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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/9517/2023

ACJC/1529/2024 du 14.11.2024 sur JTBL/385/2024 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9517/2023 ACJC/1529/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 14 NOVEMBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], Monsieur B______, domicilié ______ (France) et Monsieur C______, domicilié ______ (VD), appelants d’un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 8 avril 2024, représentés par
Me Philippe EIGENHEER, avocat, rue Bartholoni 6, case postale, 1211 Genève 4,

 

et

 

Madame D______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Daniel MEYER, avocat, rue Ferdinand-Hodler 7, 1204 Genève.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/385/2024 du 8 avril 2024, expédié pour notification aux parties le 9 avril 2024, le Tribunal des baux et loyers a déclaré inefficace le congé notifié à D______ le 30 mars 2023 pour le 30 avril 2024, concernant l’appartement de 5 pièces au rez-de-chaussée de la villa sise rue 1______ no. ______ au E______ [GE] (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte déposé le 8 mai 2024 auprès de la Cour de justice, A______, B______ et C______ forment appel contre ce jugement, dont ils sollicitent l’annulation.

b. Dans sa réponse du 10 juin 2024, D______ a conclu à la confirmation du jugement entrepris. Elle a produit une pièce nouvelle.

c. A______, B______ et C______ ont répliqué le 12 juillet 2024, persistant dans leurs conclusions.

d. D______ n’a pas dupliqué dans le délai qui lui a été imparti par la Cour.

e. Les parties ont été avisées le 27 septembre 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. Le 1er octobre 2015, D______ a pris à bail un appartement de 5 pièces au rez-de-chaussée de la villa sise rue 1______ no. ______ au E______, dont A______, B______ et C______ sont propriétaires.

Le bail a été conclu pour une durée initiale d’un an, du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016, renouvelable ensuite tacitement pour une durée indéterminée, avec faculté de résilier en respectant un préavis de trois mois pour la fin de chaque mois.

Le loyer a été fixé dans le contrat à 2'000 fr. par mois, charges comprises.

La fixation du loyer n’a pas fait l’objet d’un avis officiel.

b. Le point 7 du contrat, se trouvant à la deuxième page de celui-ci, est libellé comme suit :" Annexes : dispositions du bail paritaire romand (à télécharger sur www.asloca.ch)". La mention de cette annexe figure également en bas de la même page, après les signatures.

L’article 7 de ces dispositions prévoit que lorsque le locataire est en retard de plus de dix jours dans le paiement d’une mensualité et qu’il fait l’objet d’une vaine mise en demeure écrite, le bailleur peut exiger que le loyer, acomptes de chauffage et de frais accessoires soient acquittés trimestriellement à l’avance, dès le mois suivant l’échéance du délai fixé dans la mise en demeure.

c. La locataire a consigné les loyers dès le mois de juillet 2021.

Par requête déposée le 20 juillet 2021 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, D______ a conclu notamment à la fixation judiciaire du loyer à 1'800 fr., à l’exécution de travaux et à la réduction du loyer. La procédure a été enregistrée sous n° C/2______/2021.

d. Par décision du 6 décembre 2022, l’Office de l’urbanisme a accepté un projet de démolition de la villa abritant l’appartement litigieux.

e. En décembre 2022, la locataire accusait un arriéré de paiement des loyers sur le compte de consignation de 9'997 fr.

f. Par courrier du 22 décembre 2022, le conseil des bailleurs a mis la locataire en demeure de s’acquitter des loyers afférents aux mois de mars, avril, mai, août et septembre 2022, avec la menace, en cas de non-paiement dans les 10 jours, du paiement du loyer par trimestre d’avance.

g. Par courrier de son conseil du 30 décembre 2022, la locataire a contesté devoir la somme réclamée et s’est engagée à verser le montant dû avant le 21 janvier 2023.

h. Par courrier du 10 janvier 2023, les bailleurs, constatant que D______ ne s’était pas exécutée dans le délai fixé, ont exigé le paiement du loyer par trimestre d’avance, à savoir que les loyers pour les mois de février, mars et avril 2023 devaient être réglés avant le 1er février 2023. L’arriéré des cinq mois de loyers (de mars, avril, mai, août et septembre 2022, soit 9’975 fr.) devait par ailleurs être acquitté dans un délai de 30 jours, sous peine de résiliation anticipée du contrat de bail.

i. Le loyer du mois de février a été payé le 31 janvier 2023.

j. Dans le délai de 30 jours, les bailleurs ont été crédités d’un montant de 14'328 fr. par la Fondation F______, pour le compte de la locataire.

k. Une nouvelle mise en demeure avec menace de résiliation a été adressée à D______ le 24 février 2023, concernant le paiement, dans les 30 jours, de 2'000 fr. à titre de loyer pour le mois d’avril 2023.

l. Dans un courrier du 28 février 2023, la locataire a contesté la validité de la mise en demeure en raison du fait qu’une procédure de fixation judiciaire de loyer était en cours et a, par ailleurs, déclaré compenser sa créance en restitution de trop-perçu avec l’éventuelle créance des bailleurs.

m. Par avis du 30 mars 2023, les bailleurs ont résilié le bail pour le 30 avril 2023, pour défaut de paiement du loyer.

n. Par requête du 28 avril 2023, déclarée non conciliée à l’audience de la Commission de conciliation du 23 juin 2023 et portée devant le Tribunal le 3 juillet 2023, D______ a conclu à la constatation de l’inefficacité du congé et, subsidiairement, à son annulation.

Elle a notamment considéré que les conditions permettant d’exiger le paiement du loyer par trimestre d’avance n’étaient pas réalisées.

o. Par jugement JTBL/605/2023 du 14 juillet 2023, rendu dans la procédure C/2______/2021, le Tribunal a fixé le loyer, charges comprises, à 2'000 fr. par mois dès le 1er octobre 2015, ordonné aux bailleurs d’effectuer des travaux et réduit le loyer de 5% dès le 17 octobre 2018 et jusqu’à complète exécution desdits travaux.

Ce jugement a fait l’objet d’un appel, actuellement pendant.

p. Dans leur réponse du 22 septembre 2023, A______, B______ et C______ ont conclu au déboutement de D______ de toutes ses conclusions.

q. Dans sa réplique du 6 octobre 2023, la locataire a notamment contesté que les dispositions du bail paritaire romand aient été annexées au contrat.

r. A l’audience du 19 décembre 2023 du Tribunal, la locataire a confirmé que le contrat de bail, qu’elle avait signé en présence de A______, ne comportait pas d’annexe et déclaré que celui-ci n’avait pas attiré son attention sur des dispositions spécifiques.

s. A l’audience du 13 février 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions, à la suite de quoi l’affaire a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Lorsque la contestation porte sur la validité d'une résiliation de bail, ou que le locataire requiert la constatation de la nullité ou de l'inefficacité du congé, la valeur litigieuse est égale au loyer, provisions pour frais accessoires incluses, dû pour la période pendant laquelle le bail subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, c'est-à-dire jusqu'au jour où un nouveau congé pourra être donné. En pratique, il convient de prendre en considération le loyer et les frais accessoires pour la période de trois ans de l'art. 271a al. 1 let. e CO
(ATF
137 III 389 consid. 1.1; 111 II 384 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2012 du 10 avril 2012 consid. 1.1).

1.2 En l'espèce, au vu du loyer annuel fixé à 24'000 fr. charges comprises, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L’intimée a produit une pièce nouvelle avec sa réponse à l’appel du 10 juin 2024.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, l’intimée a produit un relevé du compte de consignation daté du 15 février 2024, soit une date postérieure à la mise en délibération de la cause par le Tribunal le 13 février 2024. Cette pièce, produite sans retard, est donc recevable.

3. Les appelants font en premier lieu grief au Tribunal d’avoir procédé à une constatation inexacte des faits. Ils lui reprochent de ne pas avoir fait mention dans l’état de fait du jugement querellé d’une pièce qu’ils ont produite lors de l’audience de plaidoirie du 13 février 2023 et qui démontrerait selon eux qu’en plus d’avoir obtenu l’autorisation de démolir la maison dans laquelle se trouve le logement litigieux, ils ont également obtenu l’autorisation de construire quatre villas contiguës à sa place.

3.1 L'art. 310 CPC, comme cela ressort clairement de son texte, régit les motifs que la partie appelante peut faire valoir à l'appui de son appel. Cette disposition ne concerne en rien le pouvoir d'examen de la cour d'appel et est en relation avec l’art. 157 CPC précité. Saisie d'un appel, la cour cantonale dispose d'un pouvoir de cognition complet et revoit librement aussi bien les questions de fait que les questions de droit (Jeandin, in Code de procédure civile commenté, 2011, n° 5 ad intro art. 308-334 CPC et n° 6 ad art. 310 CPC). Les articles 157 et 310 CPC n'interdisent nullement à la cour cantonale d'apprécier à nouveau les preuves apportées et de parvenir à des constatations de fait différentes de celles de l'autorité de première instance. Ces dispositions du CPC ne prescrivent pas non plus comment le juge doit apprécier les preuves et sur quelles bases il peut se forger une opinion.

3.2 En l’espèce, le congé litigieux a été notifié pour défaut de paiement du loyer, selon l’art. 257d CO, lequel prévoit que lorsque le locataire d’un bail d’habitation ou de locaux commerciaux est en retard dans le paiement de loyers ou frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai, de 30 jours au moins, et lui signifier qu’à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. En cas de non-paiement dans le délai, il peut, moyennant un délai de congé de 30 jours pour la fin d’un mois, résilier le bail en application de l’art. 257d al. 2 CO.

Dès lors, seule est pertinente la question du respect par les appelants des conditions légales d’un tel congé extraordinaire, telles quels rappelées ci-dessus.

Or, la délivrance d’une autorisation de construire sur la parcelle où se trouve le logement litigieux n’est d’aucune pertinence dans le cadre de l’examen de la validité d’un congé notifié en application de l’art. 257d CO.

Il s’agit d’un fait pouvant motiver une résiliation ordinaire du bail et non propre à changer quoi que ce soit à la validité ou non d’une résiliation extraordinaire pour défaut de paiement du loyer. Il ne peut prévaloir les autres moyens de preuve déjà administrés par le tribunal.

  Ainsi, l’état de fait établi n’a pas à être complété.

Le premier grief des appelants sera dès lors rejeté.

4. Les appelants font ensuite grief au Tribunal d’avoir violé l’art. 257d CO en considérant que la résiliation du contrat est inefficace faute de respecter la condition de l’exigibilité de la créance. Ils soutiennent que c’est à tort que les premiers juges ont retenu que l’intimée admettait devoir un loyer de 1'800 fr. par mois, de sorte qu’elle ne pouvait être mise en demeure qu’à hauteur de ce montant. Selon eux, cette attitude est contradictoire et par conséquent constitutive d’un abus manifeste de droit.

4.1 A teneur de l'art. 257d al. 1 CO, lorsque le locataire, après réception de la chose, a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Le délai doit être d'au moins trente jours pour les baux d'habitations ou de locaux commerciaux. L'art. 257d al. 2 CO dispose qu'à défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat. Les baux d'habitations ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois.

4.2 La possibilité d'opposer en compensation une contre-créance contestée existe également pour le locataire mis en demeure de payer un arriéré de loyer (art. 257d CO). La déclaration de compensation doit toutefois intervenir avant l'échéance du délai de grâce. La contre-créance opposée en compensation doit en outre pouvoir être prouvée sans délai (arrêt du Tribunal fédéral 4A_140/2014 du 6 août 2014 consid. 5.2).

4.3.
4.3.1
Lorsque la formule officielle n'a pas été employée par le bailleur alors qu'elle était obligatoire ou que la hausse de loyer par rapport à celui payé par le précédent locataire n'y a pas été motivée, le Tribunal fédéral a jugé, dans l'arrêt de principe ATF 120 II 341, que ce vice n'entraîne pas la nullité du contrat de bail dans son entier, mais seulement la nullité du loyer fixé. Considérant que la mention de l'ancien loyer et la motivation de la hausse contenues dans la formule officielle doivent permettre au locataire de saisir la portée et la justification de la majoration de loyer, de manière qu'il puisse décider, en toute connaissance de cause, de contester le nouveau loyer ou de s'en accommoder, le Tribunal fédéral a donc limité, par une interprétation téléologique réductive de l'art. 270 al. 2 CO, les effets du vice de forme à la nullité de la seule fixation du loyer, en application de l'art. 20 al. 2 CO (ATF 120 II 341 consid. 3-5; cf. également ATF 124 III 62 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 4C_428/2004 du 1er avril 2005 consid. 3.1). La Haute cour a confirmé cette règle de la nullité partielle à plusieurs reprises et ne s’en est jamais écarté (ATF 137 III 547 consid. 2.3, arrêts du Tribunal fédéral 4A_198/2014 du 17 juillet 2014 consid. 4.1 et 4A_38/2013 du 12 avril 2013 consid. 2).

4.3.2 Lorsque le bailleur n’a pas respecté les formalités liées à la notification du loyer initial, le locataire qui a introduit une procédure pour contester le loyer initial et qui ne s’acquitte pas de son loyer n’est pas en demeure (art. 257d al. 1 CO), tant que le loyer n’a pas été fixé judiciairement. Reste réservé l’abus de droit (art. 2 al. 2 CO) que commettrait le locataire dans une situation particulière donnée. Lorsque le locataire demande au juge de déterminer le montant dû, seul est exigible le loyer admis par le locataire dans le cadre de ladite procédure (Lachat, Le bail à loyer, 2019, p. 494 et p. 871).

4.3.3 Pour déterminer s’il y a abus manifeste d’un droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC, il convient d’examiner les circonstances concrètes du cas d’espèce (ATF 121 III 60 consid. 3d). Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes, qui sont déterminantes. L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit doit être admis restrictivement.

Parmi les cas typiques d’abus de droit figurent notamment une attitude contradictoire et l’utilisation d’une institution juridique contrairement à son but (ATF 120 II 105 consid. 3a). Il a été jugé que le comportement du locataire qui, après s’être rendu compte du vice de forme résultant de l’absence de formule officielle, s’était abstenu de protester dans le dessein d’en tirer ultérieurement profit était abusif (ATF 113 II 187 consid. 1a). Se rend également coupable d’abus de droit le locataire qui connaît le vice de forme et s’abstient de protester, jusqu’au moment où le Tribunal doit statuer sur son expulsion. Ou lorsque le locataire cherche, par un moyen formel de dernière minute, non pas à réduire son loyer, mais à justifier de son non-versement et à supprimer les conséquences de sa propre demeure (arrêt du Tribunal fédéral 4C_315/2000 du 5 février 2001; ACJC/505/2014 du 28 avril 2014; ACJC/33/2006 du 16 janvier 2006; ACJC/1606/2004 du 17 décembre 2004; ACJC/328/2010 du 15 mars 2010).

4.3.4 A côté d'une liste d'exemples (ATF 138 III 59 consid. 2.2.1) où une résiliation émanant du bailleur est annulable (art. 271a al. 1 CO), la loi prévoit, de manière générale, que le congé, donné par l'une ou l'autre des parties, est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

La protection accordée par l'art. 271 al. 1 CO procède à la fois du principe de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de droit. Les cas typiques d'abus de droit justifient l'annulation du congé sans qu'il soit toutefois nécessaire que l'attitude de l'auteur du congé puisse être qualifiée d'abus de droit manifeste au sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 120 II 31 consid. 4a), car l'art. 271 al. 1 CO vise toute résiliation qui ne repose sur aucun intérêt digne de protection, qui constitue une véritable chicane, qui consacre une attitude déloyale qui résulte d'une disproportion manifeste entre les intérêts en présence ou dont le motif n'est manifestement qu'un prétexte (ATF 136 III 190 consid. 2; 135 III 112 consid. 4.1; 120 II 31 consid. 4a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_241/2010 du 10 août 2010 consid. 2.3, in SJ 2011 I p. 69, et 4C_61/2006 du 27 mai 2005 consid. 4.1 in SJ 2006 I p. 34).

Constitue notamment un abus de droit l'attitude contradictoire d'une partie. Lorsqu'une partie adopte une position, elle ne peut pas ensuite soutenir la position contraire, car cela revient à tromper l'attente fondée qu'elle a créée chez sa partie adverse (venire contra factum proprium), ce qui constitue un abus de droit qui ne mérite pas la protection du droit (ATF 140 III 481 consid. 2.3.2 avec références; 89 II 287 consid.5; arrêt du Tribunal fédéral 5A_570/2017 du 27 août 2018 consid. 6.1).

Au titre de l'attitude contradictoire du locataire en lien avec la fixation judiciaire du loyer, la jurisprudence a également retenu qu'une exception au droit de répétition des art. 62 ss CO peut être admise, par exemple, lorsque le preneur s'est rendu compte du vice de forme et s'est abstenu de protester dans le dessein d'en tirer, le cas échéant, ultérieurement profit (ATF 113 II 187 consid. 1a, cité notamment dans les arrêts 4C_134/2001 du 18 octobre 2001 consid. 3b et 4A_647/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1; cf. également ATF 138 III 401 consid. 2.3.2) ou encore lorsque le locataire a renoncé expressément et en toute connaissance de cause à la notification de la formule officielle et a exécuté de son plein gré l'accord conclu (ATF 123 III 70 consid. 3c-d, cité notamment dans l'arrêt du Tribunal fédéral 4C_134/2001 déjà cité, consid. 3b). En revanche, le seul fait d'avoir payé, sans discuter, le loyer pendant un long laps de temps ne saurait, à lui seul, conduire à la conclusion que le locataire commet un abus de droit (ATF 138 III 401 consid. 2.3.3; arrêts du Tribunal fédéral 4A_38/2013 du 12 avril 2013 consid. 2.1, non publié in ATF 139 III 249, mais in Pra 2013 n° 113 p. 876; 4A_647/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.2; 4A_490/2011 du 10 janvier 2012 consid. 3.2; 4A_129/2011 du 28 avril 2011 consid. 2.3, résumé in JdT 2012 II p. 113).

4.3.5 La jurisprudence admet que le congé prononcé conformément à l'art. 257d CO peut, à titre très exceptionnel, contrevenir aux règles de la bonne foi; la notion doit toutefois être interprétée très restrictivement. L'annulation entre en considération notamment dans les cas suivants : le bailleur a réclamé au locataire, avec menace de résiliation du bail, une somme largement supérieure à celle en souffrance, alors qu'il n'était pas certain du montant effectivement dû; ou encore, l'arriéré est insignifiant, ou a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai comminatoire, alors que le locataire s'était jusque-là toujours acquitté du loyer à temps; ou enfin, le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l'expiration de ce même délai. Le fardeau de la preuve d'un congé contraire à la bonne foi incombe au demandeur à l'action en annulation (ATF 140 III 591 consid. 1).

4.4 En l’espèce, dans la mesure où, au moment du congé, le loyer n’avait pas été fixé judiciairement, l’intimée ne pouvait pas être en demeure du paiement de 2'000 fr., soit la totalité du loyer du mois d’avril 2023 tel que réclamé par les appelants dans leur mise en demeure du 24 février 2023, sauf abus de droit à se prévaloir de la nullité du loyer initial.

L’intimée a par ailleurs valablement invoqué la compensation de la créance alléguée par les bailleurs avec sa propre créance en restitution de trop-perçu, le 28 février 2023, soit dans le délai comminatoire de 30 jours fixé le 24 février 2023.

S’agissant de la question de l’abus de droit, les premiers juges ont constaté que la requête en fixation judiciaire du loyer avait été introduite par l’intimée plus d’un an et demi avant la mise en demeure pour défaut de paiement litigieuse et ont retenu qu’il ne pouvait dès lors lui être reproché de la faire valoir dans le seul but de s’opposer à la résiliation de son bail. Ils ont ainsi écarté l’abus de droit.

La Cour fait sienne cette appréciation des faits et des principes jurisprudentiels applicables. En effet, on ne discerne pas d’attitude contradictoire dans la comportement de l’intimée, que ce soit en soutenant une position contraire d’une position précédemment soutenue (venire contra factum proprium), ou en s’abstenant d’invoquer un vice de forme dont elle se serait rendue compte, dans le dessein d'en tirer, le cas échéant, ultérieurement profit. Elle a au contraire fait valoir ses droits en fixation du loyer de manière régulière, dans le cadre d’une procédure portant également sur une réduction de loyer pour défaut de la chose louée.

Les appelants font grand cas du fait que l’intimée a continué à payer l’intégralité du loyer mentionné dans le contrat durant la procédure en fixation judiciaire du loyer et qu’elle n’a pas fait état de cette question à la réception de la précédente mise en demeure. Toutefois, l’on ne saurait admettre que, ce faisant, l’intimée aurait renoncé expressément et en toute connaissance de cause à la notification de la formule officielle ou cherché, par un moyen formel de dernière minute, non pas à réduire son loyer, mais à justifier de l’absence de versement et à supprimer les conséquences de sa propre demeure. La jurisprudence retient par ailleurs que le seul fait d'avoir payé, sans discuter, le loyer pendant un long laps de temps ne saurait, à lui seul, conduire à la conclusion que le locataire commet un abus de droit.

Ainsi, les appelants échouent à démonter un abus manifeste d’un droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC par l’intimée et la Cour, au regard des circonstances concrètes, qui sont déterminantes, ne discerne pas un tel abus dans le cas d’espèce.

Par conséquent, les premiers juges ont retenu à bon droit que le congé litigieux est inefficace, la condition d’exigibilité de la créance posée par l’art. 257d CO n’étant pas réalisée.

4.5 Au vu de ce qui précède, le jugement entrepris sera confirmé.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 8 mai 2024 par A______, B______ et C______ contre le jugement JTBL/385/2024 rendu le 8 avril 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/9517/2023.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2