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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3070/2023

ATA/1413/2024 du 03.12.2024 sur JTAPI/326/2024 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3070/2023-PE ATA/1413/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 décembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Me Dimitri IAFAEV, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 avril 2024 (JTAPI/326/2024)


EN FAIT

A. a. A______ SA (ci-après : A______) est une société anonyme inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) de Genève depuis le 19 juillet 2021 qui a pour but le négoce international de matières premières (incluant, mais ne se limitant pas, aux produits pétroliers raffinés en tout genre, ainsi que de produits semblables, métaux, métaux rares et ferrailles, grains et autres produits agricoles) et toute opération commerciale, financière et logistique nécessaire à cela, et qui peut faire, soit pour son compte, soit pour le compte de tiers, toutes opérations financières, commerciales, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à son but, et peut également constituer des succursales et des filiales en Suisse ou à l'étranger. B______ et C______ en sont respectivement les administrateur président et administrateur avec signature individuelle.

b. D______, née le ______ 1982, est une ressortissante ukrainienne. Elle n'a jamais été au bénéfice d'une autorisation de travail ou de séjour en Suisse.

Selon son curriculum vitae (CV), elle est titulaire d’un baccalauréat en finances complété par une maîtrise en finances puis un doctorat en philosophie dans le domaine des relations économiques internationales délivrés par l'université nationale d'économie de Kiev, et au bénéfice d’une expérience professionnelle dans le domaine bancaire et financier depuis 2005, en qualité d’économiste auprès de la banque E______, de directrice auprès de la banque F______, de directrice financière auprès de la société G______ et d’administratrice présidente auprès de la société H______. Elle parle l'ukrainien, le russe et l'anglais.

c. Le 9 janvier 2023, A______ a signé un contrat de travail avec D______ pour un poste de « Risk Finance Manager » à Genève, avec une entrée en fonction début mars 2023, pour un salaire mensuel de base de CHF 8'500.- calculé sur douze mois. Par avenant du 1er juin 2023, ce salaire est passé à CHF 11'000.- calculé sur douze mois, dès cette date.

d. Le 20 avril 2023, A______ a annoncé à l'office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE) la vacance d'un poste d'analyste financier.

e. Le 22 mai 2023, le service du placement lui a répondu n'avoir aucun candidat répondant à ses critères.

f. Par courrier du 20 juin 2023 auquel étaient joints un formulaire M daté du 14 juin 2023 et diverses pièces, A______ a déposé auprès de l'office cantonal de la population et de la migration (ci-après : OCPM) une demande d'autorisation de séjour à l'année avec activité lucrative (permis B) en faveur d'D______ en qualité d'analyste financière, pour un salaire mensuel de CHF 11'000.-.

g. Par courrier du 12 juillet 2023, l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT), auquel l'OCPM avait transmis cette demande, a sollicité de A______ des pièces et renseignements complémentaires, notamment des informations plus précises sur le réseau d'D______, les objectifs chiffrés précis assignés à cette dernière et des explications au regard du principe de priorité dans la mesure où il apparaissait que l’intéressée avait signé son contrat avant l’annonce du poste à l’OCE.

h. Le 8 août 2023, A______ a transmis à l’OCIRT le CV d'D______, des informations sur la société ainsi qu'un complément de business plan avec des informations plus précises sur son réseau et sur les objectifs chiffrés qui lui avaient été assignés.

Le contrat signé avec D______ en mars 2023 l'avait été à condition qu’elle ne trouve aucun autre candidat suisse ou européen pour le poste à pourvoir et que sa demande de permis soit acceptée. Celle-ci n'avait ainsi pas commencé son activité mais avait déjà entamé des démarches à Genève pour trouver un logement. A______ avait, quant à elle, effectué des recherches pour trouver un candidat suisse ou européen, mais n'avait reçu aucune candidature conforme aux exigences du poste annoncé à l’OCE.

i. Le 14 août 2023, faisant suite à un entretien téléphonique avec un collaborateur de l’OCIRT du même jour, A______ a produit des réponses de son administrateur à des questions additionnelles, lesquelles ont été transmises aux membres de la commission tripartite.

Ses pertes en 2021 étaient liées à la crise du Covid et celles de 2022 au conflit russo‑ukrainien. Elle avait dû revoir sa stratégie et attendait environ USD 2'000'000.- de profit en 2023. Les attentes étaient également bonnes pour les années suivantes du fait de sa réorientation stratégique.

j. Par décision du 16 août 2023, l’OCIRT, après examen du dossier par la commission tripartite, a refusé de délivrer l'autorisation en faveur d'D______.

La demande ne servait pas les intérêts économiques de la Suisse selon l’art. 18 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et l'ordre de priorité de l’art. 21 LEI n'avait pas été respecté, la société n'ayant pas démontré qu'aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d'un pays de l'UE et de l'AELE n'avait pu être trouvé.

B. a. Par acte du 18 septembre 2023, A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’OCIRT d’approuver la délivrance d’un permis B avec activité lucrative en faveur d'D______. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée à l’OCIRT pour nouvelle décision. Préalablement, C______ devait être entendu sur les recherches entreprises à grande échelle afin de trouver un candidat pour le poste.

La décision entreprise violait son droit d'être entendue. Le 14 août 2023, soit deux jours avant son prononcé, un collaborateur de l’OCIRT l’avait appelée afin d’obtenir des informations complémentaires concernant notamment la raison des pertes subies en 2021 et 2022 et ses expectatives de bénéfice pour les années à venir. Ces questions étaient particulièrement importantes, car elles étaient en lien avec le critère de l'intérêt économique de la candidature d'D______. Or, au vu du court délai imparti, elle avait uniquement pu envoyer un courriel contenant une brève explication mais n’avait pas pu produire de documents pour confirmer ses bonnes expectatives économiques tels, par exemple, ses comptes intermédiaires au 31 juillet 2023. Elle n’avait pas pu pleinement faire valoir son droit d'être entendue.

L'art. 18 let. a LEI avait également été violé. L'engagement d'D______ et le développement, grâce à celle-ci, de son activité en Ukraine pourraient générer un bénéfice de l'ordre de USD 1'602'664,08 en 2023. Son engagement aurait ainsi pour conséquence de servir les intérêts de l'économie de la Suisse et les prestations qu’elle offrait n'étaient par ailleurs pas déjà fournies en surabondance. À cet égard, elle avait décidé d'élargir son activité de trading en développant également des activités sur le marché du gaz en Ukraine, dans un effort de diversification de ses activités et une volonté de se démarquer par rapport aux autres sociétés de trading actives sur la place genevoise. Ce marché allait connaître un fort développement dans les années à venir dans le cadre de la reconstruction de l'Ukraine et elle souhaitait participer à cette reconstruction en mettant à profit son expérience et son savoir-faire dans le domaine du gaz. Le parcours académique, les expériences professionnelles, la connaissance des langues et l’important réseau d'D______ en faisaient une candidate parfaitement adaptée au poste à repourvoir.

La décision violait enfin l'art. 21 LEI, dès lors qu’elle avait publié une annonce auprès de l'OCE au mois d'avril 2023 et que C______ avait fait des recherches de candidats lors de différentes conférences auxquelles il avait pris part. C'était d’ailleurs à l’occasion de l’une d’elles qu'il avait trouvé D______. Le dossier contenait également la preuve d'envoi de curriculum vitae suite à l'annonce du poste.

Elle joignait un chargé de pièces, dont notamment un de E______, son business plan du 7 juin 2023, ses comptes audités pour 2022, son compte de pertes et profits pour 2021 et 2022, ses comptes au 31 juillet 2023, le contrat de travail du 9 janvier 2023 d'D______ et son avenant du 1er juin 2023 ainsi que divers documents relatifs à la formation et aux expériences professionnelles de cette dernière.

b. Le 20 novembre 2023, l'OCIRT a conclu au rejet du recours.

Aucune violation du droit d'être entendu n’était à déplorer. Les motifs invoqués à l’appui de sa décision définissaient clairement les raisons pour lesquelles l'autorisation sollicitée n'avait pas été accordée ainsi que les bases légales applicables. A______ avait d’ailleurs pu faire valoir tous les griefs utiles dans son recours.

A______ devait déposer une demande complète et fournir sans retard les moyens de preuve nécessaires afin qu’il puisse prendre une décision en toute connaissance de cause. Sa demande n’étant pas complète, il lui avait adressé une demande de renseignements et de pièces écrite le 12 juillet 2023 puis renouvelé la demande par téléphone du 14 août 2023. Le délai pour y donner suite avait été prolongé à sa demande et elle avait eu jusqu’au 14 août 2023 pour y donner suite. La recourante avait dès lors pleinement eu la possibilité d'ajouter des informations supplémentaires, en plus des renseignements qu’il lui demandait et, partant, la décision querellée avait été prise en disposant d'une vue d'ensemble de sa situation.

Pour le surplus, A______ n’avait fait aucune recherche sur le marché suisse ou européen. L'annonce du poste vacant à l'OCE avait été faite trois mois après la signature du contrat de travail avec D______, ce qui démontrait que l'employeur n'avait nullement l'intention de prendre en considération les éventuelles candidatures du service de placement et que la demande déposée en faveur de celle‑ci relevait principalement de la convenance personnelle. Les explications données à ce sujet par A______ ne convainquaient pas. Cette dernière n'avait pas apporté la preuve qu'elle avait fait tous les efforts possibles pour trouver un travailleur correspondant au profil requis en Suisse ou au sein de l’UE/AELE et n'avait par conséquent pas respecté le principe de la priorité dans le recrutement posé par l'art. 21 LEI.

Au vu des comptes présentés par A______, qui affichaient des pertes importantes, de CHF 2'777'458.- en 2021 et CHF 2'283’536.- en 2022, ainsi qu’une baisse du chiffre d'affaires entre 2022 et 2023, il était difficile d'envisager qu’elle puisse générer une activité durable et servir les intérêts économiques de la Suisse.

c. Le 15 décembre 2023, A______ a persisté dans ses conclusions.

Sous l’angle de l’art. 18 let. a LEI, grâce à l’engagement d'D______, elle pourrait générer un bénéfice de l’ordre de USD 1'602'664.08 en 2023 et fortement développer son activité pour les 36 mois à venir.

En lien avec l’art. 21 LEI, elle rappelait enfin que C______ et D______ avaient convenu oralement que le contrat signé le 9 janvier 2023 ne pourrait entrer en force qu’à condition que la société ne trouve aucun autre travailleur indigène ou européen. C______ avait par ailleurs fait des recherches de candidats lors de conférences et le poste avait été publié auprès de l’OCE au mois d’avril 2023.

d. Le 12 janvier 2024, l’OCIRT a persisté dans ses conclusions. A______ n’avait pas respecté le principe de priorité de l’art. 21 LEI.

e. Par jugement du 11 avril 2024, le TAPI a écarté la demande d'acte d'instruction et rejeté le recours.

Il appartenait à A______ de motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents. La décision était succincte mais parfaitement claire. Son droit s'être entendue n'avait pas été violé.

La démarche initiée en avril 2023 en vue de trouver un analyste financier n’avait de loin pas atteint le niveau de recherches requis. A______ s'était contentée d’annoncer la vacance du poste à l’OCE. Une telle démarche ne suffisait pas pour s'acquitter de ses obligations en matière de priorité du marché suisse ou européen. D______ avait signé son contrat de travail plus de trois mois avant l'annonce du poste à l'OCE, ce qui tendait à démontrer que l'employeur n'avait en réalité nullement l'intention de prendre en considération les éventuelles candidatures du service de placement et que la demande déposée relevait principalement de la convenance personnelle. Compte tenu des difficultés rencontrées pour trouver un candidat remplissant les conditions requises par le poste, il aurait appartenu à A______ d’entreprendre des recherches bien plus poussées et de plus grande envergure sur les marchés du travail tant suisse que de l’UE/AELE, par exemple en faisant appel à des agences de recrutement et en publiant des annonces sur des sites internet spécialisés en Suisse et en Europe et dans la presse spécialisée. De telles démarches étaient certes coûteuses, mais elles incombaient à l'employeur, d'autant plus lorsqu'il cherchait à pourvoir un poste extrêmement spécifique qui apporterait une importante plus-value à son entreprise et à la marche de ses affaires. Les explications données par A______, à savoir que C______ aurait entrepris des recherches à large échelle, notamment lors des différentes conférences auxquelles il avait pris part, ne convainquaient pas. Ses démarches n'étaient attestées par aucune pièce et ne correspondaient en tout état pas à ce qui était attendu d’un employeur sous l’angle du respect du principe de priorité.

Aucun élément du dossier ne permettait de considérer que l’activité qu'D______, aussi compétente soit-elle, serait amenée à déployer au sein de la société pourrait réellement avoir des retombées économiques positives pour l’économie suisse et, ainsi, représenter un intérêt pour le pays, que ce soit en termes d’investissements ou de diversification de l’économie régionale.

C. a. Par acte remis au greffe le 13 mai 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'OCIRT d'approuver la délivrance à D______ d'une autorisation de séjour avec activité lucrative. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée à l'OCIRT pour nouvelle décision. Préalablement, l'audition de C______ devait être ordonnée.

C______ pourrait renseigner la chambre administrative sur les démarches accomplies pour trouver un candidat pour le poste d'analyste financier.

Son droit d'être entendue avait été violé par le refus du TAPI d'entendre C______ et les délais impartis par l'OCIRT pour expliciter sa demande et produire des documents. Elle avait transmis le 8 août 2023 les renseignements demandés, et le 14 août 2023, soit deux jours avant le prononcé de la décision querellée, l'OCIRT l'avait appelée pour lui demander des renseignements complémentaires qu'il n'avait pas réclamés jusque-là et qui devaient être discutés par la commission tripartite avant la prise de décision. Le délai était extrêmement court et il lui avait été impossible de fournir une réponse détaillée avec les preuves écrites, comme par exemple des comptes intermédiaires. Or, la confirmation de bonnes expectatives de bénéfice pour l'année 2023 aurait pu changer le point de vue de l'OCIRT.

L'art. 18 let. a LEI avait été violé. C'était à tort que le TAPI avait retenu que l'activité d'D______ ne pourrait réellement avoir des retombées positives pour l'économie suisse et représenter un intérêt pour le pays. A______ avait décidé d'étendre son activité de trading au domaine du gaz et de se démarquer ainsi des autres sociétés de trading actives à Genève. D______ avait des liens avec plusieurs grandes sociétés acheteuses de gaz. Son engagement servirait les intérêts de la Suisse.

L'art. 21 LEI avait été violé. C______ aurait pu renseigner le TAPI sur les démarches de recrutement entreprises. L'appel à des agences de recrutement n'était pas le seul moyen de recherche à grande échelle. Les recherches de candidats à des conférences spécialisées ne pouvaient être écartées. C______ avait fait de telles recherches de candidats lors des différentes conférences auxquelles il prenait part. C'était lors d'une de ces conférences qu'il avait trouvé D______.

A______ avait expliqué à l'OCIRT que le contrat conclu était soumis à la condition qu'un permis soit délivré. Le TAPI avait retenu à tort qu'elle n'avait nullement l'intention de prendre en considération d'éventuelles autres candidatures du service de placement et que la demande relevait de la convenance personnelle.

b. Le 14 juin 2024, l'OCIRT a conclu au rejet du recours.

c. La recourante n'a pas répliqué dans le délai imparti au 18 juillet 2024.

d. Le 26 juillet 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante conclut préalablement à l'audition de C______. Elle se plaint par ailleurs du refus du TAPI d'entendre ce même témoin et du bref délai qui lui a été imparti pour fournir des informations, qui consacreraient une violation de son droit d'être entendue.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 138 III 374 consid. 4.3.2). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, la recourante a eu l'occasion de fournir toute explication écrite et toute pièce utile devant l'OCIRT, le TAPI et la chambre de céans. C______ est son administrateur. La recourante n'explique pas quels éléments utiles à la solution du litige qu'elle n'aurait pu produire par écrit ou documenter l'audition de ce dernier pourrait apporter. Au demeurant, il lui était loisible de décrire et de documenter précisément la manière dont C______ aurait prospecté des candidats et d'expliquer en quoi cette façon de procéder aurait répondu aux exigences légales. La chambre de céans dispose d'un dossier complet et l'affaire est en état d'être jugée.

Il ne sera pas donné suite à la demande d'acte d'instruction.

Pour les mêmes motifs, c'est sans violer le droit d'être entendue de la recourante que le TAPI a refusé d'entendre C______.

Enfin, la recourante se plaint de n'avoir disposé que d'un délai trop bref pour pouvoir compléter convenablement le 14 août 2023 l'information à l'appui de sa demande. Elle fait valoir que si elle avait eu le temps de fournir des informations plus complètes sur sa situation économique et ses expectatives, cela aurait pu influencer la décision de l'OCIRT. Il y a lieu d'observer à ce propos que la décision de refus du 16 août 2023 indique pour seuls motifs que l'engagement d'D______ ne servirait pas les intérêts de la Suisse et que l'ordre de priorité n'a pas été respecté. Il s'ensuit que la situation économique de la recourante, si elle a pu intéresser l'OCIRT, n'a apparemment joué aucun rôle dans la décision, si bien qu'en toute hypothèse le droit d'être entendu de la recourante n'a pas été violé.

Les griefs seront écartés.

3.             Le litige a pour objet le bien-fondé de la décision par laquelle l'OCIRT a refusé de délivrer en faveur d'D______ une autorisation de séjour avec activité lucrative dépendante. La recourante soutient qu'D______ remplit les conditions à l'octroi.

3.1 La LEI et ses ordonnances règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est, comme en l’espèce, pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI).

3.2 Selon l'art. 11 al. 1 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d'une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour ; il doit la solliciter auprès de l'autorité compétente du lieu de travail envisagé.

3.3 Lorsqu’un étranger ne possède pas de droit à l’exercice d’une activité lucrative, une décision cantonale préalable concernant le marché du travail est nécessaire pour l’admettre en vue de l’exercice d’une activité lucrative (art. 40 al. 2 LEI). Dans le canton de Genève, la compétence pour rendre une telle décision est attribuée à l'OCIRT (art. 6 al. 4 du règlement d'application de la loi fédérale sur les étrangers, du 17 mars 2009 - RaLEtr - F 2 10.01). L’OCPM reçoit et traite les demandes d'autorisation d'admission pour d'autres motifs que ceux relevant de l’exercice d’une activité lucrative (art. 8 RaLEtr).

3.4 L’art. 18 LEI prévoit qu’un étranger peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative salariée aux conditions suivantes : (a) son admission sert les intérêts économiques du pays ; (b) son employeur a déposé une demande ; (c) les conditions fixées aux art. 20 à 25 LEI sont remplies. Ces conditions sont cumulatives (ATA/362/2019 du 2 avril 2019 consid. 6b).

3.5 Les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation. En raison de sa formulation potestative, les art. 18 et 19 LEI ne confèrent aucun droit à l'autorisation sollicitée (ATA/361/2020 du 16 avril 2020 ; ATA/1660/2019 du 12 novembre 2019, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 2C_30/2020 du 14 janvier 2020 consid. 3.1). De même, un employeur ne dispose d'aucun droit à engager un étranger en vue de l'exercice d'une activité lucrative en Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2D_57/2015 du 21 septembre 2015 consid. 3 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] C‑5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 3).

3.6 La chambre administrative ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario ; ATA/12/2020 du 7 janvier 2020 consid. 3).

3.7 La notion d'« intérêts économiques du pays » est formulée de façon ouverte. Elle concerne au premier chef le domaine du marché du travail. Il s'agit, d'une part, des intérêts de l'économie et de ceux des entreprises. D'autre part, la politique d'admission doit favoriser une immigration qui n'entraîne pas de problèmes de politique sociale, qui améliore la structure du marché du travail et qui vise à plus long terme l'équilibre de ce dernier (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers [ci-après : message], FF 2002 3469 ss, p. 3485 s. et 3536). En particulier, les intérêts économiques de la Suisse seront servis lorsque, dans un certain domaine d'activité, il existe une demande durable à laquelle la main-d'œuvre étrangère en cause est susceptible de répondre sur le long terme (arrêt du TAF C- 8717/2010 du 8 juillet 2011 consid. 5.1 ; ATA/1147/2018 du 30 octobre 2018 consid. 7c ; ATA/1018/2017 du 27 juin 2017 consid. 4c ; Marc SPESCHA/Antonia KERLAND/Peter BOLZLI, Handbuch zum Migrationsrecht, 2e éd., 2015, p. 173 ss). L'art. 3 al. 1 LEI concrétise le terme en ce sens que les chances d'une intégration durable sur le marché du travail suisse et dans l'environnement social sont déterminantes (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, p. 145 et les références citées). L'activité économique est dans l'intérêt économique du pays si l'étranger offre par là une prestation pour laquelle il existe une demande non négligeable et qui n'est pas déjà fournie en surabondance (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 146 et les références citées).

3.8 En vertu de l’art. 21 al. 1 LEI, un étranger ne peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative que s'il est démontré qu'aucun travailleur en Suisse ni aucun ressortissant d'un État avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n'a pu être trouvé.

L'admission de ressortissants d'États tiers n'est possible que si, à qualifications égales, aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d'un État de l'UE ou de l'AELE ne peut être recruté (message, FF 2002 3469 ss, spéc. p. 3537 ; ATA/387/2023 du 18 avril 2023 consid. 5c). Il s'ensuit que le principe de la priorité des travailleurs résidents doit être appliqué à tous les cas, quelle que soit la situation de l'économie et du marché du travail (ATA/274/2022 du 15 mars 2022 consid. 3b ; ATA/401/2016 du 10 mai 2016 consid. 2c).

3.9 Selon les Directives et commentaires du SEM, Domaine des étrangers, du 25 octobre 2013, état au 15 décembre 2021 (ci-après : Directives LEI) – qui ne lient pas le juge mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré, pourvu qu’elles respectent le sens et le but de la norme applicable –, les employeurs sont tenus d’annoncer le plus rapidement possible aux office régionaux de placement (ci-après : ORP) les emplois vacants, qu’ils présument ne pouvoir repourvoir qu’en faisant appel à du personnel venant de l’étranger. Les ORP jouent un rôle clé dans l’exploitation optimale des ressources offertes par le marché du travail sur l’ensemble du territoire suisse. L'employeur doit, de son côté, entreprendre toutes les démarches nécessaires – annonces dans les quotidiens et la presse spécialisée, recours aux médias électroniques et aux agences privées de placement – pour trouver un travailleur disponible. On attend des employeurs qu’ils déploient des efforts en vue d’offrir une formation continue spécifique aux travailleurs disponibles sur le marché suisse du travail (Directives LEI, ch. 4.3.2.1 ; ATA/274/2022 précité consid. 3b ; ATA/494/2017 du 2 mai 2017 consid. 3c).

Il revient à l'employeur de démontrer avoir entrepris des recherches sur une grande échelle afin de repourvoir le poste en question par un travailleur indigène ou ressortissant d'un État membre de l'UE ou de l'AELE conformément à l'art. 21 al. 1 LEI et qu'il s'est trouvé dans une impossibilité absolue de trouver une personne capable d'exercer cette activité (ATA/274/2022 ibidem ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 et les références citées).

L'employeur doit être en mesure de rendre crédibles les efforts qu'il a déployés, en temps opportun et de manière appropriée, en vue d'attribuer le poste en question à des candidats indigènes ou à des candidats ressortissants de l’UE/AELE. Des ressortissants d’États tiers ne seront contactés que dans le cas où les efforts entrepris n’ont pas abouti. Il convient dès lors de veiller à ce que ces démarches ne soient pas entreprises à la seule fin de s’acquitter d’une exigence. Elles doivent être engagées suffisamment tôt, dans un délai convenable avant l’échéance prévue pour la signature du contrat de travail. En outre, il faut éviter que les personnes ayant la priorité ne soient exclues sur la base de critères professionnels non pertinents tels que des séjours à l’étranger, des aptitudes linguistiques ou techniques qui ne sont pas indispensables pour exercer l’activité en question, etc. (Directives LEI, ch. 4.3.2.2 ; ATA/274/2022 ibidem).

Même si la recherche d'un employé possédant les aptitudes attendues de la part de l’employeur peut s'avérer ardue et nécessiter de nombreuses démarches auprès des candidats potentiels, de telles difficultés ne sauraient à elles seules, conformément à une pratique constante des autorités en ce domaine, justifier une exception au principe de la priorité de recrutement énoncée à l'art. 21 LEI (ATA/274/2022 ibidem ; ATA/1368/2018 précité).

3.10 En l'espèce, l'OCIRT a estimé que l'engagement d'D______ ne servait pas les intérêts de la Suisse et que l'ordre de priorité n'avait pas été respecté.

S'agissant de l'ordre de priorité, la recourante fait valoir que son administrateur a prospecté des candidatures lors de conférences. Or, selon les directives LEI et la jurisprudence précitées, l'employeur doit établir qu'il a publié sans succès des annonces dans les quotidiens et la presse spécialisée et recouru aux médias électroniques et aux agences privées de placement à l'échelle de la Suisse mais également des pays de l'UE et de l'AELE. Cette manière de procéder est susceptible d'atteindre un public de candidats potentiels bien plus large que les cercles fréquentant les conférences. Elle permet par ailleurs au justiciable de documenter ses démarches. La recourante, qui n'a pas recouru à ces ressources, ne peut être suivie lorsqu'elle soutient que la prospection conduite par son administrateur répondrait aux exigences légales. Le fait que son administrateur aurait recruté D______ lors d'une de ces conférences, comme le fait valoir la recourante, n'est pas de nature à modifier cette appréciation.

La recourante avait conclu avec D______ un contrat avant de soumettre une demande à l'OCIRT. Quand bien même le contrat aurait été soumis à une condition suspensive, cette formalité suggère que le choix de la recourante était fait sans qu'elle ait procédé aux recherches exigées en matière d'ordre de priorité.

Enfin, la recourante fait valoir qu'elle avait décidé d'étendre son activité de trading au domaine du gaz et de se démarquer ainsi des autres sociétés actives à Genève dans le même secteur. La question des retombées économiques pour l'économie suisse de l'engagement d'un ou une spécialiste dans ce domaine ne se poserait que si la condition cumulative du respect de l'ordre de priorité était préalablement réalisée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ainsi qu'il a été vu. Aussi n'y a-t-il pas lieu de déterminer si c'est à juste titre que le TAPI a jugé que cette condition ne serait pas non plus réalisée.

C'est ainsi sans abus de son pouvoir d'appréciation que l'OCIRT a considéré que la recourante avait échoué à démontrer qu'elle était réellement et concrètement dans l'incapacité de trouver un ou une candidate correspondant au poste en Suisse ou dans les pays de l'UE et de l'AELE, si bien que cette condition à la délivrance d'une autorisation de séjour avec activité salariée n'était pas réalisée.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 mai 2024 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 avril 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dimitri IAFAEV, avocat de la recourante, à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Marine WYSSENBACH, juges.

 

 

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.