleurs fixes. Tous les travailleurs temporaires étaient assurés dès le premier jour, l’ensemble des assurances sociales étant au moins équivalentes à celles des employés fixes. Un fonds de formation était à disposition des travailleurs temporaires, un montant de CHF 600'000.- ayant été alloué à des formations dans le domaine de la construction. Le secteur faisait du reste l’objet d’un contrôle étendu, non seulement par l’association faîtière, mais aussi par les commissions paritaires des domaines concernés.

Le travail temporaire était un complément au travail fixe et permettait aux entreprises de faire face à une surcharge de travail ou un manque de personnel pendant les périodes de vacances. Sans le travail temporaire, les entreprises étaient tentées de faire appel à du travail indépendant ou du travail sur appel, largement moins contrôlé, voire au travail au noir. Par ailleurs, 33 % des travailleurs temporaires avaient par la suite obtenu un poste fixe dans leur branche, étant précisé que près de la moitié des travailleurs avait choisi de travailler de manière temporaire pour gagner en flexibilité.

Le travail temporaire représentait 2,8 % de l’activité à Genève, dont 2,2 % dans le domaine de la construction. Il en résultait que la critique selon laquelle il existait un trop grand nombre de travailleurs temporaires sur les chantiers était « fallacieuse ».

La réglementation proposée créait une inégalité de traitement supposée, puisqu’une grande entreprise pouvait plus facilement jongler entre ses collaborateurs fixes et temporaires pour soumissionner à un marché, contrairement à une petite structure. Le constat de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : Suva), selon lequel les travailleurs temporaires étaient plus souvent confrontés à des risques que les collaborateurs fixes étant donné qu’ils étaient moins bien formés, était exact. Cela étant, des formations spécifiques sur la sécurité avaient été mises en place. Ce n’était toutefois pas la forme du travail qui impliquait un plus grand nombre d’accidents, mais le fait que le travailleur temporaire soit nouveau dans l’entreprise.

Ils ont versé au dossier une présentation sur le travail temporaire, qui indiquait notamment que ce mode de travail représentait 2,8 % de l’ensemble de l’emploi dans le canton de Genève et, sur ce pourcentage, que 10,7 % du travail temporaire avait lieu dans le domaine de la construction.

d. Durant les discussions, les commissaires ont relevé qu’il était plutôt rare de voir un consensus entre les partenaires sociaux, ce qui rendait nécessaire le soutien à l’accord ainsi trouvé.

8) À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la loi 13'018 en troisième débat dans son ensemble par septante-quatre oui et deux abstentions. Sa teneur est la suivante :

« Art. 1 Modifications

La loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics, du 12 juin 1997 (L-AIMP – L 6 05.0), est modifiée comme suit :

 

Art. 2, al. 1, phrase introductive (nouvelle teneur), lettre d (nouvelle)

En cas de violation du droit des marchés publics, pendant la procédure d’adjudication ou l’exécution du contrat, l’autorité adjudicatrice peut infliger les sanctions et/ou ordonner les mesures suivantes :

d) le rétablissement d’une situation conforme au droit ; la mesure est immédiatement exécutoire.

 

Art. 4, al. 2 à 7 (nouveaux)

Il précise notamment les critères d’aptitude et peut, à cet égard, limiter le recours à la sous-traitance et, dans les marchés de construction, le recours au travail temporaire, conformément aux alinéas 3 à 7.

Sous-traitance

La sous-traitance nécessite l’accord de l’autorité adjudicatrice, qui en fixe les modalités.

La sous-traitance au deuxième degré est interdite, sauf si elle est justifiée par des raisons techniques ou organisationnelles.

Limitation de la main-d’œuvre temporaire pour les marchés de construction

Pour les marchés de construction, les soumissionnaires doivent justifier dans leur offre qu’ils disposent du nombre d’employées ou employés nécessaires à la réalisation de la prestation, tenant compte des alinéas 6 et 7.

L’adjudicataire ne peut recourir sur un chantier à un nombre de travailleuses et travailleurs temporaires dépassant les valeurs limites suivantes :

a) de 1 à 3 employées ou employés fixes, maximum 2 travailleuses ou travailleurs temporaires ;

b) de 4 à 6 employées ou employés fixes, maximum 3 travailleuses ou travailleurs temporaires ;

c) de 7 à 11 employées ou employés fixes, maximum 4 travailleuses ou travailleurs temporaires ;

d) de 12 à 20 employées ou employés fixes, maximum 5 travailleuses ou travailleurs temporaires ;

e) dès 21 employées ou employés fixes, maximum 20 % de travailleuses ou travailleurs temporaires (arrondis à l’unité supérieure).

Le Conseil d’État prévoit des exceptions pour les situations particulières.

 

 

 

Art. 2 Entrée en vigueur

La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation dans la Feuille d’avis officielle ».

9) La loi n° 13'018 a été publiée dans la FAO du 4 février 2022, le délai référendaire ayant expiré le 16 mars 2022 sans avoir été utilisé.

10) Par arrêté du 23 mars 2022, publié dans la FAO du 25 mars 2022, le Conseil d’État a promulgué la loi 13'018 pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de sa publication.

11) Le 23 mars 2022 également, le Conseil d’État a adopté la modification suivante du RMP, publiée dans la FAO du 25 mars 2022 :

« Art. 1 Modifications

Le règlement sur la passation des marchés publics, du 17 décembre 2007 (RMP – L 6 05.01), est modifié comme suit :

 

Art. 2, lettre n (nouvelle)

Au sens du présent règlement, on entend par :

n) employées et employés fixes : employées et employés de l’entreprise dûment déclarés aux assurances sociales.

 

Art. 33, al. 1, lettre b (nouvelle teneur)

L’autorité adjudicatrice définit des critères d’aptitude conformément à l’article 24. Elle peut exiger des soumissionnaires des justificatifs attestant leur capacité sur les plans financier, économique, technique, organisationnel et du respect des composantes du développement durable, tels que :

b) déclaration indiquant l’effectif d’employées et employés fixes et le nombre d’apprenties et apprentis ;

 

Art. 35A Main-d’œuvre temporaire (nouveau)

Principes

Pour les marchés de construction, le recours à la main-d’œuvre temporaire est limité conformément à la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics, du 12 juin 1997, et au présent règlement.

En cas d'intervention de plusieurs entreprises pour la même prestation, en consortium ou en sous-traitance, le nombre d’employées et employés se calcule sur l’effectif total affecté à l’exécution de ladite prestation.

Le nombre d’employées et employés affectés à l’exécution du marché s’exprime en équivalent temps plein.

Situations particulières

Exceptionnellement, les valeurs limites fixées à l’article 4, alinéa 6, de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics, du 12 juin 1997, peuvent être dépassées pendant la durée nécessaire à la réalisation des travaux pour les motifs ci-après :

a) poste de spécialiste ne faisant pas partie de l’effectif standard de l'entreprise ;

b) travaux devant être exécutés impérativement pendant les vacances scolaires ;

c) circonstances imprévues non imputables à l’entreprise ; dans ce cas, le dépassement du nombre de travailleuses et travailleurs temporaires ne peut excéder 100 % du plafond autorisé.

Procédure

Les situations particulières visées à l’alinéa 4 du présent article doivent faire l’objet d’une annonce formelle auprès de l’autorité adjudicatrice. Il est interdit de faire intervenir les travailleuses et travailleurs temporaires supplémentaires sur le chantier avant l’accomplissement de cette démarche.

L’autorité adjudicatrice peut en tout temps vérifier le respect des valeurs limites, respectivement si le dépassement des valeurs limites est justifié, conformément à l’alinéa 4 du présent article. Elle est tenue de procéder à cet examen sur demande des organes de contrôle des conditions de travail et de communiquer sa détermination auxdits organes.

Lorsque l’autorité adjudicatrice constate une infraction ou lorsque l’entreprise refuse de collaborer à l’établissement des faits, l’autorité adjudicatrice ordonne de retirer immédiatement du chantier les travailleuses et travailleurs temporaires excédentaires, en application de l’article 2, alinéa 1, lettre d, de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics, du 12 juin 1997, et prononce l’amende visée à l’article 2, alinéa 1, lettre c, de ladite loi.

Le montant de l’amende tient compte de l’importance du dépassement des valeurs limites ainsi que des autres circonstances. Le défaut de l’annonce prévue à l’alinéa 5 du présent article constitue un facteur aggravant.

 

Art. 2 Entrée en vigueur

Le présent règlement entre en vigueur simultanément à la loi 13'018 ».

12) a. Par acte expédié le 9 mai 2022, A______, B______, C______, D______, E______ et F______ ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle contre la loi n° 13'018, ainsi que contre la modification du RMP du 23 mars 2022, concluant, « avec suite de frais et dépens », à l’annulation des art. 2 al. 1 phrase introductive et 4 al. 2 à 7 L-AIMP et des art. 33 al. 1 let. b et 35A RMP.

Divers actes d’instruction étaient requis, en particulier l’audition de leurs représentants à même d’exposer les conséquences effectives des dispositions attaquées, la production de documents en mains du département, ainsi que la mise en œuvre d’une expertise visant à déterminer l’impact de la nouvelle réglementation sur les marchés publics de la construction pour les petites, moyennes et grandes entreprises. Elles souhaitaient au surplus s’exprimer et plaider en audience publique leur recours.

Le système de quotas par chantier favorisait les grandes entreprises au détriment des petites et moyennes, notamment pour les chantiers importants dans le domaine du génie civil. La nouvelle réglementation rendait plus difficile, en violation d’engagements internationaux, l’accès aux marchés considérés aux entreprises étrangères, en tant qu’elle contraignait ces dernières à engager un plus grand nombre de collaborateurs permanents et à assumer des frais de restauration et d’hébergement plus élevés.

Les dispositions litigieuses étaient contraires à la liberté économique dans sa dimension individuelle et institutionnelle, à l’interdiction de l’arbitraire et au principe de la bonne foi. Les conditions de restriction des droits fondamentaux n’étaient pas réunies. En particulier, les mesures prévues ne remplissaient pas l’exigence d’une base légale ayant une densité normative suffisante, l’atteinte qu’elles portaient aux droits fondamentaux étant grave, d’autant plus au vu des amendes qui sanctionnaient leur violation. Les dispositions en cause étaient imprécises, l’art. 4 L-AIMP ne prévoyant aucune définition du « chantier » et l’art. 35A al. 4 let. a et c RMP ne disant rien sur les termes de « spécialiste » et de « circonstances imprévues ». De plus, la procédure d’annonce selon l’art. 35A al. 5 RMP n’était pas claire et semblait irréalisable au vu de la décision à rendre par l’autorité, qui ne pouvait ainsi statuer à bref délai.

La réglementation entreprise introduisait des restrictions qui ne pouvaient être qualifiées de mesures de police, ni même de politique sociale, mais constituaient des mesures de politique économique, inconstitutionnelles déjà en tant que telles. Ces restrictions ne respectaient pas l’égalité de traitement entre concurrents, au détriment des petites et moyennes entreprises, des entreprises étrangères et de celles privilégiant, en toute légalité, le recours à la main-d’œuvre temporaire. Les dérogations admissibles étaient en outre inopérantes.

Le principe de la proportionnalité était violé. Le système des quotas n’était pas apte à atteindre un but d’intérêt public, en particulier celui de la sécurité et de la santé au travail. Il n’était pas non plus nécessaire pour assurer la protection des employés temporaires actifs sur les chantiers publics de la construction, d’autres mesures en lien avec la formation et la protection du personnel pouvant être mises en place, conformément à la législation applicable et les CCT, dont la CCT location de services. De plus, outre le fait que le canton ne disposait d’aucune compétence législative pour réglementer le domaine en cause, le droit fédéral réglait de manière exhaustive la protection sociale des travailleurs et la location de services, aucune étude ou rapport n’ayant été effectué pour établir l’existence de situations abusives, ni aucune analyse au sujet des conséquences de l’adoption de l’art. 4 L-AIMP.

Les dispositions attaquées étaient également contraires au droit des marchés publics, en particulier l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), qui ne permettait pas au canton d’édicter seul des règles de droit matériel allant au-delà de dispositions d’exécution, et l’accord international sur les marchés publics du 15 avril 1994 (AMP - RS 0.632.231.422) puisque la limitation du recours aux travailleurs étrangers n’était pas un critère d’aptitude ni d’adjudication. L’Accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics du 21 juin 1999 (accord CH-UE - RS 0.172.052.68) était également violé, le droit européen n’admettant pas la prise en compte d’aspects sociaux comme critère d’adjudication.

La novelle violait aussi la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), dès lors que les entreprises étrangères qui faisaient appel aux travailleurs temporaires subissaient une discrimination indirecte par rapport aux entreprises locales. À cela s’ajoutait que les dispositions litigieuses étaient contraires à l’accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999 (ALCP - RS 0.142.112.681), comme l’avait récemment jugé le Tribunal fédéral dans une affaire tessinoise, puisqu’elles créaient une discrimination par rapport aux travailleurs frontaliers dans le secteur du travail temporaire. Par ailleurs, l’annexe 1B « Accord général sur le commerce des services » (ci-après : AGCS) de l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce du 15 avril 1994 (RS 0.632.20) n’était pas non plus respecté.

b. Elles ont notamment produit :

- divers documents et statistiques concernant le travail temporaire établis par F______ ;

- un article du quotidien « 20 Minutes » du 20 juillet 2016 intitulé « Accord "historique" dans le secteur du bâtiment, une grande entreprise de construction va offrir des contrats fixes à ses travailleurs temporaires. Unia espère que d’autres suivront l’exemple », selon lequel, d’ici la fin de l’année, une importante société en région lémanique internaliserait la moitié de son personnel temporaire à Genève et dans le canton de Vaud. Cet accord pouvait être qualifié d’historique, alors que le travail temporaire explosait sur les chantiers à Genève – avec une augmentation de 68 % entre 2012 et 2014 contre 16 % sur le plan national –, des milliers d’ouvriers ayant, en fin d’année 2015, manifesté dans le canton pour dénoncer une telle pratique. Le directeur de l’entreprise en cause reconnaissait la précarité du procédé, se félicitant de l’adoption d’un « modèle plus humains pour les employés » ;

- un avis de droit établi par le 25 novembre 2016 par des professeurs de droit de l’Université de Saint-Gall portant sur l’admissibilité d’interdictions et de limitations du recours aux travailleurs temporaires dans des CCT d’après lequel de telles clauses seraient contraires à la liberté économique, ainsi qu’un complément du 18 avril 2022 portant sur l’admissibilité des art. 4 L-AIMP et 35A RMP arrivant à la conclusion qu’ils étaient contraires au droit supérieur et au droit des marchés publics.

13) a. Le 29 juin 2022, le Grand Conseil a conclu au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Il ne se justifiait pas de donner suite aux mesures d’instruction sollicitées. F______ avait déjà pu se déterminer lors de l’audition de ses représentants par la commission parlementaire. L’expertise requise était superflue, en l’absence de pertinence des points de fait que les recourantes souhaitaient discuter, notamment sous l’angle du principe de la proportionnalité.

La loi 13'018 corrigeait les lacunes du RMP précédemment relevées par la chambre constitutionnelle, en conférant une base légale formelle à la limitation du travail temporaire dans les marchés publics genevois. Dans un arrêt rendu dans une cause tessinoise cité par les recourantes, le Tribunal fédéral avait expressément réservé les réglementations cantonales limitant le recours au travail temporaire pour l’exécution des marchés publics, qui devaient être conformes au principe de la proportionnalité, ce qui rendait déjà infondés la plupart des griefs développés par les recourantes.

En effet, les dispositions de la L-AIMP et du RMP, qui avaient pour objectif de lutter contre les dérives et les conséquences sociales négatives d’un recours exagéré au travail temporaire ou à la sous-traitance dans le secteur de la construction publique, s’inscrivaient dans l’objectif social de l’art. 41 al. 1 let. d de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Malgré les efforts engagés par les entreprises de location de services et l’encadrement légal fédéral et conventionnel collectif qui s’y rapportait, le travail temporaire entraînait des effets négatifs significatifs en matière de niveau de salaire, d’expectatives de prévoyance professionnelle, de protection contre le licenciement ou encore de sécurité et de protection de la santé. En outre, la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) n’avait pas à prévoir expressément la possible intervention du législateur, dont les compétences n’étaient pas limitées aux seuls mandats qu’elle énumérait.

La L-AIMP et le RMP n’empiétaient pas sur les compétences de la Confédération en matière de droit du travail et de location de services. Le dispositif mis en place ne consistait pas en des règles de droit privé régissant la validité d’un contrat de location de services ni en une réglementation de droit public ayant un champ d’application, un objet et un but identiques ou même similaires au droit fédéral dans ces domaines. Au contraire, il s’agissait, dans un domaine relevant des compétences propres des cantons, de soumettre à certaines limites quantitatives le recours au travail temporaire dans les marchés publics de construction exclusivement. La réglementation de droit public en cause visait à discipliner le comportement des pouvoirs adjudicateurs genevois, en ayant prise sur la formation de la volonté des entités publiques adjudicatrices dans la sélection des entreprises. Elle n’avait ainsi pas vocation à avoir des effets juridiques directs sur les entreprises privées qui souhaitaient soumissionner, et encore moins sur les entreprises de location de services, pas plus qu’elle ne cherchait à régir les conditions de travail dans la relation entre employeurs et travailleurs ou les conditions d’exercice de la location de personnel.

Les dispositions contestées n’étaient pas contraires au droit international et interne des marchés publics. Pour promouvoir les objectifs du développement durable, les pouvoirs adjudicateurs devaient définir des critères ayant une composante sociale ou écologique, qui présentaient un lien suffisant avec l’objet du marché. Par ailleurs, des critères sociaux ou environnementaux indirects, qui n’avaient pas de lien direct avec les prestations faisant l’objet du marché en cause, étaient aussi admissibles, à condition qu’ils soient prévus par une disposition légale et ne constituent pas des mesures protectionnistes insoutenables au regard de la liberté économique. La nouvelle réglementation avait pour objectif principal de renforcer les exigences tenant à la composition des effectifs des entreprises soumissionnaires, dans l’optique de garantir des prestations de qualité dans les marchés publics en cause. Le renforcement du critère d’aptitude était ainsi destiné à permettre au pouvoir adjudicateur de s’assurer que l’entreprise soumissionnaire soit dotée, tant dans les fonctions dirigeantes que subalternes, d’un nombre minimal de travailleurs ayant une expérience dans le domaine et qui étaient employés par elle depuis un certain temps. Comme les travailleurs temporaires ne bénéficiaient pas de la formation en entreprise reçue par les employés fixes, la sécurité des chantiers et la qualité du travail étaient meilleures si le recours au travail temporaire était limité. Dès lors, le critère d’aptitude exigeant de l’entreprise soumissionnaire d’affecter un pourcentage d’employés fixes à l’exécution du contrat présentait un lien direct avec l’objet des marchés de construction et était donc conforme au droit des marchés publics.

La nouvelle réglementation était également conforme à la liberté économique, tant dans sa dimension institutionnelle qu’individuelle, le Tribunal fédéral ayant déjà considéré que la restriction de l’emploi de travailleurs temporaires dans le cadre des marchés publics était admissible. À cela s’ajoutait que la novelle visait à renforcer la pertinence des critères de sélection des entreprises dans les procédures de passation des marchés publics de construction, en renforçant les exigences tenant à la composition de leurs effectifs pour garantir des prestations de qualité en cohérence avec l’appréciation des qualités des soumissionnaires fondées sur les références produites. Il ne s’agissait ainsi pas de canaliser l’activité économique privée selon une planification étatique. L’objectif secondaire des dispositions querellées consistait à lutter contre les dérives et les conséquences sociales négatives d’un recours exagéré au travail temporaire ou à la sous-traitance, ce qui était tout aussi admissible sous l’angle de l’art. 94 Cst., puisqu’il s’agissait d’assurer aux travailleurs de la construction de meilleures conditions salariales, de meilleures expectatives de prévoyance professionnelle, une meilleure sécurité sur les chantiers et une meilleure protection de la santé, de même qu’une protection accrue contre la perte d’emploi, ce qui relevait de la politique sociale et non pas de la politique économique. Il n’était pas non plus question d’influencer la concurrence puisque les mesures en cause s’appliquaient de manière identique à tous les acteurs économiques.

La liberté économique n’était pas non plus violée dans sa dimension individuelle. Sous l’angle du principe de la légalité, le nouveau dispositif répondait aux critiques de la chambre constitutionnelle, puisque la limitation du recours aux travailleurs temporaires était expressément ancrée dans la loi formelle, que celle-ci habilitait le Conseil d’État à concrétiser les limites du recours à la sous-traitance et au travail temporaire et qu’une base légale formelle était prévue pour le prononcé d’amendes administratives, sanctions ne relevant pas du droit pénal stricto sensu ni du droit civil. Les notions utilisées présentaient une densité normative suffisante et avaient un sens objectivement compréhensible et suffisamment précis, en tenant compte des concepts et usages du domaine des marchés publics, étant rappelé que certains termes indéterminés bénéficiaient en réalité aux entreprises, en réservant une marge d’interprétation au moment de faire valoir une exception. Les dispositions litigieuses poursuivaient en outre un but d’intérêt public et respectaient le principe de la proportionnalité. La limitation du recours au travail temporaire était apte à réduire les inconvénients de cette modalité d’emploi, en termes de qualité du travail fourni, de sécurité, de santé et de protection sociale des travailleurs. D’autres mesures, comme remplacer ledit critère d’aptitude par un critère d’adjudication, qui laisserait subsister un taux élevé de recours au travail temporaire, n’étaient pas envisageables pour atteindre ce but. Sous l’angle de la pesée des intérêts, la nouvelle réglementation était équilibrée, s’appliquant aux seuls marchés publics de construction, secteur dans lequel des abus avaient été constatés. En outre, les quotas étaient arrêtés par rapport aux effectifs engagés sur un chantier déterminé, les valeurs limites prescrites étaient fixées de manière progressive et des exceptions étaient prévues. Il ne s’agissait ainsi pas de supprimer tout recours au travail temporaire, mais seulement de contenir ce mode d’organisation dans une proportion raisonnable. De plus, l’impact de cette limitation était à mettre en relation avec la proportion usuelle de travailleurs temporaires dans le domaine de la construction à Genève, qui était de 18 %, de sorte qu’elle ne s’appliquait pas de manière massive mais seulement sur la tendance à la déstructuration des entreprises observée ces dernières années. Enfin, la grande majorité des travailleurs du secteur préférerait être au bénéfice d’un emploi fixe plutôt que temporaire.

Dans la mesure où les dispositions en cause s’appliquaient indistinctement à toutes les entreprises dans un marché public de construction, il n’y avait pas de violation du principe d’égalité entre entreprises concurrentes et entre travailleurs suisses et frontaliers. Les dispositions litigieuses ne violaient pas davantage la LMI, qui n’excluait pas que chaque canton règlemente la passation de ses marchés publics.

Le nouveau dispositif n’était pas non plus contraire à l’ALCP, grief d’autant moins légitime que les recourantes n’étaient actives que dans la location de services en Suisse. En toute hypothèse, les dispositions contestées n’avaient pas pour but de protéger le marché local de la concurrence d’entreprises domiciliées hors du canton ou du pays, ni de freiner l’embauche de travailleurs frontaliers, et n’avaient pas été adoptées dans une perspective protectionniste, mais seulement pour renforcer les critères d’aptitude propres aux marchés publics tenant à l’organisation des soumissionnaires et pour des motifs de politique sociale. La composition statistique du marché du travail temporaire à Genève ne se caractérisait pas non plus par la prédominance nette de travailleurs frontaliers.

Enfin, les nouvelles dispositions ne violaient pas l’AGCS, le grief n’ayant au demeurant pas été développé par les recourantes.

b. Il a notamment produit :

- le dossier n° 133 « Le travail temporaire en Suisse, importance, abus et revendications syndicales » de juillet 2019 publié par l’Union syndicale suisse (ci-après : USS), selon lequel, en 2018, le travail temporaire représentait une part de 26 % du volume total du travail, ce qui constituait un record historique. Les employés temporaires étaient surtout actifs dans la construction, où en moyenne annuelle 10 % environ des salariés étaient engagés, part pouvant aller jusqu’à 20 % en haute saison. L’extension du travail temporaire était déséquilibrée, puisque beaucoup de travailleurs temporaires n’avaient pas de résidence permanente en Suisse et que de plus en plus d’employés temporaires se trouvaient en pleine vie active ou proches de la retraite.

Le travail temporaire était potentiellement une forme de travail précaire, la majorité des employés cherchant un emploi fixe. Le fait que la durée la plus fréquente d’une mission temporaire se situait entre six et dix-huit mois indiquait que de plus en plus de personnes travaillaient de manière temporaire sans le souhaiter.

Le travail temporaire était principalement utilisé par les employeurs pour reporter sur les salariés certains risques comme les fluctuations de la conjoncture ou des commandes, pour économiser les frais de recrutement et de licenciement, pour profiter de meilleures correspondances entre le profil recherché et l’emploi et, enfin, pour éviter des frais de personnel fixe.

Les employés temporaires étaient exposés à un risque plus élevé d’accidents que les employés fixes en raison des courtes durées des missions et du changement fréquent d’entreprises où ils étaient envoyés, étant moins habitués aux tâches et aux processus de celles-ci que les employés fixes. Ils ne bénéficiaient souvent pas d’instructions adéquates dans l’entreprise de mission, étaient parfois affectés à des tâches particulièrement dangereuses et souvent leurs équipements de protection individuelle n’étaient pas suffisants. Malgré les efforts réalisés pour diminuer ces risques, par le biais des CCT, ayant conduit à une baisse des annonces à la Suva, le nombre de nouveaux cas restait supérieur à la moyenne, les employés temporaires demeurant exposés à un risque d’accident légèrement plus élevé que les autres employés du gros œuvre de la construction. Le risque d’accident pour les employés temporaires n’avait pas non plus pu être réduit davantage que celui des branches locataires de services, si bien que les missions via la location de services restaient nettement plus dangereuses qu’un travail comparable dans le cadre d’un emploi fixe. La CCT location de services avait conduit à un début d’amélioration concernant les possibilités de formation continue à des fins professionnelles, qui demeuraient encore insuffisantes au vu de leurs coûts.

Le travail temporaire dans la durée pouvait s’avérer stigmatisant. Si les emplois temporaires étaient principalement des missions de courte durée exigeant peu de qualifications, les employés temporaires étaient en revanche souvent surqualifiés et une amélioration de leurs compétences avec ce type d’emploi n’était pas envisageable, ce qui constituait potentiellement un obstacle à l’obtention d’un poste fixe. L’existence d’un « effet tremplin » n’était pas non plus avéré empiriquement. Pour la plupart des employés temporaires, un passage rapide vers un contrat à durée indéterminée s’apparentait à une vaine promesse. De plus, une personne qui travaillait temporairement n’était que de passage et donc moins bien intégrée dans l’entreprise que les employés permanents. Plusieurs études montraient en outre que le travail temporaire exerçait une pression à la baisse sur les salaires.

- l’information aux employeurs « L’indemnité en cas d’intempéries », édition 2016, publiée par le secrétariat d’État à l’économie, selon laquelle ladite indemnité était une prestation de l’assurance-chômage garantissant aux travailleurs de certaines branches d’activité, dont celles du bâtiment et du génie civil, une compensation convenable des pertes de travail imputables aux conditions météorologiques. N’y avaient pas droit les travailleurs accomplissant une mission pour le compte d’une organisation de travail temporaire ;

- le règlement de la Fondation de retraite anticipée relatif aux prestations et aux cotisations dans le secteur principal de la construction du 1er avril 2019, selon lequel le travailleur peut faire valoir un droit à la retraite transitoire s’il a exercé une activité soumise à l’obligation de cotiser pendant au moins quinze ans pendant les vingt dernières années et de manière ininterrompue durant les sept dernières années précédant le versement des prestations (art. 13 al. 1 let. c) ;

- les statistiques du bureau de contrôle des chantiers pour les années 2016 à 2021, indiquant, en 2016, 2'029 travailleurs du gros œuvre (dont 288 temporaires) et 4'630 travailleurs du second œuvre (dont 285 temporaires) ; en 2017, 3'107 travailleurs du gros œuvre (dont 538 temporaires) et 4'759 travailleurs du second œuvre (dont 391 temporaires) ; en 2018, 3'538 travailleurs du gros œuvre (dont 485 temporaires) et 5'170 travailleurs du second œuvre (dont 455 temporaires) ; en 2019, 2'457 travailleurs du gros œuvre (dont 394 temporaires) et 4'614 du second œuvre (dont 303 temporaires) ; en 2020, 2'310 travailleurs du gros œuvre (dont 318 temporaires) et 3'520 travailleurs du second œuvre (dont 178 temporaires) ; en 2021, 2'851 travailleurs du gros œuvre (dont 520 temporaires) 5'258 travailleurs du second œuvre (dont 457 temporaires) ;

- les prises de position de différentes entités, reçues dans le cadre de la consultation menée auprès des membres de la commission consultative des marchés publics en lien avec le PL 13'018.

14) Le 29 juin 2022, le Conseil d’État a conclu au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité, reprenant les mêmes arguments que le Grand Conseil.

15) Par décision du 7 juillet 2022, la chambre constitutionnelle a refusé d’octroyer l’effet suspensif au recours et réservé le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

16) Le 5 octobre 2022, les recourantes ont persisté dans leur recours et réitéré leur demande de mesures d’instruction et d’audience publique conforme « aux exigences fondées sur l’art. 6 CEDH ». Elles sollicitaient en outre la production de pièces supplémentaires, à savoir tout document établissant le nombre, la typologie ainsi qu’un descriptif précis des abus constatés sur les marchés publics de la construction à Genève ces dix dernières années et, à défaut, la mise en œuvre d’une expertise, ainsi que la production de documents statistiques, études et autres permettant de déterminer l’existence d’un lien entre le recours à de la main d’œuvre temporaire et des prestations de mauvaises qualité.

Les autorités intimées se limitaient à justifier l’intérêt public poursuivi en référence aux travaux législatifs, sans précisions spécifiques et de situations d’abus manifeste, lesquelles étaient marginales d’un point de vue statistique. L’argument selon lequel les règles litigieuses permettraient de garantir des prestations de qualité n’était pas plus qu’une pétition de principe, étayée par aucun élément probant ni d’analyse. Les autorités intimées n’avaient ainsi pas été en mesure de justifier leurs thèses, si bien que F______ avait dû se substituer à leur inaction en faisant établir une enquête soumise à la commission parlementaire, qui ne corroborait aucunement leurs assertions. Par ailleurs, également sous l’égide de F______, la branche du travail temporaire avait mis en place des solutions, validées au plan fédéral, qui permettaient aux entreprises de location de services d’améliorer la sécurité des collaborateurs, notamment au moyen de formations, mesures qui seules permettaient de réduire le risque d’accidents sur les chantiers.

Les autres arguments des autorités intimées, qui avaient notamment trait à des prestations de retraite moins favorables pour les travailleurs temporaires, n’étaient pas non plus étayés par des études statistiques objectives, alors que lesdits travailleurs ne se trouvaient aucunement désavantagés par rapport aux travailleurs fixes en matière de retraite anticipée. D’ailleurs, au plan fédéral, la récente réponse à un postulat n° 19.4213 concernant les mesures à prendre au lieu d’exécution des travaux avait donné lieu à des recommandations, dont aucune ne touchait le travail temporaire dans sa typologie classique, ce qui démontrait qu’il n’existait aucune problématique spécifique en matière de respect des exigences sociales minimales dans les marchés publics. L’argument selon lequel les prestations en cas d’intempéries ne seraient pas versées était également infondé, ce d’autant plus qu’il s’agissait de situations météorologiques de courte durée. Il n’existait dès lors aucun lien objectif et logique entre la durabilité, généralement liée à l’environnement, et la limitation du travail temporaire, ce qui montrait que le véritable but poursuivi par les dispositions litigieuses était de mettre à mal un type d’organisation économique.

Les cantons n’étaient pas compétents pour édicter des règles en matière de protection des travailleurs et de location de services, domaines qui relevaient du droit fédéral. Les nouvelles normes fixaient des conditions d’admission au marché, qui impliquaient, avant même l’exécution et sans que les critères d’aptitude ou d’adjudication soient examinées, l’exclusion d’un soumissionnaire potentiel, en contradiction avec les règles relatives aux marchés publics et la liberté économique. En particulier, d’autres possibilités permettaient d’écarter des offres émanant d’une société dite « coquille vide », comme l’examen de ses capacités financières et économiques. De plus, les critères des capacités techniques et de l’expérience avaient pour effet de donner un poids prépondérant à des entreprises implantées depuis de nombreuses années sur le marché. Ainsi, les nouvelles normes étaient exorbitantes aux critères d’aptitude et d’adjudication. Soutenir que les travailleurs temporaires ne bénéficieraient pas de la formation d’entreprise reçue pour les employés fixes et que la sécurité sur les chantiers et la qualité du travail seraient meilleures si le travail temporaire était limité ne se basait sur aucun élément factuel, objectif ou statistique. Il n’était du reste pas compréhensible que cette problématique soit exclusivement genevoise, étant précisé que ni la Confédération lors de la révision du droit des marchés publics ni aucun autre canton n’avait mis en place un système de limitation du travail temporaire sur les marchés publics de construction par la fixation d’un ratio entre travailleurs fixes et temporaires. Il avait en outre été démontré que la très grande partie des employés temporaires actifs sur les marchés publics de construction genevois étaient des cadres et des spécialistes et que seule une minorité appartenait à une autre catégorie. Il apparaissait également évident que les nouvelles normes avaient pour objet d’orienter le marché et les opérateurs économiques sur les modalités d’exercice de leur activité.

17) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, y compris sur les demandes d’actes d’instruction et de tenue d’une audience publique, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) a. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. Le recours est simultanément dirigé contre une loi cantonale, à savoir la loi 13'018, ainsi que son règlement d’application, soit la modification du RMP du 23 mars 2022, et ce en l’absence de cas d’application (ACST/25/2022 du 22 décembre 2022 consid. 1b ; ACST/22/2022 du 9 décembre 2022 consid. 1b).

Il a, au surplus, été interjeté dans le délai légal à compter respectivement de la promulgation de ladite loi et de la publication de la modification du RMP dans la FAO du 25 mars 2022 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) et satisfait également aux réquisits de forme et de contenu prévus aux art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 3 LPA, sous réserve de ce qui suit s’agissant de l’art. 2 al. 1 phrase introductive et 4 al. 3 et 4 L-AIMP.

2) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L’art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/25/2022 précité consid. 2a).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés directement par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 147 I 308 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2). La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 147 I 478 consid. 2.2).

b. Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir en son nom propre lorsqu’elle est intéressée elle-même à l’issue de la procédure. De même, sans être touchée dans ses intérêts dignes de protection, cette possibilité lui est reconnue pour autant qu’elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d’entre eux et que chacun de ceux-ci ait qualité pour s’en prévaloir à titre individuel (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; ACST/25/2022 précité consid. 2b). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l’un de ses membres ou pour une minorité d’entre eux (arrêt du Tribunal fédéral 1C_499/2020 du 24 septembre 2020 consid. 2).

c. En l’espèce, la chambre de céans, saisie du recours dans la cause n° A/3596/2017 interjeté contre la précédente modification du RMP par F______, E______ et deux sociétés actives dans le domaine de la location de services, a considéré, dans l’ACST/28/2018 précité consid. 3a, que ces trois dernières sociétés étaient susceptibles d’être affectées par des restrictions posées au recours au travail temporaire dans les marchés publics de la construction dans le canton de Genève et qu’elles étaient exposées, du fait de la portée des dispositions adoptées, à voir leurs activités se restreindre ou ne pas se développer et, partant, à subir une entrave à leur liberté économique et un préjudice de nature économique potentiellement important ; elles se trouvaient ainsi dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d’être pris en considération avec l’objet du litige et étaient à l’évidence touchées par les normes considérées plus que la généralité des administrés. Il y a dès lors lieu, dans la présente cause, d’admettre la qualité pour recourir de E______ ainsi que celle d’A______, B______, C______ et D______, sociétés actives dans la location de services, étant précisé que l’art. 2 let. m RMP soumet explicitement aux dispositions régissant les marchés publics notamment les entreprises pratiquant une forme de location de services au sens de l’art. 27 de l’ordonnance sur le service de l’emploi et la location de services du 16 janvier 1991 (OSE - RS 823.111), donc en particulier le travail temporaire, en les incluant dans la notion d’entreprises exécutantes, soit d’entreprise ou de personne indépendante « participant à l’exécution du marché ».

La situation se présente différemment pour F______, qui n’est pas touchée personnellement dans une mesure suffisante par les dispositions litigieuses pour pouvoir les attaquer elle-même à un tel titre. Se pose toutefois la question de savoir si les conditions d’un recours corporatif sont remplies la concernant. Dans l’arrêt précité, la chambre de céans a laissé cette question ouverte, dès lors que la qualité pour recourir était reconnue à ses consorts, à savoir E______ et les deux autres sociétés (ACST/28/2018 précité consid. 3b). Tel sera également le cas dans la présente cause, pour les mêmes motifs, la qualité pour recourir d’A______, B______, C______, D______ et E______ ayant été admise.

3) Les recourantes sollicitent préalablement la tenue d’une audience de plaidoiries orales conforme « aux exigences fondées sur l’art. 6 CEDH ».

a. L’art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Saisi dans ce cadre d’une demande de débats publics, le juge doit en principe y donner suite. Il peut cependant s’en abstenir dans les cas prévus par l’art. 6 § 1, 2ème phr. CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière ou dilatoire, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien-fondé ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 141 I 97 consid. 5.1 ; 136 I 279 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_433/2021 du 5 juillet 2022 consid. 2.4.1). L’obligation de tenir une audience publique n’est par ailleurs pas absolue. Il peut y être renoncé dans les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (ATF 140 I 68 consid. 9.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_433/2021 précité consid. 2.4.1 ; ACEDH Mutu et Pechstein c. Suisse du 2 octobre 2018, req. 40575/10 et 67474/10, § 177 ; Jussila c. Suède du 23 novembre 2006, req. 73053/01, § 43). Une telle renonciation est ainsi admissible lorsque la cause peut être jugée exclusivement sur la base du dossier et des écritures des parties, notamment lorsque l’issue du litige ne dépend pas d’une appréciation des preuves ou d’impressions personnelles, mais uniquement de questions de droit (ATF 147 I 153 consid. 3.5.1 et la jurisprudence citée).

b. En l’espèce, il ne se justifie pas d’accéder à la requête des recourantes visant à la tenue d’une audience de plaidoiries orales. En effet, pour autant que l’on se trouve face à une contestation sur des droits et obligations de nature civile, ce qui n’est pas évident, les questions à trancher sont exclusivement de nature juridique, s’agissant d’un contrôle abstrait de conformité au droit supérieur de dispositions légales et réglementaires cantonales, et relativement techniques. Les recourantes ont au surplus pu s’exprimer dans leurs écritures sur tous les aspects contestés, répondre aux arguments des autorités intimées et produire toutes les pièces qu’elles estimaient utiles pour étayer leur point de vue. À cela s’ajoute que les représentants de F______ ont été auditionnés par la commission parlementaire et ont pu faire valoir leurs arguments et leur point de vue au sujet du PL 13'018 modifiant la L-AIMP. La présente cause ne nécessite ainsi pas la tenue de débats publics, si bien qu’il ne sera pas fait droit à la demande des recourantes.

4) Les recourantes sollicitent diverses mesures d’instruction, à savoir l’audition de leurs représentants, la production d’un certain nombre de documents et la mise en œuvre d’une expertise.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend notamment le droit, pour l’intéressé, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves, à condition qu’elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_8/2022 du 5 décembre 2022 consid. 2.2). Il ne comprend en principe pas le droit d’être entendu oralement ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_392/2022 du 26 octobre 2022 consid. 4.2). Le droit d’être entendu n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

b. En l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à la requête des recourantes. Outre le fait qu’elles ne disposent d’aucun droit à l’audition de leurs représentants, elles ont pu, comme précédemment exposé, faire valoir leur point de vue à plusieurs reprises par écrit et se déterminer sur les écritures des intimés. Les pièces dont elles requièrent la production n’apparaissent pas non plus utiles pour trancher le litige, le dossier contenant un certain nombre de documents, produits par les parties, permettant de discerner les éléments ayant guidé les intimés pour l’élaboration des normes attaquées. Les intimés ont du reste fourni des indications concernant la manière par laquelle les dispositions entreprises seraient appliquées et les recourantes ont versé au dossier des éléments statistiques établis sous l’égide de F______ concernant le travail temporaire. Enfin, pour les mêmes motifs, il ne se justifie pas d’ordonner une expertise visant à déterminer l’impact de la nouvelle réglementation sur les marchés publics de la construction ou tendant à analyser les abus du fait du recours au travail temporaire.

5) À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 148 I 198 consid. 2.2 ; 147 I 308 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_983/2020 du 15 juin 2022 consid. 3.1 ; ACST/25/2022 précité consid. 3 et les références citées).

6) Les recourantes contestent les art. 2 al. 1 phrase introductive et 4 al. 2 à 7 L-AIMP ainsi que les art. 33 al. 1 let. b et 35A RMP.

a. L’art. 2 al. 1 phrase introductive L-AIMP permet à l’autorité adjudicatrice d’infliger ou d’ordonner, en cas de violation du droit des marchés publics pendant la procédure d’adjudication ou l’exécution du contrat, des sanctions et des mesures énumérées aux let. a à d, en particulier le rétablissement d’une situation conforme au droit (art. 2 al. 1 let. d L-AIMP), mesure qui n’était pas prévue par l’ancienne teneur de l’art. 2 al. 1 L-AIMP et à l’encontre de laquelle les recourantes ne prennent aucune conclusion formelle en annulation, puisqu’elles se limitent à demander l’annulation de l’art. 2 al. 1 phrase introductive L-AIMP, sans égard aux sanctions et mesures visées. Cette disposition reprend au demeurant le contenu de la précédente version de la L-AIMP. Étant donné que la chambre de céans est liée par les conclusions du recours (art. 69 al. 1 LPA), elle ne saurait examiner la conformité au droit de l’art. 2 al. 1 let. d L-AIMP, étant précisé que l’art. 2 al. 1 phrase introductive L-AIMP reprend le contenu de l’ancienne teneur de cette disposition et que le recours ne contient aucun grief spécifique à son égard, en contradiction avec les réquisits de l’art. 65 al. 3 LPA.

L’art. 4 L-AIMP, dont l’ancienne teneur donnait déjà la compétence au Conseil d’État d’édicter les dispositions d’exécution de l’AIMP, lui délègue désormais celle de préciser notamment les critères d’aptitude, lui permettant, à cet égard, de limiter le recours à la sous-traitance et, dans les marchés publics de construction, le recours au travail temporaire (art. 4 al. 2 L-AIMP). S’agissant de la sous-traitance, la novelle ne modifie pas l’art. 35 RMP qui y est consacrée, lequel prévoit déjà, à l’instar de l’art. 4 al. 4 L-AIMP, l’interdiction de la sous-traitance au deuxième degré (art. 35 al. 6 RMP), mais pas l’accord de l’autorité adjudicatrice (art. 4 al. 3 L-AIMP). Cela étant, les recourantes, bien que concluant à l’annulation de l’art. 4 al. 3 et 4 L-AIMP et assistées d’un avocat, n’émettent, dans leurs écritures, aucun grief à leur encontre, ce qui n’est pas admissible dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes (art. 65 al. 3 LPA).

b. Seules seront dès lors examinées du point de vue de leur conformité au droit les dispositions en matière de travailleurs temporaires contestées, à savoir l’art. 4 al. 5 à 7 L-AIMP et les art. 33 al. 1 let. b et 35A RMP.

Pour les marchés publics de construction, l’art. 4 al. 5 L-AIMP pose l’exigence que les entreprises soumissionnaires justifient dans leur offre qu’elles disposent du nombre d’employés – exprimé en équivalent temps plein (art. 35A al. 3 RMP) – nécessaires à la réalisation de la prestation, en tenant compte des valeurs limites de travailleurs temporaires fixées à l’art. 4 al. 6 L-AIMP. Ainsi, pour être admises à soumissionner – dans quelque procédure que ce soit, à savoir ouverte, sélective, sur invitation ou de gré à gré (art. 11 ss RMP) –, les entreprises doivent avoir les ressources humaines internes pour pouvoir réaliser le marché objet de la soumission, autrement dit limiter le recours à des travailleurs temporaires pour exécuter le marché considéré. S’il n’interdit pas le recours à des travailleurs temporaires, le critère d’aptitude qu’énonce la disposition considérée, selon l’intitulé de l’art. 4 al. 2 L-AIMP et de l’art. 33 al. 1 let. b RMP, lequel figure dans le chapitre III consacré aux « conditions pour être admis à soumissionner », n’en implique pas moins qu’une entreprise soumissionnaire ne remplissant pas cette condition doit être disqualifiée d’emblée, exclue de la procédure pour le marché en question, dans la première phase d’une procédure sélective ou, en cas de procédure ouverte, avant l’examen de son offre au regard des critères d’adjudication, comme le prévoit l’art. 42 al. 1 let. b RMP.

L’art. 4 al. 6 L-AIMP, auquel se réfère l’art. 35A RMP, lequel est inséré dans le chapitre IV consacré aux offres et précédant celui traitant de l’adjudication, restreint le recours au travail temporaire, par référence au nombre d’employés permanents de l’adjudicataire affectés à la réalisation du marché, par paliers dégressifs fixés d’abord en nombres absolus puis en un pourcentage maximal de 20 %. L’art. 4 al. 7 L-AIMP réserve toutefois des situations particulières, concrétisées à l’art. 35A al. 4 RMP, permettant le dépassement de ces plafonds, à annoncer formellement à l’autorité adjudicatrice avant l’intervention des travailleurs surnuméraires (art. 35A al. 5 RMP). L’art. 35A RMP attribue la compétence à l’autorité adjudicatrice, en termes de pouvoir et de devoir, de contrôler le respect des quotas admissibles de travailleurs temporaires sur les chantiers (al. 6) ainsi que, le cas échéant, de prendre des mesures et de prononcer des amendes administratives (al. 7).

Bien qu’insérées au sein des dispositions applicables à tous les marchés publics des cantons, des communes et des autres organes assumant des tâches cantonales ou communales (art. 1 al. 1, 1ère phr. AIMP), les normes contestées visent les seuls marchés publics de construction desdites collectivités publiques, et non pas les marchés de services et de fournitures, que ces marchés de la construction soient soumis ou non aux traités internationaux, à savoir tant ceux qui atteignent les valeurs seuils fixées notamment par ou en application de l’AMP et de l’accord CH-UE que les marchés internes n’atteignant pas lesdites limites, régis par l’AIMP, la L-AIMP et le RMP.

7) Les recourantes soutiennent que les dispositions litigieuses violeraient la liberté économique, garantie tant par l’art. 27 Cst. que par l’art. 35 Cst-GE.

a. La liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice. Elle protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu, et peut être invoquée tant par les personnes physiques que par les personnes morales (ATF 143 II 598 consid. 5.1). Elle a une fonction institutionnelle, en tant qu’elle exprime, conjointement avec d’autres dispositions constitutionnelles (notamment l’art. 94 Cst.), le choix du constituant en faveur d’un système économique libéral, fondé sur la libre entreprise et la concurrence, et une fonction individuelle, en tant qu’elle assure une protection contre les mesures étatiques restreignant la liberté d’exercer toute activité économique privée, exercée aux fins de production d’un gain ou d’un revenu, à titre principal ou accessoire, dépendant ou indépendant (ATF 143 II 598 consid. 5.1). Ces deux aspects, institutionnel et individuel, sont étroitement liés (ATF 148 II 121 consid. 7.2).

b. La liberté économique comprend le principe de l’égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique. Selon ce principe, déduit des art. 27 et 94 Cst., sont prohibées les mesures étatiques qui ne sont pas neutres sur le plan de la concurrence entre les personnes exerçant la même activité économique. On entend par concurrents directs les membres de la même branche économique qui s’adressent avec les mêmes offres au même public pour satisfaire les mêmes besoins (ATF 148 II 121 consid. 7.1 et les références citées). L’égalité de traitement entre concurrents directs n’est pas absolue et autorise des différences, à condition que celles-ci reposent sur une base légale, qu’elles répondent à des critères objectifs, soient proportionnées et résultent du système lui-même ; il est seulement exigé que les inégalités ainsi instaurées soient réduites au minimum nécessaire pour atteindre le but d’intérêt public poursuivi (ATF 143 I 37 consid. 8.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 du 13 mai 2019 consid. 3.1.1 et les références citées). Sous l’angle de l’égalité de traitement, les art. 27 et 94 Cst. garantissent aux concurrents directs une protection plus étendue que celle offerte par l’art. 8 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 précité consid. 3.1.2).

c. À l’instar de toutes les libertés, la liberté économique individuelle peut être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst. Ces restrictions doivent ainsi reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_139/2021 du 12 juillet 2021 consid. 4.1 et les références citées). L’art. 43 Cst-GE est rédigé de manière similaire.

d. En l’espèce, comme l’a précédemment relevé la chambre de céans (ACST/28/2018 précité consid. 6c et 6d), se déduit de la liberté économique, pour des employeurs, le droit de recourir à de la main-d’œuvre temporaire ou à des employés fixes, et pour des travailleurs celui de mettre en œuvre leur force de travail par le biais d’engagements intérimaires ou fixes, ainsi que, pour des agences de placement de personnel, celui d’être actives dans le domaine du travail temporaire et/ou fixe. Les marchés publics n’étant pas soustraits du champ d’application de la liberté économique, les restrictions apportées au recours au travail temporaire par les normes litigieuse affectent la liberté économique non seulement des entreprises soumissionnaires sur les marchés publics de la construction et des travailleurs à pouvoir y être engagés à titre intérimaire, mais aussi des agences de placement de personnel qui, à l’instar des sociétés recourantes, proposent à des soumissionnaires de faire appel, pour la réalisation de marchés publics, à des travailleurs temporaires. Les dispositions litigieuses emportent dès lors une ingérence dans la liberté économique, dont la justification sera examinée ci-dessous.

8) Les recourantes soutiennent d’abord que les dispositions litigieuses ne seraient pas conformes au principe de la légalité, grief qui se confond avec l’examen de la première des conditions de restriction aux libertés liée à la base légale et prévue à l’art. 36 al. 1 Cst.

a. En effet, le principe de la légalité s’impose notamment dans le domaine des droits fondamentaux. Les restrictions graves à une liberté nécessitent une réglementation expresse dans une loi au sens formel (art. 36 al. 1 Cst. ; ATF 143 I 310 consid. 3.3.1). Lorsque la restriction d’un droit fondamental n’est pas grave, la base légale sur laquelle elle se fonde ne doit pas nécessairement être prévue par une loi, mais peut se trouver dans des actes de rang inférieur ou dans une clause générale (ATF 131 I 333 consid. 4). Savoir si une restriction à un droit fondamental est grave s’apprécie en fonction de critères objectifs (ATF 139 I 280 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_427/2020 du 25 mars 2021 consid. 7.2.1).

La base légale requise, matérielle ou formelle, doit avoir un degré de précision suffisant pour que son application soit prévisible. L’exigence de la densité normative n’est pas absolue, car on ne saurait ordonner au législateur de renoncer totalement à recourir à des notions générales, comportant une part nécessaire d’interprétation. Cela tient à la nature générale et abstraite inhérente à toute règle de droit et à la nécessité qui en découle de laisser aux autorités d’application une certaine marge de manœuvre lors de la concrétisation de la norme. Pour déterminer quel degré de précision on est en droit d’exiger de la loi, il faut tenir compte du cercle de ses destinataires et de la gravité des atteintes qu’elle autorise aux droits fondamentaux (ATF 147 I 393 consid. 5.1.1 ; ACST/13/2022 du 14 octobre 2022 consid. 11b).

b. Le principe de la légalité s’applique de façon plus générale à l’activité de l’État régi par le droit (art. 5 al. 1 Cst.). En droit constitutionnel genevois, le principe de la légalité se trouve ancré, dès les premières dispositions de la Cst-GE, par l’affirmation que les structures et l’autorité de l’État sont fondées sur le principe de la séparation des pouvoirs (art. 2 al. 2 Cst-GE) et par l’exigence que l’activité publique se fonde sur le droit (art. 9 al. 2 Cst-GE).

Le principe de la séparation des pouvoirs impose en particulier le respect des compétences établies par la constitution et prohibe à un organe de l’État d’empiéter sur les compétences d’un autre organe. Il interdit ainsi au pouvoir exécutif d’édicter des dispositions qui devraient figurer dans une loi, si ce n’est dans le cadre d’une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_38/2021 du 3 mars 2021 consid. 3.2.1). Les règlements d’exécution doivent dès lors se limiter à préciser certaines dispositions légales au moyen de normes secondaires, à en combler le cas échéant les véritables lacunes et à fixer si nécessaire des points de procédure (ATF 139 II 460 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_660/2021 du 28 juin 2022 consid. 5.2).

À Genève, le Grand Conseil exerce le pouvoir législatif (art. 80 Cst-GE) et adopte les lois (art. 91 al. 1 Cst-GE), tandis que le Conseil d’État, détenteur du pouvoir exécutif (art. 101 Cst-GE), joue un rôle important dans la phase préparatoire de la procédure législative (art. 109 al. 1 à 3 et 5 Cst-GE), promulgue les lois et est chargé de leur exécution et d’adopter à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 Cst-GE). Il peut ainsi adopter des normes d’exécution, soit des normes secondaires, sans qu’une clause spécifique dans la loi soit nécessaire. Celles-ci peuvent établir des règles complémentaires de procédure, préciser et détailler certaines dispositions de la loi, éventuellement combler de véritables lacunes. Elles ne peuvent en revanche pas, à moins d’une délégation expresse, poser des règles nouvelles qui restreindraient les droits des administrés ou leur imposeraient des obligations, même si ces règles sont conformes au but de la loi (ATF 147 V 328 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_776/2020 du 7 juillet 2022 consid. 7.2). Pour que le Conseil d’État puisse édicter des normes de substitution, ou normes primaires, il faut qu’une clause de délégation législative l’y habilite (ATF 133 II 331 consid. 7.2.1 ; ACST/22/2022 précité consid. 6a), étant précisé que la constitution cantonale ne doit pas l’interdire et que la délégation doit figurer dans une loi au sens formel, se limiter à une matière déterminée et indiquer le contenu essentiel de la réglementation si elle touche les droits et obligations des particuliers (ATF 133 II 331 consid. 7.2.1 ; ACST/30/2021 du 29 juin 2021 consid. 6c).

c. Amenée à se prononcer sur la conformité au droit de la précédente teneur du RMP, dont la contenu a, pour l’essentiel, été repris par les dispositions litigieuses, la chambre de céans a considéré que, compte tenu déjà de la proportion élevée des marchés publics dans le domaine de la construction, à savoir près de 50 % dans le secteur des bâtiments et près de 90 % dans celui du génie civil, les restrictions en cause avaient un impact potentiellement important sur tout un pan d’activité d’agences de location de personnel temporaire, de même que pour des entreprises soumissionnaires et des travailleurs intérimaires. Quand bien même elles ne constituaient pas une interdiction d’accès aux marchés publics de la construction ni n’avaient le plein effet d’une telle interdiction, elles impliquaient potentiellement une sérieuse restriction d’accès effectif auxdits marchés et donc une entrave suffisamment grave à la liberté économique pour que la légitimité de telles mesures dût reposer sur une loi formelle. Tel était particulièrement le cas de l’exigence de donner tout renseignement à l’autorité adjudicatrice dès le stade initial de l’appel d’offres sur l’effectif et la qualité du personnel du soumissionnaire et de celle relative aux valeurs limites de travailleurs temporaires lors de l’exécution d’un marché adjugé déjà au moment de la soumission. Les mesures édictées étaient d’autant plus graves qu’elles s’appliquaient à l’ensemble des marchés de la construction, soumis ou non aux traités internationaux, et que leur violation exposait les contrevenants à une amende administrative dont la quotité était susceptible d’être élevée (ACST/28/2018 précité consid. 9a).

En tout état de cause, même si les dispositions litigieuses ne devaient pas être comprises comme des restrictions graves à la liberté économique, des exigences visant à atteindre des objectifs secondaires, elles-mêmes étrangères aux marchés de la construction, devaient s’appuyer sur une loi formelle pour être valables (ACST/28/2018 précité consid. 9b). Or, les normes en cause étaient de rang réglementaire et ne suffisaient ainsi pas à constituer une base légale à des restrictions apportées au recours à de la main d’œuvre temporaire dans les marchés publics de la construction, à moins qu’elles ne reposassent sur une clause de délégation législative ou fussent des règles secondaires, ce qui n’était pas non plus le cas (ACST/28/2018 précité consid. 10).

Les dispositions contestées prêtaient également le flanc à la critique, toujours sous l’angle du principe de la légalité, en tant que leur violation exposait les contrevenants à une amende administrative, ledit principe s’appliquant aux sanctions administratives non seulement concernant le type et la quotité de la peine mais aussi la description du comportement délictueux (ACST/28/2018 précité consid. 10e).

La chambre de céans a dès lors annulé les dispositions litigieuses pour défaut de base légale (ACST/28/2018 précité consid. 11).

d. À la suite de cet arrêt, le Grand Conseil a adopté la loi 13'018, à savoir une loi formelle, qui reprend en substance les dispositions réglementaires annulées par la chambre de céans. En effet, pour les marchés de construction, l’art. 4 al. 5 L-AIMP impose aux soumissionnaires de justifier dans leur offre qu’ils disposent du nombre d’employés nécessaires à la réalisation de la prestation, l’art. 4 al. 6 L-AIMP fixant des valeurs limites de travailleurs temporaire sur un chantier. L’art. 4 al. 2 L-AIMP permet au Conseil d’État de préciser notamment les critères d’aptitude et de limiter le recours au travail temporaire dans les marchés de construction. L’art. 4 al. 7 L-AIMP délègue également la compétence au Conseil d’État de prévoir des exceptions aux valeurs limites fixées à l’art. 4 al. 6 L-AIMP. En outre, contrairement à l’ancienne teneur du RMP objet de l’ACST/28/2018 précité, la teneur de la L-AIMP ne permet pas de supposer que le soumissionnaire doive disposer déjà lors du dépôt de son offre de l’effectif suffisant pour exécuter le marché, de sorte qu’il peut soumissionner en intégrant par anticipation les effectifs complémentaires composés de travailleurs temporaires, dans la mesure admise par l’art 4 al. 6 et 7 L-AIMP. La gravité de la restriction envisagée doit dès lors être relativisée par rapport à l’arrêt précité. Par ailleurs, les contrevenants à ces dispositions s’exposent aux sanctions visées à l’art. 2 al. 1 let. c L-AIMP ou à la mesure prévue à l’art. 2 al. 1 let. d L-AIMP, ces articles s’appliquant en cas de violation du droit des marchés publics, dont l’art. 4 L-AIMP, si bien que, de ce point de vue également, le principe de la légalité est respecté. Dans ce cadre, l’art. 35A al. 7 RMP ne prévoit rien de nouveau mais constitue un simple rappel du comportement pouvant être sanctionné ou pouvant donner lieu à une mesure au sens de l’art. 2 al. 1 L-AIMP, qui prévoit des sanctions de nature administrative, et non pénale (ATF 148 II 106 consid. 4.5.5).

Les recourantes soutiennent que la densité normative des dispositions litigieuses ne serait pas suffisante, dès lors que les termes « chantier » (art. 4 al. 6 L-AIMP), « spécialiste » (art. 35A al. 4 let. a RMP), « circonstances imprévues » (art. 35A al. 4 let. c RMP) ainsi que le déroulement de la procédure d’annonce (art. 35A al. 5 RMP) manqueraient de précision. Outre le fait que le terme de « chantier » s’interprète à la lumière du droit des marchés publics, en particulier de construction, à l’échelle de l’ouvrage qu’il vise à créer (art. 2 let. d et annexe 3 RMP), il figure déjà dans un certain nombre d’autres dispositions, comme l’art. 2 al. 4 L-AIMP qui a trait au refus d’accès au chantier en cas de refus de collaborer, l’art. 35B al. 3 RMP qui concerne le retrait du chantier des travailleurs mis à disposition ou encore l’annexe 3 RMP ayant trait à la liste des marchés de construction soumis aux traités internationaux, dont la préparation des sites et des chantiers de construction. À cela s’ajoute que le législateur, formel et matériel, doit pouvoir laisser aux autorités une certaine marge de manœuvre lors de l’application des normes en cause. Tel est en particulier le cas de la notion de « spécialiste », figurant à l’art. 35A al. 4 let. a RMP, et de celle de « circonstances imprévues » selon l’art. 35A al. 4 let. c RMP, soit des dispositions adoptées par le Conseil d’État sur la base de la délégation de l’art. 4 al. 7 L-AIMP, et qui doivent pouvoir tenir compte des spécificités du cas particulier pour faire bénéficier les entreprises concernées des exceptions aux limitations d’employés temporaires. Dans ce sens, contrairement à ce que les recourantes semblent alléguer, rien ne justifiait qu’elles figurent dans une loi au sens formel, étant donné qu’elles ne constituent pas des limitations au recours au travail temporaire, mais des clauses d’exceptions permettant un recours plus large à ce type de travailleurs pour les motifs énumérés. Enfin, le déroulement de la procédure d’annonce est décrit à l’art. 35A al. 5 RMP, lequel prévoit que les situations particulières au sens de l’art. 35A al. 4 RMP doivent faire l’objet d’une annonce formelle auprès de l’autorité adjudicatrice, démarche préalable nécessaire avant l’intervention des travailleurs temporaires supplémentaires. Comme l’indiquent les intimés, ladite procédure, qui ne le prévoit du reste pas, n’implique pas une autorisation préalable de la part de l’autorité, mais sa seule information par le biais d’une annonce préalable.

Les recourantes semblent reprocher à l’art. 35A RMP de ne pas reposer sur une base légale suffisante. La loi formelle, soit les art. 4 al. 2 et 7 L-AIMP, délègue toutefois au Conseil d’État la compétence de préciser les critères d’aptitude et de limiter le recours au travail temporaire dans les marchés de construction, ainsi que de prévoir des exceptions pour les situations particulières. Ces clauses de délégation se limitent à des matières déterminées et indiquent le contenu essentiel de la réglementation que le Conseil d’État peut adopter, lequel ne les a pas outrepassées en édictant les art. 33 al. 1 let. b et 35A RMP. En effet, l’art. 35A al. 1 à 3 RMP reprend en particulier les principes posés par l’art. 4 al. 5 et 6 L-AIMP, en rappelant la limitation du recours à la main-d’œuvre temporaire dans les marchés de construction, en précisant le calcul du nombre d’employés et son expression en équivalent temps plein. Conformément à la délégation de l’art. 4 al. 7 L-AIMP, l’art. 35A al. 4 RMP règle les situations particulières, soit les exceptions aux valeurs limités, et l’art. 35A al. 5 à 8 RMP la procédure y relative. Les dispositions précitées ne contreviennent dès lors pas non plus au principe de la légalité sous l’angle de la séparation des pouvoirs.

Il en résulte que la restriction en cause est conforme à l’art. 36 al. 1 Cst.

9) Les recourantes voient dans les normes attaquées des mesures de politique économique, contraires à la liberté économique dans sa dimension individuelle et institutionnelle.

a. Du point de vue de l’intérêt public pouvant justifier une restriction à la liberté économique, la jurisprudence distingue les mesures de police, qui visent à protéger l’ordre public, les mesures de politique sociale ainsi que les mesures dictées par la réalisation d’autres intérêts publics qui ne servent pas en premier lieu des intérêts économiques (ATF 145 I 73 consid. 6.1). Sont dites sociales ou de politique sociale les mesures qui tendent à procurer du bien-être à l’ensemble ou à une grande partie des citoyens, ou à accroître ce bien-être par l’amélioration des conditions de vie, de la santé ou des loisirs (ATF 143 I 403 consid. 5.2 et les références citées). Sur le plan institutionnel, des dérogations au principe de la liberté économique ne sont admises que si elles sont prévues par la Cst. ou fondées sur les droits régaliens des cantons (ATF 143 I 403 consid. 5.2). Contrairement aux mesures d’ordre économique, qui sont susceptibles d’entraver, voire de déroger à la libre concurrence, les mesures étatiques poursuivant des motifs d’ordre public, de politique sociale ou des mesures ne servant pas en premier lieu des intérêts économiques, comme l’aménagement du territoire et la politique environnementale, sortent d’emblée du champ de protection de l’art. 94 Cst. (ATF 143 I 403 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_291/2018 du 7 août 2018 consid. 4.1).

La détermination de l’intérêt public est une question de nature éminemment politique, qui est prioritairement du ressort des pouvoirs législatif et exécutif. Elle est susceptible de varier dans le temps et l’espace, mais aussi au regard des droits fondamentaux considérés (ATF 142 I 49 consid. 8.1 ; Jacques DUBEY, ad art. 36 Cst., n. 113 p. 1'101, in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand de la Cst., Bâle, 2021). Au vu du processus démocratique suivi, la chambre constitutionnelle fait montre d’une certaine réserve, ce qui ne l’empêche toutefois pas de s’assurer que l’intérêt public invoqué concerne une problématique réelle appelant une intervention étatique. Elle peut se référer à cet effet aux valeurs communément ressenties comme importantes au sein de la population, en particulier à celles qu’expriment les constitutions fédérale et cantonale (ACST/22/2017 du 3 novembre 2017 consid. 9b et les références citées).

b. En l’espèce, il ressort de l’exposé des motifs relatif au PL 13'018 que ce dernier visait à ce que l’évaluation de la capacité du soumissionnaire à réaliser le marché, sélectionné pour ses compétences et ses références, ne soit pas faussée par un recours trop important à la sous-traitance ou à la main-d’œuvre temporaire, la participation d’entreprises de type « boîte aux lettres », qui ne disposaient pas de personnel fixe, devant être évitée. Les dispositions en cause visent ainsi à renforcer la pertinence des critères de sélection des entreprises dans les procédures de passation des marchés publics de construction dans l’optique de garantir des prestations de qualité correspondant à celles ayant conduit à la sélection de l’entreprise en cause, en cohérence avec ses compétences et ses références, et conformément au but poursuivi par le droit des marchés publics rappelé à l’art. 1 al. 3 let. d AIMP consistant à permettre une utilisation parcimonieuse des deniers publics. Elles s’appliquent en outre à l’ensemble des acteurs de la construction, pour tout marché public dans ce secteur. Il s’agit dès lors d’un but d’intérêt public pertinent, ce qu’a au demeurant retenu le Tribunal fédéral (arrêt 2C_661/2019 du 17 mars 2021 consid. 5.2) ne ressortissant pas à des mesures de politique économique.

Il ressort en outre des travaux parlementaires que le législateur a également voulu, par le biais de la limitation du travail temporaire sur les chantiers de construction soumis aux marchés publics, prendre des mesures de politique sociale et de protection de la santé visant à lutter contre les conséquences négatives résultant d’un recours illimité au travail temporaire, conformément au constat des partenaires sociaux et des problèmes relevés depuis plusieurs années sur les chantiers. Comme l’ont indiqué les représentants des syndicats et des associations patronales entendus devant la commission parlementaire, ce qui ressort également du dossier de l’USS produit par les intimés, le recours au travail temporaire dans ce secteur avait fortement progressé ces dernières années, y compris à Genève, les travailleurs concernés étant exposés à des risques accrus d’accident, que les formations entreprises sous l’égide de F______ n’avaient pas réussi à endiguer. Les représentants de cette dernière ont d’ailleurs admis que les données établies dans ce cadre par la Suva étaient exactes. À ces risques d’accident s’ajoutent en outre d’autres éléments, comme une précarité sous l’angle de la retraite anticipée – étant donné les années continues de cotisation requises et péjorent dans une large mesure les travailleurs temporaires, et ce malgré l’extension des couvertures conventionnelles aux travailleurs temporaires selon l’art. 20 al. 3 de la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services du 6 octobre 1989 (LSE - RS 823.11 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_210/2020 du 28 mai 2021 consid. 4.2) – ou du versement de l’indemnité en cas d’intempéries, dont les travailleurs temporaires ne peuvent pas bénéficier, une absence d’intégration au sein de l’entreprise de mission ou encore le caractère stigmatisant dans la durée de ce type d’engagement. Par ailleurs, il ressort également des travaux en commission parlementaire que le PL permettait d’œuvrer en faveur de la formation d’apprentis, conformément d’ailleurs à l’art. 33 al. 1 let. b RMP, ce que le recours à un nombre illimité de travailleurs temporaires ne peut pas garantir. Les justifications fournies, au demeurant étayées par les constats des partenaires sociaux, au fait des réalités du terrain, dénotent des préoccupations de protection de la santé et de politique sociale et ne poursuivent pas la finalité d’influencer la libre concurrence, de sorte que les dispositions litigieuses s’avèrent conformes au principe de la liberté économique et constituent un intérêt public admissible sous l’angle des restrictions à la liberté économique sous l’angle individuel.

La restriction est par conséquent également admissible sous l’angle de l’art. 36 al. 2 Cst.

10) Les recourantes contestent la proportionnalité de la limitation du recours au travail temporaire sur les marchés publics de construction.

a. Pour être conforme au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), une restriction d’un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé, lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive ; il faut en outre qu’il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 147 I 393 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 6.1).

b. En l’espèce, les recourantes soutiennent que les mesures en cause ne permettraient pas d’atteindre leur cible et conduiraient les entreprises à se tourner vers d’autres formes de travail flexibles, avec une protection sociale moindre et des contrôles limités. Outre le fait que ces arguments relèvent de suppositions et sont exorbitantes au litige, les dispositions contestées, en limitant, par le biais de nombres absolus ou d’un certain pourcentage, le travail temporaire sur les marchés publics de construction, permettent d’atteindre les buts d’intérêt public susvisés, non seulement du point de vue du droit des marchés publics, en garantissant que les prestations correspondent à celles ayant conduit à la sélection de l’entreprise en cause, mais aussi du point de vue de la lutte contre les conséquences sanitaires et sociales négatives résultant d’un recours illimité au travail temporaire, notamment en réduisant les accidents de travail. Contrairement aux allégués des recourantes, un déplacement du problème de la main-d’œuvre temporaire vers le secteur privé, du fait que des entreprises actives sur des mandats publics et privés engageraient les travailleurs temporaires plutôt pour l’exécution des commandes privées au détriment des marchés publics pour satisfaire aux quotas fixés, ne permet pas de démontrer l’inaptitude des dispositions en cause, qui n’ont vocation à s’appliquer qu’aux marchés publics de construction, et non pas à l’ensemble du domaine de la construction. En matière de marchés publics, les nouvelles mesures produisent à l’évidence des effets utiles aux objectifs visés.

Les recourantes contestent la nécessité de la novelle, étant donné que la sécurité au travail et les conditions sociales des travailleurs temporaires seraient suffisamment protégées par les dispositions des lois et des CCT, notamment au niveau des formations mises en place. Il ressort toutefois des indications des partenaires sociaux, du dossier de l’USS et des données de la Suva que lesdites formations, si elles ont certes permis une certaine amélioration de la situation, n’ont pas endigué les risques d’accidents de manière significative. Les représentants de F______ n’ont du reste pas dit autre chose devant la commission parlementaire en indiquant que ce n’était pas la forme du travail qui impliquait un plus grand nombre d’accidents, mais le fait que les travailleurs temporaires soient nouveaux dans l’entreprise, ce qui est bien le cas en l’occurrence des travailleurs concernés et qui constitue un facteur de risque d’accident. Par ailleurs, en affirmant que les dispositions litigieuses auraient le cas échéant pu faire l’objet d’un critère social pondéré intégré dans l’appel d’offres, les recourantes leur reprochent de constituer un critère d’aptitude, et non d’adjudication. Une telle approche n’atteindrait toutefois pas les objectifs visés et permettrait à une entreprise soumissionnaire, par le biais de la pondération des différents critères d’adjudication, de se voir adjuger le marché malgré un nombre de travailleurs temporaires supérieur aux exigences fixées par l’autorité adjudicatrice.

S’agissant de la proportionnalité au sens étroit, contrairement à ce que semblent alléguer les recourantes, la réglementation litigieuse ne prévoit pas une interdiction du travail temporaire dans les marchés publics de construction, seul domaine dans lequel elle s’applique au demeurant, mais sa limitation sur un chantier selon des paliers progressifs en fonction des employés fixes y étant affectés, puis selon un pourcentage, de 20 %, dès vingt et un employés fixes. Ces paliers et ce pourcentage ont été fixés en concertation avec les partenaires sociaux, en fonction des constats relevés en pratique. En les critiquant, les recourantes se limitent en outre à opposer leur appréciation à celle du législateur, qui dispose dans ce cadre d’une marge de manœuvre étendue, sans démontrer en quoi ils ne seraient pas adéquats ou seraient déraisonnables. L’on ne voit du reste pas en quoi les petites entreprises seraient défavorisées par rapport aux plus grandes, étant donné le ratio élevé de travailleurs temporaires qu’elles peuvent affecter à l’exécution d’un chantier, pouvant aller jusqu’à 66 % (art. 4 al. 6 let. a L-AIMP). L’art. 4 al. 7 L-AIMP réserve des exceptions à ces valeurs limites dans des situations particulières, qui ont été concrétisées par l’art. 35A al. 4 RMP, et qui peuvent ainsi être dépassées pour les postes de spécialistes ne faisant pas partie de l’effectif standard de l’entreprise, pour les travaux devant être impérativement exécutés pendant les vacances scolaires ou dans des circonstances imprévues, non imputables à l’entreprise. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les recourantes, lesdites exceptions bénéficient d’une procédure de mise en œuvre facilitée, requérant une simple annonce formelle auprès de l’autorité adjudicatrice avant l’intervention des travailleurs surnuméraires (art. 35A al. 5 RMP). À cela s’ajoute que, contrairement à la modification du RMP précédemment annulée par la chambre de céans, la réglementation litigieuse ne prévoit plus que le soumissionnaire doit disposer déjà lors du dépôt de son offre de l’effectif d’employés fixes suffisant pour exécuter le marché, ce qui relativise également la restriction à la liberté économique des entreprises concernées.

Il résulte de ce qui précède que les dispositions attaquées respectent le principe de la proportionnalité dans ses différents aspects et constituent ainsi des restrictions admissibles à la liberté économique des recourantes, étant précisé qu’elles n’opèrent pas non plus d’inégalité de traitement ni ne s’avèrent discriminatoires, dès lors qu’elles s’appliquent indistinctement à toute entreprise souhaitant soumissionner à un marché public de construction dans le canton. De ce point de vue également, elles n’emportent pas d’inégalité entre concurrents. Elles ne s’avèrent au demeurant pas non plus arbitraires ni contraires au principe de la bonne foi, grief que les recourantes ne motivent d’ailleurs pas.

11) Invoquant la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), les recourantes soutiennent que les dispositions entreprises ne seraient pas du ressort du canton, étant donné l’exhaustivité de la législation fédérale en matière de protection des travailleurs.

a. Garanti à l’art. 49 al. 1 Cst., le principe de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l’esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu’elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 148 II 121 consid. 8.1). Cependant, même si la législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut subsister dans le même domaine en particulier si elle poursuit un autre but que celui recherché par le droit fédéral. En outre, même si, en raison du caractère exhaustif de la législation fédérale, le canton ne peut plus légiférer dans une matière, il n’est pas toujours privé de toute possibilité d’action. Ce n’est que lorsque la législation fédérale exclut toute réglementation dans un domaine particulier que le canton perd toute compétence pour adopter des dispositions complétives, quand bien même celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient même en accord avec celui-ci (ATF 148 I 198 consid. 3.4).

b. La répartition des compétences entre la Confédération et les cantons en matière de droit du travail résulte de l’art. 110 Cst. pour le droit public et de l’art. 122 Cst. pour le droit civil. En vertu de l’art. 122 al. 1 Cst., la législation en matière de droit civil et de procédure civile relève de la compétence de la Confédération. En adoptant, en particulier, le CC et la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (CO - RS 220), le législateur fédéral a entendu codifier l’ensemble du droit privé. Sous réserve des compétences que le droit privé fédéral a expressément laissées aux cantons (art. 5 CC), le volet du droit privé fédéral relatif au droit du travail est donc exhaustivement réglementé par le droit fédéral.

Conformément à l’art. 110 al. 1 let. a, b et c Cst., la Confédération peut légiférer sur la protection des travailleurs, sur les rapports entre employeurs et travailleurs ainsi que sur le service de placement. En la matière, la Confédération dispose de compétences concurrentes non limitées aux principes. Elle a fait usage de ses compétences en adoptant la loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr - RS 822.11), qui contient, notamment, des dispositions sur la protection de la santé (art. 6 LTr). D’après la jurisprudence, avec l’adoption de la LTr et des ordonnances y afférentes, la Confédération a élaboré une réglementation très étendue concernant la protection générale des travailleurs (ATF 148 I 198 consid. 3.5.2 et 3.6), qui est exhaustive. La LTr n’empêche cependant pas l’adoption de mesures qui, sans avoir pour but principal de protéger les travailleurs, ont accessoirement un effet protecteur puisque, d’une part, l’art. 71 let. c LTr réserve les prescriptions cantonales et communales de police, notamment celles qui concernent la police des constructions, la police du feu, la police sanitaire et la police des eaux, ainsi que le repos dominical et les heures d’ouverture de certaines entreprises et que, d’autre part, elle ne fait pas obstacle à l’adoption de certaines mesures de politique sociale, et ce même si elles ne sont pas expressément couvertes par l’art. 71 let. c LTr, dont la formulation est exemplative (ATF 143 I 403 consid. 7.5.2 et les références citées).

La Confédération a également fait usage de la compétence notamment de l’art. 110 al. 1 Cst. en édictant la LSE, qui régit la location de services, à savoir les relations tripartites entre un employeur (bailleur), une entreprise locataire et un travailleur (ATF 148 II 203 consid. 3.3.2). La LSE impose des exigences spécifiques aux bailleurs de services, en les soumettant à un régime d'autorisation obligatoire (art. 12 s. LSE) et en énonçant diverses obligations du bailleur de services (art. 14 ss LSE), conditions exhaustivement fixées par la loi.

c. En l’espèce, les dispositions querellées n’ont pas pour but de régir les relations de travail ni de réglementer la location de services, pas plus que de renforcer la protection conférée par la LTr ou la LSE relatives à la protection des travailleurs et aux conditions de travail, mais de limiter, sur les marchés publics cantonaux de construction, le recours au travail temporaire. Il s’agit, d’une part, de permettre la mise en œuvre du droit des marchés publics au plan cantonal, en s’assurant que les qualités ayant valu à l’entreprise d’être sélectionnée se retrouvent lors de l’exécution du marché, par la présence des équipes qui font l’expérience et l’organisation de l’entreprise et qui ont l’habitude de collaborer, ce qui participe du reste à l’utilisation efficiente des deniers publics. D’autre part, la réglementation litigieuse vise à endiguer les conséquences sociales et sanitaires négatives liées à un recours illimité au travail temporaire, en forte augmentation en particulier dans le domaine de la construction, au vu des risques accrus d’accidents sur les chantiers des travailleurs temporaires et de leur statut précaire sur le long terme, conformément aux constats des partenaires sociaux, ce qui relève de la politique sociale. Dans ce cadre, les mesures consacrées par les dispositions litigieuses s’insèrent dans la législation protectrice de droit public que les cantons demeurent en principe autorisés à adopter, en dépit des dispositions de droit civil fédéral relatives au travail ainsi qu’en complément aux mesures de droit public que consacre en particulier la LTr. Il sera en outre relevé que même si de telles prescriptions, comme celle du cas d’espèce, peuvent indirectement déployer un effet protecteur pour les travailleurs, la jurisprudence admet néanmoins un tel effet dans la mesure où ces règles poursuivent un autre objectif principal que celui visé par la LTr (ATF 143 I 403 consid. 7.5.4 et les références citées). Tel est le cas des dispositions litigieuses, dont les objectifs dépassent le but de protection des seuls travailleurs et s’insèrent dans un cadre plus large, tenant à la mise en œuvre du droit des marchés publics, à la sécurité sur les chantiers et à l’accroissement du bien-être des travailleurs qui œuvrent sur les chantiers publics de construction.

À cela s’ajoute que les cantons sont compétents pour réglementer la passation de leurs propres marchés (art. 3 Cst. ; ATF 130 I 156 consid. 2.6), sous réserve du respect des accords internationaux notamment. Sur la base de l’AIMP, les cantons signataires, dont Genève, doivent édicter des dispositions en la matière, en particulier en prévoyant des critères d’aptitude (art. 3 et 13 let. d AIMP), afin de garantir la mise en œuvre des objectifs du droit des marchés publics, ce que les intimés ont fait en édictant les dispositions litigieuses régissant les conditions d’accès à leurs marchés publics de construction. Dans ce cadre, en soutenant que le canton ne disposerait d’aucune compétence expresse pour légiférer, les recourantes perdent de vue le système de répartition des compétences institué par l’art. 3 Cst., selon lequel les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Cst. et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération. Le grief tombe dès lors à faux.

Ainsi, au vu de leur finalité, les dispositions de la L-AIMP et du RMP entreprises ne contreviennent pas au droit fédéral sous l’angle de l’art. 49 al. 1 Cst.

12) Selon les recourantes, la réglementation contestée serait contraire au droit des marchés publics, qui n’autoriserait pas les intimés à édicter des critères d’aptitude « étrangers au marché ».

a. Les critères d’adjudication (ou d’attribution) se rapportent directement à la prestation elle-même et indiquent au soumissionnaire comment l’offre économiquement la plus avantageuse sera évaluée et choisie. Ils doivent être distingués des critères d’aptitude (ou de qualification) qui visent à évaluer les capacités financières, économiques, techniques et organisationnelles des candidats afin de s’assurer que le soumissionnaire dispose des capacités suffisantes afin de réaliser le marché (ATF 140 I 285 consid. 5.1 et les références citées). Les entreprises soumissionnaires qui ne remplissent pas l’un des critères d’aptitude posés voient leur offre exclue, alors que la non-réalisation d’un critère d’adjudication n’est pas éliminatoire mais peut être compensée par une pondération avec d’autres critères d’adjudication (ATF 141 II 353 consid. 7.1).

b. La jurisprudence n’exclut pas le recours à des critères étrangers au marché (ou critères secondaires), comme des critères sociaux ou environnementaux, pour autant qu’ils soient prévus par une disposition légale (ATF 140 I 285 consid. 7.1). Le Tribunal fédéral n’a en particulier pas interdit la prise en compte du critère des apprentis, qui était expressément prévu par le droit cantonal en cause (ATF 129 I 313 consid. 8 et 9). Il a en outre récemment précisé que le législateur cantonal avait la possibilité de restreindre l’emploi de personnel temporaire dans le cadre de marchés publics, pour autant que de telles restrictions, bien que potentiellement indirectement discriminatoires, soient conformes au droit national et international et à la jurisprudence pertinente, en particulier qu’elles soient fondées sur des raisons impérieuses d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi, ces intérêts pouvant être fondés sur des critères d’aptitude ou être de nature sociale. Dans ce cadre, pour garantir une prestation de qualité, la loi pouvait prévoir que la partie contractante exige de l’entreprise soumissionnaire qu’elle soit stable en termes de personnel ou du soumissionnaire retenu que la plupart des travailleurs employés pour l’exécution du contrat, même dans des fonctions subalternes, soient déjà employés par l’entreprise et non pas recrutés à cette fin (arrêt du Tribunal fédéral 2C_661/2019 précité consid. 5.2).

Sur le plan européen, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après : CJUE) reconnaît également que des critères d’adjudication de nature sociale ou environnementale puissent être pris en compte, même s’ils n’ont qu’un lien indirect avec le marché (arrêt de la CJUE C-368/10 du 10 mai 2012, Commission européenne contre Pays-Bas, ch. 63 ss et 82 ss). La directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, qui abroge la directive 2004/18/CE sur les marchés publics (JO L 94 du 28 mars 2014 p. 65), renforce du reste cette conception lorsqu’elle souligne l’importance de garantir les exigences applicables dans les domaines environnemental, social et du travail, qui n’ont pas forcément de lien avec le marché, par exemple l’emploi de chômeurs de longue durée. Par ailleurs, l’accord CH-UE ne prévoit pas de disposition supplémentaire au sujet des critères d’aptitude et d’adjudication, se référant à l’offre économiquement la plus avantageuse seulement (art. 4 § 1 let. e accord CH-UE).

c. La loi fédérale sur les marchés publics du 21 juin 2019 (LMP - RS 172.056.1) prévoit que les critères d’aptitude doivent être objectivement nécessaires et vérifiables pour le marché en cause (art. 27 al. 1 LMP). Lesdits critères peuvent concerner en particulier les capacités professionnelles, financières, économiques, techniques et organisationnelles des soumissionnaires ainsi que leur expérience (art. 27 al. 2 LMP). L’art. 29 LMP contient une liste de critères d’adjudication qui, outre le prix et la qualité de la prestation, ont trait notamment au développement durable (al. 1) ou à la mesure dans laquelle les soumissionnaires offrent des places de formation professionnelle initiale, des places de travail pour les travailleurs âgés ou une réinsertion pour les chômeurs de longue durée (al. 2), soit des critères qui n’ont plus forcément de lien direct avec le marché. Au titre des principes généraux, l’art. 12 al. 1 et 3 LMP prévoit en outre que les marchés publics portant sur des prestations à exécuter en Suisse ne sont adjugés qu’à des soumissionnaires qui respectent notamment les dispositions relatives à la protection des travailleurs et de l’environnement.

d. Pour les marchés cantonaux, l’art. 13 AIMP laisse aux cantons le soin d’édicter les dispositions d’exécution nécessaires pour garantir, entre autres, une procédure d’examen de l’aptitude des soumissionnaires selon des critères objectifs et vérifiables (let. d) ainsi que des critères d’attribution propres à adjuger le marché à l’offre économiquement la plus avantageuse (let. f). Certains principes doivent être respectés par toutes les entreprises qui soumissionnent. Tel est le cas du respect des dispositions relatives à la protection des travailleurs, aux conditions de travail et de l’égalité de traitement entre femmes et hommes (art. 11 let. e et f AIMP), indépendamment du lien entre ces exigences et l’aptitude de l’entreprise à réaliser le marché (ATF 140 I 285 consid. 5.1 et les références citées). L’AIMP, n’exclut pas la possibilité pour les cantons de prévoir certains critères de nature environnementale ou sociale qui n’ont qu’un lien indirect avec le marché (ATF 140 I 285 consid. 7.3).

L’AIMP révisé le 15 novembre 2019 (ci-après : AIMP 2019), auquel le canton de Genève n’a, en l’état, pas adhéré, reprend en substance les dispositions de la LMP. L’art. 27 al. 1 et 2 AIMP 2019 prévoit ainsi que les critères d’aptitude doivent être objectivement nécessaires et vérifiables pour le marché concerné et peuvent porter en particulier sur les capacités professionnelles, financières, économiques, techniques et organisationnelles des soumissionnaires ainsi que leur expérience, cette énumération n’étant pas exhaustive.

e. En l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les recourantes, les dispositions litigieuses ne prévoient pas des exigences visant à atteindre des objectifs secondaires étrangers aux marchés de construction. En effet, par la limitation du recours au travail temporaire, elles visent à permettre l’appréciation des aptitudes professionnelles des entreprises soumissionnaires, notamment sur la base de la qualité de l’organisation mise en place, aux fins de l’exécution du marché et se trouvent dès lors en rapport avec la prestation à accomplir, et ce conformément à l’objectif poursuivi par le droit des marchés publics, qui est en particulier de permettre une utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Le fait qu’elles visent par ce biais également un but de politique sociale et sanitaire n’y change rien, dès lors que les exigences qu’elles prévoient se fondent sur une base légale formelle, à savoir l’art. 4 L-AIMP issu de la loi 13'018, disposition qui répond aux exigences du principe de la légalité. Comme précédemment relevé, la réglementation litigieuse poursuit aussi un intérêt public admissible et respecte le principe de la proportionnalité. Elle est dès lors conforme au droit des marchés publics. Il n’est en outre pas déterminant que les récentes révisions de la LMP et de l’AIMP 2019 ne prévoient pas une réglementation similaire ni ne traitent de la question du travail temporaire ou encore que le rapport du 17 août 2022 en réponse à l’intervention parlementaire n° 19.4213 « sanctions au lieu d’exécution des travaux » n’en fasse pas mention. En effet, ces éléments ne signifient pas que la limitation du travail temporaire dans les marchés publics de construction ne pourrait pas faire l’objet d’une disposition du droit cantonal, ce que le Tribunal fédéral a expressément admis. Le grief sera par conséquent également écarté.

13) Les recourantes prétendent que les dispositions litigieuses seraient contraires à la LMI.

a. La LMI s’applique à tous les marchés publics cantonaux et communaux, indépendamment des valeurs seuils et des types de marchés, garantissant un accès libre et non discriminatoire à l’ensemble du marché suisse à tout acteur économique ayant son siège ou son établissement en Suisse (art. 1 et 2 LMI). L’art. 5 al. 1 LMI, qui concerne spécifiquement le droit des marchés publics, dispose notamment que les marchés publics des cantons et des communes sont régis par le droit cantonal ou intercantonal, ces dispositions, et les décisions fondées sur elles, ne devant pas discriminer les personnes ayant leur siège ou leur établissement en Suisse de manière contraire à l’art. 3 LMI. Selon l’art. 3 al. 1 LMI, la liberté d’accès au marché ne peut être refusée à des offreurs externes. Les restrictions doivent prendre la forme de charges ou de conditions et ne sont autorisées que si elles s’appliquent de la même façon aux offreurs locaux (let. a), sont indispensables à la préservation d’intérêts publics prépondérants (let. b), répondent au principe de la proportionnalité (let. c).

b. En l’espèce, il ressort des développements qui précèdent que les dispositions attaquées limitant le recours au travail temporaire sur les marchés publics de construction, conformes au droit des marchés publics, s’appliquent sans distinction à tous les soumissionnaires de ces marchés, indépendamment du lieu de leur siège ou de leur établissement en Suisse, tant locaux qu’externes, et n’ont aucune vocation protectionniste. Elles poursuivent en outre des intérêts publics admissibles et sont conformes au principe de la proportionnalité. L’on ne saurait dès lors y voir des mesures contraires à la LMI. En outre, contrairement à ce que semblent affirmer les recourantes, les dispositions contestées n’interdisent pas le recours au travail temporaire, mais le limitent, de sorte que les soumissionnaires externes peuvent, dans le respect des quotas fixés, continuer à faire appel à des travailleurs temporaires habitant « sur place », ce qui limite le potentiel désavantage allégué par les recourantes du fait du coût du « détachement » d’employés fixes par les entreprises extérieures au canton. Il sera en outre rappelé qu’en tout état de cause, l’art. 12 al. 2 LSE n’autorise pas la location en Suisse de services de personnel recruté à l’étranger. Les dispositions litigieuses ne sont dès lors pas contraires à la LMI.

14) Enfin, selon les recourantes, la réglementation entreprise contreviendrait à l’ALCP en tant qu’elle viserait à favoriser les entreprises locales, comme l’aurait précédemment jugé le Tribunal fédéral dans la cause 2C_661/2019 précitée.

a. L’art. 2 ALCP prévoit que les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne doivent pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, être discriminés en raison de leur nationalité. Cette règle prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discriminations indirectes). À moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi, une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les ressortissants d’autres États parties que les ressortissants nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers. Il en est ainsi d’une condition qui peut être plus facilement remplie par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants (ATF 137 II 242 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_661/2019 précité consid. 5.1 et les références citées).

b. En l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les recourantes, les dispositions limitant le recours au travail temporaire pour les marchés publics de construction, outre le fait qu’elles n’ont pas de vocation protectionniste, ne contiennent aucune discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité, dès lors qu’elles s’appliquent à l’ensemble des soumissionnaires, indépendamment de leur origine et de leur siège, et l’on peine à discerner – les recourantes ne l’expliquent pas – en quoi les travailleurs temporaires frontaliers seraient plus touchés que les travailleurs temporaires nationaux. Les recourantes ne peuvent pas non plus être suivies lorsqu’elles se réfèrent à l’arrêt précité du Tribunal fédéral, qui concernait une réglementation cantonale donnant la priorité aux entreprises suisses et tendant à exclure les sous-traitants et travailleurs temporaires domiciliés à l’étranger. Dans le même arrêt, comme précédemment mentionné, le Tribunal fédéral a au demeurant relevé que des mesures fondées sur des raisons impérieuses d’intérêt public et proportionnées à l’objectif poursuivi, comme en l’espèce, ne violaient pas l’ALCP, même si elles pouvaient, dans une certaine mesure, avoir un effet indirectement discriminatoire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_661/2019 précité consid. 5.2).

Entièrement mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

15) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 3'000.-, qui comprend la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge solidaire des recourantes, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure de leur sera allouée, pas plus qu’aux intimés (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté conjointement par A______ SA, B______ SA, C______ SA, D______ SA, E______ SA et F______ contre, d’une part, la loi 13'018 du 28 janvier 2022 modifiant la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0), promulgué par arrêté du Conseil d’État publié dans la FAO du 25 mars 2022, et, d’autre part, le règlement du 23 mars 2022 modifiant le règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01), publié dans la FAO du 25 mars 2022 ;

met un émolument de CHF 3'000.- à la charge solidaire d’A______ SA, B______ SA, C______ SA, D______ SA, E______ SA et F______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre-Yves Baumann, avocat des recourantes, au Grand Conseil ainsi qu’au Conseil d’État.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mmes Lauber et McGregor, M. Knupfer, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :