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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2549/2017

ACST/22/2017 du 03.11.2017 ( ABST ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2549/2017-ABST ACST/22/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 3 novembre 2017

 

dans la cause

 

HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE DE SUISSE OCCIDENTALE – GENÈVE

Madame A______

Monsieur B______

Madame C______

Madame D______

représentés par Me Nicolas Kuonen, avocat

contre

GRAND CONSEIL

_________


EN FAIT

1.             a. La Haute école spécialisée de Suisse occidentale – Genève (ci-après : HES-SO Genève) est un établissement autonome de droit public doté de la personnalité morale, placé sous la surveillance du Conseil d’État de la République et canton de Genève (ci-après : Conseil d’État), qui l’exerce par l’intermédiaire du département de l’instruction publique, de la culture et du sport (ci-après : DIP). Elle fait partie intégrante de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (ci-après : HES-SO). Elle regroupe plusieurs écoles, dépourvues de la personnalité morale, dont la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (ci-après : HEPIA) et la Haute école d’art et de design (ci-après : HEAD).

b. Madame A______, née le ______, Monsieur B______, né le ______, Madame C______, née le ______, et Madame D______, née le ______, sont tous quatre étudiants en deuxième (voire actuellement troisième) année de bachelor à l’HEPIA, en filière Architecture, et domiciliés dans le canton de Genève.

2.             Le 28 novembre 2012, le Conseil d’État a saisi le Grand Conseil d’un projet de loi 11078 (ci-après : PL 11078) modifiant la loi sur l’exercice des professions d’architecte et d’ingénieur du 17 décembre 1982 (LPAI - L 5 40), sur le seul sujet de la présidence de la chambre des architectes et des ingénieurs (ci-après : CAI).

3.             a. La commission parlementaire chargée d’étudier le PL 11078 a étendu l’objet de ce dernier à la mise à jour des titres des diplômes requis, alors avec l’exigence d’une pratique d’au moins deux ans dans des bureaux d’architectes ou d’ingénieurs, pour l’inscription au tableau des mandataires professionnellement qualifiés reconnus par l’État (ci-après : MPQ), la LPAI faisant référence à des titres de diplômes n’existant plus (en particulier des « diplômes ETS », délivrés par une école technique supérieure [ci-après : ETS]).

Une majorité de ladite commission a en outre proposé que les capacités requises pour ladite inscription soient celles d’être titulaire au minimum d’un bachelor délivré par une haute école et d’être au bénéfice d’une pratique d’au moins trois ans dans des bureaux d’architectes ou d’ingénieurs, dans le but d’éviter un nivellement par le bas et de se calquer sur les conditions d’inscription aux registres de la Fondation des Registres suisses des professionnels de l’ingénierie, de l’architecture et de l’environnement (ci-après : Fondation REG).

b. Le rapport du 22 octobre 2013 sur le PL 11078 (ci-après : PL 11078-A) a comporté un rapport de minorité, proposant le rejet du projet issu des travaux de la commission, pour le motif que ce dernier dévaloriserait la filière universitaire en ouvrant l’accès aux professionnels tant du niveau bachelor que du niveau master.

c. Le 28 mars 2014, le Grand Conseil a renvoyé le PL 11078-A à la commission des travaux.

4.             a. Après avoir consulté notamment les filières de formation (soit l’École polytechnique fédérale [ci-après : EPF] de Lausanne et la HES-SO Genève), les présidences de la CAI et de la Fédération des associations d’architectes et d’ingénieurs de Genève (ci-après : FAI), ladite commission parlementaire a proposé, par neuf voix contre six, de distinguer les titulaires d’un master (délivré notamment par une EPF ou une HES) des titulaires d’un bachelor (délivré par une HES) et d’exiger une pratique complémentaire de trois ans (y compris l’année de stage pour l’obtention du bachelor intermédiaire) pour les premiers et de cinq ans pour les seconds, en dépit d’un courrier que les conseillers d’État en charge respectivement du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : DALE) et du DIP lui avaient adressé le 1er juillet 2015 pour préconiser d’exiger dans l’un et l’autre cas trois ans de pratique complémentaire, comme pour l’inscription aux registres de la Fondation REG.

b. Le rapport du 9 janvier 2017 sur le PL 11078 (ci-après : PL 11078-B) a comporté trois rapports de minorité, s’opposant tous trois à l’exigence de pratique complémentaire de cinq ans proposée par la majorité de la commission pour les titulaires d’un bachelor, pour le motif qu’elle discriminerait les filières de formation des HES et serait contraire au droit, soit tant à la liberté économique qu’à la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02).

5.      a. Devant le Grand Conseil, le 2 mars 2017, une majorité s’est dégagée pour ne pas fixer à trois ans (mais à cinq ans) la durée de la pratique complémentaire exigée des titulaires d’un bachelor et supprimer la prise en compte de l’année de stage pour l’obtention du bachelor intermédiaire dans le calcul des trois années de pratique complémentaire requises des titulaires d’un master, dans l’idée d’aboutir à une durée totale de formation, pratique complémentaire comprise, de huit ans entre le début de la formation et la possibilité de s’inscrire au tableau des MPQ, tant pour les filières des EPF (ci-après : filières EPF) que pour celles des HES (ci-après : filières HES).

b. À l’issue du deuxième débat, le Conseil d’État a demandé que le troisième débat ait lieu lors d’une séance ultérieure.

6.             a. Le 17 mars 2017, en troisième débat, le Grand Conseil a rejeté tant un amendement présenté par un député qu’un autre amendement, proposé par le Conseil d’État, visant respectivement à reprendre la solution du PL 11078-A et à fixer à trois ans la durée de la pratique complémentaire requise des titulaires d’un bachelor (comme ceux d’un master).

b. En date du 17 mars 2017, par 54 oui contre 37 non et 1 abstention, le Grand Conseil a adopté la loi 11078 (ci-après : L 11078) modifiant la LPAI, en s’en tenant à la proposition faite par la majorité de la commission dans le PL 11078-B.

L’art. 4 LPAI a reçu la teneur suivante :

 

 

Art. 4 Capacités professionnelles (nouvelle teneur)

1 Justifient de capacités professionnelles suffisantes au sens de la présente loi les professionnels de l'ingénierie, de l'architecture et de l'environnement :

a) titulaires d'un diplôme de master délivré par une école polytechnique fédérale, par une université ou par une haute école spécialisée suisse ou par une haute école étrangère dont les titres sont estimés équivalents, et justifiant d’une pratique suffisante de 3 ans acquise après la fin de la formation professionnelle ;

b) titulaires d'un diplôme de bachelor de qualification professionnelle délivré par une école polytechnique fédérale, par une université ou par une haute école spécialisée suisse ou par une haute école étrangère dont les titres sont estimés équivalents, et justifiant d’une pratique suffisante de 5 ans acquise après la fin de la formation professionnelle ;

c) inscrits au registre des architectes ou des ingénieurs civils, registre A ou B du REG (Fondation des Registres suisses des professionnels de l'ingénierie, de l'architecture et de l'environnement).

2 Le département peut en outre admettre que d’autres professionnels, tels des ingénieurs en génie thermique ou technique du bâtiment ou des ingénieurs-géologues, justifient de connaissances théoriques et pratiques suffisantes pour exécuter certains travaux dans les domaines particuliers à leur activité professionnelle.

7.             La L 11078 a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 24 mars 2017, puis, aucun référendum n’ayant été demandé à son encontre, promulguée dans celle du 12 mai 2017.

8.             Elle est entrée en vigueur le 13 mai 2017, conformément à son art. 2 souligné fixant son entrée en vigueur au lendemain de sa promulgation.

9.             a. Par acte du 12 juin 2017, la HES-SO Genève ainsi que Mmes A______, C______, D______ et M. B______ (ci-après : les étudiants recourants) ont recouru contre la L 11078 auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle), en concluant à l’annulation de l’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI, sous suite de frais et dépens.

b. Ouvertes à ceux qui disposaient d’une maturité professionnelle, d’une maturité spécialisée ou d’une maturité gymnasiale complétée d’une expérience professionnelle d’au moins un an, les filières que proposaient les HES (en particulier la HES-SO Genève) dans le domaine de l’ingénierie et de l’architecture conduisaient à l’obtention d’un bachelor, en principe après trois années d’études à plein temps, en étant fondées – contrairement aux filières EPF – de manière prépondérante sur la pratique professionnelle, davantage que sur l’acquisition de connaissances théoriques. L’obtention du bachelor dans les filières HES avait vocation à ouvrir l’accès à l’exercice de la profession correspondant à la voie d’études choisie (notamment celles de l’architecture, l’architecture du paysage et le génie civil, proposées à l’HEPIA, et de l’architecture de l’intérieur, proposée à l’HEAD), alors que dans les filières EPF elle ne constituait qu’une étape vers l’obtention du diplôme professionnalisant que représentait le master. L’inscription aux registres pertinents tenus par la Fondation REG, visant la promotion professionnelle des praticiens et moyennant paiement d’une redevance, était ouverte notamment aux titulaires d’un master délivré par les EPF suisses, les Universités suisses et les HES s’agissant du registre A et aux titulaires d’un bachelor délivré par une HES s’agissant du registre B, dans les deux cas à la condition qu’ils puissent justifier d’une pratique professionnelle de trois ans acquise après la fin de la formation professionnelle.

N’ayant pour objet que la composition de la CAI, le PL 11078 avait été étendu par la commission parlementaire à des modifications des conditions d’inscription au tableau, et une distinction avait été introduite finalement entre les titulaires d’un master, pour lesquels une pratique complémentaire de trois ans était requise (non plus deux ans), et les titulaires d’un bachelor, dont il était exigé une pratique complémentaire de cinq ans (non plus deux ans). De telles exigences de pratique complémentaire à celle d’être titulaire d’un diplôme d’une EPF ou d’une HES n’étaient posées dans aucun des cantons latins pour que des architectes puissent requérir des autorisations de construire, ni même dans les cantons alémaniques, qui ne tenaient aucun registre et n’avaient pas même réglementé les professions d’architecte et d’ingénieur. Le passage de l’exigence d’une pratique professionnelle de deux ans à cinq ans pour les filières HES dévalorisait ces dernières, portant ainsi atteinte aux intérêts tant de la HES-SO Genève que de ses étudiants, étant précisé que l’art. 4 al. 1 let. b LPAI ne concernait en réalité que les filières HES.

c. L’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI violait la liberté économique. L’exigence d’une pratique complémentaire à tout le moins étendue à cinq ans dans les filières HES ne répondait pas à un intérêt public. Elle ne satisfaisait pas au principe de la proportionnalité ; elle était une « Genferei » inapte à atteindre un but qui serait d’intérêt public, n’était pas nécessaire à la protection d’intérêts qui pourraient être pris en compte, et ne se trouvait pas dans un rapport raisonnable avec l’atteinte portée aux intérêts lésés par cette mesure restrictive. Elle ne s’harmonisait pas avec l’exigence d’une pratique complémentaire de trois ans requise pour une inscription au REG B, ouvrant celle au tableau des MPQ selon l’art. 4 al. 1 let. c LPAI.

L’exigence considérée était contraire à la LMI. Seul le canton de Genève la posait ; elle était d’autant moins compréhensible qu’elle visait en première ligne, même exclusivement s’agissant de l’art. 4 al. 1 let. b, les étudiants des filières HES, déjà au bénéfice d’une expérience pratique. La Commission de la concurrence (ci-après : Comco) avait déjà relevé, le 29 janvier 2001, qu’elle constituait une restriction illicite à la liberté d’accès au marché, faute de démonstration d’un ou plusieurs intérêts publics prépondérants qu’elle serait nécessaire à préserver, en particulier qu’elle n’était pas indispensable pour les architectes et ingénieurs au bénéfice d’un diplôme fédéral ou cantonal, titres valables partout en Suisse ; les circonstances n’avaient pas changé dans la construction depuis 2001 au point de justifier aujourd’hui une autre appréciation de la question.

