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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3258/2025

ATA/1159/2025 du 22.10.2025 sur JTAPI/1053/2025 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3258/2025-MC ATA/1159/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 octobre 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2025 (JTAPI/1053/2025)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1981, originaire de France et du Niger, a été arrêté par la police genevoise le 12 septembre 2025, à la suite d’un ordre d'arrestation émis le 28 février 2025, pour le vol, le 23 février 2025, d'un téléphone portable.

b. Il ressort du rapport d’arrestation, établi le 18 septembre 2025, que le 23 février 2025, à 05h30, aux alentours des bains des Pâquis, un homme de type africain avait demandé au propriétaire dudit téléphone portable de l’autoriser à passer un appel avec son appareil. Le plaignant avait remis son téléphone portable et l’individu en question en avait profité pour prendre la fuite en courant. Lors de sa fuite, ce dernier avait fait tomber sa carte de l’abri PC Richemont, comportant l’identité de A______. Le rapport de renseignements concernant ce vol avait été envoyé le 3 juin 2025 au Ministère public et était en attente de validation d’un mandat d’arrêt. Contacté le 17 septembre 2025, le commissaire de police avait ordonné l’audition de A______.

c. Entendu par les services de police, le précité a contesté les faits. Le 17 septembre 2025, il était passé rue de Berne, où il avait croisé des amis. Il savait qu’il s’agissait d’un lieu de trafic de stupéfiants, mais il s’était contenté de s’y promener. Il n’avait aucun document d’identité au moment de son arrestation, car il s’était fait voler sa carte d’identité française en décembre 2024 à Genève. Le téléphone de marque INOI découvert dans ses effets personnels lui appartenait. C’était le directeur de l’association B______ qui le lui avait donné. Les deux pipes à crack découvertes dans ses effets personnels lui appartenaient. Elles lui servaient à fumer de la « freebase », soit de la cocaïne. Il fumait le week-end. Il ignorait la quantité de cocaïne qu’il consommait, car il n’avait pas d’argent ces derniers temps. Il fumait depuis environ dix ou quinze ans. Il ne consommait pas d’autres stupéfiants. Le 23 février 2025, il était sauf erreur à Neuchâtel. Il ne se souvenait pas de ce vol, mais ne pensait pas en être l’auteur, car il n’était pas un voleur. L’auteur était, selon lui, celui qui lui avait volé ses documents en décembre 2024. En février 2025, il était au « sleeping », le premier hébergement d’urgence ouvert à Neuchâtel.

Il avait deux enfants de 12 et 13 ans, qui vivaient avec leur mère, en France. Il était de nationalité française. Il avait suivi l’école obligatoire et obtenu un diplôme de comptable en France. Une de ses sœurs vivait à Genève. Il ne la voyait pas souvent, environ deux fois par année. Depuis son arrivée en Suisse, le 24 septembre 2025, en provenance d’Annecy, pour s’y balader, il avait été logé par des associations à Genève et à Neuchâtel. Il vivait en France, mais avait déjà travaillé à Genève. Il avait des antécédents en France pour des infractions à la loi sur la circulation routière et « des conflits ».

d. Par ordonnance pénale du 18 septembre 2025, A______ a été condamné par le Ministère public genevois pour vol.

e. Le 18 septembre 2025, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

f. Lors de l’audience du 2 octobre 2025 devant le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), A______, dûment convoqué, ne s’est pas présenté.

Son conseil a expliqué qu’elle n’avait pas été en mesure de le joindre. Elle n’avait pas d’informations complémentaires au sujet de la situation personnelle de son mandant. Elle ne savait pas s’il avait fait opposition à l’ordonnance pénale. À teneur du dossier, son mandant contestait l’infraction. Elle a conclu à la levée de l’interdiction territoriale, subsidiairement à une réduction significative de sa durée, lui permettant ainsi, par exemple, de s’installer à Genève pour y trouver un emploi en qualité de comptable.

g. Par jugement du 3 octobre 2025, le TAPI a confirmé la décision du commissaire de police.

A______ n’était pas titulaire d’un droit de séjour en Suisse. Il n'était pas déraisonnable de penser que sa présence à Genève, au vu du rapport de police et de ses propres déclarations, résultait d'une volonté de commettre une activité délictuelle et qu'il pourrait encore être amené à en commettre. Le fait qu'il ait admis être sans emploi, ni revenu et consommer de la cocaïne régulièrement depuis dix à quinze ans, renforçait encore ce soupçon. Dès lors, le commissaire de police pouvait considérer que l’intéressé constituait une menace pour l'ordre et la sécurité publics.

La mesure prononcée respectait le principe de la proportionnalité.

B. a. Par acte déposé le 16 octobre 2025 au guichet universel du Pouvoir judiciaire, A______ a recouru contre ce jugement, dont il a demandé l’annulation. Il a conclu, principalement, à l’annulation de l’interdiction de périmètre et, subsidiairement, à la réduction de sa durée « au minimum ». Il a requis l’effet suspensif.

Il ne constituait pas une menace pour l’ordre et la sécurité publics. Il contestait être l’auteur du vol du 23 février 2025. Il n’était alors pas à Genève et la carte d’identité qu’avait perdue l’auteur de l’infraction lors du vol lui avait été dérobée en décembre 2024. En outre, le vol d’un iPhone de 2019 devait être qualifié de vol simple, soit d’une contravention. Il n’avait participé à aucun trafic de drogue. La restriction imposée par l’interdiction territoriale était ainsi excessive.

b. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Il a relevé que le recourant s’était à nouveau fait arrêter à Genève le 3 octobre 2025, faisant fi de la mesure prononcée à son encontre, qui était immédiatement exécutoire. Il ressortait de l’audition du recourant le 3 octobre 2025 qu’il n’avait pas de famille à Genève. Une tante vivait à Neuchâtel et un cousin à La-Chaux-de-Fonds.

c. Dans sa réplique, le recourant a insisté sur le fait qu’il n’avait jamais été condamné pour une infraction en lien avec la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121). Il continuait à espérer trouver du travail en Suisse où il entretenait des liens étroits avec sa famille.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 16 octobre 2025 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Est litigieuse la mesure d’interdiction territoriale et sa durée.

3.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021).

3.2 La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. Il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

3.3 L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

3.4 La chambre administrative a confirmé une interdiction territoriale de douze mois dans le canton de Genève à l’encontre d’une personne sans antécédents, interpellée et condamnée par le Ministère public pour avoir vendu une boulette de cocaïne, l’intéressé n’ayant aucune ressource financière ni aucun intérêt à venir dans le canton (ATA/655/2021 du 23 juin 2021 ; ATA/802/2019 du 17 avril 2019).

Elle a aussi confirmé des interdictions territoriales pour une durée de 18 mois prononcées contre un étranger interpellé en flagrant délit de vente de deux boulettes de cocaïne et auparavant condamné deux fois et arrêté une fois pour trafic de stupéfiants (ATA/2577/2022 du 15 septembre 2022) ou un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup (ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

Elle a confirmé l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois : pour une personne vivant illégalement en Suisse depuis 30 ans, qui faisait valoir une relation avec son amie à Genève et des projets de mariage, qui était sans domicile fixe et avait récemment à nouveau commis un vol, précisant qu’il ne formait pas de communauté conjugale et pourrait voir son amie dans un autre canton (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021) ; contre une personne en situation illégale ayant volé deux parfums, pour un montant total de CHF 330.80, rappelant qu'une durée inférieure à six mois n'était guère efficace (ATA/1319/2023 du 8 décembre 2023) ; contre une personne condamnée notamment pour vols et violation de domicile, sans emploi, ni titre de séjour en Suisse, ni de lien avéré avec ce pays, ne disposant pas de moyens de subsistance et n’ayant pas de nécessité de se rendre à Genève (ATA/385/2024 du 19 mars 2024).

3.5 En l’espèce, le recourant a fait l’objet d’une condamnation pénale pour vol au sens de l’art. 139 CP, soit un crime. Il ne soutient pas avoir contesté cette condamnation selon la voie de l’opposition prévue à cet effet, étant cependant relevé qu’un simple soupçon de commission d’un crime suffit. Le recourant a été interpellé le 17 septembre 2025, en pleine nuit, dans une rue du quartier des Pâquis dont il savait qu’il s’agissait d’un lieu de trafic de stupéfiants. Bien qu’il soutienne ne pas s’être adonné au trafic de stupéfiants, le recourant a indiqué qu’il consommait occasionnellement du « freebase », soit une drogue dure dérivée de la cocaïne. Il était, par ailleurs, en possession de deux pipes à crack dont il a expliqué qu’il se servait pour fumer la substance précitée.

En outre, le recourant a indiqué être sans domicile, ni activité professionnelle ni ressources, étant aidé par l’association B______. Il n’est pas titulaire d’une autorisation de séjour ou de travail en Suisse. Après avoir déclaré lors de son interpellation le 17 septembre 2025 que sa sœur se trouvait à Genève, il a, lors de son interpellation du 3 octobre 2025, indiqué qu’il n’avait pas de famille en Suisse, hormis une tante à Neuchâtel et un cousin à la Chaux-de-Fonds. Le recourant est dépourvu de pièces d’identité.

Il n’a pas d’autres antécédents en Suisse. Il a toutefois reconnu avoir été condamné en France, pour des infractions à la loi sur la circulation routière et « des conflits ». L’existence d’antécédents pénaux en France peut donc être retenue.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, il peut être retenu que le recourant présente un risque réel pour la sécurité et l’ordre publics, de sorte que le prononcé de la mesure est justifié.

La durée de la mesure d’éloignement respecte, en outre, le principe de la proportionnalité. En effet, elle tient dûment compte du fait que le recourant constitue une menace réelle pour la sécurité et l’ordre publics, a été condamné pour un crime, est consommateur régulier de drogue dure et ne dispose pas de moyens ni de titre de séjour, ni de pièce d’identité, ni attaches à Genève. La durée de la mesure ne saurait ainsi être réduite. L’intérêt public à le tenir éloigné du territoire genevois pendant cette période est supérieur à celui du recourant, qui est faible, à pouvoir pénétrer dans le canton de Genève. Elle est, enfin, comparable à des situations similaires pour lesquelles la même durée a été confirmée par la chambre administrative.

Partant, le recours sera rejeté. Le présent arrêt rend sans objet la requête de restitution de l’effet suspensif.

4.             La procédure étant gratuite, il n’est pas perçu d’émolument. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 octobre 2025 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2025 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dina BAZARBACHI, avocate du recourant, au commissaire de police, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :