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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/12634/2020

CAPH/21/2024 du 06.03.2024 sur JTPH/164/2023 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CO.337
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12634/2020 CAPH/21/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MERCREDI 6 MARS 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [VD], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 19 mai 2023, représenté par Me Christian BRUCHEZ, avocat, WAEBER AVOCATS, rue Verdaine 12, case postale 3647, 1211 Genève 3,

 

et

B______/1______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par
Me Romanos SKANDAMIS, avocat, SKANDAMIS AVOCATS SA, rue Charles-Bonnet 2, 1206 Genève.


EN FAIT

A. Par jugement JTPH/164/2023 du 19 mai 2023, reçu par les parties le 22 mai 2023, le Tribunal des prud'hommes a notamment renoncé à procéder à l'audition des témoins C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______, P______, Q______, R______, S______, T______ et U______ (ch. 2 du dispositif), condamné B______/1______ SA à payer à A______ la somme brute de 12'222 fr. 20 avec intérêts moratoires dès le 22 avril 2020 (ch. 4), invité la partie en ayant la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 5), dit qu'il n'était pas perçu de frais, ni alloué de dépens (ch. 7) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 8).

B. a. Le 21 juin 2023, A______ a formé appel du ch. 8 de ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice l'annule, déclare irrecevables les allégués et pièces produits par B______/1______ SA lors de l'audience de débats d'instruction du 27 janvier 2022, condamne cette dernière à lui verser 21'944 fr. 45 bruts, 3'029 fr. 25 nets et 30'000 fr. nets, le tout avec intérêts à 5% l'an dès le 22 avril 2020 et suite de frais et dépens.

b. Le 14 septembre 2023, B______/1______ SA a conclu à titre préalable à ce que la Cour ordonne la production par sa partie adverse de toutes ses fiches de salaires et autre documents relatifs à sa rémunération émis par V______ (SUISSE) SA (anciennement W______ (SUISSE) SA), de l'offre faite par cette société en décembre 2019 et tous documents y relatifs, ainsi que l'audition des témoins E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______ et O______.

A titre principal, elle a conclu à la confirmation du jugement querellé, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées le 16 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger par la Cour.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. B______/1______ SA est une société de droit suisse dont le but est toute activité en rapport avec l’ingénierie patrimoniale, fiscale et financière ainsi que toute activité de fiducie.

Elle fait partie d’un groupe de sociétés B______, dont B______/2______ SA et B______/3______ (SWITZERLAND) SA et est notamment active dans le domaine des trusts.

Fin 2019, elle comptait une douzaine d’employés.

b. A______ a été engagé par B______/1______ SA en qualité de Director à partir du 1er août 2017, par contrat de travail à durée indéterminée signé le 28 juillet 2017.

Le salaire annuel convenu était de 185'000 fr. bruts, payable en douze mensualités de 15'416 fr. 66.

Le délai de préavis était de six mois pour la fin d’un mois.

Le contrat de travail prévoyait une clause de non concurrence, de non sollicitation et de confidentialité. L'employé était en particulier tenu de garder le secret sur toutes les informations acquises pendant sa période d'emploi, de ne pas rendre des services à une entité ayant une activité similaire à celle de son employeur et de ne pas solliciter ni accepter des clients de son employeur. Ces obligations subsistaient pendant une période de trois ans après la fin de son contrat.

L’employé avait débuté son emploi chez B______/2______ SA en 2008 en tant que Junior Administrator.

A______ a notamment été administrateur de B______/1______ SA de juillet 2017 à février 2020.

c. Par courriels adressés à A______ entre décembre 2019 et janvier 2020, plusieurs clients importants de B______/1______ SA ont demandé une facturation trimestrielle de leurs honoraires plutôt qu’annuelle, soit M______ pour la famille L______ le 20 décembre 2019, H______ pour la famille G______ le 21 décembre 2019, X______ pour la famille F______ le 14 janvier 2020 et Z______ pour la famille I______/J______ en janvier 2020.

Lors de son audition par la police, X______ a déclaré que, lorsqu'il avait écrit ce courriel à A______, il était déjà en train de songer au transfert des structures de la famille F______ vers un autre prestataire.

d. Le 23 décembre 2019, A______ a résilié son contrat de travail pour le 30 juin 2020. Il a été libéré de son obligation de travailler dès le 8 février 2020.

Le 4 février 2020, B______/1______ SA lui a soumis pour signature un document intitulé « AA______ Agreement », lequel prévoyait notamment un engagement à ne pas exercer d’activité concurrente durant la période de préavis et à rester disponible pour la gestion de certains clients. Son attention était attirée sur le fait que les obligations de confidentialité, notamment en lien avec les clients, de non-concurrence et de non-sollicitation de clients perduraient après la fin des rapports de travail.

A______ n'a pas signé ce document.

e. Quelques jours auparavant, soit le 17 décembre 2019, AB______, manager, avait donné sa démission pour fin février 2020. Elle a finalement résilié son contrat avec effet immédiat le 24 janvier 2020. De même, E______ avait mis fin à son contrat par courrier daté du 16 décembre 2019 pour fin janvier 2020.

Les 19 et 20 décembre 2019, AC______, Trust officer, et AD______, Director, avaient résilié leur contrat de travail pour fin février 2020, respectivement fin juin 2020.

C______, Trust Administrator, a donné sa démission pour le 1er mai 2020 par courrier daté du 28 février 2020.

Enfin, AE______, Trust officer, a résilié son contrat de travail pour fin mai 2020 par courrier du 30 mars 2020.

f. Entre mars et avril 2020, plusieurs clients de longue date de B______/1______ SA ont mis un terme à leurs relations contractuelles avec cette société et requis le transfert de leurs trusts auprès de V______ (SUISSE) SA, société concurrente de B______/1______ SA. Ces courriers avaient tous une formulation et une mise en page similaire. Ils mentionnaient tous AF______ comme contact chez V______ (SUISSE) SA et AG______ SARL comme nouveau trustee/ administrateur des structures concernées.

Ces résiliations ont été communiquées de la manière suivante :

- Le 6 mars 2020, par Y______ pour les trusts et entités de la famille F______.

- Les 26 et 27 mars 2020, par H______, pour les trusts de la famille G______.

- Le 27 mars 2020, par M______, pour les trusts de la famille L______.

- Le 31 mars 2020, par K______, protector d’un trust appartenant à la famille I______/J______.

- En avril 2020, par AH______, protector de deux trusts de la famille I______/J______.

g. Par courrier du 14 avril 2020, B______/1______ SA a fait savoir à A______ que, comme il pouvait le savoir, elle avait reçu des demandes de transferts de relations à la société de trusts V______. Dès lors, les actionnaires avaient requis une investigation sur les circonstances de ces changements. Afin de les rassurer, elle lui demandait de bien vouloir lui confirmer dans les trois jours qu’il n’avait pas été impliqué – directement ou indirectement – dans cette perte d’affaires au profit de V______ et qu’il n’avait pas prévu de le faire pendant les trois ans de la période de restriction.

A______ a répondu par courriel du lendemain qu’il était surpris de recevoir ce courrier et qu’il ne savait pas si sa démission avait conduit certains clients à reconsidérer leur relation avec la société mais qu’il confirmait n’avoir pas incité les clients à changer. Il continuait à fournir son soutien à son employeur et à son équipe lorsque cela lui était demandé. Comme elle pouvait s'en douter, la situation actuelle ne rendait pas les choses plus faciles et il n'était pas en position de confirmer quoi que ce soit sur son futur.

h. Le 21 avril 2020, B______/1______ SA a pris connaissance d’un échange de courriels entre AB______ et une employée de la banque AI______, envoyé par erreur à l’ancienne adresse électronique de la première.

Dans un courriel envoyé à 9h22, AB______, depuis son adresse professionnelle auprès de V______ (SUISSE) SA, se référait à une conversation entre eux datant de plusieurs semaines auparavant et écrivait au collaborateur de la banque AI______ au sujet du changement de signataires pour la famille F______. Elle mettait sa collègue AC______, qui l’assisterait, en copie et demandait à son interlocuteur d’effacer leurs adresses email chez B______/1______ SA de leur liste de contact. Des collaborateurs de AJ______ SA étaient en copie de l’email.

B______/1______ SA allègue que A______ était en copie cachée de cet échange et produit à l'appui de cette allégation une capture d'écran de la boîte mail de ce dernier. Celui-ci conteste avoir eu connaissance de ce courriel.

i. Par courrier du 22 avril 2020, B______/1______ SA a résilié le contrat de travail de A______ avec effet immédiat et lui a interdit toute communication avec les clients.

Le contrat de travail de AD______ a également été résilié avec effet immédiat.

j. Le 28 avril 2020, B______/1______ SA a déposé une plainte pénale pour gestion déloyale à l'encontre de A______ et d'une autre employée. Cette plainte a été complétée les 20 juillet et 3 décembre 2020 (P/4______/2020).

A______ a été mis en prévention le 24 juin 2020 pour gestion déloyale des intérêts de son employeur. La procédure est toujours pendante.

k. Par courrier du 5 mai 2020, l’employé a requis la communication des motifs de licenciement.

l. B______/1______ SA n'a pas répondu à ce courrier. Elle a expliqué devant le Tribunal que son silence était dû au fait que la procédure pénale était en cours.

m. A______ a débuté son emploi chez V______ (SUISSE) SA le 1er juin 2020.

Il a été nommé administrateur de cette société en septembre 2021. Il gère les membres de son ancienne équipe qui l’ont rejoint ainsi que d’autres employés.

En particulier, AD______, nommée administratrice en juin 2022, AB______, AC______ et AE______ sont également employés de V______ (SUISSE) SA.

B. a. Par requête déposée aux fins de conciliation le 1er juillet 2020 et introduite en temps utile devant le Tribunal, A______ a assigné B______/1______ SA en paiement de la somme de 68'710 fr. 45, avec intérêts moratoires dès le 22 avril 2020, avec suite de frais. Ladite somme se décompose comme suit :

- 12'222 fr. 20 bruts, à titre de salaire du 1er au 22 avril 2020 ;

- 21'944 fr. 45 bruts, à titre de salaire pour la période du 23 avril au 30 juin 2020 ;

- 4'543 fr. 80 nets, à titre de dommages-intérêts pour la perte de la part patronale à l’institution de prévoyance ;

- 30'000 fr. nets, à titre d’indemnité pour résiliation immédiate injustifiée.

b.a Par courriers des 15 février et 12 avril 2021, B______/1______ SA a requis la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale P/4______/2020. Elle a allégué qu'elle avait licencié A______ avec effet immédiat, le soupçonnant d'avoir commis des actes pénalement répréhensibles à son préjudice. A l'appui de ses dires, elle a produit copie des plaintes pénales déposées.

b.b Le Tribunal a rejeté les requêtes de suspension de la procédure par ordonnances des 30 mars et 22 juin 2021. La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice a déclaré les recours de B______/1______ SA irrecevables par arrêt du 5 décembre 2021.

c. Par réponse du 25 août 2021 B______/1______ SA a conclu principalement au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

Elle s'est référée aux allégués figurant dans sa demande de suspension de la procédure, précisant que sa réponse était limitée au strict nécessaire compte tenu du fait que son recours contre le refus de la suspension par le Tribunal était pendant devant la Cour. Elle se réservait le droit de compléter ses allégations ultérieurement.

Le congé immédiat était justifié ; elle était fondée à penser que A______ avait promis et organisé le transfert de clients de la société à son nouvel employeur, alors même qu’il était encore sous contrat avec elle. Elle avait déposé des plaintes pénales en prenant en compte la place centrale et les responsabilités de A______ au sein de l’entreprise, la démission de ce dernier, intervenue respectivement trois, cinq et six jours après les démissions de trois autres employés et suivie par deux autres démissions, les demandes de transfert de relations d’affaires des clients les plus importants vers un seul et même concurrent, les correspondances reçues par erreur, les rendez-vous précédant les démissions, le refus de A______ de l’informer quant à son futur employeur et la prise d’emploi de A______ et des autres employés ayant démissionné chez le même concurrent.

d. Lors de l’audience de débats d’instruction du 27 janvier 2022, les parties ont confirmé leurs conclusions.

d.a A______ a dicté des allégués complémentaires au procès-verbal, selon lesquels la décision annoncée en 2019 de regrouper B______/1______ SA et B______/2______ SA et de nommer AK______ au poste de managing director avait créé un sentiment général d’insécurité et du mécontentement au sein du personnel, qui estimait que cette dernière n’était pas compétente pour le poste. Lui-même avait suggéré, en vain, le recrutement d’une personne externe. C’était en raison de cette situation insatisfaisante qu’il avait décidé de démissionner. Il avait eu des entretiens avec plusieurs employeurs potentiels et sa préférence était allée vers V______ (SUISSE) SA. Il n’avait jamais incité aucun client de la B______/1______ SA à reconsidérer sa relation avec celle-ci.

d.b B______/1______ SA a quant à elle formulé de nouveaux allégués de faits, à savoir ceux figurant dans les plaintes pénales qu'elle avait déposées et les pièces produites à l'appui de celles-ci.

Outre ceux déjà mentionnés, ces allégués sont les suivants :

L’enchaînement des démissions intervenues dès décembre 2019 avait d’abord surpris les actionnaires et administrateurs du groupe mais les soupçons étaient arrivés lorsque les clients les plus importants avaient commencé à résilier leurs relations d’affaires et à les transférer à sa concurrente, V______ (SUISSE) SA.

En 2019, les revenus annuels suivants avaient été générés par ces clients importants : 128'901 fr, pour le client F______, 296'034 fr. pour la famille G______, 108'890 fr. pour la famille I______/J______ et 70'027 fr. pour la famille L______. Par ailleurs, la gestion des sociétés des frères AL______ engendrait environ 80'000 fr. de revenus annuels tandis que la gestion de la société AM______ SA avait assuré des revenus de 16'780 fr. en 2019.

Fin janvier 2020, suite à la demande d’un des frères AL______ que la nouvelle équipe lui soit présentée, AK______ s’était entretenue avec ce dernier au téléphone et il était ressorti de la conversation que AB______ l’avait approché, lui avait parlé des nombreux départs et ce qui l'avait inquiété. AK______ avait dû le rassurer pour le convaincre de rester et à ce jour, les frères AL______ n’avaient pas résilié leurs relations d’affaires avec elle.

S’agissant de la famille G______, AK______ avait rencontré le 26 février 2020 leur représentant qui lui avait fait part de manière surprenante de son insatisfaction des services de la société, notamment en lien avec le temps de réponse et le montant des honoraires. Malgré le fait qu’elle lui avait promis une disponibilité irréprochable et une réduction des honoraires, ce client avait décidé de partir.

Suite à la découverte de l’échange de courriels du 21 avril 2020, elle avait appris que, deux jours avant sa démission, AB______ avait demandé à rencontrer le banquier de la famille I______/J______, rencontre qui avait eu lieu le 17 décembre 2019, mais qui ne figurait pas dans l’agenda de l’employée. Tant A______ que AD______ étaient en copie cachée de cet échange de courriels. D’ailleurs, AB______ avait cessé de saisir le timesheet de son activité durant les deux mois précédant sa démission. Par ailleurs, en juillet 2019, elle avait obtenu de sa sœur, E______, l’extraction de la liste de clients et apporteurs d’affaires et l’envoi de ces données sur son adresse email privée.

De même, AD______ avait rencontré le représentant de la famille G______ deux semaines avant sa démission et effectué un autre voyage d’affaires à AS______[GBR] quatre jours avant sa démission.

A______, quant à lui, avait rencontré M______, représentant la famille L______, à AS______[GBR] le 12 décembre 2019. Le 9 janvier 2020, il avait rencontré Z______ en compagnie de AD______; ces deux personnes avaient alors déjà démissionné.

De plus, alors que A______ continuait à gérer la famille L______ pendant son délai de congé, il n’avait jamais mis les nouveaux administrateurs en copie de ses messages en vue d’assurer la transition.

Les demandes de facturation trimestrielle des honoraires des clients ayant quitté la société pour V______ (SUISSE) SA étaient arrivées quelques jours après des rencontres avec A______ ou AD______.

Par ailleurs, A______ et AD______ n’avaient pas signé les actes de démissions en tant qu’administrateurs des sociétés pour lesquelles ils occupaient cette fonction lorsqu’elle le leur avait demandé par courriel le 16 avril 2020.

Enfin, les derniers faits découverts concernaient la famille N______. En décembre 2019, après plusieurs mois, la société était sur le point de se voir transférer l’administration des structures de cette famille, comprenant deux trusts. Après avoir signé une première fois les documents contractuels nécessaires, soudainement, le 20 décembre 2019, Monsieur N______ avait fait savoir par courriel à A______, AB______, AD______ et AC______ qu'il avait décidé de conserver les trustees qu'il avait déjà. Or, le 1er décembre 2020, elle avait reçu un courriel de V______ (SUISSE) SA en lien avec ces trusts et découvert ainsi que les trusts en question avaient finalement été transférés à cette dernière.

d.c A______ a fait valoir que les allégués précités devaient être écartés de la procédure.

B______/1______ SA a relevé que A______ avait eu accès à la procédure pénale depuis longtemps et que les documents produits lors de l'audience avaient déjà été fournis à l'appui de la requête de suspension de la procédure.

Selon une "note du Tribunal" figurant au procès-verbal, celui-ci a retenu que les allégués de B______/1______ SA étaient recevables, précisant que la motivation suivrait dans la décision au fond.

e. Le 25 mars 2022, A______ a déposé ses déterminations sur les allégués complémentaires de la B______/1______ SA.

f. Les parties ont confirmé leurs conclusions lors de l’audience de débats principaux du 11 juillet 2022.

f.a Lors de son interrogatoire par le Tribunal, AN______, représentant de B______/1______ SA, a déclaré qu’après sa démission, la direction avait décidé de laisser A______ travailler pendant son préavis en raison de la longue relation de confiance entre les parties et pour assurer la transition avec ses remplaçants, notamment AK______. La transition n’avait pas pu se faire comme prévu étant donné que les relations avec les clients principaux n’avaient pas perduré. De février à avril 2020, B______/1______ SA avait découvert le départ de plusieurs clients. Peu avant, elle avait appris le départ de cinq employés, en plus de celui de A______. Le 21 avril 2020, elle avait eu la confirmation que V______ (SUISSE) SA avait engagé A______, leurs cinq anciens employés et récupéré leurs clients. La réponse de A______ à son courrier du 14 avril 2020 avait confirmé ses soupçons, compte tenu de son caractère évasif. La direction avait alors décidé de se protéger en licenciant A______ avec effet immédiat car la confiance était rompue. Une enquête interne avait révélé que les employés concernés ne facturaient plus leurs honoraires et faisaient des voyages et des rendez-vous inexplicables. Les collaborateurs qui restaient n’étaient pas mis en copie des courriels, ce qui corroborait l’idée d’une gestion secrète, notamment en lien avec le client M______. B______/1______ SA avait licencié AD______ le même jour et pour les mêmes raisons. Les quatre clients qui étaient partis représentaient 20% du chiffre d’affaires de la société. Après le départ de A______ et de son équipe, il ne restait chez B______/1______ SA que trois ou quatre personnes.

f.b A______ a pour sa part indiqué au Tribunal qu'il était actuellement administrateur de V______ (SUISSE) SA et avait la même fonction que celle qu'il occupait chez B______/1______ SA. Il gérait les membres de son ancienne équipe qui avaient rejoint son nouvel employeur, ainsi que d'autres employés. Cinq personnes sur vingt de son ancienne équipe avaient rejoint V______ (SUISSE) SA. Il ignorait pourquoi des clients avaient également rejoint cette dernière en avril 2020. Il ne les avait pas incités à le faire. Au moment de sa démission, il était en discussion avec plusieurs employeurs potentiels. Il avait décidé de rejoindre V______ (SUISSE) SA début 2020. Plusieurs personnes avaient quitté B______/1______ SA car elles étaient mécontentes en raison de la fusion annoncée. V______ (SUISSE) SA recrutait à ce moment-là pour assurer sa croissance. Les départs n’étaient pas concertés; chacun avait pris sa décision personnelle. Son interlocuteur auprès de V______ (SUISSE) SA était AF______. Il n’avait discuté que de son cas et non des autres employés avec lui. Il était passé par une agence de placement pour postuler chez V______ (SUISSE) SA mais il ne se souvenait pas de son nom. Il ignorait si les autres employés de B______/1______ SA étaient passés par cette même agence. AD______ et AB______ lui avaient parlé de leur démission en décembre 2019 mais ne lui avaient pas dit qui serait leur nouvel employeur.

Quatre clients avaient été transférés chez V______ (SUISSE) SA, dont un dont il s’occupait auparavant, soit M______. Il avait vu ce client avant son départ de B______/1______ SA, dans les bureaux de la société avec AO______, qui devait le remplacer. Il l'avait également rencontré à AS______[GBR] le 12 décembre 2019, en présence de Monsieur AP______, un autre de ses mandataires financiers. Lorsque M______ avait rejoint V______ (SUISSE) SA, il avait mentionné des raisons de frais trop élevés chez B______/1______ SA. Lors de sa rencontre avec ce dernier le 12 décembre 2019, ils n’avaient pas parlé de son mécontentement ; c’était davantage un repas de courtoisie que d’affaires. A ce moment-là, il avait déjà entamé des procédures avec l’agence de placement mais il n’avait pas averti le client qu’il partait de la société. Le 12 décembre 2019, le client ne lui avait pas dit qu’il désirait quitter B______/1______ SA. Il l’en avait informé dans la première partie de l’année 2020. Cela faisait dix ans qu’il rencontrait M______ tous les trois mois. Celui-ci lui avait demandé de changer son mode de facturation parce qu’il avait besoin de liquidités. Il ne se souvenait plus quand il en avait discuté avec lui.

Il n’avait pas vu les autres clients dont il s’occupait chez B______/1______ SA entre le moment de sa démission et son licenciement. Il y avait environ deux cents clients chez B______/1______ SA et lui-même en gérait personnellement peu, son rôle étant plutôt de gérer la société. Les autres clients transférés étaient des clients importants et il n’avait pas de contact avec eux. Il ignorait pourquoi ces clients avaient demandé de changer le mode de facturation, ni pourquoi ils étaient partis.

g. Le Tribunal a procédé à l'audition de plusieurs témoins.

g.a.a AF______, directeur de V______ (SUISSE) SA, a déclaré que A______ et les autres ex-employés de B______/1______ SA travaillaient actuellement ensemble mais qu’ils avaient été engagés à différents moments. Des clients de B______/1______ SA avaient rejoint la société mais pas par l'intermédiaire des ex-employés de celle-ci. Les clients étaient arrivés de différentes manières, certains par leurs contacts bancaires et d’autres étaient venus d’eux-mêmes. Il ne savait pas pourquoi ils avaient changé d'établissement. Fin 2019, il y avait deux personnes qui allaient prendre leur retraite et qu’il fallait remplacer. Cela avait entrainé un mouvement et cinq personnes les avaient rejoints entre le printemps et l’été 2020. V______ (SUISSE) SA avait engagé A______ par le biais d’une agence de placement. Les discussions avec ce dernier avaient débuté en décembre 2019.

Le témoin a confirmé que la famille G______ était une cliente de V______ (SUISSE) SA, gérée par AD______. Il ne se rappelait pas comment cette cliente était arrivée. Il ne pouvait répondre pour les familles F______ ou L______ ; il ne connaissait pas personnellement les clients de la société mais connaissait probablement le nom de la structure. Concernant la famille I______/J______, il croyait bien qu’ils étaient clients chez eux et que c’était AB______ qui s’en occupait. Il pensait qu’ils étaient arrivés à travers un contact bancaire dont il ne se souvenait pas le nom. AM______ SA était un de leur client et AB______ était la personne de contact. Il ne se souvenait pas comment cette société était arrivée chez eux, ni comment la famille N______ était devenue leur cliente. Celle-ci était gérée par A______. AJ______ SA était le family office d’un de leurs clients ; il pensait que cette société avait directement pris contact avec sa société mais il ne se souvenait pas comment. Il avait un vague souvenir de discussions avec les représentants de cette société. Ils s’étaient rencontrés deux fois, dont la deuxième avec AB______, à son souvenir. Elle travaillait alors déjà chez eux. Il ne se souvenait pas qui leur avait donné leurs coordonnées. A______ avait reçu en 2021 un bonus en fonction du volume d’affaires qu’il avait généré. Il pensait que ce dernier et son équipe avaient généré environ un million de francs suisses en termes de revenus ; sur ce montant, il imaginait que les clients évoqués représentaient environ 60%.

g.a.b Selon un document figurant à la procédure pénale, le 20 janvier 2020, AF______ a contacté par courriel X______, administrateur de AJ______ SA pour lui proposer ses services. Les choses étaient formulées de la manière suivante :
"I do hope you will excuse the slightly cold-calling of this email, however I have come across your details and given the areas of work we are both in wondered if you might like to meet to discuss potential opportunities to work together".

g.b AB______ a précisé qu’elle était en litige avec B______/1______ SA. Chez celle-ci, elle dirigeait une équipe de six ou sept personnes. A______ était son supérieur hiérarchique. Chez V______ (SUISSE) SA, où elle avait commencé en mars 2020, elle était directrice du marketing et ne dirigeait plus d’équipe. Elle gérait encore quelques clients de haut niveau mais ce n’était pas vraiment sa fonction ; parmi ces clients, ils y en avaient qui étaient auparavant chez B______/1______ SA et que son équipe gérait à l’époque. A______ était son supérieur hiérarchique. Elle avait quitté B______/1______ SA car elle n’y était pas heureuse. Elle ne se souvenait pas si elle était au courant des autres démissions au moment où elle avait démissionné. Elle ne savait pas exactement comment s’était passé le transfert des clients chez V______ (SUISSE) SA. Elle n’avait pas discuté avec ces clients à ce sujet. Elle ne se souvenait pas non plus quel chiffre d’affaires généraient ces clients. Entre mars et juin-juillet 2020, elle ne pensait pas avoir eu de contacts avec A______ au sujet des clients. Elle ignorait ce qu'il était advenu du fichier Excel contenant les données de B______/1______ SA, précisant qu’elle faisait des analyses dans le cadre de sa formation MBA. Elle n’avait aucune idée si ce fichier avait atterri chez V______ (SUISSE) SA. Elle ne se rappelait pas s’il contenait les noms de tous les clients ou ceux des apporteurs d’affaires. Elle a contesté avoir sollicité ces clients pour qu’ils la suivent chez son nouvel employeur.

AB______ a reconnu qu’elle gérait bien les structures des familles F______ et I______/J______ tant chez son ancien que chez son nouvel employeur. Elle n’avait jamais participé à des discussions relatives aux transferts de ces clients. Il était possible qu’elle ait rencontré le banquier de la famille I______/J______ en décembre 2019 mais elle ne s’en souvenait pas. De même, elle ne se rappelait pas quand elle avait eu l’idée de rejoindre V______ (SUISSE) SA. Elle y était arrivée par le biais d’une agence de placement, dont elle ne se rappelait plus le nom exact. Elle cherchait du travail et avait donc fait appel à plusieurs agences. Elle ignorait si c’était la même agence qui s’était occupée de ses anciens collègues. Elle ne se rappelait pas si elle avait entendu parler de V______ (SUISSE) SA avant ou après sa démission, ni quand les discussions avec cette société avaient débuté. A son arrivée dans cette société elle ne savait pas que d’autres de ses collègues la rejoindraient

g.c.a AD______ a confirmé qu’elle était directrice chez V______ (SUISSE) SA depuis le 1er juin 2020. Un de ses clients de B______/1______ SA, la famille G______, l’avait suivie chez son nouvel employeur. Elle croyait également que d’autres clients avaient fait de même. Elle ne pouvait se prononcer quant aux motifs de ces changements, ni pourquoi ils avaient choisi cette société. Elle-même n’avait pas discuté avec les clients de son changement d’employeur. Elle avait quitté B______/1______ SA car elle n’était pas contente de la fusion annoncée. Elle avait effectivement voyagé à AT______[UAE] pour voir son client de la famille G______ avant sa démission mais ne lui avait pas dit à cette occasion qu’elle démissionnait. Elle n’avait pas non plus parlé du mode de facturation des honoraires. Elle ne savait pas pourquoi son client avait demandé un changement mais cela était assez usuel. Elle ne savait pas si d’autres clients avaient fait la même démarche. Entre sa démission et sa prise d’emploi, elle s’était rendue au travail jusqu’en février 2020 et avait continué à travailler avec A______. Elle n’était pas au courant que ce dernier allait également démissionner. Elle ne se souvenait pas quand elle avait appris qu’il rejoignait la même société qu’elle. A la question de savoir comment elle expliquait le départ de cinq collaborateurs en même temps que cinq clients, elle a répondu qu’elle ne pouvait parler que pour elle et que V______ (SUISSE) SA cherchait à s’agrandir. Elle ne se rappelait pas avoir dit à des collègues que cette société cherchait des collaborateurs, ni si des collaborateurs avaient mentionné le nom de cette société. Elle savait que des personnes étaient mécontentes chez B______/1______ SA mais ne connaissait ni les dates, ni les raisons de leur démission. Elle ne se souvenait ni quand les représentants de la famille G______ avaient appris qu’elle rejoignait V______ (SUISSE) SA, ni quand cette société lui avait confié le mandat de gestion de ce client. Elle avait perçu un bonus en 2021 pour l’année 2020. Elle ne se souvenait pas d’un voyage à AS______[GBR] fin 2019 mais c’était possible. Elle ne savait pas quand la famille N______ avait été transférée chez son nouvel employeur ni pourquoi ce client n’était pas venu finalement chez B______/1______ SA. Il était possible qu’elle ait rencontré Z______ en janvier 2020 mais ne se souvenait ni de la raison, ni de ce qu’ils s’étaient dit.

g.c.b AD______ a indiqué lors de son audition par la police le 13 novembre 2020 qu'elle était passée par une société de recrutement dont elle n'entendait pas divulguer le nom.

g.d AC______ a également confirmé travailler chez V______ (SUISSE) SA en tant que senior trust officer depuis mars 2020. A______ était son supérieur hiérarchique. Elle avait quitté la B______/1______ SA car elle n’était plus contente de ses conditions de travail. Elle avait rejoint V______ (SUISSE) SA car elle cherchait un travail équivalent. Avant de travailler chez B______/1______ SA, elle était recruteuse dans le domaine des trusts et compliance et lorsqu’elle avait décidé de quitter son employeur, elle avait repris contact avec ses anciens contacts, dont AF______. Elle ne pouvait expliquer pourquoi plusieurs de ses collègues avaient quitté B______/1______ SA et avaient aussi rejoint cette société. Elle pensait que les clients qui avaient quitté B______/1______ SA n’étaient pas contents du service mais ce n’était pas pour la suivre elle. Parmi ses anciens clients de chez B______/1______ SA, elle gérait actuellement M______ et N______. AM______ SA était également cliente de son nouvel employeur mais ce n’était pas elle qui le gérait. Elle ne savait pas comment s’était passé le transfert desdits clients ; elle avait parlé de sa démission avec AE______ et avait averti A______. Elle avait su que plusieurs collègues avaient démissionné de chez B______/1______ SA au moment où ils avaient rejoint V______ (SUISSE) SA. Elle avait prévenu des contacts bancaires, tiers gérants ou intermédiaires de de son départ.

g.e Le témoin AE______ a indiqué avoir quitté B______/1______ SA car l’annonce de la fusion des sociétés ne lui plaisait pas. La seconde raison était que l’un de ses clients principaux, la famille G______, venait de partir chez V______ (SUISSE) SA et qu’il savait sa place à risque, consacrant 80% de son temps à ce client. En février 2020, AK______ et lui-même avaient rencontré cette famille à AT______[UAE]. Les membres de ladite famille avaient exprimé leur mécontentement par rapport à la réactivité de B______/1______ SA suite au départ de plusieurs employés et estimaient que la qualité du service avait diminué. Le but de la rencontre était de les rassurer sur le suivi de leur dossier et de les garder. Leur représentant, H______, leur avait dit que la qualité du service avait baissé suite au départ de AD______, qui était responsable du dossier. Il ne savait pas pourquoi la famille G______ avait choisi V______ (SUISSE) SA ; il n’en avait jamais discuté avec eux. Lorsqu’il était encore chez B______/1______ SA, il avait des contacts avec des collègues partis chez V______ (SUISSE) SA mais il n’y avait pas eu de concertation. Il avait appris que cette société recrutait et avait envoyé directement son curriculum vitae à AF______. Il y avait débuté son emploi en juillet 2020. Il ne se souvenait pas si la famille G______ avait demandé à modifier la périodicité de sa facturation. Concernant cette famille, il n’avait pas eu de contact avec A______ entre décembre 2019 et juillet 2020. Avant son départ de B______/1______ SA, il n’avait discuté avec aucun collègue de son futur employeur.

h. Les 10 et 24 novembre 2022, les parties ont remis au Tribunal les procès-verbaux des auditions de témoins par la Police judiciaire intervenues entre juillet et août 2022. Il en ressort les éléments pertinents suivants :

h.a X______, administrateur de AJ______ SA responsable de la gestion des trusts de la famille F______ a relaté que, début 2020, il avait envoyé un email à AB______ et avait reçu une réponse automatique en retour. Il avait tenté de la joindre au téléphone et il avait compris qu’il y avait un différend entre elle et B______/1______ SA. Il lui avait demandé quels étaient ses projets et avait compris qu’elle envisageait de travailler pour V______ (SUISSE) SA. Il s’était renseigné sur cette société. Il avait rencontré les dirigeants de B______/1______ SA en janvier ou février 2020 et il lui était apparu que ces derniers ne connaissaient leurs dossiers que superficiellement. Il avait informé son client du départ de AB______, qui connaissait le mieux le dossier, et recommandé de poursuivre la relation avec V______ (SUISSE) SA. Fin février ou début mars 2020, son client F______ avait rencontré cette dernière et décidé de transférer la relation chez elle. Il avait appris par AF______ en janvier ou février 2020 que les structures de la famille F______ allaient continuer à être gérées par AB______ et AC______. Il ne se souvenait pas avoir discuté avec A______ de ce changement. Il n'avait pas entendu parler d'une vague de démission chez B______/1______ SA. Il avait cru comprendre que le départ de AB______ était dû à une réorganisation managériale à l'occasion de la fusion de deux entités formant B______. A sa connaissance, A______ n'avait joué aucun rôle dans le transfert chez V______ (SUISSE) SA; il n'avait pas été démarché par des ex-employés de B______/1______ SA. Seul l'intérêt de son client avait été pris en compte.

h.b Y______, fils de X______, et actif également au sein de AJ______ SA, a déclaré que B______/1______ SA, soit pour elle A______ et AB______, s'occupait de la gestion des trusts de la famille F______ depuis plusieurs années. En janvier 2020, sa société avait reçu un courriel de AF______ de chez V______ (SUISSE) SA et c’était ainsi que leurs relations avaient débuté. Ils avaient appris début 2020 que certains employés allaient quitter B______/1______ SA et il avait rencontré les dirigeants de cette dernière le 29 janvier 2020. Il avait alors estimé qu’ils n’étaient pas à la hauteur et ne connaissaient pas leurs dossiers; ils ne savaient pas répondre à des questions techniques de base. Deux jours avant, soit le 27 janvier 2020, ils avaient rencontré AF______. Les services de V______ (SUISSE) SA leur avaient semblé meilleurs et les tarifs plus avantageux de sorte que son père, X______, et lui-même avaient suggéré à la famille F______ de changer pour cette société. Chez V______ (SUISSE) SA, il travaillait avec Mesdames E______, AC______ et AR______ ainsi que A______. Il lui semblait que les raisons du départ des employés étaient en lien avec un problème de fusion de deux sous-entités de B______.

h.c Z______, avocat fiscaliste, a exposé avoir commencé à recevoir des plaintes de sa cliente, à savoir la famille I______/J______, au sujet des services de B______/1______ SA fin 2019 et début 2020. Il avait donc cherché une autre société. Dans ce cadre, il y avait eu des discussions et négociations avec V______ (SUISSE) SA, auxquelles il n’avait pas pris part. Fin 2019, son département dans la banque avait commencé à recevoir des rumeurs concernant la perte d’employés par B______/1______ SA. De plus, certains clients n’arrivaient plus à les atteindre. Il avait rencontré AB______ le 16 décembre 2019 ; ils avaient eu une discussion très générale et n’avaient pas parlé de clients en particulier. Ils n’avaient pas discuté de sa démission. Il avait également rencontré A______ le 9 janvier 2020. Il ne se souvenait pas de la teneur de leur conversation. D'une manière générale, lorsqu'il avait des rendez-vous avec B______/1______ SA, il partageait des informations générales sur les clients, les grands projets, les problèmes. Il avait appris en septembre 2020, lors de la signature de documents, que A______ avait rejoint V______ (SUISSE) SA. Il n'avait pas connaissance d'une éventuelle concertation entre les employés de B______/1______ SA pour partir chez cette dernière.

h.d.a AP______, banquier chez AQ______, a indiqué que les trustees de B______/1______ SA, soit Messieurs AN______ et A______, lui avaient présenté la famille L______, représentée par M______, qui avait choisi sa banque comme dépositaire. Par la suite, cette famille avait confié à V______ (SUISSE) SA la gestion de ses trusts. Il ne savait pas qui avait initié ce changement. Lors de sa rencontre avec A______ et M______ à AS______[GBR] du 11 au 12 décembre 2019, ils avaient surtout parlé de politique anglaise mais non du changement de trustee, à son souvenir. A______ était responsable de la gestion de la famille L______ tant chez B______/1______ SA que chez V______ (SUISSE) SA. Il ignorait tout des circonstances des départs de plusieurs employés de B______/1______ SA pour V______ (SUISSE) SA.

h.d.b Lors de son audition par le Tribunal des prud'hommes, le témoin AP______ a confirmé ses déclarations faites devant la police. Il avait rencontré A______ à Genève entre décembre 2019 et le printemps 2020 et celui-ci lui avait indiqué qu’il quittait B______/1______ SA. Ils n’avaient pas parlé de la famille L______ à cette occasion. Avant cette rencontre, il avait également vu A______ à AS______[GBR] à cette même période, avec le protecteur du trust, M______. Ils étaient en pleine ouverture de compte bancaire à ce moment-là. Ils n’avaient pas parlé de changement de trustee. Chez V______ (SUISSE) SA, A______ était leur contact principal. Il y avait également AC______, qui agissait comme assistante. A sa connaissance, le changement de trustee n’avait eu lieu qu’en 2021 étant précisé que l’ouverture du compte avait pris une année environ. Il avait appris dans le courant de l'année 2021 que A______ avait rejoint V______ (SUISSE) SA et au début de l'été 2021 que la famille L______ avait changé de trustee.

i. Le 26 janvier 2023, B______/1______ SA a déposé plainte pénale contre AB______, AD______ et AF______ pour faux témoignages.

L’issue de cette procédure ne ressort pas du dossier.

j. A l’issue de l’administration des preuves, les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions, et le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1.             L'appel, formé en temps utile et selon les formes légales dans une cause avec une valeur litigieuse supérieure à 10'000 fr. est recevable (art. 308 et 311 CPC).

2.             L'appelant a formulé un certain nombre de griefs à l'encontre de l'état de fait rédigé par le Tribunal. Celui-ci a, en tant que de besoin, été complété pour y intégrer tous les faits pertinents pour l'issue du litige.

3.             L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir déclaré recevables les allégués et les pièces déposées par l'intimée lors de l'audience de débats d'instruction du 27 janvier 2022 sans motiver sa décision. L'intimée s'était rendue coupable d'abus de droit en attendant ladite audience pour produire 231 allégués sous la forme de plaintes pénales déposées entre avril et décembre 2020 ainsi que 103 pièces. Ce procédé violait les règles de la bonne foi. L’intimée avait en outre requis à plusieurs reprises la suspension de la procédure et multiplié les recours de manière abusive.

3.1.1 Le droit d'être entendu, en tant que droit personnel de participer à la procédure, exige que l’autorité écoute effectivement, puis examine soigneusement et sérieusement, et prenne en compte dans sa décision, les arguments de la personne dont la décision touche la position juridique. Il implique l'obligation, pour l'autorité, de motiver sa décisionafin que son destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu. Le juge n'a en revanche pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties; il suffit qu'il mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause ATF 142 III 433 consid. 4.3.2, JdT 2016 II 347; 129 I 232 consid. 3.2, JdT 2004 I 588, SJ 2003 I 513; arrêt du Tribunal fédéral 4A_523/2010 du 22 novembre 2010 consid. 5.3).

Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours au fond. Toutefois une violation pas particulièrement grave du droit d’être entendu peut exceptionnellement être guérie si l’intéressé peut s’exprimer devant une instance de recours ayant libre pouvoir d’examen en fait comme en droit. Même en cas de violation grave du droit d’être entendu, la cause peut ne pas être renvoyée à l’instance précédente, si et dans la mesure où ce renvoi constitue une démarche purement formaliste qui conduirait à un retard inutile, incompatible avec l’intérêt de la partie concernée (ATF 137 I 195 consid . 2.2, 2.3.2 et 2.6, SJ 2011 I 345).

3.1.2 Selon l'art. 226 al. 2 CPC, les débats d’instruction servent à déterminer de manière informelle l’objet du litige, à compléter l’état de fait, à trouver un accord entre les parties et à préparer les débats principaux.

A teneur de la jurisprudence, chaque partie peut s’exprimer sans limitation deux fois: une première fois dans le cadre du premier échange d’écritures; une seconde fois soit dans le cadre d’un second échange d’écritures, soit – s’il n’en est pas ordonné – à une audience d’instruction (art. 226 al. 2 CPC) ou « à l’ouverture des débats principaux» (ATF 144 III 67 consid. 2.1, JdT 2019 II 328).

3.1.3 En vertu de l'art. 52 CPC, quiconque participe à la procédure doit se conformer aux règles de la bonne foi.

Selon l'art. 2 al. 1 CC, chacun est tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi. L’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi (al. 2).

Il y a abus de droit lorsqu'une institution est utilisée de façon contraire au droit, pour la réalisation d'intérêts que cette institution n'a pas pour but de protéger (ATF 137 V 82; 138 III 401, JdT 2015 II 267).

3.2 En l'espèce, le Tribunal a indiqué dans son ordonnance du 27 janvier 2022 que sa décision de déclarer recevables les pièces et allégués produits par l'intimée lors de l'audience serait motivée dans l'arrêt au fond. Or, ledit arrêt ne contient pas de motivation sur cette question. Dans cette mesure, le droit d'être entendu de l'appelant a été violé.

Cela ne justifie cependant pas l'annulation de l'arrêt querellé et le renvoi au Tribunal. En effet, cette violation du droit d'être entendu peut être réparée par-devant la présente Cour qui dispose d'un pouvoir de cognition complet pour statuer sur cette question.

Il ressort des principes juridiques précités que, lorsqu'il n'y a pas eu de second échange d'écritures, ce qui est le cas en l'espèce, les parties ont le droit de s'exprimer sans limitation lors des débats d'instruction. L'intimée était donc en droit de faire valoir de nouveaux allégués lors de l'audience du 27 janvier 2022 et de déposer les pièces y relatives.

Contrairement à ce que fait valoir l'appelante, l'on ne saurait considérer que l'intimée a eu un comportement relevant de l'abus de droit en requérant la suspension de la cause dans l'attente de l'issue de la procédure pénale. Cette requête n'était pas manifestement vouée à l'échec. Elle était en outre en droit de faire valoir ses arguments devant la Cour, puisque ceux-ci n'avaient pas été entérinés par le Tribunal, et ce même à plusieurs reprises.

Dans la mesure où la réponse au fond de l'intimée a été déposée alors que le recours contre le refus de la suspension était toujours pendant, l'on ne peut lui reprocher de l'avoir limitée à l'essentiel. Elle ne s'en est d'ailleurs pas cachée, puisqu'elle l'a expressément souligné dans son écriture en réponse.

Une grande partie des faits allégués par l'intimée lors de l'audience du 27 janvier 2022 ressortait des pièces déjà déposées par celle-ci avec sa demande de suspension ou avec sa réponse. L'appelant les connaissait déjà, de sorte que l'on ne saurait reprocher à l'intimée d'avoir utilisé les règles de procédure à mauvais escient, pour profiter indûment d'un effet de surprise.

L'appelant a par ailleurs pu s'exprimer sur ces nouveaux allégués dans le délai qui lui a été imparti pour ce faire par le Tribunal.

C'est par conséquent à juste titre que le Tribunal a déclaré recevables les allégués et pièces produits par l'intimée lors de l'audience du 27 janvier 2022.

4.             Le Tribunal a retenu qu'en l'espace de deux mois quatre des clients les plus importants de l'intimée avaient requis une facturation trimestrielle des honoraires au lieu d'une facturation annuelle. Durant la même période, six des douze employés de l'intimée avaient démissionné pour rejoindre V______ (SUISSE) SA. Deux ou trois mois plus tard, entre mars et avril 2020, les quatre clients précités avait quitté l'intimée pour rejoindre la même société, utilisant des courriers de résiliation formulés de manière similaires. Il était invraisemblable que cette succession d'événements résulte du hasard; cette chronologie impliquait au contraire un processus concerté, qui avait causé un dommage à l'intimée. Au moment du licenciement, celle-ci avait connaissance de suffisamment d'éléments lui permettant de considérer que l'appelant avait violé son devoir de fidélité (explications évasives de la part de ce dernier en réponse à son courrier du 14 avril 2020, courriel du 21 avril 2021 concernant un des clients ayant transféré ses trusts chez V______ (SUISSE) SA reçu par l'appelant en copie cachée). Les démarches effectuées par l'intimée après le licenciement de l'appelant avaient confirmé ses soupçons (absence de time-sheet, rendez-vous avec les clients alors que l'appelant avait déjà démissionné, rendez-vous de ses collègues démissionnaires n'étant pas notés dans leurs agendas mais pour lesquels il était destinataire en copie cachée ou le fait qu'il n'ait pas mis les nouveaux administrateurs en copie des courriels échangés alors qu'il devait assurer la transition). Tant l'appelant que les témoins entendus par le Tribunal avaient fourni des réponses évasives et peu crédibles aux questions posées. Les déclarations de AB______ au sujet du fichier Excel concernant les données clients de l'intimée étaient particulièrement douteuses. Les explications données par les représentants des ex-clients de l'intimée sur la baisse des prestations de celle-ci ne permettaient pas d'expliquer leur départ pour rejoindre tous la même entité. Le licenciement immédiat était dès lors justifié.

L'appelant fait valoir qu'il est établi par les déclarations des témoins AD______, AC______, AE______ et X______/Y______ père et fils que c'était la décision de fusion entre l'intimée et B______/2______ SA qui avait provoqué les départs des employés, chacun ayant pris sa propre décision et qu'aucune instigation ne pouvait lui être reprochée. Les témoins X______/Y______, AP______ et Z______ avaient confirmé avoir appris son départ alors qu'ils avaient déjà rejoint V______ (SUISSE) SA. Il était usuel dans le domaine financier que les clients suivent leur gestionnaire quand il change d'employeur. Cela ne voulait pas dire que les gestionnaires en question les avaient encouragés à partir. Sa réponse au courrier de l'intimée du 14 avril 2020 n'était pas évasive. Il était déjà libéré de son obligation de travailler depuis plus de deux mois quand il avait reçu ce courrier. Il n'avait jamais eu connaissance des échanges de courriels entre la banque AI______ et AB______; même à supposer qu'il ait reçu le courriel en question, il n'avait pas pu l'avoir lu car l'accès à sa messagerie avait été bloqué juste après. Il était au demeurant normal que AI______ lui ait envoyé un tel courrier car elle le mettait en copie des échanges concernant les clients de l'intimée. L'absence de time-sheet concernait AB______. Son départ n'avait pas été évoqué lors des deux rendez-vous qu'il avait eu avec des clients suite à sa démission, alors qu'il n'était pas encore libéré de son obligation de travailler. Il n'était pas responsable du fait que ses collègues n'avaient pas inscrits certains rendez-vous dans leur agenda et il avait régulièrement mis en copie de ses courriels les nouveaux administrateurs. Les conditions pour admettre "un congé-soupçon" n'étaient pas réunies car l'intimée n'avait pas fait d'enquête avant le licenciement ni démontré que les faits qu'elle lui reprochait étaient avérés.

4.1.1 Selon l'art. 337 CO, l'employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1). Constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2). Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs, mais en aucun cas il ne peut considérer comme tel le fait que le travailleur a été sans sa faute empêché de travailler (al. 3).  

Selon l'article 8 CC, il appartient à la partie qui se prévaut de justes motifs de résiliation immédiate d'apporter la preuve de leur existence (ATF 130 III 213 consid. 3.2).

Les faits invoqués à l'appui d'une résiliation immédiate doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. En règle générale, seule une violation particulièrement grave des obligations contractuelles peut justifier une telle résiliation, mais d'autres circonstances peuvent également justifier une telle mesure ; ainsi, une infraction pénale commise au détriment de l'autre partie constitue en règle générale un motif justifiant la résiliation immédiate (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 ab initio CO) et il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC) ; à cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des incidents invoqués (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1 ; 130 III 28 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_124/2017 du 31 janvier 2018 consid. 3.1).

Le comportement des cadres doit être apprécié avec une rigueur accrue en raison du crédit particulier et de la responsabilité que leur confère leur fonction dans l'entreprise (ATF 130 III 28 consid. 4.1 et l'arrêt cité ; arrêts du Tribunal fédéral 4A_225/2018 du 6 juin 2019 consid. 4.1 ; 4A_124/2017 du 31 janvier 2018 consid. 3.1).

La jurisprudence n'exclut pas que le soupçon d'infraction grave ou de manquement grave puisse justifier un licenciement avec effet immédiat (arrêt du Tribunal fédéral 4C_317/2005 du 3 janvier 2006 consid. 5 ; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4e éd. 2019, pp. 718 ss ; WITZIG, Droit du travail, 2018, p. 309).

Toutefois, d'autres éléments excluent généralement le bien-fondé d'un congé-soupçon, soit parce que le manquement reproché, même s'il était avéré, ne serait pas suffisamment important pour justifier un congé immédiat sans avertissement (arrêt du Tribunal fédéral 4C.112/2002 du 8 octobre 2002 consid. 6 et les arrêts cités ; 4C.103/1999 du 9 août 1999 consid. 3c), soit parce que l'employeur n'a pas fait tout ce qu'on pouvait attendre de lui pour vérifier les soupçons (arrêt du Tribunal fédéral 4A_419/2015 du 19 février 2016 consid. 2.1.2 ; WITZIG, op.cit., pp. 309 s.).

La partie qui résilie immédiatement le contrat doit motiver sa décision par écrit si l'autre partie le demande (art. 337 al. 1 i.f. CO).

L'exercice d'une activité concurrente à celle de l'employeur est considérée comme une grave violation du devoir de fidélité (WYLER/ HEINZER, op. cit., p. 734).

4.1.2 Un manquement au devoir de fidélité du travailleur peut constituer un juste motif de congé. Selon l'article 321a al. 1 CO, le travailleur exécute avec soin le travail qui lui est confié et sauvegarde fidèlement les intérêts légitimes de l'employeur. Vu le rapport personnel privilégié qui résulte du contrat de travail, le travailleur doit consacrer toutes ses forces physiques et intellectuelles pour exécuter le travail confié et servir les intérêts légitimes de son employeur. Ce devoir général est concrétisé par deux obligations spécifiques, l'obligation de diligence et l'obligation de fidélité (DUNAND, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 5 ad art. 321a CO, p. 55).

L'obligation de fidélité consiste à mettre toutes ses forces au service de son employeur et à renoncer à tout ce qui pourrait lui nuire : elle comporte ainsi un aspect positif et un aspect négatif (ATF 117 II 560 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_212/2013 du 10 octobre 2013 consid. 2.1 ; DUNAND, op.cit., n. 12 ad art. 321a CO, p. 56).

Le travailleur doit s'abstenir de tout comportement susceptible de léser l'employeur dans ses intérêts légitimes et éviter, en particulier, tout ce qui pourrait lui causer un dommage économique. Il s'abstiendra, par exemple, de débaucher des collaborateurs dans le but de les engager dans une entreprise concurrente qu'il est en train d'organiser ou de porter atteinte à la personnalité de ses collègues de travail (DUNAND, op.cit., n. 14 ad art. 321a CO, p. 57 et les réf. citées ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_297/2016 du 17 novembre 2016 consid. 4.2).

Le devoir de fidélité inscrit à l'article 321a CO n'est pas absolu ; ses limites sont tracées par les intérêts justifiés de l'employeur. Ainsi, une fois le congé donné, le travailleur peut entreprendre des démarches en vue de trouver un nouvel emploi, de fonder une société concurrente ou de se préparer à exercer une activité indépendante pour autant qu'il n'entre pas en concurrence avec son employeur avant que son activité chez lui prenne fin, qu'il ne néglige pas son travail et n'use pas de procédés contraires à la bonne foi (ATF 117 II 72, trad. in JdT 1992 I p. 569, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 4C.98/2005 du 27 juillet 2005, consid. 3.1).

Le travailleur viole en revanche son obligation de fidélité lorsqu’il se met à son compte ou fonde avec d'autres une entreprise concurrente et qu'il, avant la fin de la relation de travail, débauche des employés ou détourne de la clientèle (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5 ; 117 II 72 consid. 4, trad. in JdT 1992 I p. 569 ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.98/2005 du 27 juillet 2005, consid. 3.1 ; DUNAND, op.cit., n. 68 ad art. 321a CO, p. 71). La limite entre les préparatifs admissibles et un véritable détournement de la clientèle n'est toutefois pas toujours facile à tracer (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5).

L'employeur a un intérêt tout particulier à pouvoir se fier à la rectitude absolue du travailleur lorsque celui-ci exerce une fonction à responsabilités qui le place en situation d'agir seul, sans le contrôle de son employeur. L'obligation de fidélité vaut ainsi dans une mesure accrue pour les cadres, eu égard au crédit particulier et à la responsabilité que leur confère leur fonction dans l'entreprise de l'employeur (ATF 127 III 86 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 4A_105/2018 du 10 octobre 2018 consid. 4.5 ; 4A_297/2016 du 17 novembre 2016 consid. 4.3.1 ; 4A_558/2009 du 5 mars 2010 consid. 4.1 ; 4A_480/2009 du 11 décembre 2009 consid. 6.1 ; STAEHELIN, Zürcher Kommentar, 4e éd. 2006, n. 8 ad art. 321a CO, p. 83).

4.1.3 Le tribunal établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées (art. 157 CPC).

Le tribunal n’est pas lié à une hiérarchie entre les moyens de preuves et l’on ne peut nier par avance et de manière générale le caractère adéquat d’un moyen de preuve déterminé. Il est néanmoins admis que selon l’expérience générale de la vie, les déclarations de témoins ne font pas partie des moyens de preuves les plus fiables et en particulier, qu’ils apparaissent moins fiables que des titres (arrêt du Tribunal fédéral 5A_88/2020 du 11 février 2021 consid. 4.3.2).

L'appréciation des preuves par le juge consiste, en tenant compte du degré de la preuve exigé, à soupeser le résultat des différents moyens de preuves administrés et à décider s'il est intimement convaincu que le fait s'est produit, et partant, s'il peut le retenir comme prouvé. Lorsque la preuve d'un fait est particulièrement difficile à établir, les exigences relatives à sa démonstration sont moins élevées; elles doivent en revanche être plus sévères lorsqu'il s'agit d'établir un fait qui peut être facilement établi, en produisant par exemple un document officiel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_812/2015 du 6 septembre 2016 consid. 5.2). 

4.2 En l'espèce, il résulte du dossier que, entre décembre 2019 et juin 2020, l'appelant et cinq employés de l’équipe qu’il supervisait ont quitté l'intimée pour prendre un emploi similaire à celui qu'ils exerçaient pour le compte de celle-ci au service de l'un de ses concurrents, emportant avec eux plusieurs clients importants de l'intimée.

Comme l'a relevé à juste titre le Tribunal, l'on ne saurait considérer que cet état de fait est le fruit du hasard.

La chronologie des faits, et les différents éléments figurant au dossier, permet de retenir que ce départ s'est fait de manière concertée entre les intéressés, que l'appelant était au courant de ce qui se passait et qu’il y a participé.

Le fait que plusieurs clients importants de l'intimée aient demandé à l'appelant, entre décembre 2019 et janvier 2020, de leur facturer les honoraires par trimestre et non plus par année, avant de résilier leur rapport avec celle-ci trois mois plus tard, par des courriers ayant une formulation similaire, pour rejoindre la même société concurrente, atteste du fait que le départ de ces clients n'était pas spontané, mais qu'il avait été préparé à l'avance. La concomitance de ces démarches et la formulation similaire des lettres de résiliations ne peut en effet s’expliquer autrement. Cette préparation n'a pu se faire qu'en concertation avec A______, voire avec les autres membres de son équipe, étant précisé qu'il n'est pas allégué que ces clients se connaissaient entre eux.

Ce qui précède est corroboré par le fait que les demandes des clients relatives au changement de facturation sont intervenues au cours de la même période que les démissions de A______, le 23 décembre 2019, et de plusieurs autres membres de son équipe.

A cela s’ajoute qu’il est établi que A______ a rencontré, à la même période, les représentants d’au moins deux des clients concernés. Le 12 décembre 2019, il a eu un entretien à AS______[GBR] avec M______, représentant de la famille L______, cliente de l’intimée, en présence de l'employé de [la banque] AQ______ chez qui le compte de cette famille avait été ouvert. A ce moment-là, et selon ses propres déclarations, l’appelant avait déjà entamé des démarches pour trouver un autre employeur.

L’appelant a également rencontré Z______, représentant d’un autre client important de l’intimée, le 9 janvier 2020, après sa démission, étant précisé que celui-ci s’était déjà entretenu avec AB______, autre démissionnaire, peu avant, à savoir le 16 décembre 2019.

Les allégations de l'appelant selon lesquelles son départ et ses conséquences n'ont pas été évoqués lors de ces rencontres sont dénuées de crédibilité. L'appelant n'a en particulier fourni aucune explication convaincante sur les raisons de ces rendez-vous et les thèmes qui ont été abordés. Les déclarations du témoin AP______ selon lesquelles la rencontre du 12 décembre 2019 a été consacrée à discuter de « politique anglaise » sont tout aussi peu crédibles. L'on imagine en effet mal trois mandataires financiers d'une famille fortunée se déplacer à l'étranger uniquement pour discuter d’un tel sujet, alors même que des changements importants se préparent concernant la gestion des avoirs de la famille concernée.

Le témoin Z______ a quant à lui indiqué qu'il ne se souvenait plus sur quoi avait porté son entretien avec l'appelant et a précisé qu'il n'avait pas discuté de sa démission. Ces affirmations sont également peu crédibles, ce d’autant plus que le témoin a précisé que, lorsqu'il avait des entretiens avec des employés de l'intimée, il discutait d'ordinaire des clients, des grands projets et des problèmes. Or, la démission en bloc de plusieurs employés de l’intimée, intervenue récemment, suivie de près par le transfert des affaires de leur cliente commune auprès d'un nouveau prestataire de service, entre clairement dans la catégorie des sujets abordés habituellement lors d'une conversation de ce genre.

La thèse d'une concertation entre les différents employés démissionnaires de l’intimée, appelant compris, est confortée par les autres éléments relevés par le Tribunal et non contestés par l'appelant, en particulier le fait que les collègues démissionnaires de l'appelant se rendaient à des rendez-vous qui n'étaient pas notés dans leur agenda mais dont il était informé, puisqu'il était en copie cachée des courriels y relatifs, que AB______ avait cessé de tenir des time-sheet de ses activités et qu’elle soit partie avec un fichier Excel contenant toutes les informations relatives aux clients, contacts et apporteurs d’affaires de l'intimée, lequel lui avait été remis par sa sœur, également employée de l’intimée, récemment démissionnaire.

Comme l'a relevé à bon droit le Tribunal, AB______ a déclaré de manière particulièrement peu crédible qu'elle ignorait ce qui était advenu de ce fichier et qu'elle ne savait en particulier pas s'il avait été communiqué à son nouvel employeur.

C'est le lieu de relever que l'amnésie généralisée des témoins auditionnés par le Tribunal et par la police, qui ont répondu à la plupart des questions qui leur ont été posées qu'ils ne se rappelaient pas de ce qui s'était passé, est de nature à corroborer les affirmations de l'intimée selon lesquelles ses ex-employés sont partis de manière concertée, avec certain de ses clients, pour rejoindre un concurrent. Le manque de collaboration des ex-employés de l’intimée, en particulier, atteste d’une volonté de dissimuler les circonstances exactes entourant les faits de la cause.

Il n'est notamment pas crédible que ni l'appelant, ni AB______, ni AD______ ne se souviennent du nom de l'agence de placement qui les a prétendument mis en contact avec V______ (SUISSE) SA.

Les déclarations de AD______ sont également peu convaincantes. Il n'est pas vraisemblable que, lors de son voyage à AT______[UAE] intervenu peu avant sa démission, elle n'ait pas informé le représentant de la famille G______, cliente qui l'a suivie par la suite chez V______ (SUISSE) SA, du fait qu'elle allait quitter l'intimée, ni évoqué avec celui-ci le fait qu'il avait requis une facturation trimestrielle au lieu d'une facturation annuelle.

L’on ajoutera que AF______, directeur de V______ (SUISSE) SA, qui a affirmé que les anciens clients de l'intimée n'avaient pas été amenés par les ex-employés de celle-ci, n'a pas pu expliquer par le biais de quel contact ceux-ci étaient devenus clients de sa société. Contrairement à ce qu'il a affirmé, c'est bien lui qui a pris contact avec X______, représentant de la famille F______, et non l’inverse, comme l'atteste le courriel qu'il a envoyé à celui-ci le 20 janvier 2020. A cet égard, il est vraisemblable que les coordonnées de X______ lui ont été transmises par AB______, qui gérait ce client chez l'intimée et qui a continué à le faire dès sa prise d'emploi pour V______ (SUISSE) SA.

Les déclarations de AF______ concernant la manière dont les autres clients avaient pu être acquis par sa société sont tout aussi peu crédibles. Le témoin s'est limité à cet égard à de vagues généralités, mentionnant pour un client un contact bancaire dont il prétendait avoir oublié le nom.

Les dénégations de l'appelant en lien avec le courriel du 21 avril 2021 reçu de la banque AI______ concernant les trusts de la famille F______ et adressé, entre autres à AB______, alors qu'elle était déjà employée de V______ (SUISSE) SA et à Y______, n'emportent pas non plus la conviction. L'appelant ne conteste pas que la capture d'écran produite par l'intimée à l’appui de ses allégations concerne bien sa propre boîte mail. Le fait que l'appelant reçoive, pendant son délai de préavis, en copie cachée, les courriels échangés entre les anciens employés et anciens clients de l'intimée, atteste de ce qu'il était au courant des agissements des uns et des autres. A cet égard il importe peu que l'appelant n'ait pas pris connaissance de ce courriel en raison du fait que l'intimée a bloqué son accès à sa boîte mail dès la découverte de celui-ci. En tout état de cause, même à supposer que cette allégation de l’intimée ne soit pas établie, les autres éléments du dossier suffisent à retenir que l’appelant était impliqué dans les événements dénoncés par l’intimée.

Il ressort de ce qui précède que c'est à juste titre que le Tribunal a retenu que l'appelant et les autres ex-employés de l'intimée s'étaient concertés pour quitter le service de celle-ci et rejoindre un concurrent, détournant à leur profit plusieurs clients de l'intimée et lui causant ainsi un dommage.

Dans ce contexte, il importe peu que le rôle exact joué par l'appelant dans le déroulement des faits n'ait à ce stade pas été établi. En tant que cadre de l'intimée, et supérieur hiérarchique de la quasi-totalité des employés concernés, il était certainement au courant de ce projet et il résulte du dossier qu’il y a contribué, sans qu’il soit nécessaire de définir l’étendue précise de cette contribution.

Le fait de n’avoir pas informé l’intimée de l’existence de ce projet, voire d’y avoir participé, ne serait-ce que dans une faible mesure, alors que les rapports de travail n’avaient pas pris fin, contrevient gravement au devoir de fidélité de l’appelant. Cette violation était d’autant plus grave que l’appelant, administrateur de l’intimée, occupait une fonction dirigeante au sein de celle-ci.

Comme l’a relevé à juste titre le Tribunal, l’appelant ne saurait justifier son attitude en se prévalant du rapport de confiance particulier existant entre les clients d’une société financière et leur gestionnaire. La situation in casu est différente du cas du client qui décide spontanément de suivre son gestionnaire après la fin des rapports de travail de celui-ci. Dans le cas d’espèce, le comportement reproché à l’appelant par l’intimée est intervenu avant la fin de rapports de travail et a abouti tant au débauchage de plusieurs employés qu’à la perte de plusieurs clients.

A cela s’ajoute que l’appelant ne gérait personnellement qu’un seul des clients de l’intimée partis chez la concurrence et qu’il a lui-même déclaré que son rôle était plus de gérer la société que les clients. Il ne saurait ainsi se prévaloir d’un lien de confiance particulier avec les clients, qui aurait justifié le départ de ceux-ci. Les manquements qui lui sont reprochés concernent par contre directement la gestion de l’intimée.

Compte tenu de ce qui précède, il convient de retenir que l’appelant a commis une faute grave justifiant son licenciement avec effet immédiat.

La question de savoir si le départ des employés en question est ou non lié au projet de fusion de l'intimée avec une autre entité du groupe B______ n'est quant à elle pas pertinente. Même à supposer que tel soit le cas, ce qui n'est pas établi, cela n'autorisait pas l'appelant à violer comme il l’a fait son devoir d'information et de fidélité à l'encontre de l'intimée. Au demeurant, l'appelant n'a jamais expliqué concrètement quels étaient les désavantages de cette fusion et quelles conséquences négatives précises ce projet aurait eu pour les intéressés.

L'appelant se prévaut en vain des déclarations des représentants des clients de l'intimée selon lesquelles l’appelant ne les avait pas incités à rompre leurs relations avec celle-ci. Le manque de crédibilité des déclarations en question a été souligné par le Tribunal et relevé ci-dessus.

Les déclarations des ex-employés de l'intimée, lesquels ont pour la plupart affirmé avoir quitté l'intimée en raison d'un projet de fusion sur lequel ils n'ont donné aucune précision sont peu vraisemblables. Il est de plus invraisemblable qu’ils n’aient, comme ils l’ont déclaré, jamais évoqué la question de leur démission, que ce soit entre eux ou avec l’appelant, qui était leur chef. Ces témoignages n'apportent dès lors aucun élément tangible à l'appui de la thèse de l'appelant.

Contrairement à ce que fait valoir ce dernier, en avril 2020, au moment où l'intimée l'a licencié, ses soupçons étaient suffisamment étayés pour fonder une telle décision. La réponse de l'appelant à son courrier du 14 avril 2020 était de nature à l'inquiéter. Celui-ci semblait en effet particulièrement peu intéressé et concerné par les problèmes de transferts de clients évoqués par son employeur, ni enclin à lui fournir des informations concrètes sur la situation. Les faits que l’intimée a découverts par la suite lui ont permis de confirmer la réalité des soupçons en question.

Le Tribunal a dès lors considéré à juste titre que le congé avec effet immédiat signifié à l'appelant était justifié.

Le jugement querellé sera par conséquent confirmé.

5. Il ressort de ce qui précède que les informations figurant au dossier sont suffisantes pour trancher le litige. Les réquisitions de preuves formulées par l'intimée seront par conséquent rejetées.

6. Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., seront mis à la charge de l’appelant qui succombe, et partiellement compensés avec l’avance de 300 fr. versée par ses soins, acquise à l’Etat de Genève (art 71 RTFMC ; 111 CPC). L’appelant sera condamné à verser le solde en 500 fr. à l’Etat de Genève. Il ne sera pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé par A______ contre le jugement JTPH/164/2023 rendu le 19 mai 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/12634/2020.

Au fond :

Confirme le jugement querellé.

Condamne A______ aux frais judiciaires d’appel, arrêtés à 800 fr. et partiellement compensés avec l’avance versée, acquise à l’Etat de Genève.

Condamne A______ à verser 500 fr. au titre des frais judiciaires à l’Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

Déboute les parties de toutes autres conclusions

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIÉTHOZ, présidente; Madame
Marie-Noëlle FAVARGER SCHMIDT, Monsieur Roger EMMENEGGER, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.