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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1466/2022

ACST/26/2022 du 22.12.2022 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1466/2022-ABST ACST/26/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 22 décembre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
et
B______
représentés par Me Garance Stackelberg, avocate

contre

GRAND CONSEIL


EN FAIT

1) Monsieur A______, ressortissant suisse, est domicilié à Genève où il exerce la profession de chauffeur de taxi. Il est en outre associé-gérant d’une société exploitant une entreprise de taxi.

B______ (ci-après : l’association) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) ayant son siège à Genève. Elle a notamment pour but de défendre les intérêts professionnels de ses membres, à savoir les personnes individuelles ou collectives représentant des entreprises de transport au sens de la législation sur les taxis, en particulier en coordination avec les autres associations des milieux du transport professionnel de personnes afin de renforcer leurs actions politiques et juridiques.

2) Le 15 mai 2005 est entrée en vigueur l’ancienne loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles du 21 janvier 2005 (aLTaxis - H 1 30), qui subordonnait l’usage accru du domaine public à l’obtention d’un permis de service public, délivré aux taxis de service public ou aux entreprises de taxi de service public, en contrepartie du paiement d’une taxe unique de CHF 40'000.-, récupérable en cas de cessation d’activité. Le permis de service public était soumis à un numerus clausus, avec une liste d’attente prévue pour tout intéressé, et était intransmissible. Les entreprises de taxi de service public avaient la possibilité de louer leurs taxis à travers un bail à ferme, à certaines conditions, contrairement aux titulaires d’une autorisation de taxi de service public, qui avaient l’interdiction formelle de louer leur taxi mais pouvaient néanmoins employer des chauffeurs pour utiliser leur taxi durant leurs heures d’inactivité.

3) Le 27 mars 2014, le Grand Conseil a adopté la loi n° 10'697 sur les taxis de service public et autres transports professionnels de personnes (aLTSP).

4) Le 13 octobre 2016, le Grand Conseil a adopté l’ancienne loi sur les taxis et les voitures de transport de personnes avec chauffeur (aLTVTC - H 1 31), entrée en vigueur le 1er juillet 2017, qui a abrogé l’aLTaxis et, par la même occasion, l’aLTSP, laquelle n’est jamais entrée en vigueur. L’un des objectifs de l’aLTVTC était de simplifier la réglementation en matière de transport professionnel de personnes et de remettre les clients au centre du dispositif, tout en s’adaptant à leur nouveau mode de consommation. L’aLTVTC subordonnait l’utilisation accrue du domaine public à la délivrance d’une autorisation d’usage accru du domaine public (ci-après : AUADP), soumise à un numerus clausus, avec liste d’attente, et en contrepartie du paiement d’une taxe annuelle de CHF 1'400.-. L’aLTVTC prévoyait l’incessibilité de l’AUADP mais aucune règle particulière concernant le bail à ferme ou la location de plaques d’immatriculation. En raison des modifications apportées à l’ancien système par l’aLTVTC, un bilan d’impact sur son application devait être présenté au Grand Conseil deux ans après l’entrée en vigueur de la loi.

5) Le 25 février 2020, le Conseil d’État a déposé au Grand Conseil un rapport RD 1'327 sur le bilan intermédiaire de l’aLTVTC.

Sur la base d’un sondage réalisé auprès des associations de taxis, il était apparu que les revenus des chauffeurs avaient diminué, depuis deux ou trois ans, de 40 % à 50 % pour les taxis non affiliés à une centrale de réservation et de 20 % à 30 % pour les autres. Avant même de générer une première course, un chauffeur de taxi devait amortir des charges particulièrement importantes, ce qui conduisait, pour un chauffeur travaillant à 100 %, à un revenu net situé entre CHF 2'664.- et CHF 3'110.-. Certains chauffeurs de taxi indépendants louaient des AUADP à des entreprises de transport avec un bail à ferme pour un montant mensuel pouvant atteindre CHF 2'000.-, voire plus, qui venait s’ajouter auxdits frais mensuels. Ainsi, ces charges financières, ajoutées à une baisse avérée de la clientèle, impliquaient une précarisation de la profession, qui était compensée par les chauffeurs par l’augmentation considérable de leur temps de travail afin d’espérer réaliser un chiffre d’affaires d’à peine CHF 250.- par jour. Parmi les principaux points de tensions au sein du secteur était mentionnée la rotation insuffisante des AUADP. En septembre 2019, on dénombrait mille cent quarante-quatre taxis au bénéfice d’une telle autorisation, soit quarante-quatre de plus que le numerus clausus de mille cent AUADP. Avec en moyenne un retour d’une à deux AUADP par année, aucune nouvelle autorisation ne serait délivrée avant au moins une décennie, alors que la liste d’attente des taxis comptait actuellement quatre cent soixante-sept personnes.

6) Le lendemain, soit le 26 février 2020, le Conseil d’État a déposé auprès du Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) n° 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC - H 1 31).

Selon l’exposé des motifs y relatif, le PL conservait le même intitulé que l’aLTVTC, l’essentiel de son dispositif ainsi que ses orientations. Le dispositif existant avait toutefois été renforcé, notamment par la réglementation des baux à ferme et la rotation des AUADP. La mise à disposition de taxis à titre onéreux ou gratuit était une pratique dont les conditions avaient été réglementées sous l’égide de l’aLTaxis lorsque les permis de service public étaient délivrés pour une durée indéterminée contre le paiement d’une importante taxe unique, ce qui n’avait plus été le cas à la suite de l’adoption de l’aLTVTC, laquelle prévoyait que l’AUADP était délivrée pour une durée de six ans contre le paiement d’une taxe annuelle de CHF 1'400.-, chaque autorisation correspondant à une immatriculation au moyen de numéros spécialement dédiés aux taxis. Malgré ces changements, certains titulaires d’AUADP, considérant en être propriétaires, de même que de la plaque d’immatriculation, se contentaient de louer leur taxi, ce qui leur conférait une rente liée à la simple détention de l’autorisation. Il n’était pas non plus rare que les titulaires d’une AUADP louent les plaques d’immatriculation de leur véhicule, devenant formellement détenteurs de la voiture des fermiers, en contradiction avec les règles de la circulation routière. Les loyers abusifs ainsi pratiqués étaient non seulement inacceptables mais généraient également des situations de précarité sociale au sein de la profession, de sorte qu’un encadrement strict de cette pratique, pour éviter les abus, s’imposait, en interdisant la location des plaques et en encadrant la mise à disposition des taxis. L’interdiction de cette pratique permettait non seulement d’y mettre un terme, mais également de susciter la restitution d’AUADP en vue de leur réattribution, afin de réduire le temps d’attente pour les personnes souhaitant exercer la profession. La fixation d’une limite d’âge, en l’occurrence à 75 ans, qui entraînait la caducité de l’AUADP visait le même objectif, ainsi que celui de préserver la santé des administrés (pénibilité de la profession de chauffeur, charges importantes à soulever) et la sécurité des usagers.

7) Ce projet a été renvoyé à la commission des transports (ci-après : la commission parlementaire), qui a rendu deux rapports, respectivement le 16 août 2021 (PL 12'649-A) et le 11 janvier 2022 (PL 12'649-B).

a. Selon la présentation du PL par le département, la problématique de la location des plaques de taxi ainsi que l’AUADP associée était récurrente et faisait l’objet de discussions avec les milieux des taxis. En raison du numerus clausus desdites AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que cinquante-trois personnes détenaient cent cinquante AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme, y compris en recourant à un « doubleur », lequel ne pouvait exercer sa profession que lorsque le titulaire principal de l’AUADP ne souhaitait pas lui-même l’utiliser. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser, qui devenait contractuellement son employé, soit céder définitivement l’AUADP. Une telle réglementation permettrait d’assainir des situations difficilement contrôlables. Il avait également paru important de fixer un âge maximum, en présence de chauffeurs très âgés pratiquant encore leur métier uniquement pour s’occuper et des difficultés des plus jeunes à entrer dans la profession.

b. La commission parlementaire a procédé à plusieurs auditions.

Les représentants de l’Union des taxis genevois ont expliqué que les charges pesant sur les taxis avaient massivement augmenté à la suite de l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, alors que les revenus n’avaient fait que décroître à la suite de l’arrivée d’Uber sur le marché et de la situation sanitaire. Plusieurs chauffeurs avaient profité de la période transitoire de l’aLTVTC pour vendre ou rendre contre dédommagement leur AUADP, et certains s’étaient réinscrits sur la liste d’attente pour en obtenir une gratuitement. En l’absence d’incitation financière favorisant la restitution des plaques, de nombreux titulaires d’une AUADP qui ne les utilisaient plus préféraient les conserver pour les mettre en location, ce qui leur procurait une rente de situation mais ne favorisait pas l’entrée dans la profession de nouveaux chauffeurs. Avant l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, des prix maximaux étaient pratiqués pour les baux à ferme, ce qui n’était plus le cas, des chauffeurs en ayant abusé. Le prix de location d’une plaque était désormais rarement inférieur à CHF 1'000.- par mois et représentait une charge énorme pour les chauffeurs. Sans les charges, un chauffeur percevait un revenu journalier moyen situé entre CHF 100.- et CHF 150.-.

Selon les représentants de l’Association des chauffeurs de taxi sans plaques à Genève, des personnes qui n’exerçaient pas elles-mêmes le métier détenaient des AUADP et les remettaient en location, pour un loyer allant jusqu’à CHF 2'000.- par mois fixé uniquement par rapport à l’offre et à la demande des chauffeurs. En raison du numerus clausus et du faible taux de rotation, l’AUADP était inaccessible pour les nouveaux chauffeurs. L’aLTVTC avait créé un environnement favorable à de telles pratiques abusives. Actuellement, environ deux cents chauffeurs louaient des plaques auprès de bailleurs, principalement des particuliers, une vingtaine de plaques appartenant à des sociétés.

Monsieur C______ était chauffeur de taxi et dirigeant d’une entreprise de taxi. Lors de l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, les chauffeurs n’avaient plus souhaité avoir recours au bail à ferme mais uniquement à la location de plaques, qui coûtait moins cher et leur évitait de devoir partager leur véhicule. Les entreprises s’étaient également mises à louer des plaques, au détriment du bail à ferme. Les chauffeurs ne souhaitaient pas non plus devenir salariés et le fait de leur imposer une activité dépendante aurait pour conséquence de condamner les entreprises qui les employaient, au vu des charges dont elles devraient s’acquitter. Une indemnisation pour les entreprises qui avaient consenti à des investissements et avaient été incitées par l’aLTVTC à acquérir des autorisations devait dès lors être envisagée.

Ont en outre été auditionnés notamment D______ SA, l’association E______ et l’association F______.

c. Il ressort des débats que la commission parlementaire avait voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Elle avait été alertée par des professionnels s’agissant de la suppression du bail à ferme, qui aurait des implications sur les entreprises, lesquelles ne prendraient pas le risque d’employer des chauffeurs qu’il faudrait payer. De telles entreprises avaient toutefois une valeur ajoutée moindre, puisque qu’elles acquéraient des véhicules et les louaient avec l’AUADP correspondante, moyennant une marge, laquelle était souvent excessive. En maintenant le bail à ferme, on permettait à plusieurs personnes de rester dans un modèle qui n’amenait pas grand-chose d’un point de vue entrepreneurial. Le bail à ferme, tel qu’il était organisé par certaines personnes, restait un système exploitant une certaine dépendance, qui permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Le bail à ferme n’étant plus en lien avec la réalité de la pratique de la profession, il convenait de supprimer cette possibilité. Une indemnisation, dans les dispositions transitoires, était néanmoins introduite, en faveur des personnes qui rendaient leur AUADP.

8) À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12'649), qui a notamment la teneur suivante :

« Chapitre II Accès aux professions

Section 4 Immatriculations

Art. 13 Autorisation d’usage accru du domaine public

Principes

3 Les autorisations et les plaques d’immatriculation correspondantes sont strictement personnelles et intransmissibles ; elles ne peuvent être mises à la disposition d’entreprises ni de chauffeurs tiers. Le titulaire de l’autorisation doit en faire un usage personnel et effectif en tant que chauffeur indépendant ou entreprise au sens de l’article 5, lettre c, chiffre 1, de la présente loi.

Caducité

9 Le département constate la caducité de l’autorisation lorsque :

a) son titulaire y renonce par écrit ;

b) son titulaire ne dépose pas une requête en renouvellement 3 mois avant son échéance ;

c) son titulaire a atteint l’âge de 75 ans révolus ;

d) son titulaire n’en fait pas un usage effectif, en tant que chauffeur, respectivement en tant qu’entreprise pendant 6 mois consécutifs. Est réservé le cas d’incapacité totale de travail provisoire du chauffeur titulaire de l’autorisation, dûment attestée par un certificat médical ;

e) son titulaire met à la disposition d’un tiers l’autorisation, respectivement la plaque d’immatriculation correspondante en violation de l’alinéa 3 ;

f) l’office compétent a prononcé la décision prévue à l’article 45, alinéa 1, lettre a ou c, de la loi sur l’inspection et les relations du travail, du 12 mars 2004, s’agissant du non-respect des usages, et que cette décision est entrée en force.

( )

Chapitre III Exercice des professions

Section 2 Droits et obligations spécifiques aux taxis

Art. 21 Obligations relatives aux voitures

1 Tout taxi en service doit être muni en permanence d’un équipement composé :

a) d’un compteur horokilométrique ou d’un dispositif alternatif reconnu pour calculer le prix des courses ;

b) d’une enseigne lumineuse « Taxi » fixée sur le toit de la voiture et comportant des témoins lumineux permettant d’indiquer si le taxi est libre ou occupé, respectivement si le tarif I ou II est appliqué ;

c) d’un logo officiel distinctif sur chaque côté de la voiture, l’enseigne « Taxi » étant réservée à cette seule catégorie.

( )

Chapitre X Dispositions finales et transitoires

Art. 45 Entrée en vigueur

Le Conseil d’État fixe la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

Art. 46 Dispositions transitoires

Interdiction de la mise à disposition des autorisations d’usage accru du domaine public

8 Le titulaire d’une autorisation d’usage accru du domaine public qui met à disposition d’une entreprise ou d’un chauffeur tiers son taxi, respectivement la plaque d’immatriculation correspondante à l’autorisation, doit dans un délai de 12 mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi :

a) faire un usage personnel et effectif de l’autorisation en tant que chauffeur indépendant ou entreprise au sens de l’article 5, lettre c, chiffre 1, de la présente loi ; ou

b) restituer au département l’autorisation dont il ne veut ou ne peut faire un usage personnel et effectif.

9 Le titulaire qui restitue dans un délai de 3 mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi tout ou partie des autorisations dont il ne peut faire un usage personnel et effectif perçoit un montant de 6 000 francs par autorisation, sous réserve de l’alinéa 10.

10 La restitution de l’une des autorisations d’usage accru du domaine public en main du titulaire ne fait pas l’objet d’un paiement.

11 Le titulaire qui perçoit un paiement au titre de l’alinéa 9 est radié de la liste d’attente.

12 En cas de non-respect de l’alinéa 8, le département prononce la contravention visée à l’article 40 de la présente loi ainsi que la caducité de toutes les autorisations d’usage accru du domaine public accordées au contrevenant et ordonne le dépôt des plaques d’immatriculation correspondantes.

Attribution des autorisations restituées ou caduques

13 Le département peut attribuer l’autorisation d’usage accru du domaine public à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la présente loi, s’il en est toujours l’utilisateur au moment de l’adoption de la loi, en fait la requête et réalise les conditions de délivrance visées à l’article 13, alinéa 5, de la présente loi.

( ) »

9) La LTVTC a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 4 février 2022, le délai référendaire étant fixé au 16 mars 2022.

10) Bien qu’ayant été demandé, le référendum n’a pas abouti, ce qu’a constaté le Conseil d’État par arrêté du 13 avril 2022, publié dans la FAO du lendemain.

11) Par arrêté du 23 mars 2022, publié dans la FAO du 25 mars 2022, le Conseil d’État a promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État.

12) Par acte expédié le 9 mai 2022, M. A______ et l’association ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la LTVTC, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours ainsi qu’à la comparution personnelle des parties et à l’audition d’un témoin chauffeur de taxi, et principalement à l’annulation de l’art. 13 al. 3 et al. 9 let. c et let. e, de l’art. 21 al. 1 let. c, de l’art. 46 al. 8 let. a et let. b et de l’art. 46 al. 9 à 13 LTVTC et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

L’interdiction de la transmissibilité des AUADP était contraire à la liberté économique De très nombreuses entreprises de taxi disposaient de telles autorisations qu’elles transmettaient par le biais d’une location ou du bail à ferme, permettant notamment à des « doubleurs » ou des personnes en période de transition professionnelle d’exercer le métier de chauffeur de taxi au moyen d’un véhicule équipé mis à leur disposition et sans frais disproportionnés. La novelle ne permettait plus le recours à un tel modèle économique puisque seul un usage personnel de l’AUADP demeurait possible, condamnant de nombreuses entreprises à la faillite et conduisant les personnes concernées à se retrouver sans emploi. L’intérêt public consistant à voir les AUADP attribuées à un cercle plus large de détenteurs ne permettait pas une violation de la liberté économique des entreprises de taxis, qui voyaient leur modèle d’affaire interdit à bref délai, avec une importante, voire une totale perte du chiffre d’affaires. Les entreprises ne pouvaient conserver lesdites autorisations qu’en salariant les chauffeurs, ce que ces derniers ne souhaitaient pas nécessairement. Dès lors que les VTC n’étaient pas soumis à une telle contrainte, il en résultait en outre une inégalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique, qui ne répondait à aucun critère objectif en lien avec le système lui-même. Les dispositions en cause portaient également atteinte aux droits acquis et étaient contraires aux règles de la bonne foi, étant donné le modèle économique choisi et du fait que la novelle ne permettrait plus de générer un chiffre d’affaires positif. Conformément au principe de la proportionnalité, à supposer que la location de plaques ne soit pas protégée par la liberté économique, il fallait néanmoins admettre la possibilité de recourir au bail à ferme, qui était susceptible d’être réglementé et qui était conforme aux normes étatiques.

Il en allait de même des dispositions fixant une limite d’âge à 75 ans, laquelle ne pouvait se justifier par le fait de contrôler l’aptitude des chauffeurs à l’exercice de la conduite, de tels contrôles étant déjà effectués. Cette limite ne concernait en outre pas les chauffeurs de VTC et créait ainsi une inégalité de traitement entre concurrents. Un chauffeur de taxi devait en particulier se voir octroyer la possibilité de déterminer la date à laquelle il souhaitait cesser son activité, à l’instar de toute profession exercée à titre indépendant, sans limite imposée dans la loi sans justification.

Par ailleurs, l’obligation faite aux chauffeurs de taxi d’apposer de chaque côté de leur véhicule un logo, alors que les chauffeurs de VTC n’y étaient pas soumis, créait une inégalité de traitement et ne répondait à aucun intérêt public de visibilité étant donné la présence d’une bonbonne sur le toit de leur véhicule et de leur numéro d’immatriculation, facilement identifiable. Une telle exigence leur causait en outre une perte financière, abîmait les véhicules et ne pouvait être aisément retirée, notamment sur les carrosseries en aluminium.

13) Le 16 mai 2022, le juge délégué a informé M. A______ et l’association que la chambre constitutionnelle n’entendait pas ouvrir de procédure sur effet suspensif en l’état, la date d’entrée en vigueur de la LTVTC n’ayant pas encore été fixée. Il invitait toutefois les parties à lui transmettre toute information relative à l’adoption d’un arrêté en ce sens par le Conseil d’État.

14) Le 29 juin 2022, le Grand Conseil a conclu au rejet du recours.

Les mesures d’instruction sollicitées n’apportaient aucun élément pertinent au dossier, si bien qu’elles ne devaient pas être ordonnées.

Les dispositions litigieuses n’emportaient pas de violation de la liberté économique. Il ressortait de la jurisprudence que la collectivité publique était habilitée à réglementer l’usage accru du domaine public par les taxis, les autorisations y relatives ne devant pas être concentrées entre les mains d’un cercle restreint et toujours identique de bénéficiaires mais équitablement réparties entre les différents concurrents. L’interdiction de louer l’AUADP par le biais d’un bail à ferme ou de plaques d’immatriculation s’inscrivait dans ce cadre, sans restreindre de manière disproportionnée l’exploitation du service dans son ensemble, puisque l’activité de taxi pouvait continuer à être exercée en qualité de chauffeur indépendant ou salarié dans le cadre d’une entreprise de transport. Par ailleurs, elle répondait au souci du législateur de lutter contre le commerce des AUADP, puisqu’il était apparu que les loyers pratiqués étaient excessifs. Un tel but d’intérêt public ne pouvait être atteint qu’au travers d’une interdiction totale du bail à ferme et de la location de plaques, l’expérience ayant démontré l’inefficacité d’une réglementation contrôlée du bail à ferme et des contrôles effectués par les autorités. En tout état de cause, la pratique du bail à ferme n’était plus compatible avec le système de taxe annuelle, puisque l’AUADP n’était plus délivrée en contrepartie du paiement d’une taxe unique de CHF 40'000.- mais accessible à tous, sous réserve du numerus clausus. Le fait de maintenir le bail à ferme revenait en outre à accepter que les titulaires des AUADP qui n’exerçaient pas la profession profitent néanmoins de leur nombre limité pour les louer à des prix excessifs. L’idée de la LTVTC était ainsi de délivrer les AUADP aux personnes exerçant elles-mêmes l’activité, et il n’était pas tolérable que l’État cautionne leur délivrance à des personnes profitant de leur rareté pour obtenir un bénéfice au détriment des chauffeurs se trouvant dans des situations financières précaires. Les titulaires des AUADP étaient lésés dans une moindre mesure, non seulement en raison du fait qu’ils avaient pu profiter d’une situation très favorable, mais également en lien avec les dispositions transitoires, lesquelles leur conféraient un délai raisonnable de douze mois pour s’adapter au changement. Ils pouvaient également étendre leur activité en proposant des services de VTC. L’interdiction en cause ne violait pas non plus l’égalité de traitement entre concurrents, puisque la différence de traitement entre les taxis et les VTC se fondait sur le droit d’usage accru du domaine public.

Tout comme la précédente mesure, la limite d’âge avait aussi pour objectif de permettre la rotation des AUADP, si bien qu’elle était également conforme à la liberté économique, tout comme au principe d’égalité de traitement par rapports aux chauffeurs de VTC, lesquels n’étaient soumis à aucun numerus clausus. L’aspect restrictif de la mesure devait en outre être relativisée, puisque les intéressés, outre qu’ils pouvaient déjà poursuivre leur activité dix ans après avoir atteint l’âge légal de la retraite, pouvaient continuer d’exercer en qualité de chauffeurs VTC.

Les logos officiels constituaient des signes distinctifs visant à assurer une visibilité optimale pour la clientèle, qui pouvait héler les taxis qui circulaient, et apportaient un aspect officiel qui garantissait aux clients une certains sécurité, l’enseigne lumineuse et le numéro d’immatriculation n’étant pas suffisants. L’argument de la perte financière engendrée par les logos n’était pas convaincant, pas plus que d’hypothétiques dommages à la carrosserie des véhicules. Les logos n’étaient pas non plus constitutifs d’une inégalité de traitement, la même visibilité n’étant pas requise pour les voitures des chauffeurs de VTC, non titulaires d’une AUADP.

Les recourants ne pouvaient pas davantage se prévaloir d’une violation du principe de la bonne foi, à défaut d’avoir obtenu une quelconque garantie au sujet du maintien de l’activité de location des AUADP, qui étaient au demeurant délivrées pour une durée de six ans, sans garantie de renouvellement à leur échéance, et ne conféraient aucun droit acquis. La LTVTC prévoyait également un délai transitoire, qui permettait à leurs titulaires de s’adapter à la nouvelle loi.

15) Le 8 juillet 2022, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 19 août 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

16) Le 19 août 2022, les recourants ont persisté dans leur recours.

Le Grand Conseil n’apportait aucune preuve de ce que les AUADP auraient fait l’objet d’un commerce abusif. Une vérification étatique des loyers était parfaitement envisageable, de même qu’une obligation de produire le contrat de bail à l’État. La prétendue volonté du législateur d’assurer une rotation des AUADP pour permettre à un plus grand nombre de personnes de pouvoir en bénéficier ne pouvait être réalisée, puisque chaque détenteur pouvait la conserver mais ne serait plus en mesure d’en faire bénéficier un cercle plus étendu de personnes. Le Grand Conseil omettait aussi de prendre en considération les investissements consentis par les chauffeurs de taxi, qui s’étaient conformés aux précédentes lois et qui avaient fondé leur plan d’investissement dans ce sens. Il était en outre choquant qu’il considère que les chauffeurs de taxi pouvaient sans autre modifier leur modèle économique, sans égard à leur plan de carrière. Si la possibilité de salarier des chauffeurs de taxis était ouverte aux détenteurs d’AUADP, elle était totalement irréalisable. Les entreprises devaient ainsi respecter le salaire horaire minimal applicable mais ne pouvaient pas contrôler les recettes du chauffeur ou l’inciter à travailler de manière effective durant les heures de travail pour assurer une rentabilité. À cela s’ajoutait que les chauffeurs de VTC, avec lesquels ils se trouvaient dans un rapport de concurrence, n’étaient pas soumis aux mêmes restrictions.

17) Le Grand Conseil ne s’est pas déterminé à l’issue du délai imparti.

18) Lors de son communiqué hebdomadaire du 19 octobre 2022, le Conseil d’État a notamment annoncé que la LTVTC et son règlement d’application entreraient en vigueur le 1er novembre 2022.

19) Le 20 octobre 2022, les recourants ont réitéré leur demande d’effet suspensif, au vu de la récente annonce du Conseil d’État.

20) Par décision du 31 octobre 2022, la présidence de la chambre constitutionnelle a refusé d’octroyer l’effet suspensif au recours et réservé le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

21) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. Le recours est formellement dirigé contre une loi cantonale, à savoir la loi 12'649, et ce en l’absence de cas d’application (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 1b).

Il a, au surplus, été interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de ladite loi dans la FAO, qui a eu lieu le 25 mars 2022 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) et satisfait également aux réquisits de forme et de contenu prévus aux art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 3 LPA.

2) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L’art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/12/2022 précité consid. 4a).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés directement par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 147 I 308 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2). La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 147 I 478 consid. 2.2).

b. Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir en son nom propre lorsqu’elle est intéressée elle-même à l’issue de la procédure. De même, sans être touchée dans ses intérêts dignes de protection, cette possibilité lui est reconnue pour autant qu’elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d’entre eux et que chacun de ceux-ci ait qualité pour s’en prévaloir à titre individuel (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; ACST/35/2021 du 21 octobre 2021 consid. 2b). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l’un de ses membres ou pour une minorité d’entre eux (arrêt du Tribunal fédéral 1C_499/2020 du 24 septembre 2020 consid. 2).

c. En l’espèce, dès lors que la personne physique recourante exerce la profession de chauffeur de taxi et qu’elle est au demeurant associée-gérante d’une société exploitant une entreprise de taxi à Genève, elle est personnellement concernée par les dispositions qu’elle conteste, si bien qu’elle a qualité pour recourir. Il en va de même de l’association, qui a pour but de défendre les intérêts de ses membres, à savoir des entreprises de taxi selon l’art. 5 let. c LTVTC, également directement concernées par ladite loi et les dispositions contestées.

Le recours est par conséquent recevable.

3) Les recourants concluent préalablement à leur audition ainsi qu’à celle d’un témoin chauffeur de taxi.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit, pour l’intéressé, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves, à condition qu’elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_120/2021 du 10 octobre 2022 consid. 5.1). Il ne comprend en principe pas le droit d’être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_420/2021 du 7 octobre 2021 consid. 4.1) ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_207/2021 du 27 mai 2021 consid. 3.1). Le droit d’être entendu n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

b. En l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à la requête des recourants. Outre le fait qu’ils ne disposent d’aucun droit à leur audition ni à celle de témoins, les recourants ont pu faire valoir leurs arguments par écrit à plusieurs reprises et se prononcer sur ceux de l’intimé, étant précisé que M. A______ est chauffeur de taxi et que les déterminations d’un autre membre de cette profession pour appuyer ses allégués n’apparaissent pas utiles.

4) À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 147 I 308 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_983/2020 du 15 juin 2022 consid. 3.1 ; ACST/12/2022 précité consid. 5 et les références citées).

5) Les recourants invoquent une violation de la liberté économique.

a. Aux termes de l’art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1). Cette liberé comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). L’art. 35 Cst-GE contient une garantie similaire.

La liberté économique, invocable tant par les personnes physiques que par les personnes morales, protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu, telle que l’activité de chauffeur de taxi indépendant, même si celle-ci implique un usage accru du domaine public (ATF 143 II 598 consid. 5). Les limitations imposées à la liberté économique doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_139/2021 du 12 juillet 2021 consid. 4.1 et les références citées).

À l’instar de toutes les libertés, la liberté économique peut être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst. Ces restrictions doivent ainsi reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_139/2021 du 12 juillet 2021 consid. 4.1 et les références citées).

b. En l’espèce, les recourants se plaignent du caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP (art. 13 al. 3 et al. 9 let. e et 46 al. 8 à 13 LTVTC), qui revient à leur interdire de louer celles-ci à travers un taxi dans le cadre d’un bail à ferme ou à travers des plaques d’immatriculation, ce qui serait contraire à la liberté économique des chauffeurs et des entreprises de taxis. Il en irait de même de la limite d’âge du titulaire d’une AUADP, fixée à 75 ans, au-delà de laquelle celle-ci devient caduque (art. 13 al. 9 let. c LTVTC), et de l’obligation d’apposer sur chaque côté de leur véhicule un logo officiel distinctif « taxi » (art. 21 al. 1 let. c LTVTC).

c. Si l’on peut considérer que les dispositions concernant le caractère intransmissible des AUADP et la limite d’âge pour l’exercice de la profession peuvent constituer une ingérence dans la liberté économique des entreprises et chauffeurs de taxi, il ne saurait en aller de même de l’obligation d’apposer le logo « taxi », qui ne les entrave pas dans l’exercice de leur activité mais permet, au contraire, de les distinguer des VTC. L’ingérence des autres dispositions précitées dans la liberté économique n’en est pas moins admissible selon l’art. 36 Cst., les intéressés ne contestant à raison pas l’existence d’une base légale au sens de l’art. 36 al. 1 Cst.

d. En effet, de jurisprudence constante, la collectivité publique est habilitée à réglementer l’usage accru du domaine public par les taxis. Parmi les mesures admissibles au regard de l’art. 27 Cst., le législateur peut limiter le nombre de places de stationnement réservées aux taxis sur le domaine public et déterminer le cercle des bénéficiaires de ces emplacements. Il doit toutefois veiller à ne pas restreindre de façon disproportionnée l’exploitation du service dans son ensemble ; en particulier il ne doit pas soumettre la profession de taxi à un numerus clausus déterminé uniquement par les besoins du public. L’interdiction dudit numerus clausus ne concerne pas le nombre de places de stationnement, qui est par la force des choses limité, mais le nombre de titulaires d’autorisations. Les autorisations ne doivent ainsi pas être concentrées entre les mains d’un petit cercle toujours identique de bénéficiaires, mais être réparties équitablement entre les différents concurrents, selon un système permettant également l’accès à de nouveaux candidats. L’exigence d’égalité entre concurrents suppose, pour être effective, la mise en place d’un système de distribution des autorisations qui soit cohérent, transparent et fondé sur des motifs objectifs, sous peine d’ouvrir la porte à l’arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 du 20 novembre 2020 consid. 7.2 et les références citées).

Les dispositions querellées poursuivent un tel but, à savoir éviter que les autorisations soient conservées par les mêmes bénéficiaires afin de les répartir équitablement entre les différents concurrents et de permettre l’accès à la profession de nouveaux candidats. Le caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP permet en outre de mettre un terme à leur commerce, ce qui constitue également un but d’intérêt public admissible, comme l’a relevé le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 précité consid. 7.4.1), puisque lesdits transferts sont susceptibles de créer de la spéculation sur les prix et de faire perdre le contrôle sur les critères d’attribution, qui se doivent d’être transparents et objectifs.

e. Ledit caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP répond aussi aux exigences de la proportionnalité, puisqu’une telle mesure permet à l’autorité d’effectuer un contrôle sur l’attribution des AUADP et éviter leur commerce et, par voie de conséquence, des spéculations sur les prix. Dans ce cadre, les recourants ne sauraient être suivis lorsqu’ils allèguent que des abus n’auraient pas été démontrés, non seulement au vu des constats du Conseil d’État résultant du rapport RD 1'327 mais également des déclarations des représentants des milieux des taxis lors de leur audition par la commission parlementaire. Il en ressort que de nombreux titulaires d’AUADP mettaient en location leurs plaques, percevant une rente pouvant atteindre jusqu’à CHF 2'000.- par mois par jeu de plaques, sans pour autant exercer eux-mêmes la profession. Ce prix à payer, ajouté à une diminution des revenus, plaçait les chauffeurs concernés dans une situation de précarité économique, qu’ils devaient compenser en augmentant leur temps de travail. L’intransmissibilité des AUADP permet ainsi non seulement de mettre fin à une telle précarisation de la profession et à l’enrichissement correspondant des titulaires des AUADP, mais également d’inciter ceux n’exerçant plus comme chauffeur de les restituer afin de permettre l’accès à la profession de nouvelles personnes.

Les recourants soutiennent que des mesures moins incisives que la stricte intransmissibilité, comme un contrôle des prix pratiqués, permettraient également d’atteindre ces buts. Outre le fait qu’on ne voit pas comment un tel contrôle favoriserait la rotation des AUADP, le grief des recourants est infondé, au vu des pratiques ayant subsisté durant de nombreuses années malgré les tentatives d’encadrement de la part des autorités, et qui ont conduit à la situation dans laquelle près de cent cinquante AUADP se sont concentrées dans les mains d’une cinquantaine de personnes, lesquelles les mettaient en location à des prix exorbitants à des chauffeurs n’étant pas en mesure d’accéder à la profession. Laisser subsister le seul bail à ferme, comme le proposent les recourants, n’apparaît pas non plus satisfaisant, non seulement en raison du fait qu’il n’est plus que rarement pratiqué selon les déclarations des professionnels entendus en commission parlementaire, mais également en l’absence de possibilité de contrôle des prix de location pratiqués, ce qui était déjà problématique sous l’empire de l’aLTaxis. Pour les mêmes motifs, laisser subsister l’activité de « doubleur » n’apparaît pas non plus envisageable, au vu de la relation de dépendance créée avec le titulaire de l’AUADP et la précarisation du chauffeur concerné en résultant.

Enfin, contrairement à ce que soutiennent les recourants, leurs intérêts privés ne sauraient primer les intérêts publics, précédemment mentionnés, poursuivis par les dispositions qu’ils contestent. Outre le fait que la poursuite du même type d’activité, sous la forme d’un bail à ferme d’un véhicule par exemple, demeure possible pour les VTC, qui ne sont pas concernés par le numerus clausus, le transfert de l’utilisation d’une AUADP dans le cadre d’un contrat de travail est également envisageable, ce qui réduit dans une large mesure l’atteinte à la liberté économique des recourants, lesquels se contentent d’alléguer que le fait de salarier des chauffeurs de taxi ne serait pas rentable d’un point de vue économique, sans pour autant le démontrer. Comme l’a indiqué l’intimé, ce qui ressort aussi des débats en commission parlementaire, les entreprises de transport qui ne sont pas en mesure de développer une activité leur permettant de créer de l’emploi devront restituer leurs AUADP, dès lors que l’État n’a pas vocation à délivrer une telle autorisation pour qu’elles se déchargent du risque économique en découlant sur une tierce personne afin de dégager un bénéfice. Il sera en outre encore rappelé qu’en droit public, le transfert de droits et devoirs administratifs doit constituer l’exception (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 précité consid. 7.4.1). Il s’ensuit que l’incessibilité de l’AUADP respecte le principe de la proportionnalité sous ses différents aspects et constitue une restriction admissible à la liberté économique dans sa dimension individuelle.

f. Il en va de même de la fixation d’une limite d’âge au-delà de laquelle l’AUADP devient caduque. Cette mesure permet ainsi de faire entrer de nouveaux chauffeurs dans la profession et habilite les chauffeurs concernés à exercer leur activité dix ans après l’âge légal de la retraite, les intéressés pouvant, après avoir atteint l’âge de 75 ans, continuer leur activité de chauffeurs en qualité de VTC. Elle constitue par conséquent également une restriction admissible à la liberté économique.

6) Les recourants se plaignent d’une inégalité de traitement entre concurrents directs.

a. La liberté économique comprend le principe de l’égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique. Selon ce principe, déduit des art. 27 et 94 Cst., sont prohibées les mesures étatiques qui ne sont pas neutres sur le plan de la concurrence entre les personnes exerçant la même activité économique. On entend par concurrents directs les membres de la même branche économique qui s’adressent avec les mêmes offres au même public pour satisfaire les mêmes besoins (ATF 148 II 121 consid. 7.1 et les références citées). L’égalité de traitement entre concurrents directs n’est pas absolue et autorise des différences, à condition que celles-ci reposent sur une base légale, qu’elles répondent à des critères objectifs, soient proportionnées et résultent du système lui-même ; il est seulement exigé que les inégalités ainsi instaurées soient réduites au minimum nécessaire pour atteindre le but d’intérêt public poursuivi (ATF 143 I 37 consid. 8.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 du 13 mai 2019 consid. 3.1.1 et les références citées). Sous l’angle de l’égalité de traitement, les art. 27 et 94 Cst. garantissent aux concurrents directs une protection plus étendue que celle offerte par l’art. 8 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 précité consid. 3.1.2).

b. En l’espèce, les recourants font valoir une inégalité de traitement par rapport à leurs concurrents directs, les VTC, qui ne seraient pas soumis aux mêmes dispositions restrictives.

Ils perdent toutefois de vue qu’à l’instar de l’aLTVTC, la LTVTC prévoit un système fondé sur deux catégories de transporteurs professionnels de personnes, en introduisant une distinction entre la catégorie des « taxis » (art. 2 al. 1 let. a et 5 let. a LTVTC) et celle des VTC (art. 2 let. b et 5 let. b LTVTC). Comme dans l’ancienne loi, bien que ces deux catégories relèvent du transport professionnel de personnes et que les activités exercées soient analogues, la LTVTC confère des droits et impose des obligations variant selon le type d’activité exercée par le transporteur.

Les chauffeurs de taxi, à l’exclusion des chauffeurs de VTC, peuvent ainsi s’arrêter aux stations de taxi dans l’attente de clients, utiliser les voies réservées aux transports en commun et emprunter les zones ou les rues dans lesquelles la circulation est restreinte (art. 20 al. 1 let. a à c LTVTC). Ils ont le droit de prendre en charge un client qui les hèle dans la rue (art. 20 al. 3 LTVTC) et de porter l’enseigne « taxi » (art. 5 let. a LTVTC). Ils peuvent en outre se voir attribuer un droit d’accès prioritaire à une zone privilégiée, dite « zone réservée », dans le périmètre de l’Aéroport international de Genève (ci-après : AIG ; art. 33 al. 2 let. a LTVTC). En contrepartie, les chauffeurs de taxi sont soumis à des obligations spécifiques. Ils doivent notamment s’acquitter d’une taxe annuelle (art. 36 LTVTC), être équipés d’un compteur horokilométrique ou d’un autre dispositif reconnu pour calculer le prix des courses (art. 21 al. 1 let. a LTVTC), respecter les montants tarifaires maximaux fixés par le Conseil d’État (art. 22 al. 3 LTVTC/GE) et accepter en principe toutes les courses (art. 23 al. 1 LTVTC/GE).

À l’inverse, les chauffeurs de VTC ne sont pas au bénéfice du droit d’usage accru du domaine public, ne bénéficient en particulier d’aucun emplacement de stationnement réservé et ont interdiction d’utiliser les voies réservées aux transports en commun. Ils ne jouissent pas des autres prérogatives réservées aux taxis, comme l’enseigne « taxi », l’accès privilégié à l’AIG, ou le droit de se faire héler par un client dans la rue.

Le statut de ces deux catégories de transporteurs professionnels de personnes, tel que prévu par la LTVTC, qui reprend sur ce point l’aLTVTC précédemment en vigueur, et les droits et obligations en dérivant sont dès lors suffisamment différents pour leur appliquer certaines règles ou restrictions distinctes – comme l’admet la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 précité consid. 3.1.5 et les références citées) –, qui poursuivent en outre un intérêt public légitime, en particulier promouvoir un service public efficace, économique et de qualité, ce que rappelle l’art. 1 al. 1 LTVTC. Cette distinction limite en effet le nombre de personnes pouvant disposer d’une AUADP, tout en veillant à ne pas restreindre de manière disproportionnée l’exploitation du service de transport professionnel de personnes dans son ensemble, conformément aux exigences posées par la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2017 du 13 mai 2019 consid. 4.2.2 et les références citées).

Dans ce sens, l’interdiction de la location de plaques et du bail à ferme pour les taxis, de même que la fixation d’une limite d’âge pour l’exercice de la profession de chauffeur de taxi ou l’obligation d’apposer sur les taxis un logo distinctif se fondent sur le droit d’usage accru du domaine public accordé aux seuls chauffeurs de taxis, à l’exclusion des VTC, ce qui n’emporte aucune inégalité de traitement entre concurrents directs, conformément à la jurisprudence susmentionnée.

7) Enfin, les recourants ne peuvent pas non plus être suivis lorsqu’ils se plaignent d’une violation du principe de la bonne foi, dès lors que l’AUADP octroyée aux taxis ne confère en principe pas de droit acquis (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 précité consid. 9). Il n’en va pas différemment dans le cas d’espèce, dès lors que la LTVTC prévoit le réexamen des conditions d’attribution des autorisations tous les six ans (13 al. 5 LTVTC), ce qui était déjà le cas sous l’empire de l’aLTVTC (art. 12 al. 1 aLTVTC), et que rien n’indique que les recourants, qui ne le soutiennent d’ailleurs pas, auraient obtenu des garanties concernant la poursuite de leur activité de location de plaques. À cela s’ajoute que les dispositions transitoires de la LTVTC permettent aux professionnels de la branche de s’adapter à la nouvelle réglementation, puisqu’ils bénéficient d’un délai d’un an pour ce faire (art. 46 al. 8 LTVTC).

Entièrement mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

8) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.-, qui comprend la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 mai 2022 conjointement par Monsieur A______ et B______ contre la loi 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 28 janvier 2022 (LTVTC - H 1 31) ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge solidaire de Monsieur A______ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Garance Stackelberg, avocate des recourants, ainsi qu’au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mme Lauber, MM. Knupfer et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :