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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/6774/2019

ACJC/160/2024 du 12.02.2024 sur JTBL/289/2023 ( OBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6774/2019 ACJC/160/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 12 FEVRIER 2024

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ AG, ______ (GR), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 12 avril 2023, représentée par Me Lucien LAZZAROTTO, avocat, quai des Bergues 23, 1201 Genève,

et

Monsieur C______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par le Service de protection de l'adulte (SPAd), Secteur juridique DCS-SPAd, route des Jeunes 1C, case postale 107, 1211 Genève 8.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/289/2023 du 12 avril 2023, notifié à A______ SA le 27 avril 2023, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure simplifiée, a annulé le congé notifié le 25 février 2019 pour le 31 mars 2019 par A______ SA à C______ portant sur le studio situé au 2ème étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 30 mai 2023 à la Cour de justice, A______ SA (ci-après également : la bailleresse) a formé appel contre ce jugement, dont elle a sollicité l'annulation.

Cela fait, elle a conclu à ce que la Cour déclare efficace le congé du 25 février 2019 notifié à C______ (ci-après également : le locataire), ordonne l'évacuation du précité dès l'entrée en force de l'arrêt à rendre et, ceci étant fait, renvoie la cause au Tribunal, dans la composition de l'art. 30 LaCC, pour qu'il ordonne les mesures d'exécution nécessaires à l'évacuation immédiate du locataire du studio loué.

b. Dans sa réponse du 3 juillet 2023, C______ a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. La cause a été gardée à juger le 7 novembre 2023, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

C. Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :

a. En date du 6 mars 1998, D______, alors propriétaire de l'immeuble sis rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, a conclu avec C______ un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un studio situé au 2ème étage de l'immeuble précité, lequel est actuellement géré par E______ (ci-après : la régie).

Le bail a été conclu pour une durée initiale d'une année, du 1er avril 1998 au 31 mars 1999, renouvelable ensuite tacitement d'année en année sauf résiliation donnée trois mois à l'avance.

Le loyer a été fixé à 850 fr. par mois, charges comprises.

b. Dans le courant de l'année 2000, A______ SA est devenue propriétaire de l'immeuble susmentionné.

c. C______ a été hospitalisé du 11 décembre 2018 au 16 janvier 2019.

d. Par ordonnance du 14 décembre 2018, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE), statuant sur mesures superprovisionnelles, a institué une curatelle de représentation et de gestion provisoire en faveur de C______, désigné deux collaborateurs du Service de protection de l'adulte (SPAd) aux fonctions de curateurs provisoires, confié à ceux-ci les tâches de représenter le locataire dans ses rapports avec les tiers, en particulier en matière d'affaires administratives et juridiques, de gérer ses revenus et d'administrer ses affaires courantes, et autorisé les curateurs provisoires à prendre connaissance de la correspondance du locataire, dans les limites du mandat confié.

Cette ordonnance a été notifiée au SPAd le 14 janvier 2019.

A______ SA n'a, quant à elle, été informée de la mesure de curatelle prononcée en faveur du locataire qu'à l'occasion du dépôt de la requête en contestation de congé du 26 mars 2019 (cf. infra let. i.a).

e. Par pli recommandé du 14 janvier 2019 adressé à C______, la régie a relevé qu'en dépit de ses courriers de rappel, le précité n'avait pas résorbé le retard accumulé dans le paiement de son loyer depuis décembre 2018. Aussi, le locataire était mis en demeure de s'acquitter du montant échu de 1'640 fr., à titre d'arriéré de loyer pour les mois de décembre 2018 et janvier 2019, dans un délai de 30 jours, à défaut de quoi le bail serait résilié en application de l'art. 257d CO.

f. Aucun paiement n'ayant été effectué dans le délai imparti, la bailleresse a, par avis officiel du 25 février 2019, résilié le bail du locataire pour le 31 mars 2019.

g. Dès le mois de mars 2019, le loyer du studio a été acquitté régulièrement par le SPAd et l'arriéré a été résorbé.

h. Dans l'intervalle, la régie a reçu - dès janvier 2019 - plusieurs plaintes de voisins concernant des nuisances sonores et olfactives provenant de l'appartement du locataire, qui était au surplus passablement encombré.

i.a Le 26 mars 2019, C______, représenté par le SPAd, a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête en contestation du congé du 25 février 2019.

i.b Lors de l'audience de conciliation du 19 septembre 2019, les parties sont parvenues à un accord partiel qui a été entériné par la Commission de conciliation. Les termes de cet accord étaient les suivants :

"La situation est à jour et un suivi médical [du locataire] est en place. Dans ces circonstances, la bailleresse est d'accord d'octroyer [au locataire] un délai d'épreuve d'une année. Si dans ce délai, les indemnités [pour occupation illicite] sont régulièrement payées et [que] le locataire ne fait l'objet d'aucune plainte [du voisinage], le bail sera remis en vigueur".

i.c Une deuxième audience de conciliation a eu lieu le 21 janvier 2021. A cette occasion, les parties sont parvenues à un nouvel accord partiel, qui a été entériné par la Commission de conciliation. Les termes de cet accord étaient les suivants :

"Compte tenu de problèmes résiduels, soit d'odeurs et d'encombrement de l'appartement [du locataire], la bailleresse souhaite prolonger le délai d'épreuve jusqu'au 31 janvier 2022. Si dans ce délai le locataire ne fait l'objet d'aucune plainte des voisins ou de la régie, le bail sera remis en vigueur".

i.d Suite à cette audience, la régie a reçu de nouvelles plaintes du voisinage concernant le locataire, raison pour laquelle la bailleresse a refusé de remettre le bail en vigueur.

Le 28 avril 2022, la Commission de conciliation a constaté l'échec de la tentative de conciliation et délivré l'autorisation de procéder au locataire.

j. Le 31 mai 2022, C______, représenté par le SPAd, a introduit sa requête en contestation de congé devant le Tribunal. Il a conclu, principalement, à l'inefficacité du congé du 25 février 2019 et, subsidiairement, à son annulation.

En substance, il a fait valoir qu'avant son hospitalisation en décembre 2018, le loyer avait toujours été payé de façon régulière. Vu qu'il n'était plus en mesure de gérer ses affaires, il avait été mis sous curatelle et le SPAd avait rapidement fait le nécessaire pour solder l'arriéré. Le loyer avait en outre été réglé en temps utile pendant toute la durée du délai d'épreuve octroyé par la bailleresse. Celle-ci avait toutefois refusé de remettre le bail en vigueur, non pas pour des raisons financières, mais pour des "problèmes de nuisances". Or le bail avait été résilié pour défaut de paiement et non pour troubles du voisinage. En se prévalant d'un motif différent de celui invoqué pour résilier le bail, la bailleresse adoptait un comportement contraire à la bonne foi, ce qui devait entraîner l'annulation du congé.

k. Par réponse du 16 août 2022, A______ SA, a conclu à ce que le Tribunal déclare efficace le congé du 25 février 2019 et déboute C______ de toutes ses conclusions. Sur demande reconventionnelle, elle a conclu au prononcé de l'évacuation du locataire, avec mesures d'exécution directe.

La bailleresse a allégué qu'en septembre 2019, elle avait consenti - sans renoncer au bénéfice de la résiliation - à l'octroi d'un délai d'épreuve d'une année, à l'issue duquel le bail serait remis en vigueur, si les indemnités étaient régulièrement payées et si le locataire ne faisait l'objet d'aucune plainte du voisinage (all. 10). En effet, parallèlement au problème de défaut de paiement, la régie avait reçu des plaintes relatives à des nuisances sonores et olfactives provenant du logement du locataire (all. 11). Compte tenu de ce contexte, qui exposait la bailleresse à d'éventuels dommages si les autres habitants de l'immeuble persistaient à se plaindre, il était important que l'effort consenti à travers l'octroi d'un délai d'épreuve soit conditionné à la suppression de tout désagrément causé par le locataire (all. 12). Cette condition n'avait fait l'objet d'aucune opposition de la part du locataire et du SPAd, qui l'avaient acceptée (all. 13). Ce premier délai d'épreuve n'avait pas été concluant, compte tenu des problèmes résiduels rapportés par le voisinage en lien avec des odeurs et l'encombrement du studio. Par gain de paix, la bailleresse avait néanmoins accepté de reconduire ce délai pour une année (all. 14). Malheureusement, des plaintes du voisinage à l'encontre du locataire avaient continué à parvenir à la régie (all. 15). La condition prévue dans le procès-verbal de conciliation du 21 janvier 2021 n'ayant pas été respectée, la bailleresse avait donc mis un terme aux discussions transactionnelles et refusé de remettre le bail en vigueur (all. 16).

l. Dans sa réponse à la demande reconventionnelle du 19 septembre 2022, le locataire a conclu au déboutement de la bailleresse de toutes ses conclusions.

m. Lors de l'audience du Tribunal du 1er novembre 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions. La bailleresse a sollicité l'audition de deux témoins à l'appui des allégués 12, 15 et 16 de sa demande reconventionnelle. Sur interpellation du Tribunal, le locataire, représenté par le SPAd, a précisé que les faits allégués par la bailleresse dans sa demande reconventionnelle n'étaient pas contestés.

n. Par ordonnance du 2 novembre 2022, le Tribunal a retenu que la cause était en état d'être jugée et a cité les parties à comparaître à une audience de plaidoiries finales fixée le 10 janvier 2023. Il a relevé, notamment, que les allégués 1 à 17 de la demande reconventionnelle n'avaient pas été contestés. En particulier, il n'était pas contesté que les voisins du locataire s'étaient plaints de nuisances sonores et olfactives provenant du logement de ce dernier. Il n'était dès lors pas nécessaire d'entendre les témoins cités par la bailleresse à cet égard.

o. Lors de l'audience de plaidoiries finales du 10 janvier 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions, après quoi le Tribunal a gardé la cause à juger.

D. Dans le jugement entrepris le Tribunal a retenu que les conditions de l'art. 257d CO étaient manifestement réalisées, puisque le locataire ne contestait pas qu'il était en demeure de devoir les loyers réclamés dans l'avis comminatoire et ne pas s'en être acquitté dans le délai imparti. Le congé notifié le 25 février 2019 était donc efficace.

Il ressortait des pièces produites que le locataire occupait le studio loué depuis 1998 sans avoir rencontré de problème pour payer le loyer. Les seuls loyers réglés avec retard correspondaient aux loyers dus pendant l'hospitalisation du locataire. Ce retard ressortait d'un mauvais concours de circonstances, au vu du temps écoulé entre la décision de mise sous curatelle du 14 décembre 2018 et sa notification au SPAd le 14 janvier 2019, puis à la prise en main du dossier par ce service. En effet, à teneur de l'ordonnance du 14 décembre 2018, le locataire n'était plus à même de gérer seul ses affaires administratives au moment de l'envoi de l'avis comminatoire. Pour cette raison, une curatelle avait été instaurée en faveur du locataire à titre superprovisionnel. Cette curatelle, qui n'avait pas été révoquée à sa sortie d'hôpital, visait notamment la gestion de ses revenus et l'administration de ses affaires courantes, dont le paiement du loyer. Le locataire n'était ainsi pas à même de gérer ses affaires ni au moment de l'échéance des loyers en souffrance, ni au moment de l'envoi de l'avis comminatoire le 14 janvier 2019, date à laquelle il était toujours hospitalisé, ni même après son hospitalisation jusqu'à la date de résiliation du bail. En revanche, dès que le SPAd avait pris en main le dossier, les loyers avaient à nouveau été réglés régulièrement et l'arriéré avait été résorbé.

En réalité, les conditions que la bailleresse avait posées au cours de la procédure de conciliation, lesquelles étaient sans lien avec le paiement des loyers, étaient de nature à démontrer que cette dernière avait saisi l'occasion du retard du paiement du loyer, à un moment charnière dans la vie du locataire, pour mettre un terme au bail en raison des plaintes reçues de voisins au sujet du comportement du locataire. Une telle façon de faire était contraire à la bonne foi. La bailleresse avait exercé son droit de résilier le bail selon l'art. 257d CO sans ménagement envers la situation très particulière du locataire. Le congé devait dès lors être annulé.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

L'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).

1.2 En l'espèce, au vu du montant mensuel du loyer de 850 fr., la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. L'appel a été interjeté dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3, 311 al. 1 CPC), de sorte qu'il est recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit et/ou constatation inexacte des faits (art. 310 CPC). Le juge d'appel dispose d'un pouvoir de cognition complet et revoit librement les questions de fait comme les questions de droit. En particulier, il contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

1.4 Dans la mesure où l'instance d'appel assure la continuation du procès de première instance, elle doit user du même type de procédure et des mêmes maximes que celles applicables devant la juridiction précédente (ATF 138 III 252 consid. 2.1; JEANDIN, CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 6 ad art. 316 CPC).

En l'espèce, la procédure simplifiée s'applique (art. 243 al. 2 let. c CPC), s'agissant d'une procédure en contestation de congé.

Les faits sont établis d'office et la maxime inquisitoire sociale régit la procédure (art. 247 al. 2 let. a CPC).

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir annulé le congé au motif qu'il aurait été donné de façon contraire aux règles de la bonne foi, ce qu'elle conteste. Elle fait valoir que la transaction conclue par les parties devant la Commission de conciliation - conformément à l'art. 201 CPC - stipulait que le bail serait remis en vigueur à l'issue d'un délai d'épreuve, à condition que le locataire paie régulièrement ses indemnités et ne fasse l'objet d'aucune plainte du voisinage. Dans la mesure où l'une de ces conditions ne s'était pas réalisée (le locataire ayant fait l'objet de nouvelles plaintes) - ce qui n'était pas contesté -, la bailleresse était fondée à refuser de remettre le bail en vigueur et à requérir l'évacuation du locataire.

2.1 Chaque partie est en principe libre de résilier un bail de durée indéterminée pour la prochaine échéance convenue en respectant le délai de congé prévu. La résiliation ordinaire du bail ne suppose pas l'existence d'un motif de résiliation particulier (cf. art. 266a al. 1 CO; ATF 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).

En principe, le bailleur est donc libre de résilier le bail, notamment, dans le but d'adapter la manière d'exploiter son bien selon ce qu'il juge le plus conforme à ses intérêts (ATF 136 III 190 consid. 3), pour effectuer des travaux de transformation, de rénovation ou d'assainissement (ATF 142 III 91 consid. 3.2.2 et 3.2.3; 140 III 496 consid. 4.1), pour des motifs économiques (arrêts du Tribunal fédéral 4A_19/2016 du 2 mai 2017 consid. 4.2; 4A_475/2015 du 19 mai 2016 consid. 4.1 et 4.3) ou encore pour utiliser les locaux lui-même ou pour ses proches parents ou alliés (arrêts du Tribunal fédéral 4A_198/2016 du 7 octobre 2016 consid. 4.3 et 4.5; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.3 et 4).

Lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, la seule limite à la liberté contractuelle des parties réside dans les règles de la bonne foi : le congé qui y contrevient est alors annulable (art. 271 al. 1 CO; cf. également art. 271a CO). La protection assurée par les art. 271 et 271a CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). De manière générale, un congé est contraire aux règles de la bonne foi lorsqu'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection et qu'il apparaît ainsi purement chicanier ou consacrant une disproportion crasse entre l'intérêt du locataire au maintien du contrat et celui du bailleur à y mettre fin (ATF 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).

Le but de la règlementation des art. 271 ss CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives. Un congé n'est pas contraire aux règles de la bonne foi du seul fait que la résiliation entraîne des conséquences pénibles pour le locataire (ATF 140 III 496 consid. 4.1) ou que l'intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin (arrêts du Tribunal fédéral 4A_198/2016 du 7 octobre 2016 consid. 4.2; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.2). Il faut en effet une disproportion crasse entre l'intérêt du preneur au maintien du contrat et l'intérêt du bailleur à y mettre fin (ACJC/247/2020 du 10 février 2020 consid. 5.2; ACJC/257/2018 du 5 mars 2018 consid. 2.1).

La résiliation du bail n'est pas subordonnée à l'existence d'un motif de résiliation particulier. La motivation ne doit être fournie que si l'autre partie la demande (art. 271 al. 2 CO). La motivation du congé n'est donc pas une condition de sa validité (ATF 148 III 215 consid. 3.1.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.3.3). L'absence de motivation ou une motivation lacunaire ne signifie pas nécessairement que la résiliation est contraire aux règles de la bonne foi, mais elle peut constituer un indice de l'absence d'intérêt digne de protection à mettre un terme au bail ou du fait que le motif invoqué n'est qu'un prétexte (ATF 148 III 215 consid. 3.1.3; 143 III 344 consid. 5.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.3.3).

Pour déterminer quel est le motif de congé et si ce motif est réel ou s'il n'est qu'un prétexte, il faut se placer au moment où le congé a été notifié (ATF 148 III 125 consid. 3.1.4; 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1). Autrement dit, la question de savoir si un congé est contraire à la bonne foi s'apprécie par rapport au moment où il a été donné. Si le motif - fondé - pour lequel le congé a été donné disparaît par la suite, le congé ne devient pas ultérieurement contraire à la bonne foi (ATF 138 III 215 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_435/2021 du 14 février 2022 consid. 3.1.4).

Il appartient au destinataire du congé de démontrer que celui-ci contrevient aux règles de la bonne foi (art. 8 CC).

2.2 A teneur de l'art. 257d al. 1 CO, lorsque le locataire, après réception de la chose, a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Le délai doit être d'au moins 30 jours pour les baux d'habitation ou de locaux commerciaux. L'art. 257d al. 2 CO dispose qu'à défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat.

La validité du congé suppose notamment que le locataire se soit effectivement trouvé en retard dans le paiement du loyer ou de frais accessoires lorsque la sommation prévue à l'art. 257d al. 1 CO lui a été adressée, d'une part, et qu'il ne se soit pas acquitté de cet arriéré dans le délai fixé, d'autre part (arrêt du Tribunal fédéral 4A_299/2011 du 7 juin 2011 consid. 5). Si ces conditions ne sont pas réalisées, le locataire peut faire valoir l'invalidité du congé à l'encontre de l'action en évacuation des locaux qui lui est plus tard intentée par le bailleur (ATF 121 III 156 consid. 1c/aa; 122 III 92 consid. 2d).

La jurisprudence admet que le congé prononcé conformément à l'art. 257d CO peut, à titre très exceptionnel, contrevenir aux règles de la bonne foi; la notion doit être interprétée très restrictivement, afin de ne pas mettre en question le droit du bailleur à recevoir le loyer à l'échéance. L'annulation entre en considération lorsque le bailleur a réclamé au locataire, avec menace de résiliation du bail, une somme largement supérieure à celle en souffrance, alors qu'il n'était pas certain du montant effectivement dû. La résiliation peut également être annulable lorsque le montant impayé est insignifiant, notamment lorsqu'il ne porte que sur les intérêts moratoires, que le paiement intervient très peu de temps après l'écoulement du délai, à savoir au plus un jour ou deux, ou lorsque le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l'expiration du délai. Un montant correspondant à un loyer mensuel, fût-il modeste, ou à des frais accessoires de 165 fr. ne saurait être qualifié d'insignifiant à ce titre; il en va de même d'un retard de huit jours dans le paiement du montant dû. Le fardeau de la preuve d'une résiliation contraire à la bonne foi incombe au locataire (ATF 140 III 591 consid. 1 et 2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_306/2015 du 14 octobre 2015 consid. 2; 4A_641/2011 du 27 janvier 2012 consid. 7; 4A_549/2013 du 7 novembre 2013 consid. 4, SJ 2014 I 105). En tout état, l'annulation du congé doit rester une ultima ratio dans le cas du locataire qui ne paie pas son loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_252/2014 du 28 mai 2014 consid. 4.2).

Selon le Tribunal fédéral, le bailleur n'abuse pas de son droit si, après réception de paiements tardifs de loyer, il résilie le bail pour non-paiement. A plus forte raison ne commet-il pas un abus de droit, lorsqu'il résilie le bail à défaut de paiement du loyer dû et maintient cette résiliation même si, en cours de procédure d'expulsion, le locataire paie l'arriéré de loyer (arrêt n. p. du Tribunal fédéral du 27 février 1997, in SJ 1997 p. 538 consid. 2a; LACHAT, Le bail à loyer, 2019, p. 882). Le juge ne peut pas prendre en compte des motifs humanitaires (concernant la situation personnelle du locataire) pour déterminer si un congé notifié selon l'art. 257d CO est contraire à la bonne foi. Les dispositions de droit fédéral en matière de bail à loyer ne prennent pas en compte de tels motifs. Seule l'autorité d'exécution de l'évacuation peut prendre en considération des motifs humanitaires, si le droit cantonal le prévoit, comme c'est le cas à Genève (arrêt n. p. du Tribunal fédéral du 27 février 1997, in SJ 1997 p. 538 consid. 2b).

2.3 Aux termes de l'art. 201 al. 1 CPC, l'autorité de conciliation tente de trouver un accord entre les parties de manière informelle. Une transaction peut porter sur des questions litigieuses qui ne sont pas comprises dans l'objet du litige dans la mesure où cela contribue à sa résolution.

Il est ainsi admis, dans le cadre de la procédure de conciliation, d'évoquer plus largement les difficultés rencontrées par les parties et de faire porter, comme l'art. 201 CPC le prévoit expressément, l'éventuelle transaction sur des questions litigieuses qui ne seraient par hypothèse pas comprises dans l'objet du litige (BONHET, CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 3 ad art. 201 CPC).

2.4 En l'espèce, il n'est pas contesté que le congé notifié au locataire l'a été conformément aux conditions fixées à l'art. 257d CO. En particulier, il est admis que le locataire n'a pas payé le loyer (charges comprises) des mois de décembre 2018 et janvier 2019 dans le délai comminatoire fixé par la bailleresse, raison pour laquelle celle-ci a résilié le bail pour le 31 mars 2019, en se conformant aux exigences posées par cette disposition.

Dans le jugement querellé, le Tribunal a retenu que les conditions posées par la bailleresse au cours de la procédure de conciliation, sans lien avec le paiement des loyers, relevaient d'une attitude contraire à la bonne foi, de sorte qu'il y avait lieu d'annuler le congé. Ce raisonnement ne peut être suivi comme il sera vu ci-après.

S'il est vrai qu'un congé fondé sur l'art. 257d CO peut être annulable en application de l'art. 271 CO, il ne peut néanmoins l'être qu'à titre très exceptionnel, dans des circonstances particulières, afin de ne pas remettre en cause le droit du bailleur à recevoir le loyer à l'échéance. Comme le relève l'appelante, le cas d'espèce n'est pas assimilable aux cas - limités - pour lesquels la jurisprudence admet qu'un congé pour défaut de paiement puisse revêtir un caractère abusif. En effet, le montant réclamé dans l'avis comminatoire correspondait aux loyers en souffrance à la date de son envoi, le montant dû de 1'640 fr. (soit près de deux mois de loyer) n'était pas insignifiant, le congé a été signifié peu de temps après l'expiration du délai comminatoire et l'arriéré n'a été résorbé qu'en mars 2019, soit plusieurs semaines après la notification du congé et environ deux mois après l'envoi de l'avis comminatoire. S'il est certes regrettable que le locataire se soit trouvé en défaut de paiement pour des raisons indépendantes de sa volonté, eu égard à son état de santé déficient, il ne s'agit toutefois pas d'une circonstance pertinente pour déterminer si le congé litigieux - donné en application de l'art. 257d CO - l'a été de façon contraire à la bonne foi. Il sera du reste observé qu'à la date d'envoi de l'avis comminatoire, une mesure de curatelle venait d'être instaurée en faveur du locataire. Aussi, en faisant preuve de toute la diligence requise, les curateurs de l'intimé - qui étaient autorisés à consulter sa correspondance et à gérer ses affaires courantes - auraient pu éviter la résiliation du bail en payant immédiatement les loyers dus ou, à tout le moins, en contactant la régie pour lui expliquer la situation et solliciter l'octroi d'un délai de paiement. Les problèmes d'organisation interne invoqués par le SPAd (ledit service précisant avoir "besoin en général d'une période d'environ 3 mois pour ouvrir un dossier") ne changent rien à ce qui précède. Au surplus, le fait que l'arriéré a été résorbé en cours de procédure ne suffit pas à rendre la résiliation du bail abusive, étant rappelé que la question de savoir si un congé est contraire à la bonne foi s'apprécie par rapport au moment où il a été donné - et non par rapport à des faits survenus postérieurement.

Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, il ne peut être reproché à l'appelante d'avoir adopté une attitude déloyale et/ou contradictoire en refusant de remettre le bail en vigueur à l'échéance du délai d'épreuve octroyé à l'intimé devant l'autorité de conciliation. Ainsi que le plaide à juste titre la bailleresse, l'art. 201 CPC autorise expressément les parties à élargir le cadre de leurs discussions en conciliation et d'intégrer à leur transaction des éléments qui ne sont pas directement en lien avec l'objet du litige, dans la mesure où cela contribue à le résoudre. Or, c'est précisément de cette faculté que la bailleresse a fait usage in casu. Dans la mesure où le locataire faisait l'objet de plaintes du voisinage depuis janvier 2019, pour des nuisances sonores et olfactives provenant de son studio, et que la réalité de ces nuisances n'était pas remise en cause par l'intéressé (ce qui ressort sans équivoque du procès-verbal de l'audience du 1er novembre 2022), l'on ne discerne pas en quoi l'appelante aurait fait preuve de mauvaise foi en subordonnant l'octroi d'un délai d'épreuve au paiement régulier des indemnités et à la cessation par le locataire des nuisances rapportées par les autres habitants de l'immeuble. Il n'est en outre pas contesté qu'en dépit des accords conclus par les parties devant l'autorité de conciliation, l'intimé a continué à faire l'objet de plaintes de voisins pour les mêmes nuisances, raison pour laquelle l'appelante a mis fin aux discussions transactionnelles. Dès lors que les conditions pour la remise en vigueur du bail - telles que convenues par les parties et acceptées par l'intimé - n'étaient pas remplies, la décision prise par la bailleresse d'interrompre les négociations et de maintenir le congé, après deux vaines tentatives pour trouver une issue amiable au litige, ne saurait être qualifiée d'abusive.

C'est également à tort que le Tribunal a retenu que l'appelante aurait usé de son droit de résilier le bail selon l'art. 257d CO sans ménagement. Ce faisant, les premiers juges ont perdu de vue que l'appelante n'avait aucune obligation d'envisager la remise en vigueur du bail à l'issue d'une période probatoire. Si la bailleresse avait réellement voulu "sais[ir] l'occasion du retard du paiement du loyer, à un moment charnière dans la vie du locataire," pour mettre fin au bail, il lui était loisible de refuser d'emblée toute négociation et, en parallèle, d'initier sans attendre une procédure en expulsion contre le locataire - ce qu'elle n'a précisément pas fait, dans un but de conciliation, compte tenu de la situation personnelle de ce dernier. Là encore, l'on ne voit pas en quoi l'attitude de l'appelante pourrait être constitutive d'un abus de droit.

Finalement, l'appelante ne saurait se voir reprocher d'avoir maintenu le congé par pur esprit de chicane, sans motif objectif, sérieux et digne de protection, tant il est vrai que l'intimé n'a contesté ni la réalité ni la répétition des troubles du voisinage qui lui ont été imputés.

Il découle de ce qui précède que le congé du 25 février 2019 a été valablement notifié par l'appelante à l'intimé avec effet au 31 mars 2019. Le congé ayant été donné pour non-paiement du loyer, l'intimé ne peut par ailleurs prétendre à aucune prolongation de bail (art. 272a al. 1 let. a CO).

Le jugement attaqué sera dès lors annulé et il sera statué à nouveau dans le sens de ce qui précède.

3. Depuis l'expiration du terme fixé, soit le 31 mars 2019, le locataire ne dispose plus d'aucun titre juridique l'autorisant à rester dans le studio. Il viole ainsi l'art. 267 al. 1 CO qui prévoit l'obligation de restituer la chose à la fin du bail.

En conséquence, la Cour prononcera l'évacuation du locataire.

La question de l'exécution de l'évacuation devra être soumise au Tribunal siégeant dans la composition spéciale prévue par l'art. 30 LaCC, de sorte que la cause devra lui être transmise une fois le présent arrêt entré en force.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 30 mai 2023 par A______ SA contre le jugement JTBL/289/2023 rendu le 12 avril 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/6774/2019.

Au fond :

Annule ce jugement.

Cela fait, et statuant à nouveau :

Déclare valable le congé notifié à C______ par A______ SA, par avis officiel du 25 février 2019 pour le 31 mars 2019, concernant le studio situé au 2ème étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève.

Condamne C______ à évacuer immédiatement de sa personne, de ses biens et de tout tiers dont il est responsable, le studio susmentionné.

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour décision sur l'exécution de l'évacuation.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe FERRERO, Madame Zoé SEILER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.