L’exigence d’une pratique complémentaire (a fortiori portée de deux à cinq ans) après la fin de la formation professionnelle enfreignait l’art. 26 al. 2 de la loi fédérale sur l’encouragement des hautes écoles et la coordination dans le domaine suisse des hautes écoles du 30 septembre 2011 (LEHE - RS 414.20), dont il résultait, sans que des exceptions ne soient prévues pour le domaine de l’architecture, que le bachelor obtenu au terme du premier cycle d’études des HES devait permettre l’exercice de la profession.

10.         a. Par mémoire de réponse du 13 juillet 2017, le Grand Conseil a conclu à l’irrecevabilité du recours de la HES-SO Genève, faute pour cette dernière d’être touchée dans ses prérogatives de puissance publique et de disposer d’un intérêt digne de protection à l’annulation de l’acte attaqué, et au rejet du recours.

b. La consultation des milieux intéressés – en particulier de la FAI et de Société suisse des ingénieurs et architectes (ci-après : SIA) – avait permis de faire les constats suivants : le titre de bachelor HES n’était pas du même niveau que les diplômes précédemment délivrés par une ETS et les masters ; l’intérêt public requérait que les MPQ (ayant reçu la responsabilité de signer les attestations de conformité des constructions une fois les chantiers terminés) bénéficient d’une expérience adéquate ; il existait une discrimination entre les professionnels issus des filières EPF (devant attendre huit ans pour être inscrit au tableau des MPQ) et les professionnels issus des filières HES (pouvant être inscrit audit tableau au bout de six ans). Exiger des professionnels de chacune de ces filières de disposer d’une formation et d’une expérience totalisant huit ans pour être inscrit au tableau des MPQ effaçait une inégalité de traitement entre les filières EPF et HES et assurait que les MPQ aient l’expérience nécessaire pour assumer leurs tâches.

c. L’art. 4 al. 1 LPAI poursuivait l’intérêt public d’assurer la protection du public contre des personnes qui ne seraient pas encore aptes à exercer leur profession et d’assurer la sécurité des constructions et de l’environnement. Seule la prolongation de la durée de la période pratique imposée aux titulaires de bachelor HES permettait d’atteindre ce but, en même temps que d’éviter une discrimination des filières EPF par rapport aux filières HES. Cette mesure n’empêchait pas les jeunes architectes ou ingénieurs d’exercer leur profession dès l’obtention de leur diplôme, soit à titre dépendant soit en faisant signer leurs plans et attestations de conformité par des MPQ inscrits au tableau qui en endosseraient la responsabilité.

Pour les mêmes motifs, l’exigence d’une expérience pratique (en particulier de cinq ans) après la fin de la formation professionnelle (en particulier dans les filières HES) satisfaisait aux conditions prévues par l’art. 3 LMI. Datant de 2001, la recommandation de la Comco invoquée par les recourants ne trouvait pas application dans l’état actuel du marché. La Comco n’avait pas recouru contre la L 11078, alors qu’elle y aurait été habilitée en vertu de l’art. 9 al. 2bis LMI.

La disposition attaquée ne violait pas non plus la LEHE, car elle n’empêchait pas les architectes et ingénieurs ayant obtenu un bachelor par une filière HES d’exercer leur profession.

11.         a. Par réplique du 14 août 2017, les recourants ont persisté dans les conclusions de leur recours.

b. L’opinion d’organismes privés tels que la FAI et la SIA n’était pas pertinente ; elle était partiale, isolée et non démontrée. Il n’y avait pas matière à corriger une inégalité de traitement entre les filières EPF et HES.

c. Discriminant les filières HES, l’exigence de pratique posée par l’art. 4 al. 1 let. b LPAI touchait directement la HES-SO Genève dans sa mission légale de dispenser des formations axées sur la pratique et professionnalisantes de qualité, d’une manière fondant un intérêt digne de protection à l’attaquer par un recours en contrôle abstrait des normes.

Il n’était pas démontré en quoi le constat aurait été fait, avant la modification contestée, que les qualités exigées des architectes ou ingénieurs issus des filières HES ou ETS étaient insuffisantes au regard des responsabilités des MPQ. Retenir qu’il fallait corriger une inégalité de traitement en défaveur des filières EPF procédait d’un jugement simpliste et purement schématique déduit de la durée totale de la formation, sans considération des spécificités des filières considérées, en particulier de l’acquisition de connaissances pratiques inhérente aux formations des filières HES. La possibilité d’exercer la profession à titre dépendant pendant la période de pratique exigée ne supprimait pas la disproportion de cette restriction, à apprécier au regard d’un plein accès à la profession. L’établissement des attestations de conformité ne justifiait pas l’aggravation des conditions au plein exercice de la profession ; il existait dans d’autres cantons ne restreignant pas de façon aussi importante l’accès complet à la profession ; dans le canton de Genève, il entrait dans les compétences des MPQ depuis plus de sept ans sans que le besoin ne se soit fait sentir de relever l’exigence de pratique jusque-là requise des MPQ. L’intimé ne se prononçait pas sur la portée de l’art. 4 al. 1 let. c LPAI, susceptible de rendre la let. b de cette disposition inapte à atteindre son but.

L’intimé n’avait émis que des généralités à l’appui de son affirmation que la L 11078 serait conforme à la LMI, et avait invoqué l’« état actuel du marché » pour écarter l’applicabilité d’une recommandation de la Comco de 2001 sans expliquer qu’aucun autre canton (y compris très urbanisé) n’ait élaboré de réglementation aussi restrictive que la loi attaquée.

Il en allait de même de l’argumentation avancée par l’intimé que la L 11078 serait conforme à la LEHE.

12.         a. Par duplique du 13 septembre 2017, le Grand Conseil a maintenu les conclusions de sa réponse au recours.

b. Tous les milieux intéressés avaient été entendus durant la procédure parlementaire, avant qu’une grande majorité n’adopte la L 11078. L’avis des représentants des branches concernées était pertinent.

c. La L 11078 n’entravait pas la HES-SO Genève dans sa mission légale, ne comportant ni celle d’appliquer l’art. 4 LPAI ni celle de recourir contre une loi qui l’instituait. Les filières HES n’étaient pas dévalorisées par rapport aux autres filières puisque l’art. 4 al. 1 let. b s’appliquait à tous les titulaires de bachelor sans distinction de filière, en plus qu’il rectifiait une inégalité de traitement entre les filières EPF et HES.

Les buts visés étaient de protéger le public contre des personnes inaptes à exercer leur profession dans certaines circonstances et d’assurer la sécurité des constructions et de l’environnement ; ils étaient d’intérêt public. Les représentants entendus des associations professionnelles et les professionnels actifs sur le marché étaient les mieux placés pour constater l’insuffisance des qualités présentées par des MPQ titulaires d’un bachelor des HES, et ils avaient été unanimes à dire qu’un tel diplôme n’était pas du même niveau que ceux délivrés précédemment par l’ETS et les masters ; leur avis répondait également au sens commun et justifiait qu’une pratique plus longue soit requise des premiers que des seconds pour l’inscription au tableau des MPQ, avec l’effet d’exiger à cette fin finalement une même durée totale de formation de huit ans depuis le début des études. Cette restriction satisfaisait aux exigences d’aptitude, de nécessité et de rapport raisonnable découlant du principe de la proportionnalité.

Les arguments développés démontrant l’absence de violation de la liberté économique valaient mutatis mutandis concernant la conformité de la L 11078 à la LMI ; le fait que la Comco n’ait pas recouru contre cette loi devait être compris comme un défaut d’opposition à l’encontre des dispositions adoptées.

La même remarque était à faire s’agissant du grief, dénué de substance, de violation de l’art. 26 al. 2 LEHE.

13.         a. Le 9 octobre 2017, les recourants ont présenté des observations après duplique, en persistant dans les termes et conclusions de leurs précédentes écritures.

b. Les considérations factuelles de l’intimé concernant la procédure législative, en particulier la consultation des milieux intéressés, étaient sans pertinence, mais aussi partiales et partielles dans la mesure où les opinions divergentes avaient été passées sous silence (comme celle du directeur général de la HES-SO Genève et d’un ingénieur membre de la CAI tenant le tableau des MPQ à jour).

Si l’art. 4 al. 1 let. b LPAI visait littéralement tous les titulaires d’un bachelor, il n’avait en réalité vocation à s’appliquer qu’aux filières HES, à l’exclusion des filières EPF, au sein desquelles le bachelor n’avait pas le but de permettre l’accès à l’exercice des professions concernées.

L’intimé procédait par voie d’affirmation toute théorique, sans étayer sa position de précisions concrètes ni d’une démonstration de circonstances spécifiques au canton de Genève ou de modifications des circonstances (en particulier depuis la recommandation de la Comco de 2001), pour réfuter les griefs d’absence d’intérêt public poursuivi et de non-proportionnalité des restrictions attaquées, au regard tant de la liberté économique que de la LMI. Il n’avait donné aucune explication sur le rapport entre les let. b et c de l’art. 4 al. 1 LPAI.

14.         Cette écriture a été transmise au Grand Conseil le 13 octobre 2017, puis la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             a. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00), soit, à teneur de la législation d’application de cette disposition, les lois constitutionnelles, les lois et les règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; cf. ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 2 excluant la recevabilité d’un recours contre des lois purement décisionnelles, et ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 1 admettant celle d’un recours contre un arrêté du Conseil d’État comportant des normes).

La L 11078 attaquée a indéniablement un contenu normatif. Elle est sujette à recours devant la chambre constitutionnelle.

b. Le recours a été interjeté en temps utile (art. 61 al. let. d et al. 3 phr. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), compte tenu du report au premier jour utile du délai tombant un dimanche (art. 17 al. 3 et 76 LPA), et il respecte les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 LPA, dont celle d’un exposé détaillé des griefs (art. 65 al. 3 LPA).

2.             a. S’il est recevable au regard de ces conditions, le recours ne l’est cependant que si ou dans la mesure où les recourants ont qualité pour recourir.

b. A qualité pour former un recours en contrôle abstrait de normes cantonales devant la chambre constitutionnelle toute personne (physique ou morale) dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourraient l’être un jour avec un minimum de vraisemblance et ont un intérêt actuel ou virtuel digne de protection à leur annulation, au moins aux mêmes conditions que celles qui prévalent devant le Tribunal fédéral (art. 60 al. 1 let. b LPA ; art. 89 et 111 al. 1 LTF ; ATF 141 I 36 consid. 1.2.3 ; 139 II 233 consid. 5.2 ; 138 I 435 consid. 1.6 ; 135 II 243 consid. 1.2 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 1d et jurisprudence citée ; Étienne POLTIER, Les actes attaquables et la légitimation à recourir en matière de droit public, in François BOHNET / Denis TAPPY [éd.], Dix ans de la Loi sur le Tribunal fédéral, 2017, p. 123 ss, 151 ss ; Florence AUBRY GIRARDIN, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, n. 11 ad art. 89 LTF ; Marcel Alexander NIGGLI / Peter UEBERSAX / Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème éd., 2011, n. 13 ad art. 89 LTF p. 1177).

Concernant les personnes morales de droit public, elles ont qualité pour recourir devant la chambre constitutionnelle sur la base de l’art. 60 al. 1 let. b LPA – l’ayant à ces mêmes titres devant le Tribunal fédéral en vertu de l’art. 89 al. 1 LTF – lorsqu’elles sont atteintes de la même manière qu’un particulier dans leur situation juridique ou matérielle sans que leur puissance publique ne soit en jeu (notamment s’il s’agit de sauvegarder leur patrimoine administratif ou financier), ou – situation à n’admettre que de façon restrictive – lorsqu’elles sont touchées dans leurs prérogatives de puissance publique et disposent d'un intérêt public spécifique, digne de protection, à l'annulation ou à la modification de l'acte attaqué, intérêt qui ne peut tenir à une correcte application du droit ni à un intérêt financier qui ne serait pas spécialement et directement lié à l’accomplissement des tâches publiques considérées (ATF 140 I 90 consid. 1.2 ; 138 II 506 consid. 2.1.1 ; 138 I 143 consid. 1.3.2 ; 136 II 274 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_602/2016 du 7 juillet 2016 consid. 3.2 et 3.3 ; Étienne POLTIER, op. cit., p. 123 ss, n. 105 ss ; Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. I, 3ème éd., 2014, n. 328 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3ème éd., 2013, n. 2121 ; Florence AUBRY GIRARDIN, op. cit., n. 39 ss ad art. 89 LTF ; Bernhard WALDMANN, in Marcel Alexander NIGGLI / Peter UEBERSAX / Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], op. cit., n. 13 ad art. 89 LTF p. 1177 ; Yves DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral. Commentaire, 2008, n. 3055 ss, 3154 s., 3164 ss et 3187 s. ad art. 89 LTF). Par ailleurs, à l’instar des communes, les établissements et corporations de droit public ont qualité pour recourir, en vertu de l’art. 60 al. 1 let. d LPA, lorsqu’ils allèguent une violation de l’autonomie que leur garantit la loi et la constitution (ACST/6/2017 précité consid. 3), ou, d’après l’art. 60 al. 1 let. e LPA, lorsque la loi leur confère cette vocation.

c. La HES-SO Genève, établissement autonome de droit public doté de la personnalité morale (art. 1 al. 3 de la loi sur la Haute école spécialisée de Suisse occidentale – Genève du 29 août 2013 - LHES-SO-GE - C 1 26), est – à teneur de l’art. 2 al. 1 LHES-SO-GE en définissant les missions – un service public dédié à l’enseignement de niveau tertiaire universitaire axé sur la pratique et qui s’inscrit prioritairement dans le prolongement d’une formation professionnelle initiale. Les formations qu’elles dispensent sont sanctionnées par un diplôme de bachelor et de master HES-SO, en plus de titres relatifs à des études postgrades et de perfectionnement professionnel (art. 2 al. 2 LHES-SO-GE). La HES-SO Genève s’organise elle-même, fixe ses priorités et ses modalités d’action et est responsable de sa gestion dans le cadre des orientations, principes et règles stipulés par la LHES-SO-GE, dans le respect des dispositions pertinentes du droit fédéral, de la Convention intercantonale sur la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (CHES-SO) du 26 mai 2011 (CHES-SO – C 1 27) et du cadre normatif fixé par la HES-SO (art. 1 al. 4 LHES-SO-GE). Ses attributions et compétences résultent également de l’art. 40 CHES-SO.

Aucune des missions énumérées dans ces textes législatifs, en particulier la CHES-SO et la LHES-SO-GE, ne confère à la HES-SO Genève une vocation pour recourir, au sens de l’art. 60 al. 1 let. e LPA, contre des normes cantonales régissant l’accès à l’exercice à titre indépendant des professions pour lesquelles elle forme ses étudiants, en particulier, s’agissant d’architectes ou ingénieurs, l’inscription au tableau des MPQ reconnus par l’État, auxquels est retreint l’exercice indépendant de la profession d’architecte ou d’ingénieur civil ou de professions apparentées sur le territoire du canton de Genève pour les travaux dont l’exécution est soumise à autorisation en vertu de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). De telles dispositions ne comportent par ailleurs pas d’atteinte à l’autonomie de la HES-SO Genève circonscrite par les dispositions créant et régissant cette école, au point que cette dernière pourrait déduire de l’art. 60 al. 1 let. d LPA une qualité pour recourir à leur encontre (ATF 125 I 173 consid. 1b concernant une corporation publique liée à l’Université de Bâle ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.555/1999 du 27 janvier 2000 consid. 1 concernant l’Aéroport international de Genève).

Dans les faits, les dispositions attaquées affectent indirectement la valeur des masters et des bachelors délivrés notamment dans les EPF et les HES, en tant qu’elles ne leur reconnaissent pas une valeur suffisante, sans un complément de pratique (porté de surcroît de deux à respectivement trois et cinq ans), pour l’inscription au tableau des MPQ ; c’est vrai en particulier pour l’art. 4 al. 1 let. b LPAI, qui restreint la valeur professionnalisante du bachelor en général mais plus spécifiquement du bachelor délivré dans les filières HES (dont celle de la HES-SO Genève). La HES-SO Genève ne s’en trouve pas touchée pour autant, ni dans sa situation juridique ou matérielle de la même manière qu’un particulier, ni dans des prérogatives de puissance publique touchant à un intérêt public suffisamment spécifique au point que devrait lui être reconnue, en application des art. 60 al. 1 let. b LPA et 89 al. 1 LTF, la qualité pour requérir l'annulation ou la modification de cette exigence de pratique complémentaire et de son allongement de trois ans s’agissant du bachelor. Les normes attaquées concernent l’inscription au tableau des MPQ, et non la formation (théorique et pratique) dispensée dans les filières que des étudiants clôtureraient après l’obtention du bachelor, notamment dans les HES ; elles n’ont qu’un effet réflexe sur la valeur du bachelor.

Le recours n’est donc pas recevable en tant qu’il est formé par la HES-SO Genève.

d. Autre est la situation des quatre étudiants recourants. Tous les quatre sont en deuxième (voire actuellement troisième) année de bachelor à l’HEPIA, qui est une des écoles regroupées au sein de la HES-SO Genève, en filière Architecture, en vue d’obtenir à tout le moins un bachelor, sans forcément vouloir y poursuivre leurs études par l’approfondissement des connaissances principalement théoriques sanctionné pas la délivrance d’un master. Ils sont de surcroît domiciliés dans le canton de Genève, mais pourraient au demeurant aussi commencé à exercer leur future profession dans un autre canton et entendre ensuite l’exercer également dans celui de Genève et avoir ainsi qualité d’offreur externe de services ou prestations de travail. De plus, s’ils sont tous quatre étudiants en filière Architecture, il se pourrait qu’ils complètent leur formation dans les autres filières que visent aussi les dispositions qu’ils contestent, tendant à former des professionnels de l’ingénierie ou de l’environnement. Aussi est-il possible qu’ils soient touchés un jour par l’impossibilité de s’inscrire au tableau des MPQ que l’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI leur ferait s’ils entendaient s’y faire inscrire après la fin de leur formation sans avoir effectué préalablement un complément de pratique (de surcroît de cinq ans, et non plus de deux ans), ou, s’il obtenaient encore un master, sans avoir effectué un complément de pratique (de surcroît porté de deux à trois ans). Ils ont qualité pour recourir contre la loi attaquée. Leur recours est donc recevable.

Il l’est déjà en tant qu’il conteste l’allongement de deux ans à respectivement trois ans pour le master et cinq ans pour le bachelor de la pratique complémentaire exigée pour l’inscription au tableau des MPQ. Il l’est aussi en tant qu’il réaffirme le principe même d’une telle exigence, jusqu’alors de deux ans pour le « diplôme d’architecte, d’ingénieur civil, d’ingénieur géomètre ou d’ingénieur du génie rural délivré par une école polytechnique ou universitaire suisse ou par une haute école étrangère dont les titres sont estimés équivalents » et pour le « diplôme d’architecte ETS, d’ingénieur ETS en génie civil ou d’architecte-paysagiste ETS délivré par une école technique supérieure (ETS) reconnue par la Confédération » (art. 4 al. 1 let. a et b aLPAI) ; l’admission du recours sur cette question n’entrainerait certes pas formellement l’annulation de cette ancienne teneur, mais celle-ci ne ré-entrerait pas en vigueur ; l’admission du recours sur le principe même de l’exigence en question se traduirait par l’annulation, à l’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI, du membre de phrase « et justifiant d’une pratique suffisante de 3 [respectivement 5] ans acquise après la fin de la formation professionnelle ».

3.             Lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, la chambre constitutionnelle, à l’instar du Tribunal fédéral, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 et jurisprudence citée).

4.             La chambre constitutionnelle examinera en premier lieu le troisième grief soulevé par les étudiants recourants, à savoir celui de non-conformité de l’exigence de pratique posée par l’art. 4 al. 1 (not. let. b) LPAI avec l’art. 26 al. 2 LEHE, aux termes duquel, en premier cycle d’études, les HES préparent les étudiants, en règle générale, à un diplôme professionnalisant. D’une part son admission rendrait superflu l’examen des autres griefs, et d’autre part son examen amène à présenter les filières de formation pertinentes dans la mesure utile à l’examen, s’il y a lieu, aussi des autres griefs invoqués.

Ce grief fait référence au principe constitutionnel de la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), qui fait obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l’esprit, notamment par leur but ou les moyens qu’elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (arrêt du Tribunal fédéral 5A_333/2008 du 15 décembre 2008 consid. 2.1 ; ACST/10/2016 du 29 août 2016 consid. 3b ; Bernhard WALDMANN / Eva Maria BELSER / Astrid ÉPINEY, Bundesverfassung – Basler Kommentar, 2015, n. 5 ad art. 49 Cst. ; Giovanni BIAGGINI / Thomas GÄCHTER / Regina KIENER, Staatsrecht, 2ème éd., 2015, § 9 n. 18 ; Luc GONIN, Droit constitutionnel suisse, 2015, p. 48 s. ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 1090).

5.             a Selon les art. 63 al. 1 et 95 al. 1 Cst., la Confédération légifère sur la formation professionnelle et sur l’exercice des activités économiques lucratives privées. Ces dispositions ont été complétées le 21 mai 2006 par de nouveaux articles constitutionnels sur la formation, en particulier par l’art. 61a al. 1 Cst., prévoyant que dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons veillent ensemble à la qualité et à la perméabilité de l’espace suisse de formation, et par l’art. 63a Cst., dont l’al. 3 charge la Confédération et les cantons de veiller ensemble à la coordination et à la garantie de l’assurance de la qualité dans l’espace suisse des hautes écoles, en tenant compte de l’autonomie des hautes écoles et des différentes collectivités responsables et en veillant à l’égalité de traitement des institutions assumant des tâches de même nature. La LEHE a visé à mettre en œuvre ce mandat législatif, en créant les conditions-cadre applicables à l’ensemble des hautes écoles dans des domaines déterminants pour l’émergence d’un espace suisse d’enseignement supérieur d’un haut niveau de qualité et de compétitivité (FF 2009 4067 ss, 4069 s.). La LEHE, entrée en vigueur pour l’essentiel le 1er janvier 2015, a abrogé la loi fédérale du 8 octobre 1999 sur l’aide aux universités (ci-après : aLAU) et la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les hautes écoles spécialisées (ci-après : aLHES ; art. 71 LEHE), mais pas la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur les écoles polytechniques fédérales (ci-après : LEPF - RS 414.110).

b. Dans son Message sur le projet de LEHE, le Conseil fédéral a présenté la structure du paysage suisse des hautes écoles (FF 2009 4078 ss), résultat de la création des universités cantonales (essentiellement au XIXème siècle et au début du XXème siècle), des EPF (au milieu du XIXème siècle, celle de Lausanne n’ayant été reprise par la Confédération qu’en 1969), et des HES (au milieu des années 1990). Il y a expliqué que l’introduction de la maturité professionnelle (en 1994) et d’un nouveau type de haute école (en 1995), à savoir les HES, avait visé à valoriser la formation professionnelle et à la positionner comme une alternative aux piliers de formation que constituaient la maturité gymnasiale et les hautes écoles universitaires (ci-après : HEU). Les HES avaient pour objectif de proposer des formations équivalentes à celles des HEU, mais de nature différente. L’élargissement de l’offre des hautes écoles en Suisse grâce à des filières de formation professionnelle au degré tertiaire devait notamment assurer à l’économie une relève de cadres disposant d’une formation pratique et scientifique (FF 2009 4080).

Reprenant ce sujet après avoir présenté le processus de Bologne visant à uniformiser les structures d’études sur le plan européen et sa mise en œuvre en Suisse (FF 2009 4091 ss), le Conseil fédéral a relevé qu’avec l’introduction des HES, le degré tertiaire A (c’est-à-dire le domaine des hautes écoles) avait vécu non seulement un profond changement, mais aussi une forte expansion. « Aujourd’hui et à l’avenir – a-t-il ajouté –, les HEU et les HES ont des missions et des fonctions différentes. La prise en compte de l’orientation distincte des HEU et des HES dans l’intérêt de l’ensemble du système fera donc partie des objectifs généraux de la future politique des hautes écoles. Il ne s’agit pas d’aplanir les différences entre les HEU et les HES, mais plutôt de les faire fructifier dans l’intérêt général, sans pour autant oublier leurs points communs : ce sont toutes des hautes écoles, c’est-à-dire des établissements du degré tertiaire A qui dispensent un enseignement, pratiquent la recherche, offrent des services et décernent des titres académiques. Le processus de réforme introduit avec la Déclaration de Bologne a remis en exergue ces similitudes dans la perspective de l’intégration commune des hautes écoles dans un espace national et européen (p. ex. niveaux d’études, système de crédits, assurance de la qualité, structures des titres) » (FF 2009 4093 s.). Même dans les conditions du XXIe siècle, avec tous les changements qui étaient intervenus, la mission spécifique des universités, à savoir la transmission de connaissances par l’association de l’enseignement et de la recherche, était aujourd’hui encore très actuelle et très importante ; les HEU actuelles se profilaient de plus en plus comme des hautes écoles de recherche. Quant aux HES, résultat de l’adaptation grandissante du système de formation aux besoins de la société et de l’économie, elles étaient « équivalentes, mais différentes » par rapport aux HEU ; elles formaient des jeunes disposant en général d’une maturité professionnelle, c’est-à-dire d’une formation professionnelle initiale et d’une culture générale étendue. « Grâce à des filières d’études orientées vers la pratique et basées sur les sciences – a poursuivi le Conseil fédéral –, ces professionnels qualifiés se préparent à exercer des activités de niveau cadre. L’enseignement et la recherche des HES sont beaucoup plus axés sur la pratique et sur les applications que dans le domaine universitaire. Le lien étroit avec le monde du travail se reflète également dans les collaborations qui s’établissent entre les HES et les entreprises dans le cadre de projets de recherche ou de services (transfert de savoir et de technologie). Pour les étudiants des HES, les qualifications requises pour l’admission et celles visées à la fin des études sont en prise directe avec le monde du travail. Elles garantissent aux jeunes diplômés d’excellents débouchés sur le marché du travail » (FF 2009 4094).

La LEHE a maintenu le profil des HES, tel que le traçait l’aLHES, en définissant les formations initiales exigées, en particulier la maturité professionnelle dans une profession apparentée au domaine d’études (art. 25 al. 1 let. a LEHE ; cf. art. 5 al. 1 let. a aLHES), de même que les grands principes relatifs à la nature des programmes d’études dans les HES, avec un enseignement axé sur la pratique (art. 26 al. 1 LEHE ; cf. art. 3 al. 1 aLHES) et une pérennisation de la règle voulant que les formations soient professionnalisantes dès le premier cycle d’études (art. 26 al. 2 LEHE ; cf. art. 4 al. 2 et 3 aLHES ; FF 2009 4112).

Commentant le projet d’art. 26 LEHE, le Conseil fédéral a souligné, s’agissant de l’al. 1, que la tâche prioritaire des HES est de dispenser une formation axée sur la pratique, et, à propos de l’al. 2, que le diplôme bachelor doit en règle générale attester la qualification professionnelle de leurs détenteurs, sauf dans le domaine des arts (FF 2009 4152).

c. Il ne résulte pas des débats aux Chambres fédérales, qui ont adopté cet art. 26 al. 1 et 2 LEHE, qu’une portée plus importante doit être attribuée à l’expression de formation professionnalisante que celle que le bachelor obtenu dès le premier cycle d’études dans les HES met leur titulaire en situation de s’engager comme employé sur le marché du travail (intervention d’Anne Seydoux-Christe au Conseil des États, BO 2010 E 995).

d. Il n’est pas contesté que dans les filières EPF, les études de bachelor amènent à un titre intermédiaire qui permet de poursuivre des études de master, qui, lui, est un titre permettant l’entrée dans le monde professionnel, la recherche ou une carrière académique au travers du doctorat (cf. courrier du 28 avril 2015 de la vice-présidence pour les affaires académiques de l’EPF de Lausanne à la commission des travaux du Grand Conseil, annexe 5 au PL 11078-B).

Ainsi – à teneur de l’ordonnance sur la formation menant au bachelor et au master de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, du 14 juin 2004 (RS 414.132.3) –, les études de bachelor et de master constituent les deux phases successives de la formation menant aux titres de bachelor et de master. Les premières comprennent le cycle propédeutique (sur deux semestres, ayant pour objectif la vérification des connaissances de base, l’acquisition des compétences nécessaires pour la suite de la formation en sciences naturelles et une initiation dans les sciences humaines et sociales) et le cycle bachelor (sur deux années, ayant pour objectif l’acquisition des bases scientifiques générales et spécifiques au domaine d’études et à un secteur des sciences humaines et sociales). La réussite du cycle bachelor est la condition pour entrer au cycle master, composé lui aussi de deux étapes successives de formation, le cycle master (sur une année, ayant pour objectif l’acquisition des connaissances spécifiques du domaine d’études permettant la maîtrise de la profession, ainsi que l’étude d’une discipline des sciences humaines et sociales), dont la réussite est la condition pour entamer le projet de master (s’étendant sur un semestre). Dans le même sens, l’admission aux études préparant au master à l’EPF de Zurich requiert un diplôme de bachelor (art. 31 al. 1 let. a et 34 al. 1 de l’ordonnance de l’EPF de Zurich concernant l’admission à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, du 30 novembre 2010 - RS 414.131.52).

Les textes régissant les formations menant au bachelor et au master délivrés par les EPF ne posent pas d’exigence d’une pratique des professions en vue desquelles elles sont suivies. Même l’accomplissement d’un projet de master ne requiert pas forcément un stage pratique impliquant une immersion dans un milieu professionnel déterminé.

e. À teneur des art. 4 al. 1 CHES-SO et 2 al. 1 LHES-SO Genève, la HES-SO, dont la HES-SO Genève, dispense un enseignement de niveau tertiaire universitaire axé sur la pratique et qui s’inscrit prioritairement dans le prolongement d’une formation professionnelle de base. Les filières HES sont ouvertes aux titulaires d’une maturité professionnelle, d’une maturité spécialisée ou d’une maturité gymnasiale complétée d’une expérience professionnelle d’un an au moins apparentée au domaine d’études choisi (art. 4 ss du règlement d’admission en bachelor HES-SO du 15 décembre 2015 ; art. 4 ss et 9 du règlement d’admission en bachelor dans le domaine Ingénierie et Architecture HES-SO). La formation menant à l’obtention du bachelor dans les filières HES implique en principe trois années d’études à plein temps ; elle est organisée en modules énumérés dans un plan d’études annuel, constitués chacun de plusieurs cours, pouvant prendre différentes formes (cours magistral, travaux pratiques, atelier, séminaire, voyage d’études, enseignement à distance, projets ; art. 4 ss du règlement d’études de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture concernant les filières bachelor et HES de la HES-SO, du 2 septembre 2014). Dans les HES, la poursuite des études dans des filières de master n’est pas la règle après l’obtention du bachelor, mais elle permet d’acquérir, en un an et demi à deux ans, des connaissances complémentaires approfondies et spécialisées, rapprochant les étudiants de la formation transmise dans les EPF (FF 2003 117 ss ; Convention entre la Confédération et les cantons sur la création de filières d’études master dans les hautes écoles spécialisées, du 24 août 2007 - RS 414.713.1).

f. Il n’est pas contestable que la formation dispensée dans les filières HES a légalement vocation, davantage que celle des filières EPF, à prendre en compte certaines exigences de la pratique des professions auxquelles les étudiants qui les suivent se destinent. En l’absence d’élément permettant de retenir que les HES (en particulier la HES-SO Genève) failliraient à remplir leur mission, il faut admettre que les diplômes que celles-ci délivrent, y compris le bachelor, attestent d’une certaine connaissance des contraintes et possibilités qu’implique et offre la pratique des professions considérées. Il ne s’ensuit cependant pas que la titularité de ces diplômes certifie une maîtrise suffisante des responsabilités liées au plein exercice de ces professions.

Tant le master délivré au terme d’études menées aux EPF ou dans des HES que le bachelor obtenu dans une filière HES (voire – bien que cela ne soit pas sa vocation – dans une filière EPF) attestent que leurs titulaires disposent de connaissances suffisantes pour commencer à exercer les professions s’ouvrant à eux dans le prolongement de leur formation, ce par quoi il n’est pas encore dit ni ne saurait être tenu comme allant de soi qu’ils peuvent le faire sous leur seule responsabilité. Leur formation est professionnalisante dans le sens qu’elle les légitime à se mettre sur le marché du travail en tant qu’elle doit leur avoir conféré des compétences suffisantes pour fournir les principales prestations liées à l’exercice de leur métier, sans leur ôter pour autant une qualité de « frais émoulus des écoles », que seule la pratique professionnelle est à même d’effacer progressivement. Il ne peut être tiré d’autre conclusion du fait que le secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation indique, sur son site internet (https://www.sbfi.admin.ch/sbfi/fr/home/hs/hautes-ecoles/hautes-ecoles-specia lisees/etudier-dans-une-haute-ecole-specialisee.html, consulté le jour de l’arrêt), que la vocation professionnalisante du bachelor délivré par les HES, formation phare de ces dernières, permet aux étudiants d’intégrer directement le monde du travail.

Contrairement à ce que prétendent les étudiants recourants, on ne saurait déduire de l’art. 26 al. 2 LEHE qu’aucune condition supplémentaire, même de pratique complémentaire, ne puisse être posée pour que lesdits professionnels puissent être inscrits au tableau des MPQ. Car telle est à la fois la raison d’être et la portée de l’exigence de pratique posée par l’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI. Cette exigence ne relève pas du domaine de la formation professionnelle, mais de prescriptions relatives au plein exercice desdites professions en tant que MPQ, édictées au regard de préoccupations que la LEHE n’a pas vocation à réaliser.

Les dispositions attaquées ne portent pas atteinte, sous l’angle de la norme précitée, au principe de la primauté du droit fédéral.

6.             a. Les étudiants recourants invoquent qu’elles violent leur liberté économique ainsi que la LMI.

b. L’ordre constitutionnel suisse protège la liberté économique en tant que droit fondamental (art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; cf. aussi art. 35 Cst-GE, qui n’offre pas une garantie plus étendue que l’art. 27 Cst.), en même temps qu’il impose à la Confédération et aux cantons de respecter le principe de l’économie de marché (not. art. 94 s. Cst.). La fonction individuelle de la liberté économique, consistant à assurer à toute personne (physique ou morale) une protection contre les mesures étatiques restreignant le libre choix et libre exercice de toute activité économique privée, exercée aux fins de production d'un gain ou d'un revenu, à titre principal ou accessoire, dépendant ou indépendant, se double d’une fonction institutionnelle, s’exprimant par le choix du constituant en faveur d’un système économique libéral, fondé sur la libre entreprise et la concurrence (ATF 138 I 378 consid. 6.1 ; 137 I 167 consid. 3.1 ; 135 I 130 consid. 4.2 ; 128 I 19 consid. 4c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_441/2015 du 16 janvier 2016 consid. 7.1 ; ATF 135 I 130 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_301/2015 du 3 novembre 2015 consid. 4.1 ; ATAS/11/2017 du 30 juin 2017 consid. 6 ; ACST/17/2015 du 2 septembre 2015 consid. 13c ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 882 ss, 899, 904 ss, 909 ss, 931 ss ; Pascal MAHON, op. cit., vol II, 2015, n. 121 ss et n. 123 s. ; Klaus A. VALLENDER, Die Schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, 3ème éd., 2014, p. 594 ss et 608 ss ad art. 27).

La liberté économique a également une fonction fédérative ou centralisatrice, en tant qu’elle protège le libre exercice territorial des activités économique dans l’État fédéral. Selon l’art. 95 al. 2 Cst., la Confédération veille à créer un espace économique suisse unique et garantit aux personnes qui justifient d’une formation universitaire ou d’une formation fédérale, cantonale ou reconnue par le canton la possibilité d’exercer leur profession dans toute la Suisse. À teneur de l’art. 196 ch. 5 Cst., jusqu’à l’adoption d’une législation fédérale, les cantons sont tenus à la reconnaissance réciproque des titres sanctionnant une formation. Cet aspect de la liberté économique est concrétisé notamment par la LMI (Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 122 p. 192 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 887 i. f., 915 ss).

La LMI s’applique à « toute activité non régalienne ayant pour but un gain » (art. 1 al. 3 LMI), que l’activité considérée soit profitable ou non, exercée ou non pour d’autres motifs aussi que la recherche du profit, à titre principal ou accessoire, en qualité d’indépendant ou de salarié (Manuel BIANCHI DELLA PORTA, in Droit de la concurrence, Commentaire romand, 2013 [ci-après : CR Concurrence], n. 113 ss ad art. 1 LMI). De surcroît – comme cela sera développé plus loin –, elle affirme, renforce et façonne la portée du droit fondamental qu’est la liberté économique, en posant un principe de libre accès au marché (art. 2 LMI) et subordonnant les restrictions susceptibles d’être apportées à ce principe à des conditions (art. 3 LMI) assez similaires à celles qui s’imposent au regard de la seule liberté économique ; elle octroie aux particuliers des droits largement convergents à ceux qui se déduisent de cette dernière (Vincent MARTENET / Pierre TERCIER, CR concurrence, n. 49 ss et 60 ss ad Intro. LMI).

c. La profession d’architecte ou ingénieur entre dans le champ de protection tant de la liberté économique garantie par l’art. 27 Cst. que dans le champ d’application matériel de la LMI. En conséquence, à l’appui de leur grief dirigé contre l’exigence d’une pratique (de surcroît allongée) imposée par l’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI, les étudiants recourants sont habilités à se prévaloir de leur droit tant au respect de leur liberté économique qu’à exiger, en vertu du principe constitutionnel de la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), que la LMI ne soit pas enfreinte (Pascal MAHON, in Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 11 avril 1999, éd. par Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, 2003, n. 25 ad art. 27).

Il se justifie d’examiner conjointement, dans la mesure utile, les griefs de violation de la liberté économique et de violation de la LMI invoqués par les étudiants recourants, dès lors que ces deux questions se recoupent largement.

7.             a. Des conditions mises à l’inscription au tableau des MPQ reconnus par l’État, à l’instar des dispositions attaquées, représentent des restrictions à la liberté desdits professionnels d’exercer pleinement leur métier, que ce soit à titre indépendant ou sous leur nom comme salarié au sein d’un bureau ou une entreprise comportant un département d’architecture ou de génie civil, dès lors que cette inscription est indispensable pour tous les travaux dont l’exécution est soumise à autorisation en vertu de la LCI (art. 1, 3 al. 1 let. a et 2, et 4 LPAI). Pour les architectes – profession à laquelle se destinent les étudiants recourants –, la reconnaissance s’étend à la planification et à la direction des travaux de construction de tous ouvrages, à charge pour eux de veiller, au besoin, que les prestations spécifiques de génie civil, de génie électrique, de génie thermique ou relevant d’autres disciplines soient confiées à des spécialistes (art. 3 al. 2 du règlement d’application de la loi sur l’exercice des professions d’architecte et d’ingénieur du 9 novembre 1983 - RPAI - L 5 40.01). L’inscription audit tableau habilite les MPQ y étant inscrits, sous leur responsabilité (art. 7 LPAI), notamment à établir et signer les plans et autres documents joints à toute demande d’autorisation publiée dans la FAO dans leur domaine de spécialisation (art. 2 al. 3 LCI ; art. 3 RPAI), diriger les travaux de construction (art. 6 al. 1 LCI) et établir l’attestation de conformité des travaux effectués, nécessaire à l’entrée en occupation des habitations et locaux concernés (art. 7 LCI), et elle leur confère une qualité d’interlocuteur des autorités en charge de la législation sur les constructions (art. 8 al. 4 LCI ; art. 5 al. 3 RPAI).

b. De telles restrictions affectent la liberté économique des personnes souhaitant exercer lesdites professions. Comme les autres droits fondamentaux, cette liberté constitutionnelle n’est cependant pas absolue. Des dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont prévues par la Cst. ou fondées sur les droits régaliens des cantons (art. 94 al. 4 Cst. ; Message relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996, FF 1997 I 1, p. 176 ; ATF 138 I 378 consid. 6.3 p. 387 ; 132 I 282 consid. 3.3 p. 287 ; arrêt du Tribunal fédéral 4C_2/2013 du 10 juillet 2013 consid. 3.1). À défaut, les mesures de politique économique ou de protection d'une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser certaines branches professionnelles ou certaines formes d'exploitation sont prohibées (ATF 140 I 218 consid. 6.2 ; 130 I 26 consid. 4.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_32/2015 du 28 mai 2015 consid. 5.1 ; 2C_819/2014 du 3 avril 2015 consid. 5.1). En revanche, dans sa dimension tant institutionnelle qu’individuelle, la liberté économique peut faire l’objet de restrictions de la part de l’État, aux conditions cumulatives de reposer sur une base légale, de poursuivre un intérêt public et de respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst. ; art. 43 Cst-GE). Sous l'angle de l'intérêt public, sont autorisées les mesures de police, les mesures de politique sociale ainsi que les mesures dictées par la réalisation d'autres intérêts publics (ATF 125 I 322 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 4.1 ; 2C_793/2014 du 24 avril 2015 consid. 4.1). Pour être conforme au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; art. 43 al. 3 Cst-GE), une restriction d'un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé (sous-principe d'adéquation), être nécessaire à cette fin dans le sens que le but visé ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive (sous-principe de nécessité) ; il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (sous-principe de proportionnalité au sens étroit ; ATF 137 I 167 consid. 3.6).

c. Les restrictions contestées en l’espèce sont également susceptibles de porter atteinte à la liberté d’accès au marché que prévoit la LMI. À teneur de son art. 1, la LMI garantit à toute personne ayant son siège ou son établissement en Suisse l’accès libre et non discriminatoire au marché afin qu’elle puisse exercer une activité lucrative sur tout le territoire suisse (al. 1). Elle vise à faciliter la mobilité professionnelle et les échanges économiques en Suisse, soutenir les efforts des cantons visant à harmoniser les conditions d’autorisation d’accès au marché, accroître la compétitivité de l’économie suisse, et renforcer la cohésion économique de la Suisse (al. 2). Elle énonce, à son art. 2 al. 4 phr. 1, le principe – fondant un droit individuel, d’application immédiate – du libre accès au marché à toute personne qui remplit les conditions du premier établissement, sous réserve de son art. 3, qui prévoit à quelles conditions le libre accès au marché peut être restreint (arrêts du Tribunal fédéral 2C_85/2008 / 2C_94/2008 du 24 septembre 2008 consid. 5.1 i.f. ; 2C_15/2008 du 13 octobre 2008 consid. 2.1 p. 17 ; Manuel BIANCHI DELLA PORTA, CR Concurrence, n. 7 ss ad art. 1 LMI, n. 1 ss, 12, 14 ad art. 2 LMI).

La liberté d’accès au marché prévue par la LMI est conditionnée par la licéité de l’activité lucrative de l’offreur externe dans le canton ou la commune où celui-ci a son siège ou son établissement (art. 2 al. 1 i.f. LMI). Elle est fondée sur une présomption d’équivalence des réglementations cantonales ou communales sur l’accès au marché (art. 2 al. 5 LMI). L’autorité du lieu de destination peut renverser cette présomption en démontrant l’existence d’un intérêt public prépondérant à restreindre l’accès au marché, insuffisamment pris en compte par le droit du lieu d’établissement de l’offreur externe, étant précisé que la restriction considérée doit s’appliquer indistinctement aux offreurs locaux et aux offreurs externes (art. 3 al. 1 let. a LMI ; Manuel BIANCHI DELLA PORTA, CR Concurrence, n. 25, 30, 33 s. ad art. 2 LMI, n. 7 ad art. 3). Concernant les restrictions à la liberté d’accès au marché, l’art. 3 al. 1 et 2 LMI reprend, par une formulation pouvant paraître en rendre possible plus qu’en dicter un durcissement d’application, les conditions de l’intérêt public et de la proportionnalité devant être respectées pour restreindre les droits fondamentaux (art. 36 Cst.).

Ainsi, de telles restrictions doivent être indispensables à la préservation d’intérêts publics prépondérants (art. 3 al. 1 let. b LMI), à déterminer de cas en cas en fonction d’une pesée des intérêts en présence mais qui doivent avoir une importance particulière. Sans préjudice du poids à attribuer à la présomption d’équivalence des réglementations cantonales ou communales sur l’accès au marché du lieu de provenance, les critères habituels d’appréciation de l’intérêt public peuvent en règle générale trouver application, ainsi que l’illustrait le catalogue des intérêts publics prépondérants qui figurait à l’art. 3 al. 2 aLMI, jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, de la révision de la LMI du 16 décembre 2005, conservant néanmoins sa valeur exemplative (RO 2006 2363 2366; FF 2005 421 ; Manuel BIANCHI DELLA PORTA, CR Concurrence, n. 8 ss ad art. 3 LMI).

Selon l’art. 3 al. 2 LMI, des restrictions à l’accès au marché ne répondent pas au principe de la proportionnalité lorsqu’une protection suffisante des intérêts publics prépondérants peut être obtenue au moyen des dispositions applicables au lieu de provenance (let. a), les attestations de sécurité ou certificats déjà produits par l’offreur au lieu de provenance sont suffisants (let. b), le siège ou l’établissement au lieu de destination est exigé comme préalable à l’autorisation d’exercer une activité lucrative (let. c), ou une protection suffisante des intérêts publics prépondérants peut être garantie par l’activité que l’offreur a exercée au lieu de provenance (let. d). Sans préjudice de l’obligation de tenir compte de l’expérience professionnelle acquise au lieu de provenance et de reconnaître en principe les certificats de capacité du lieu de provenance, l’examen de proportionnalité des mesures restrictives passe par les étapes habituelles, dans le domaine des droits fondamentaux, de la vérification de leur aptitude à atteindre le but visé, de leur nécessité à cette fin (en règle générale au sens admis au lieu de provenance) et de leur proportionnalité au sens étroit (Manuel BIANCHI DELLA PORTA, CR Concurrence, n. 37 ss, 41 ad art. 3 LMI).

d. Il est inhérent au fédéralisme que les cantons, voire les communes dans la mesure de leur autonomie, adoptent des normes divergentes sur les sujets relevant de leur compétence, les uns posant par exemple certaines conditions à l’exercice d’une activité lucrative que d’autres n’estiment pas nécessaires, sans qu’il n’en résulte d’inégalité de traitement prohibée par l’art. 8 al. 1 Cst., ni forcément, dans des matières régies non exhaustivement par le droit fédéral, de non-conformité au droit supérieur (arrêt du Tribunal fédéral 2C_380/2016 du 1er septembre 2017 consid. 5.3 i.f.), ni ipso jure de fragilisation de l’intérêt public et de la proportionnalité que lesdites restrictions visent à respecter.

Il n’empêche que déjà sous l’empire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874 (aCst.), la Confédération avait reçu la compétence de créer, pour les professions libérales, requérant une préparation scientifique, dont celles d’architecte et d’ingénieur (ATF 116 Ia 355 ; 112 Ia 30 ; 104 Ia 473 consid. 2 ; 93 I 513 consid. 4a ; 86 I 321 ; 89 I 27), un certificat de capacité ou diplôme fédéral, valable dans toute la Suisse (art. 33 al. 2 aCst.), et qu’en attendant l’institution d’un diplôme fédéral dans ces professions, le certificat de capacité obtenu selon la législation d’un canton produirait ses effets dans tous les autres cantons pour autant que s’y attachât la preuve d’une certaine aptitude (art. 5 D.T. aCst. ; Jean-François AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, vol. II, 1967, n. 1887 ss ; ATF 84 I 24). Néanmoins, selon Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER (op. cit., vol. II, n. 917), la fonction fédérative de la liberté économique est « restée pratiquement lettre morte » en Suisse pendant plus de cent ans, le Tribunal fédéral s’étant « montré plus sensible au respect de l’autonomie fiscale et législative cantonale qu’à la concrétisation de la promesse de non-discrimination contenue implicitement dans la Constitution fédérale » (ATF 125 I 276 consid. 4 p. 278 ss ; Message du Conseil fédéral du 23 novembre 1994 concernant la loi fédérale sur le marché intérieur, FF 1995 I 1193 ss, 1214 s.). Dans sa version d’origine, la LMI n’a pas permis une pleine réalisation du marché intérieur, même si elle consacrait la liberté d’accès au marché et avait été conçue comme devant avoir à cet égard la fonction d’un catalyseur (cf. Effets de la loi fédérale sur le marché intérieur [LMI] sur la libre circulation des services et des personnes en Suisse. Rapport de la Commission de gestion du Conseil national établi sur la base d’une évaluation de l’Organe parlementaire de contrôle de l’administration, du 27 juin 2000, FF 2000 5603 ss, 5608). La révision précitée de la LMI du 16 décembre 2005 a visé à améliorer le fonctionnement du marché intérieur (Message du Conseil fédéral du 24 novembre 2004 relatif à la révision de la loi fédérale sur le marché intérieur, FF 2005 421 ss), avec l’idée entre autres d’empêcher que le principe du fédéralisme ne l’emporte sur celui du marché intérieur, comme le permettait le texte initial de la LMI et l’interprétation que le Tribunal fédéral en avait donnée (ATF 135 II 12 consid. 2.1 p. 17 et 134 II 329 consid. 52 p. 333 s., et jurisprudence et doctrine citées par ces arrêts ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II. n. 918).

e. C’est dire qu’actuellement, au regard de la LMI révisée, mais aussi par rejaillissement sur la portée à attribuer à la liberté économique, la réglementation adoptée par d’autres cantons pour l’accès à une profession et son exercice – en l’occurrence notamment celle d’architecte – ne saurait n’avoir aucune importance pour apprécier la validité des normes genevoises portant sur le même sujet, même s’il n’est pas exclu par principe qu’un canton se montre en la matière plus exigeant que d’autres.

8.             La LMI ne reprend pas explicitement l’exigence d’une base légale qui prévaut pour les limitations apportées aux droits fondamentaux (art. 36 al. l phr. 1 Cst.). Peu importe de déterminer si cette condition doit aussi valoir pour les restrictions apportées au libre accès au marché au sens de la LMI (Manuel BIANCHI DELLA PORTA, CR Concurrence, n. 53 ad art. 3 LMI). En effet, les exigences de pratique complémentaire posées par les dispositions attaquées sont en tout état conformes au principe de la légalité, tant par le fait qu’elles sont prévues par une loi formelle – soit un acte normatif ayant été voté par le Grand Conseil et exposé au référendum au moins facultatif (ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 6a ; Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341-385, p. 353 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 305) – que par leur densité normative, ainsi que le requiert l’importance des restrictions qu’elles impliquent pour la liberté économique (ACST/17/2015 précité consid. 14 a et b).

9.             a. Il y a lieu de déterminer si les restrictions contestées répondent à un intérêt public, respectivement sont indispensables à la préservation d’un intérêt public prépondérant au sens de l’art. 3 al. 1 let. b LMI.

b. La détermination de l’intérêt public est une question de nature éminemment politique, qui est prioritairement du ressort des pouvoirs législatif et exécutif. Elle est susceptible de varier dans le temps et l’espace, mais aussi au regard des droits fondamentaux considérés. Est toujours d’intérêt public la protection de l’ordre public, englobant la sécurité, la tranquillité, la santé et la moralité publiques, ainsi que la bonne foi en affaires. L’intérêt public comprend aussi la promotion du bien-être général de la population, l’utilisation rationnelle du territoire, la sauvegarde des bases vitales de l’homme, des espèces animales et végétales, ainsi que la défense et le développement de valeurs esthétiques ou culturelles. La chambre constitutionnelle doit faire montre d’une certaine réserve dans l’examen de la question de l’intérêt public poursuivi. Il lui faut cependant s’assurer que l’intérêt public invoqué n’ait pas simple valeur d’antienne, mais concerne une réelle problématique appelant une intervention étatique. Elle peut se référer à cet effet aux valeurs communément ressenties comme importantes au sein de la population, en particulier à celles qu’expriment les constitutions fédérale et cantonale, et elle n’est pas limitée, contrairement au Tribunal fédéral, dans l’appréciation des circonstances locales ou régionales relevant principalement de la compétence cantonale (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 212 ss, 831 ss et 983 ss ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 35, n. 126 p. 199 ss, n. 137 p. 221 ss ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, p. 756 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 527 ss ; Pierre TSCHANNEN, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 3ème éd., 2011, p. 138 s. ; Rainer J. SCHWEIZER, St. Galler Kommentar, p. 836 s. ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., ad art. 36, p. 325 ss).

c. Dans un arrêt du 31 janvier 1986 (ATF 112 Ia 30) portant sur la constitutionnalité d’une disposition légale vaudoise soumettant l’exercice de la profession d’architecte à la condition d’une pratique de trois ans en complément à l’obtention des diplômes s’agissant des architectes ETS et des architectes inscrits au registre B de la Fondation REG mais pas des architectes EPF, le Tribunal fédéral a jugé que ladite norme violait sans raison démontrée l’égalité de traitement entre concurrents. Il n’en a pas moins précisé que son annulation ne signifiait pas que l’exigence d’une expérience pratique de la part des personnes souhaitant exercer la profession d’architecte n’était pas fondée sur un motif de police valable (consid. 3d). Après avoir retracé le parcours de formation respectivement des architectes EPF (comportant une expérience pratique des contacts avec les clients et les entrepreneurs et, le cas échéant, la direction de chantier) et des architectes ETS (plus proche de la réalité quotidienne de leur profession, s’agissant surtout de ceux qui avaient fait un apprentissage, voire, après celui-ci, avaient travaillé comme dessinateurs-architectes), il a retenu que ces deux catégories d’architectes étaient, à la fin de leurs études, soit dépourvues de toute expérience pratique (architecte ETS n’ayant pas de certificat de capacité fédéral [ci-après : CFC]), soit au bénéfice d’une expérience pratique plus ou moins limitée (architectes EPF et architectes ETS titulaires d’un CFC), pouvant être insuffisante (consid. 3c). Or – a-t-il ajouté –, la profession d’architecte fait appel à des qualifications professionnelles élevées, si bien qu’il pouvait paraître justifié de protéger le public contre les risques provoqués par une expérience pratique insuffisante de la part de tels mandataires (consid. 3d). Le Tribunal fédéral s’était déjà prononcé dans ce sens par un arrêt du 20 septembre 1967 (ATF 93 I 513 consid. 4).

Du moins à l’époque, la doctrine admettait également qu’un certificat de capacité soit exigé en plus du diplôme d’architecte, aux fins de s’assurer que les professionnels exerçant cette profession libérale disposent de qualités n’ayant pas été examinées ni testées dans le cours des études, comme la moralité financière et les capacités de direction, ou que des exigences soient posées, soit essentiellement celle d’une expérience pratique, aux fins d’assurer le plein respect de la législation sur les constructions (Blaise KNAPP, La profession d’architecte en droit public, in Le droit de l’architecte, éd. par Peter GAUCH / Pierre TERCIER, 3ème éd., 1986, p. 487 ss, 492 ss), plus généralement celui du droit public de la construction. Or, aujourd’hui de façon accrue, l’architecte et l’ingénieur sont confrontés régulièrement au droit public dans leur activité professionnelle, en matière déjà d’accès à la formation et au métier (aussi pour l’engagement d’employés), mais également de libre circulation des services, d’obtention de mandats de la part de collectivités publiques, d’acquisition de terrains pour des projets de construction, d’élaboration des projets, d’établissement des plans, de direction des travaux, d’attestation de la conformité des ouvrages réalisés (Jean-Baptiste ZUFFEREY / Isabelle ROMY, La construction et son environnement en droit public, 2ème éd., 2017, p. 12). Il y a place pour une exigence de pratique s’ajoutant à celle d’une formation même professionnalisante, dans le but de garantir le respect des normes complexes régissant ces matières, en plus d’une saine gestion financière de la planification et de l’exécution des ouvrages.

d. Compte tenu des responsabilités incombant à un MPQ pour les travaux soumis à autorisation au sens de la LCI – allant de l’établissement des plans à l’attestation de conformité des travaux exécutés, en passant par la direction de ces derniers (consid. 7a) –, il doit être admis, sous l’angle de la liberté économique, que l’État poursuit un but d’intérêt public en refusant de conférer lesdites responsabilités à des diplômés – titulaires d’un bachelor ou d’un master – qui ne pourraient se prévaloir d’une pratique de la profession acquise après la fin de la formation professionnelle, soit après les études proprement dites, quand bien même ces dernières ont comporté, même de façon accentuée s’agissant des filières HES, des stages pratiques et/ou une mise en contact avec la pratique ou étaient axées sur la pratique. Il s’agit à la fois d’assurer la protection du public et de promouvoir l’intérêt général par une amélioration de la garantie que les MPQ aux services desquels les administrés doivent recourir pour les travaux soumis à autorisation disposent des qualités requises, pour prévenir les risques de malfaçons techniques, de non-conformité aux exigences de la législation sur les constructions ou de mauvaise gestion financière des chantiers, ce sur les plans non seulement des connaissances théoriques mais aussi de la maturité et du savoir-faire pratique, administratif et financier que seule l’expérience professionnelle confère, pour concevoir et réaliser des ouvrages « de bonne qualité au titre de la sécurité, de la salubrité, de l’esthétique et de l’environnement » (art. 6 al. 2 LPAI), être des interlocuteurs fiables des autorités en charge de la législation sur les constructions (art. 8 al. 4 LCI ; art. 5 al. 3 RPAI) et assumer d’attester de la conformité des habitations et locaux considérés en sorte qu’ils puissent être occupés et utilisés (art. 7 LCI).

e. Sous l’angle de la LMI, il appert que cet intérêt public s’inscrit dans la ligne de certains des intérêts publics prépondérants qu’énumérait à titre exemplatif l’art. 3 al. 2 aLMI, en particulier la protection de la vie et de la santé de l’être humain et des animaux (référence étant faite notamment à la sécurité des constructions en cours et une fois achevées et à l’emploi de certains matériaux qui seraient nocifs), la protection de l’environnement, la loyauté des échanges commerciaux, la poursuite d’objectifs de politique sociale et énergétique (Manuel BIANCHI DELLA PORTA, CR Concurrence, n. 13 ss ad art. 3).

e/aa. Sans doute les réglementations cantonales sont-elles assez différentes d’un canton à l’autre. Dans leur tout récent ouvrage précité (p. 57 s.), Jean-Baptiste ZUFFEREY et Isabelle ROMY les répertorient dans les termes suivants :

1° Les cantons qui réglementent l’accès à la profession d’ingénieur ou d’architecte le font par voie directe ou indirecte ou par les deux voies : ils le font de façon directe lorsqu’ils exigent une inscription dans un registre cantonal ou une autorisation spécifique de pratiquer (Fribourg, Genève, Neuchâtel, Tessin). Ils le font de manière indirecte lorsqu’ils permettent à leurs autorités de subordonner la participation à une procédure sélective de marchés publics à une inscription sur une liste permanente (Fribourg, Jura, Neuchâtel, Valais et Berne) ou quand, sans exiger d’inscription ou d’autorisation spécifique, certaines prestations définies sont assujetties par la police des constructions à la participation d’un architecte ou d’un ingénieur spécifiquement qualifié au regard de la législation cantonale (Vaud).

2° Entre les cantons latins répertoriés, les sources légales de ces exigences sont formellement très disparates, les conditions matérielles d’autorisation sont plus ou moins similaires et les prestations réservées aux mandataires reconnus varient fortement, d’un régime minimaliste comme le Valais (où la construction privée est libre) à un régime très réglementé comme Genève.

3° Dans les cantons de Suisse allemande, la profession d’architecte et d’ingénieur n’est en règle générale même pas réglementée, l’accès à cette activité est donc libre et le recours à un mandataire autorisé n’est obligatoire ni pour la construction privée – le maître de l’ouvrage peut même signer lui-même sa demande de permis de construire – ni pour les ouvrages publics (une procédure de marchés publics s’imposant cependant pour ces derniers et en limitant l’accès aux professionnels diplômés soit explicitement soit par le jeu de la concurrence dans les critères d’aptitude).

e/bb. Dans une recommandation du 29 janvier 2001 (CPC 2001/1 p. 155 ss), adressée en vertu de l’art. 8 al. 2 LMI aux cantons (en l’occurrence) de Fribourg, Genève, Neuchâtel et Tessin ainsi qu’à la Fondation REG, la Comco a invité ces derniers à supprimer leurs dispositions légales qui limitaient excessivement l’accès au marché des architectes, en prévoyant l’inscription dans un registre permanent, le nombre d’années de pratique, le domicile professionnel dans le canton ou le paiement d’émoluments, exigences qu’elle estimait incompatibles avec le libre exercice d’une activité garantie par la liberté économique (art. 27 Cst.) et avec la LMI.

À ce stade, il suffit de relever que tant pour l’inscription dans un registre cantonal que pour la condition liée à l’existence d’années de pratique, la Comco n’a pas nié que ces restrictions pussent poursuivre un intérêt public (consid. 3.1 ch. 16 et 3.2 ch. 25), concédant en particulier qu’en « matière de police des constructions, il (était) théoriquement possible de dire que l’exigence d’années de pratique vis(ait) à assurer la qualité des constructions et, partant, la protection de la vie humaine ou la protection de l’environnement ».

e/cc. La présomption d’équivalence des réglementations cantonales que pose l’art. 2 al. 5 LMI perd une part substantielle de sa justification lorsque des cantons n’en ont pas édictées. Lorsqu’une profession réglementée dans le canton de destination peut être exercée librement dans celui de provenance, il ne s’ensuit pas qu’elle doive le devenir dans tous les cantons, même si cela commande de s’assurer que la réglementation du canton de destination poursuit un réel intérêt public important, et notamment qu’une protection suffisante de ce dernier ne peut être garantie par l’activité de l’offreur exercée au lieu de provenance au sens de l’art. 3 al. 2 let. d LMI (Manuel BIANCHI DELLA PORTA, CR Concurrence, n. 39 ad art. 2 LMI), question qui, par définition, ne pourrait être examinée que dans le cadre d’un contrôle concret de constitutionnalité à l’occasion d’un cas d’application (ATA/1200/2017 du 22 août 2017 consid. 6). La LMI ne saurait être interprétée comme promouvant un nivellement par le bas.

f. L’intérêt public précité peut être qualifié de prépondérant au sens de l’art. 3 al. 1 let. b LMI.

10.         a. S’agissant de la proportionnalité des dispositions attaquées, il appert que tant sur le plan du principe qu’au regard de sa durée (trois ans pour le master et cinq ans pour le bachelor), l’exigence posée d’une pratique complémentaire aux études considérées est apte à conférer aux titulaires de ces diplômes des compétences supplémentaires, une somme d’expériences pratiques les mettant en mesure d’exercer pleinement les responsabilités précitées liées à la qualité de MPQ.

b. Une exigence de pratique admise quant à son principe comme répondant à un intérêt public doit l’être logiquement pour une certaine durée, tant il est évident que si elle doit rester temporaire, elle ne saurait n’être qu’éphémère. Il relève du bon sens que l’expérience acquise postérieurement à la fin des études proprement dites a une valeur différente et plus substantielle que ne peut avoir la mise en contact de la pratique imprégnant l’acquisition du savoir durant les années d’études amenant à l’obtention des diplômes considérés, y compris du bachelor délivré dans les filières HES, mais aussi qu’à cette fin la pratique exigée doit être exercée durablement, sous la responsabilité d’un professionnel expérimenté et au contact quotidien, par ce biais, des réalités de l’exercice desdites professions et des autorités en charge de la législation sur les constructions.

Quant à la question de savoir si la nécessité de la mesure doit être admise s’agissant de la durée retenue – en particulier en l’espèce (trois ans pour le master et cinq ans pour le bachelor) –, elle se recoupe, du moins partiellement, avec celle de savoir si, compte tenu précisément d’une telle durée, la restriction considérée se trouve dans un rapport raisonnable avec ses effets sur la situation des intéressés et les effets escomptés de la mesure.

c. C’est l’examen de la nécessité des restrictions considérées, mais en même temps de l’admissibilité ou non de leur dureté, qui a amené la Comco, dans la recommandation précitée, à nier leur conformité à la LMI. Selon cette autorité, rien ne prouvait que les immeubles construits dans les cantons ne connaissant ni l’inscription dans un registre cantonal ni l’exigence d’années supplémentaires de pratique mettaient en danger le public ou ne donnaient pas satisfaction, qu’ils aient été le fait d’architectes bernois, zurichois ou genevois ; la garantie d’un niveau de formation suffisant pouvait être atteinte par les dispositions sur la formation professionnelle ; le respect de la législation cantonale sur les constructions pouvait tout aussi bien être assuré par des dispositions pénales ; la crainte de voir les nouveaux diplômés se lancer sans expérience sur le marché devait être relativisée, car ceux-ci travaillaient généralement au sein de bureaux réunissant plusieurs confrères pouvant pallier leurs lacunes, et il fallait leur donner l’occasion de faire leurs preuves, ce que l’exigence d’une pratique empêcherait (consid. 3.1 ch. 19 s, et 3.2 ch. 25).

Force est d’objecter que ces motifs n’ont pas une pertinence et un poids suffisants pour nier par principe la nécessité des mesures considérées, s’agissant tant d’une inscription au tableau des MPQ (dont – sied-il de relever – la justification tient aussi à la vérification de l’absence de condamnation criminelle ou correctionnelle pour des faits portant atteinte à la probité et à l’honneur [art. 3 al. 1 let. c LPAI], condition non contestée ni susceptible d’être discutée ici) que de l’exigence d’une pratique complémentaire à la formation professionnelle proprement dite, à tout le moins jusqu’à une certaine durée de pratique requise. Le principe de la proportionnalité ne dicte pas de préférer un système fondé sur des sanctions pénales, impliquant une intervention a posteriori, à un contrôle administratif de nature préventive d’une activité indéniablement propre à remédier à des lacunes, dont la Comco admet au demeurant l’existence, en en minimisant toutefois les effets par l’appui que de nouveaux diplômés trouvent généralement à leur lieu de travail auprès de collègues plus expérimentés. Les restrictions contestées n’empêchent nullement des titulaires d’un master ou d’un bachelor (notamment délivré dans une filière HES) de travailler dans leur profession, mais uniquement d’être d’emblée inscrits au tableau des MPQ et, partant, d’assumer eux-mêmes les responsabilités liées à la qualité de MPQ ; cette considération amoindrit sensiblement l’impact des restrictions considérées. On ne saurait faire abstraction des avis qui se sont exprimés à ce sujet au cours des travaux parlementaires ayant abouti à l’adoption des normes contestées, avis qui vont majoritairement, sur le plan du principe, dans le sens d’un renforcement nécessaire du niveau de compétence à requérir des MPQ par rapport à une titularité de diplômes (bachelor et master) non enrichie d’une pratique professionnelle (PL 1078-B, p. 6, 8 ss).

d. Au surplus, dans l’intervalle – à savoir par une modification de la LCI adoptée le 17 septembre 2009 et entrée en vigueur le 1er septembre 2010 (ROLG 2009 p. 751, 2010 p. 495) –, une responsabilité importante est venue s’ajouter à l’inscription au tableau des MPQ : la délivrance d’attestations de conformité, nécessaire pour l’entrée en occupation des constructions ou installations neuves ou modifiées destinées à l'habitation ou au travail, ou la confection, le dépôt ou la vente de denrées alimentaires, ou encore la confection, le dépôt ou la vente de matières inflammables, explosives ou dangereuses pour toute autre cause (art. 7 al. 1 LCI).

e. Ainsi, sur le principe, il y a lieu d’admettre la compatibilité d’une inscription au tableau des MPQ et d’une pratique complémentaire tant avec la liberté économique qu’avec la LMI. Il reste à examiner si la durée exigée de cette pratique l’est aussi.

11.         a. Jusqu’au 12 mai 2017, veille de l’entrée en vigueur des dispositions contestées, cette durée était de deux ans, tant pour les titulaires du master (notamment) des EPF ou des HES (art. 4 let. a ch. 2 aLPAI) que d’un bachelor délivré par une HES, anciennement dénommé diplôme ETS (art. 4 let. b ch. 2 aLPAI). Cette durée a été portée par la novelle attaquée à trois ans pour les titulaires d’un master obtenu (notamment) dans une EPF ou une HES (art. 4 al. 1 let. a LPAI), et à cinq ans pour les titulaires d’un bachelor délivré (notamment) par une EPF ou une HES (art. 4 al. 1 let. b LPAI), sans prise en compte, dans le calcul de cette durée, d’une éventuelle expérience professionnelle acquise avant ou en cours d’études.

L’allongement de cette exigence est très important, puisqu’il est respectivement de 50 % et 150 %. Il n’est par ailleurs pas contestable que celui qui est appliqué aux titulaires d’un bachelor vise dans les faits essentiellement ceux qui suivent des filières HES, l’obtention du bachelor dans les filières EPF n’étant qu’une étape vers celle d’un master.

b. Quelque ancien qu’il soit, l’arrêt précité du 31 janvier 1986 (ATF 112 Ia 30) prend ici toute son importance, à l’égard tant de la durée de la pratique exigée que de sa différenciation entre – dans ledit arrêt – les architectes ETS et les personnes inscrites au registre B de la Fondation REG d’une part et les architectes EPF d’autre part. Le Tribunal fédéral y a déclaré (consid. 3a), sur un plan général, que les cantons n’étaient pas libres de légiférer en la matière comme ils l’entendaient, ne pouvaient exiger des connaissances et des capacités de la part des candidats que dans la mesure où la protection du public le requérait nécessairement, ne pouvaient pas limiter l’accès aux professions libérales pour élever le niveau de ces dernières, si désirable que pût être ce dernier but. Ils devaient en outre respecter l’égalité de traitement entre concurrents directs – qu’étaient ces différents diplômés en tant que personnes appartenant à la même branche économique, s’adressant au même public avec des offres identiques pour satisfaire le même besoin – et en particulier ne pas les soumettre à des exigences différentes sans que les distinctions opérées ne trouvent de justification dans les faits à réglementer et ne soient ainsi justifiées par des motifs de police suffisants, conditions que le législateur vaudois n’avait pas respectées (consid. 3c).

Les arguments retenus par la Comco dans la recommandation précitée ne peuvent non plus n’avoir aucun poids s’agissant d’un allongement de la pratique exigée des titulaires d’un bachelor mais aussi d’un master aussi important que celui qu’a retenu l’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI.

S’agissant de l’allongement de deux à cinq ans de la pratique exigée des titulaires d’un bachelor, il fait en outre fi, pour son public cible effectif constitué de ceux qui suivent une filière HES, de l’acquisition des connaissances pratiques que leur donne leur formation professionnalisante au sens de l’art. 26 LEHE, de façon plus marquée que les filières EPF.

c. On ne voit pas en quoi une pratique aussi longue que cinq ans, de surcroît supérieure à la durée de la formation professionnelle elle-même, peut être nécessaire après la fin de cette dernière pour que des titulaires d’un bachelor délivré par une HES puissent être reconnus par l’État comme des MPQ.

L’intimé n’a aucunement justifié cet allongement de 150 % – ni au cours des débats en commission parlementaire ou en plénière, ni dans ses écritures –, sinon par des déclarations toutes générales de représentants des milieux professionnels intéressés et de la majorité parlementaire qui s’est finalement dégagée, mus davantage (sinon exclusivement) par un souci de retenir une durée globale de formation égale, pratique complémentaire incluse, pour les uns et les autres et une volonté de valoriser la voie du master (ou d’éviter une dévalorisation de cette dernière), plutôt que par une préoccupation de sauvegarder l’ordre public. L’ajout de la responsabilité de délivrer des attestations de conformité ne suffit clairement pas à rendre cette durée de cinq ans compatible avec la liberté économique et l’art. 3 al. 2 LMI.

Ledit allongement n’est pas même soutenu, mais au contraire critiqué par le gouvernement (cf. not. déclaration du conseiller d’État en charge du DALE lors du 3ème débat sur le PL 11078, in MGC, www.ge.ch/grandconseil/memorial/ seances/010401/4/24), dont dépendent pourtant les services administratifs les mieux placés pour effectuer d’éventuels constats d’insuffisance de formation des professionnels considérés et avoir un avis autorisé sur le sujet en question.

d. Force est en outre de retenir un autre motif d’annuler l’art. 4 al. 1 let. b LPAI en tant qu’il pose l’exigence « d’une pratique suffisante de 5 ans acquise après la fin de la formation professionnelle ».

Fondation de droit privé reconnue par la Confédération en vertu d’un contrat de droit public, la Fondation REG tient les registres (recte : des registres, dans la mesure où elle n’a pas vocation de surveiller l’accès aux professions considérées) pour l’inscription des professionnels relevant des domaines de l’ingénierie, de l’architecture et de la technique, ainsi que des domaines professionnels y apparentés ; elle permet la promotion professionnelle des praticiens des branches techniques et de l’architecture, ainsi que des autodidactes, et encourage la formation continue ; elle peut assumer des tâches d’information dans les domaines qui sont de son ressort, tant sur le plan national qu’international (art. 2 des statuts de ladite fondation). Parmi ses registres, il y a notamment un registre A (destiné aux professionnels titulaires d’un master délivré notamment par une EPF ou une HES) et un registre B (destiné aux professionnels titulaires d’un bachelor de qualification professionnelle délivré par une HES). Pour être inscrit dans le registre B, il faut pouvoir justifier d’une pratique professionnelle de trois ans acquise après la fin de la formation professionnelle (art. 4 al. 1 let. b des statuts de ladite fondation ; art. 15 du règlement régissant l’inscription dans les registres de ladite fondation), au demeurant comme pour une inscription au registre A (art. 4 al. 1 let. b des statuts de ladite fondation ; art. 11 du règlement régissant l’inscription dans les registres de ladite fondation).

Or, selon l’art. 4 al. 1 let. c LPAI (non contesté), l’inscription au registre A ou B de la Fondation REG justifie de capacités professionnelles suffisantes pour être inscrits au tableau des MPQ. Il est donc aisé de contourner l’exigence de cinq ans posée par l’art. 4 al. 1 let. b LPAI. Cette possibilité ne témoigne pas que d’une inadvertance législative, mais d’une incohérence trahissant l’arbitraire de cette exigence ; cette dernière ne repose pas sur des motifs sérieux (ACST/11/2017 du 30 juin 2017 consid. 17 et jurisprudence citée).

12.         a. Concernant la durée portée à trois ans par l’art. 4 al. 1 let. a LPAI pour les titulaires d’un master (d’une filière EPF ou HES), force est de constater qu’elle est élevée. Elle implique un rallongement substantiel de la durée totale de formation des titulaires d’un master (pratique complémentaire incluse), de deux tiers de la durée minimale des études proprement dites aboutissant à l’obtention d’un master.

b. La chambre constitutionnelle ne saurait exclure totalement qu’une telle durée de pratique complémentaire à une semblable formation puisse encore se justifier par des motifs d’ordre public importants. Dire qu’il lui faut faire montre de retenue dans l’appréciation d’une telle question dans le cadre d’un contrôle abstrait (consid. 3) et la détermination de l’intérêt public (consid. 10) n’entraine toutefois pas qu’elle doive admettre la proportionnalité d’une telle restriction en l’absence de motifs non seulement invoqués mais aussi avérés. Or, il incombe prioritairement aux autorités législatives et exécutives de le faire, de façon générale (art. 42 Cst-GE), au cours du processus normatif (art. 109 al. 3 Cst-GE), le cas échéant en réponse à des recours (cf. ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 14a et jurisprudence citée sur la nécessité de disposer de données analytiques justifiant le montant d’émoluments), voire à la Cour des comptes (art. 128 Cst-GE ; loi sur la surveillance de l’État du 13 mars 2014 - LSurv - D 1 09), et non à la chambre constitutionnelle d’en découvrir ou d’en analyser la portée, quand bien même, en tant que juridiction administrative (art. 6 al. 1 let. b LPA), elle établit les faits d’office (art. 19 et 76 LPA) et n’est pas liée par les motifs invoqués par les parties (art. 69 al. 1 phr. 2 LPA). À défaut de motifs avérés, la chambre constitutionnelle ne peut guère qu’annuler les normes attaquées devant elle, à considérer comme n’ayant pas été justifiées, sans préjudice qu’elles puissent être à nouveau adoptées si des études menées ensuite sérieusement en établissaient vraiment le bien-fondé.

En l’espèce, pendant des décennies (soit à tout le moins depuis le 1er décembre 1983, date d’entrée en vigueur de la LPAI dans sa version d’origine [ROLG 1983 p. 79]), la durée de la pratique requise en complément à la titularité des diplômes ouvrant l’inscription au tableau des MPQ a été de deux ans, sans que n’ait été établi – sous réserve de déclarations toute générales déjà évoquées, mais non étayées ne serait-ce que par des exemples concrets et des données statistiques – qu’il en soit résulté une mise en danger généralisable des intérêts publics poursuivis. La même remarque vaut s’agissant de la responsabilité de délivrer les attestations de conformité, en vigueur depuis plus de sept ans. L’absence de dispositions similaires dans la plupart des cantons contribue à justifier une approche prudente de la question.

Ces mêmes considérations doivent être émises à l’encontre d’une durée par hypothèse de trois ans qui serait exigée des titulaires d’un bachelor pour l’inscription au tableau des MPQ, avec la même réserve que cela n’exclut pas l’adoption d’une telle norme si des données fiables, aujourd’hui manifestement inexistantes (à défaut de quoi elles auraient été produites), étaient collectées qui justifieraient une telle durée de pratique complémentaire exigée.

c. Il sied enfin de préciser que l’égalité de traitement imposée par l’art. 8 Cst. comme celle entre concurrents se déduisant de la liberté économique (art. 27 Cst.) n’implique pas l’égalitarisme des durées totales de formation (pratique complémentaire incluse) requises des professionnels issus des filières EPF et HES. Dans la mesure où tant une égalité que d’ailleurs une différenciation à ce sujet résulteraient d’une loi de police telle que la LPAI, il importe que l’une ou l’autre de ces situations se trouvent fondées sur des motifs de police dûment établis ; il ne doit pas être tiré d’autre conclusion sur ce point de l’ATF 112 Ia 30 précité.

13.         a. La chambre constitutionnelle ne peut que déduire de ces considérations que la démonstration de la nécessité d’une pratique de plus de deux ans n’a été rapportée ni pour les titulaires d’un master, ni pour les titulaires d’un bachelor (a fortiori pour un bachelor délivré au terme d’une formation professionnalisante dispensée dans une HES). Elle admet en revanche la compatibilité d’une exigence minimale de deux ans pour ces deux formations tant avec la liberté économique qu’avec la LMI, durée apparaissant à la fois propre à permettre l’acquisition d’une expérience pratique utile de façon générale et non excessive, étant précisé que, dans les faits, en vertu de l’expérience générale de la vie, du bon sens et des lois du marché, des projets de construction particulièrement complexes sont de toute façon confiés à des professionnels chevronnés. Elle rejette donc le grief d’inconstitutionnalité des dispositions attaquées sur le principe même et, à hauteur d’une durée de deux ans, de l’exigence d’une pratique complémentaire aux études proprement dites pour l’inscription au tableau des MPQ, pour les titulaires tant d’un bachelor (des EPF ou des HES) que d’un master (des EPF ou des HES).

b. Aussi annulera-t-elle l’art. 4 al. 1 let. a et b LPAI en tant que ces dispositions exigent une pratique suffisante de plus de deux ans acquise après la fin des formations professionnelles visées par ces dispositions.

En sus d’être liée par les conclusions du recours (art. 69 al. 1 phr. 1 LPA), qu’elle pourrait néanmoins interpréter, elle ne saurait annuler la L 11078, y compris son art. 2 souligné sur son entrée en vigueur, aux fins de faire ré-entrer en vigueur l’ancienne version de l’art. 4 LPAI. Il y aurait d’autant moins lieu de le faire que l’art. 4 aLPAI retient des titres de diplômes qui ne sont pas à jour, d’une part, et que la L 11078 a par ailleurs modifié, de façon non contestée, d’autres disposition de la LPAI, d’autre part. La portée de l’annulation ainsi circonscrite est claire. Il incombera au Conseil d’État d’assurer la publication dans la FAO de la modification qu’elle entraine, en vertu de l’art. 9 du règlement d’exécution de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels (RFPP – B 2 05.01), voire par une mention appropriée dans le Recueil officiel systématique de la législation genevoise. La question de savoir si, formellement, la LPAI devra être adaptée par le biais d’un projet de loi n’a pas à être tranchée ici.

14.         a. Le recours est ainsi admis partiellement.

b. Vu l’issue du litige, un émolument réduit de CHF 600.- sera mis à la charge de la HES-SO Genève, et un émolument réduit de CHF 300.- à la charge conjointement et solidairement des quatre étudiants recourants (art. 87 al. 1 LPA ; art. 2 al. 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

c. Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée aux quatre étudiants recourants, pris conjointement et solidairement, à la charge de l’État de Genève, dès lors qu’ils obtiennent substantiellement gain de cause (art. 87 al. 1 LPA ; art. 6 RFPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare le recours irrecevable en tant qu’il est formé par la Haute école spécialisée de Suisse occidentale – Genève ;

déclare le recours recevable en tant qu’il est formé par Madame A______, Monsieur B______, Madame C______ et Madame D______ ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule l’art. 4 al. 1 let. a et b de la loi sur l’exercice des professions d’architecte et d’ingénieur du 17 décembre 1982, dans sa version issue de la loi 11078 du 17 mars 2017, en tant que ces dispositions exigent une pratique suffisante de plus de deux ans acquise après la fin des formations professionnelles qu’elles visent pour l’inscription au tableau des mandataires professionnellement qualifiés ;

le rejette pour le surplus ;

met un émolument de CHF 600.- à la charge de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale – Genève ;

met un émolument de CHF 300.- à la charge, conjointement et solidairement, de Madame A______, Monsieur B______, Madame C______ et Madame D______ ;

alloue à Madame A______, Monsieur B______, Madame C______ et Madame D______, pris conjointement et solidairement, une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Kuonen, avocat des recourants, au Grand Conseil, ainsi qu’au Conseil d’État.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mme Zen-Ruffinen, M. Martin et Mme Tapponnier, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

 

I. Semuhire

 

 

le président :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :