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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3980/2020

ACST/39/2020 du 03.12.2020 ( ABST ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3980/2020-ABST ACST/39/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 3 décembre 2020

sur effet suspensif

dans la cause

 

COMMUNAUTÉ GENEVOISE D'ACTION SYNDICALE
et
Monsieur A______
et
Madame B______

et
Madame C______
et
SYNDICAT INTERPROFESSIONNEL DE TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS
représentés par Me Christian Bruchez, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT


 

Attendu, en fait, que :

1) Le 1er novembre 2020, le Conseil d'État de la République et canton de Genève (ci-après : le Conseil d'État) a adopté l'arrêté d'application de l'ordonnance fédérale sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière du 19 juin 2020 et sur les mesures de protection de la population (ci-après : l'arrêté du 1er novembre 2020), publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 2 novembre 2020.

2) L'arrêté comprend notamment les articles ci-après :

Chapitre 1 Dispositions générales

Article 1 - État de nécessité

L'état de nécessité, au sens de l'article 113 de la constitution de la République et canton de Genève, du 14 octobre 2012, est déclaré.

Les mesures prévues dans le présent arrêté visent à prévenir la propagation du coronavirus.

...

Chapitre 5 Mesures visant les installations et les établissements accessibles au public

Article 11 - Fermeture

1 Sont fermés :

...

e. les commerces de vente au détail et les marchés. Les services à l'emporter et de livraison sont réservés. Le click & collect est autorisé ;

...

Article 12 - Mesures dans les établissements et installations accessibles au public non sujets à fermeture

1 Les exploitants d'installations et d'établissements, ou leur remplaçant, doivent mettre à disposition de leur clientèle une solution hydro-alcoolique.

2 Ils s'assurent qu'aucune personne ne pénètre dans l'installation ou l'établissement sans désinfection préalable des mains.

3 Les personnes qui pénètrent dans une installation ou un établissement doivent se désinfecter les mains.

4 Elles doivent porter un masque en permanence dès l'entrée dans l'installation ou l'établissement.

5 Les exploitants d'installations et d'établissements, ou leur remplaçant, s'assurent que toutes les personnes portent un masque.

6 Les exploitants d'installations et d'établissements, ou leur remplaçant, s'assurent que la distance interpersonnelle soit préservée en toutes circonstances sur toute la surface des locaux accessibles.

7 Les exploitants d'installations et d'établissements, ou leur remplaçant, s'assurent que les surfaces que la clientèle touche avec ses mains (comme les poignées des caddies et les paniers, les scanners ou les écrans tactiles) soient nettoyées régulièrement avec du savon ou un produit de nettoyage courant. À chaque caisse de paiement, la clientèle doit disposer d'une solution hydro alcoolique.

...

Chapitre 7 Mesures relatives à la protection des employés

Article 17 - Lieu de travail

1 Les employeurs veillent à ce que les activités de leurs employés en présentiel soient limitées au minimum indispensable, en particulier pour les personnes vulnérables.

2 Ils doivent garantir le strict respect des mesures de prévention énoncées à l'article 10 de l'ordonnance COVID-19 (situation particulière).

...

Chapitre 10 Dispositions finales

Article 20 - Clause abrogatoire

L'arrêté relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie COVID-19, du 14 août 2020, est abrogé.

Article 21 - Entrée en vigueur et durée de validité

1 Le présent arrêté entre en vigueur le 2 novembre 2020 à 19h00.

2 Les mesures prévues ont effet jusqu'au 29 novembre 2020 à minuit, elles pourront être prolongées en cas de besoin.

 

3) Le 25 novembre 2020, le Conseil d'État a adopté l'arrêté modifiant l'arrêté, du 1er novembre 2020, d'application de l'ordonnance fédérale sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière du 19 juin 2020 et sur les mesures de protection de la population (ci-après : l'arrêté du 25 novembre 2020), publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 25 novembre 2020.

4) L'arrêté comprend notamment les articles ci-après :

Article 1 - Modifications

L'arrêté du Conseil d'État, du 1er novembre 2020, d'application de l'ordonnance fédérale sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière du 19 juin 2020 et sur les mesures de protection de la population est modifié comme suit :

...

Article 11, al. 1 let. b (nouvelle teneur), al. 1 let. e (abrogée), al. 2 (nouvelle teneur) et al 3 (abrogé)

...

Article 12 Mesures générales dans les établissements et installations accessibles au public non sujets à fermeture (nouvelle teneur de la note)

Article 12A Mesures complémentaires pour les commerces de détail (nouveau)

1 L'exploitant de commerce, ou son remplacement, met en oeuvre et fait respecter les mesures de protection figurant à l'annexe 3 « Mesures visant les commerces de détail » du présent arrêté et la clientèle est tenue de les respecter.

2 En dérogation à l'article 9 al. 3 de la loi sur les heures d'ouverture des magasins (LHOM, I 1 05), l'heure de fermeture du samedi est 20h00.

...

Article 21, al. 2 (nouvelle teneur)
2 Les mesures prévues ont effet jusqu'au 17 décembre 2020 à minuit, elles pourront être prolongées en cas de besoin.

Annexe 3 Mesures visant les commerces de détail (nouvelle)

Limitation d'accès et contrôle de la densité

Les exploitants des commerces de détail, ou leur remplaçant, doivent :

Ø  limiter l'accès des espaces dans lesquels les personnes peuvent se déplacer librement pour que chacune des personnes présentes (personnel, clientèle) dispose d'au moins 10m2 sur la surface totale au sol disponible permettant de respecter en tout temps la distance de sécurité de 1,5 mètres ;

Ø  interdire l'entrée aux clients lorsque la densité maximale est atteinte ;

Ø  séparer, lorsque cela est possible, les flux entrants et sortants, notamment en période d'affluence ;

Ø  empêcher tout regroupement de personnes, tant à l'extérieur du magasin (organiser la file d'attente, indiquer les distances à respecter), qu'à l'intérieur notamment devant les ascenseurs, au niveau des escalators, à l'approche des caisses ou aux abords de certains rayons ou étals (fruits et légumes, jouets, cosmétiques, produits festifs) ;

Ø  afficher, à l'entrée et à l'intérieur des ascenseurs, le nombre maximal de personnes admises, de manière à ce que la distance interpersonnelle soit maintenue ;

Ø  éliminer tous les goulots d'étranglement susceptibles de ralentir le flux de la clientèle et de rapprocher les personnes entre elles ;

Ø  renoncer sans exceptions aux actions et promotions qui génèrent un afflux de clients vers un secteur du commerce et des interactions superflues, de type « ventes flash », « dégustations », « séances de dédicace » ou « emballage de cadeaux » ainsi qu'aux animations de type « visite du Père Noël ».

Solution/gel hydroalcoolique et hygiène des mains

...

Masques

...

Nettoyage

...

Aménagements et adaptations

...

Ventilation

...

Affichage

...

Article 2 - Entrée en vigueur

Le présent arrêté de modification entre en vigueur le 28 novembre 2020 à 00h01.

5) Par point de presse du même jour, publié sur le site Internet de l'État de Genève, le Conseil d'État a expliqué que la volonté du gouvernement restait d'éviter toute précipitation pour contrer tout rebond épidémique et toute flambée exponentielle.

6) Par acte posté le 26 novembre 2020, Monsieur A______, Mesdames C______ et B______, le Syndicat interprofessionnel de travailleurs et travailleuses (ci-après : le SIT) et la Communauté genevoise d'action syndicale (ci-après : la CGAS) ont conjointement interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle), concluant préalablement, à titre superprovisionnel et provisionnel, à l'octroi de l'effet suspensif au recours, et, principalement, à l'annulation de l'art. 12A al. 2 de l'arrêté du Conseil d'État du 25 novembre 2020, le tout « sous suite de frais et dépens ».

L'arrêté du 25 novembre 2020 visait à assouplir les restrictions à la liberté économique prévues par l'arrêté du 1er novembre 2020, en permettant à nouveau, à partir du 28 novembre 2020, l'ouverture de tous les commerces de détail. La loi sur les heures d'ouverture des magasins du 15 novembre 1968 (LHOM - I 1 05) prévoyait toutefois de manière impérative, sans possibilité de dérogation générale, une fermeture des magasins le samedi à 18h00. La dérogation prévue à l'art. 12A al. 2 de l'arrêté du 25 novembre 2020 violait ainsi le principe de la légalité et portait dès lors atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Vu le texte clair de la LHOM, le Conseil d'État ne pouvait pas prévoir une telle dérogation générale dans le règlement d'exécution de la LHOM, de sorte qu'il ne pouvait pas non plus la prévoir dans un arrêté.

Lors de sa conférence de presse du 25 novembre 2020, le Conseil d'État avait essayé de justifier la dérogation illégale à la LHOM par des arguments sanitaires. Force était toutefois d'admettre que le Conseil d'État ne pouvait en aucun cas se fonder sur l'ordonnance fédérale sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière du 19 juin 2020 (ci-après : ordonnance COVID-19) pour justifier une extension des horaires d'ouverture des magasins contraire à la LHOM. Si cette ordonnance fédérale, adoptée sur la base de la loi sur les épidémies, permettait aux cantons, dans les limites de ladite ordonnance, d'ordonner des mesures visant la population, les organisations et les institutions dans le but de lutter contre l'épidémie de COVID-19 (art. 1 et 2 de l'ordonnance) et de limiter ainsi la liberté économique, elle ne saurait permettre à un exécutif cantonal d'adopter des règles qui, comme en l'espèce, étaient clairement contraires à la législation cantonale visant à restreindre la liberté économique pour des motifs de tranquillité publique en imposant des heures de fermeture des magasins.

Par ailleurs, force était d'admettre que, contrairement aux mesures de protection imposées par l'art. 12A al. 1 de l'arrêté litigieux, l'extension de l'ouverture du samedi de 18h00 à 20h00 ne permettait nullement d'assurer la protection de la santé de la clientèle et du personnel des magasins. En particulier, la limitation du nombre de clients par magasin était déjà réglée dans l'annexe 3, de sorte que l'ajout de deux heures d'ouverture le samedi soir n'apportait aucune protection supplémentaire en la matière. Cette extension des horaires n'était ni apte, ni nécessaire à atteindre un quelconque but de protection de la santé. Bien au contraire, il était probable que cette extension des horaires augmente les risques sanitaires des employés des magasins, puisque ces derniers étaient exposés pendant une plus longue durée à la clientèle.

La mesure visant à étendre les horaires des magasins visait en réalité un but économique, étant précisé que les commerces de détail bénéficient déjà d'une fermeture retardée durant le mois de décembre en application de l'art. 18A LHOM. Elle favorisait au demeurant des phénomènes de surconsommation, ce qui était clairement contre-indiqué d'un point de vue sanitaire.

Enfin, si l'effet suspensif n'était pas ordonné, il en résulterait un préjudice irréparable pour les recourants, puisque la décision au fond, qui interviendrait dans plusieurs mois, n'aurait aucun effet sur les prolongations d'horaires du samedi. Dans la mesure où l'octroi de l'effet suspensif n'empêchait nullement l'ouverture des magasins, ni l'octroi par le service de dérogations au sens de l'art. 7 LHOM, dans le respect du cadre prévu par cette réglementation, il n'existait aucun intérêt privé ou public prépondérant pouvant s'opposer à l'octroi de l'effet suspensif requis. Au vu de la proximité de la première date d'ouverture prolongée des magasins le samedi 28 novembre 2020, il y avait lieu d'ordonner la restitution de l'effet suspensif par voie de mesures superprovisionnelles, dès réception du recours.

7) Par pli du 27 novembre 2020, la chambre constitutionnelle a informé les recourants qu'elle ne donnerait pas suite à leur demande de mesures superprovisionnelles, ce mécanisme n'étant pas expressément prévu par la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et l'urgence ne l'imposant pas de manière absolue. En revanche, la chambre constitutionnelle devait pouvoir être en mesure de statuer sur mesures provisionnelles avant le samedi 6 décembre 2020.

8) Par réponse du 1er décembre 2020, le Conseil d'État a contesté la qualité pour recourir de M. A______, de la CGAS et du SIT, se rapportant à justice quant à la recevabilité du recours formé par Mmes C______ et B______. Sur le fond, il a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif au recours, « sous suite de frais et dépens ».

La mesure autorisant l'ouverture des commerces le samedi jusqu'à 20h00 tendait à diluer sur la journée les clients des magasins en augmentant de 20 % la période pendant laquelle ceux-ci pourraient venir faire leurs achats. Ainsi, les clients seraient moins nombreux simultanément dans un même lieu, ce qui favorisait le respect des distances de sécurité et diminuait le risque de queue d'attente à l'entrée des magasins. Cette mesure allait de pair avec l'introduction de la jauge à 10 m2 qui tendait elle aussi à « écarter » les clients les uns des autres en limitant leur nombre en un même lieu.

9) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) La recevabilité du recours sera examinée dans l'arrêt au fond, étant précisé que la chambre constitutionnelle est récemment entrée en matière sur un recours contestant des dispositions issues d'un arrêté de même type que celui présentement attaqué.

2) Les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d'urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 LPA) ; a majore ad minus, elles peuvent être prises par la chambre statuant en composition régulière, d'autant que tant le président que le vice-président de celle-ci siègent en l'espèce.

3) a. Selon l'art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d'État, le recours n'a pas d'effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l'effet suspensif (al. 3). D'après l'exposé des motifs du projet de loi portant sur la mise en oeuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l'absence d'effet suspensif automatique se justifie afin d'éviter que le dépôt d'un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l'effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11311, p. 15).

b. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation, qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

L'octroi de mesures provisionnelles - au nombre desquelles figure l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER / Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER / Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). En matière de contrôle abstrait des normes, l'octroi de l'effet suspensif suppose en outre généralement que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER / Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

4) a. Le principe de la légalité, consacré à l'art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi. Hormis en droit pénal et fiscal où il a une signification particulière, le principe de la légalité n'est pas un droit constitutionnel du citoyen. Il s'agit d'un principe constitutionnel qui ne peut pas être invoqué en tant que tel, mais seulement en relation avec la violation, notamment, du principe de la séparation des pouvoirs, de l'égalité de traitement, de l'interdiction de l'arbitraire ou la violation d'un droit fondamental spécial (ATF 140 I 381 consid. 4.4).

Le principe de la séparation des pouvoirs est garanti au moins implicitement par toutes les constitutions cantonales ; tel est le cas à Genève, et ce de manière expresse en vertu de l'art. 2 al. 2 Cst-GE. Il impose le respect des compétences établies par la constitution et prohibe à un organe de l'État d'empiéter sur les compétences d'un autre organe. En particulier, il interdit au pouvoir exécutif d'édicter des dispositions qui devraient figurer dans une loi, si ce n'est dans le cadre d'une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3). Les règlements d'exécution doivent ainsi se limiter à préciser certaines dispositions légales au moyen de normes secondaires, à en combler le cas échéant les véritables lacunes et à fixer si nécessaire des points de procédure (ATF 139 II 460 consid. 2.2 ; ATA/1684/2019 du 19 novembre 2019 consid. 9a).

b. La Confédération légifère sur la lutte contre les maladies transmissibles, les maladies très répandues et les maladies particulièrement dangereuses de l'être humain et des animaux (art. 118 al. 2 let. b Cst.).

Le Conseil fédéral peut édicter des ordonnances et prendre des décisions, en vue de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l'ordre public, la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure ; ces ordonnances doivent être limitées dans le temps (art. 185 al. 3 Cst.).

Ces ordonnances, même si leur contrôle juridique est limité, doivent respecter le principe de la proportionnalité (Jörg KÜNZLI, in Bernhard WALDMANN / Eva aria BELSER / Astrid ÉPINEY [éd.], Bundesverfassung - Basler Kommentar, 2015, n. 34 ad art. 185 Cst.).

Ce dernier, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 136 IV 97 consid. 5.2.2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_360/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.5).

Sur la base de l'art. 6 al. 2 let. a et b de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme, du 28 septembre 2012 (LEp - RS 818.101), le Conseil fédéral a adopté l'ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière du 19 juin 2020 (Ordonnance COVID-19 - RS 818.101.26). D'après l'art. 1 al. 2 de cette ordonnance, les mesures visent à prévenir la propagation du coronavirus (COVID-19) et à interrompre les chaînes de transmission. L'art. 10 de l'ordonnance prévoit des mesures de protection à l'égard des employés en matière d'hygiène et de distance.

c. Selon l'art. 40 al. 1 LEp, les autorités cantonales compétentes ordonnent les mesures nécessaires pour empêcher la propagation de maladies transmissibles au sein de la population ou dans certains groupes de personnes. Elles coordonnent leur action. D'après l'al. 2, elles peuvent en particulier prendre les mesures suivantes : a.  prononcer l'interdiction totale ou partielle de manifestations ; b. fermer des écoles, d'autres institutions publiques ou des entreprises privées, ou réglementer leur fonctionnement ; c. interdire ou limiter l'entrée et la sortie de certains bâtiments ou zones, ou certaines activités se déroulant dans des endroits définis.

Au niveau cantonal, le Conseil d'État est responsable de la sécurité et de l'ordre public (art. 112 al. 1 de Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 [Cst-GE - A 2 00]). En cas de catastrophe ou d'autre situation extraordinaire, le Conseil d'État prend les mesures nécessaires pour protéger la population (art. 113 al. 1 Cst-GE). Les mesures prises en état de nécessité restent valables lorsque le Grand Conseil les approuve : à défaut, elles cessent de porter effet après une année au plus tard (art. 113 al. 3 Cst-GE).

Ces dispositions, qui fondent le droit d'urgence et de nécessité, permettent de déroger aux règles constitutionnelles et légales. Cela étant, le principe de la proportionnalité commande de porter le moins atteinte possible à l'ordre constitutionnel et légal (cf. ACST/12/2020 du 1er avril 2020 consid. 12 ; supra consid. 4b).

d. Au niveau cantonal, les heures d'ouverture des magasins sont réglementées dans la LHOM, qui s'applique à tous les magasins sis sur le territoire du canton de Genève (art. 1). Le département chargé de la régulation du commerce, soit pour lui, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : le service) est chargé de l'application de la présente loi (art. 2).

En vertu de l'art. 9 LHOM, sous réserve des régimes particuliers indiqués ci-après ou prévus par le règlement, et des dispositions relatives aux fermetures retardées, l'heure de fermeture ordinaire des magasins est 19h00 (al. 1). L'heure de fermeture du vendredi est 19h30 (al. 2). L'heure de fermeture du samedi est 18h00 (al. 3). Les magasins peuvent rester ouverts un soir par semaine jusqu'à 21h00 (art. 14).

Selon l'art. 7 al. 1 LHOM, le service peut accorder des dérogations aux dispositions de la présente loi, lorsqu'un intérêt commercial ou touristique évident le justifie, pendant les périodes comprises entre le 10 décembre et le 3 janvier et entre le 1er juin et le 30 septembre ou, en dehors de ces dates, à l'occasion de manifestations spéciales. Le service prend l'avis des associations professionnelles intéressées. Selon l'art. 14A LHOM, pendant la période du 10 décembre au 3 janvier, les magasins peuvent rester ouverts, en plus de l'ouverture hebdomadaire jusqu'à 21h00, un soir jusqu'à 21h30, avec faculté de servir la clientèle jusqu'à 22h00.

5) En l'espèce, le recours est dirigé contre l'arrêté du 25 novembre 2020 modifiant l'arrêté, du 1er novembre 2020, d'application de l'ordonnance fédérale sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière du 19 juin 2020 et sur les mesures de protection de la population, à savoir un acte édicté par le Conseil d'État contenant des règles de droit. En vertu de l'art. 66 al. 2 LPA, le recours n'a dès lors pas effet suspensif. Il convient donc d'examiner s'il y a lieu de l'octroyer, ce qui, en matière de contrôle abstrait des normes, suppose généralement que les chances de succès du recours apparaissent manifestes.

Invoquant une violation du principe de la séparation des pouvoirs, les recourants contestent la compétence du Conseil d'État pour adopter la mesure prévue à l'art. 12A al. 2 de l'arrêté litigieux. D'après les intéressés, la LHOM prévoit de manière impérative, sans possibilité de dérogation générale, une fermeture des magasins le samedi à 18h00. En tant qu'elle vise un intérêt purement économique, la mesure ne peut pas se fonder sur l'ordonnance COVID-19. Il n'existerait ainsi aucune base légale permettant au Conseil d'État d'étendre les heures d'ouverture des magasins le samedi.

Or, contrairement à ce que prétendent les recourants, la mesure litigieuse vise, prima facie, un but sanitaire puisqu'elle a pour objectif de diluer sur la journée les clients des magasins en augmentant de 20 % la période pendant laquelle ceux-ci peuvent venir faire leurs achats. Les clients seraient ainsi moins nombreux simultanément dans un même lieu, favorisant ainsi le respect des distances interpersonnelles et diminuant le risque de files d'attente à l'entrée des magasins. Ainsi que l'a indiqué l'intimé, une telle mesure vise en particulier à empêcher tout regroupement de personnes, notamment à l'extérieur des magasins, et à soulager l'organisation des files d'attente. Elle facilite en cela le respect des mesures sanitaires visant les commerces de détail décrites à l'annexe 3 de l'arrêté litigieux. Compte tenu de l'objectif poursuivi par la mesure, soit la protection de la population et l'empêchement de la propagation de la maladie à coronavirus (Covid-19), le Conseil d'État pouvait a priori se fonder sur les art. 113 Cst GE et 40 LEp pour déroger aux règles légales qui régissent la fermeture des magasins (cf. art. 9 al. 3 LHOM).

Une telle mesure, dont il convient de rappeler qu'elle est limitée dans le temps (soit jusqu'au 17 décembre 2020 : art. 21 al. 2 de l'arrêté du 25 novembre 2020), n'apparaît au demeurant pas manifestement disproportionnée. Elle paraît apte à atteindre le but de protection de la santé des personnes, sans qu'une mesure moins incisive vienne s'imposer à l'évidence. Quant à la proportionnalité au sens étroit, l'intérêt public à la protection de la population paraît l'emporter sur l'intérêt poursuivi par le droit cantonal, soit le respect du repos nocturne et la préservation de la tranquillité publique (cf. ATF 140 II 46 consid. 2.5.1 p. 54). Comme l'a rappelé l'intimé, la protection des employés est suffisamment garantie par les règles fédérales de la loi sur le travail et la convention collective de travail, ainsi que par l'art. 17 al. 1 (selon lequel les employeurs veillent à ce que les activités de leurs employés en présentiel soient limitées au minimum indispensable) et al. 2 (respect des mesures de prévention énoncées par l'art. 10 de l'ordonnance COVID-19) de l'arrêté du 1er novembre 2020 et les nombreuses mesures sanitaires visant les commerces de détail décrites à l'annexe 3 de l'arrêté du 25 novembre 2020 (cf. art. 12A al. 1 de l'arrêté du 25 novembre 2020).

Il suit des considérants qui précèdent que, d'après un premier examen du recours, les chances de succès de celui-ci n'apparaissent pas prima facie à ce point manifestes qu'il se justifierait de déroger à la pratique de refuser l'effet suspensif dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes.

Il s'ensuit que la demande d'octroi de l'effet suspensif sera rejetée.

6) Le sort des frais sera quant à lui réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

 

refuse d'octroyer l'effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision, en copie, en copie, à Me Christian Bruchez, avocat des recourants, ainsi qu'au Conseil d'État.

 

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mmes Lauber et McGregor, M. Knupfer, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :