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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1488/2024

ATA/1254/2024 du 29.10.2024 ( LIPAD ) , REJETE

Descripteurs : PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ;PROTECTION DES DONNÉES;DONNÉES SENSIBLES;CONSERVATION(EN GÉNÉRAL);PRÉPOSÉ À LA PROTECTION DES DONNÉES;POUVOIR D'APPRÉCIATION;PROPORTIONNALITÉ;EXACTITUDE;FICHIER DE DONNÉES;SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL);PERSONNE CONCERNÉE(EN GÉNÉRAL)
Normes : Cst.10.al2; Cst-GE.13.al2; LCBVM.1.al1; LPol.1; LCBVM.1a; LCBVM.3a.al1; LCBVM.3b.al1; LIPAD.1; LIPAD.3.al1.leta; LIPAD.4.letb; LIPAD.4.lete; LIPAD.35; LIPAD.36.al1; LIPAD.47.al1; LIPAD.47.al2.leta; LIPAD.47.al2.letb; LIPAD.49; LIPAD.25; LIPAD.26; LPol.1.al4
Résumé : La main courante querellée ne contient aucune donnée personnelle sensible de la recourante mais relate, au conditionnel, les propos des personnes présentes lors de l’intervention à son domicile, sans aucune valeur de vérification objective. S’agissant de l’exactitude ou non des propos qui y figurent, ce document n’a pas de valeur probante, contrairement par exemple à un procès-verbal d’audition. La main courante n’a pas pour but de constater l’exactitude des déclarations des personnes présentes, singulièrement celles prêtées à la recourante, étant relevé qu’aucun des propos résumés ne se rapporte à des données sensibles telles les convictions ou opinions religieuses, politiques ou syndicales de la recourante ou des informations relatives à son état de santé. Les termes contestés ne sont pas imputés à la recourante. La seule préoccupation relative à l’état psychique de la recourante, sans autre précision, exprimée par les agents de police s’étant rendus sur place, ne constitue pas une donnée personnelle au sens de l’art. 4 let. b ch. 2 LIPAD. Derechef, il s’agit là d’une appréciation qui n’en établit pas l’exactitude, comme le ferait un certificat médical.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1488/2024-LIPAD ATA/1254/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 octobre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE intimée



EN FAIT

A. a. Le 19 décembre 2023, une patrouille de police est intervenue dans un logement sis ______, rue B______ à Genève, appelée par le service d’incendie et de secours (ci-après : SIS) pour une possible fuite de monoxyde de carbone.

b. La fiche de renseignement portant sur l’intervention indiquait que « la locataire concernée, A______, chaufferait son appartement avec sa cuisinière à gaz ».

Selon cette fiche, le technicien des Services industriels de Genève (ci-après : SIG) et les pompiers étaient intervenus chez A______ à sa demande pour des problèmes relatifs à son installation de gaz. Cette dernière avait expliqué utiliser sa gazinière afin de chauffer son logement, qui était dépourvu de solution de chauffage. Selon le technicien des SIG, une telle utilisation de la gazinière, de manière continue sans aération, pouvait provoquer une accumulation de monoxyde de carbone dans le logement, représentant un danger pour la locataire et les autres habitants de l’immeuble.

La note précisait que « A______ tenait des propos incohérents. En effet, selon cette dernière, un autre gaz serait injecté dans les conduites de l’immeuble et ressortirait à travers des trous dans les murs, le plafond et le sol de son appartement. Ce mystérieux gaz provoquerait chez elle divers symptômes, lesquels ne seraient pas liés au monoxyde de carbone ». La précitée n’avait pas souhaité en dire davantage aux policiers sur « l’étrange personnage qui injecterait ce gaz dans les conduites ni sur les symptômes qui découleraient de ces émanations ».

Il était rajouté que les policiers avaient constaté de très nombreux morceaux de scotch dans l’appartement, lesquels, selon la locataire, servaient à reboucher les « prétendus trous desquels le gaz s’échapperait ». Les SIG avaient décidé de maintenir l’alimentation en gaz, à condition que la locataire soit expressément avertie de l’interdiction d’utiliser sa gazinière comme chauffage. Cette interdiction lui avait été répétée oralement à plusieurs reprises.

c. Le 21 décembre 2023, les SIG ont rappelé à la recourante qu’elle s’était plainte de la qualité du gaz de cuisson alimentant ses installations, supposant que ce dernier n’était pas du gaz 100% naturel. Le contrôle du 19 décembre 2023 avait démontré que l’installation était conforme et fonctionnait correctement. La qualité du gaz n’était pas en cause. Le problème était lié aux produits de combustion du gaz par la cuisinière. Utilisée comme un appareil de chauffage, elle générait des produits de combustion qui s’accumulaient dans le logement au fil de la journée, avec comme conséquences des risques pour la santé. Un appareil servant au chauffage d’un logement devait toujours évacuer les gaz brûlés à l’air libre.

La locataire était formellement invitée à utiliser sa cuisinière à gaz exclusivement pour l’usage auquel elle était destinée, en aucun cas pour se chauffer, sous peine de risquer une intoxication au monoxyde de carbone.

Par ailleurs, les SIG lui rappelaient qu’il était important de réparer ou remplacer son installation de chauffage alors hors service. À cet effet, ils n’avaient pas qualité pour intervenir. Elle devait prendre contact avec la régie ou sa bailleresse à ce sujet.

d. Le 29 décembre 2023, A______ a répondu aux SIG concernant l’intervention précitée. Le technicien avait détecté du monoxyde de carbone en raison du bref usage qu’elle avait fait du four de la cuisinière juste avant son arrivée. Il avait coupé l’arrivée de gaz, lui avait demandé de sortir de l’appartement et forcé l’ouverture de la fenêtre de la cuisine, endommageant cette dernière. Il avait contacté sa hiérarchie, la police et le SIS, s’était montré peu collaborant et avait finalement conclu que l’installation était conforme, que le gaz distribué n’était pas en cause et que le problème résultait de l’utilisation de la cuisinière comme appareil de chauffage. Or, elle avait constaté que le gaz brûlait de manière anormale, suggérant selon elle un mélange au niveau des étages inférieurs.

Son installation de chauffage était un poêle à bois avec habillage en pierre ollaire. Des explosions survenaient dans son foyer lors de son utilisation et les tuyaux d’évacuation étaient vétustes, de telle sorte qu’elle avait dû acheter un radiateur électrique pour se chauffer. Elle ne pouvait pas en avoir plus car l’ampérage de son appartement était insuffisant. Elle n’allait pas tenter de requête de remise en état auprès de son bailleur car ce dernier avait ouvert une procédure judiciaire à son encontre.

e. Le même jour, elle a demandé à la commandante de la police (ci-après : la commandante) copie de la main courante établie à la suite de l’intervention du 19 décembre 2023.

Elle souhaitait également copie de son dossier personnel, qu’elle avait déjà sollicitée en vain en 2015.

f. Le 29 janvier 2024, à la demande de la police, elle a transmis sa carte d’identité et a pris note du fait qu’il n’existait pas de dossier personnel la concernant, la commission d’un délit étant nécessaire à l’établissement d’un tel dossier.

g. Entre le 31 janvier et le 22 mars 2024, divers échanges se sont tenus entre la direction des finances de la police et A______ au sujet des frais relatifs à l’établissement d’un extrait de la main courante. Sa situation financière étant délicate, elle a finalement été exonérée de ces frais.

h. Par décision du 26 mars 2024, la commandante a adressé à A______ la fiche de renseignement sollicitée, référencée 1______.

En raison de la présence de données personnelles de tiers, elle n’était pas en mesure de lui transmettre un extrait complet de la main courante précitée.

B. a. Par acte du 2 mai 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à ce qu’elle puisse accéder à la main courante complète et que les informations y figurant la concernant qui portaient atteinte à sa personne et nuisaient à sa réputation soient radiées.

Il ressortait de la fiche de renseignements que selon la main courante, elle tenait des propos incohérents en présence des policiers concernant le gaz qui serait injecté dans les conduites de l’immeuble. Or, ses propos n’étaient pas incohérents mais « incongrus ». Les trous dans les murs par lesquels le gaz transitait avaient été documentés dans le cadre de plusieurs plaintes pénales. Il incombait aux policiers d’identifier « l’étrange personnage » à l’origine du gaz transitant par les conduites au lieu de « jeter du discrédit sur [sa] personne ».

La fiche de renseignement présentait les faits de manière arbitraire et inexacte. En vertu de ses droits fondamentaux relatifs à ses données personnelles, elle requérait que ces informations, qui portaient atteinte à sa personne et nuisaient à sa réputation et à son honneur, soient radiées. Celles-ci n’étaient d’ailleurs pas nécessaires à l’accomplissement des tâches légales des policiers.

b. La commandante de la police a conclu au rejet du recours, produisant son dossier.

Contrairement à ce qu’alléguait la recourante, la main courante querellée ne contenait aucune donnée personnelle sensible de la recourante. Elle ne faisait qu’état des constatations des policiers lors de leur intervention dans l’appartement de celle-ci. La fiche consignait de manière résumée les propos du SIS, de l’agent des SIG et de la recourante. Les propos de cette dernière n’étaient rapportés qu’au conditionnel, et la main courante ne comportait aucune dimension de « vérification objective des faits ou des propos dont elle faisait état ».

Les faits n’avaient donc pas été établis de manière arbitraire. En outre, même si les déclarations rapportées étaient succinctes, cela n’indiquait pas qu’elles étaient inexactes.

La main courante conservait une utilité après son établissement, notamment afin de prévenir des infractions. L’utilité des fichiers pour le travail quotidien de la police était avérée.

Enfin, la recourante sollicitait la divulgation de la main courante complète. Or, celle-ci n’avait été caviardée que dans la mesure où l’intérêt privé de l’agent des SIG et du premier lieutenant du SIS à la non-divulgation de leurs données personnelles était prépondérant aux intérêts de la recourante à connaître leur identité. Les mots caviardés étaient des données personnelles des personnes susmentionnées. La recourante ne disposait pas d’un droit d’accès à de telles données. En outre, le dernier paragraphe caviardé faisait état des mesures internes envisagées par les policiers au regard de leur appréciation de la situation, correspondant à des notes internes à leur attention et à celle d’éventuels collègues. La recourante n’avait aucun droit d’accès à cet égard.

La commandante a produit un chargé de pièces. Il était essentiel que certaines pièces demeurent confidentielles, en particulier la main courante, faute de quoi la décision querellée serait vidée de son objet et nuirait à des intérêts prépondérants protégés.

c. Dans sa réplique, la recourante a indiqué que sa requête d’accès complet à la main courante était désormais sans objet, car elle avait obtenu l’accès complet à celle-ci dans le cadre d’une procédure pénale.

En revanche, les paragraphes additionnels finaux confirmaient le caractère inexact et arbitraire des informations figurant dans cette fiche de renseignements.

Ces informations ne retranscrivaient pas de manière objective ses propos, en particulier l’utilisation par la police des termes « incohérents, mystérieux, étranges et prétendus ». Le fait que la main courante précisait qu’au vu de son état psychique et de l’insalubrité de son logement, qu’un rapport à l’attention du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE) serait établi « questionnait ses facultés mentales ». Elle réitérait ses conclusions en radiation, ce dernier paragraphe étant précisément articulé « dans le dessein de préconiser sa prise en charge pour un suivi adapté », ce qui était diffamatoire et attentatoire à son honneur et à sa réputation.

d. Invité par la chambre administrative à se déterminer, le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : préposé) a considéré que les données personnelles relatives à la recourante figurant dans la main courante querellée n’avaient pas à être radiées. Leur inexactitude n’était pas donnée. La prévention efficace des crimes et délits s’y opposait. La main courante ne contenait aucune donnée personnelle sensible. Elle ne mentionnait pas d’opinions ou d’activités religieuses, philosophiques, politiques, syndicales ou culturelles, ni la santé, la sphère intime ou l’appartenance ethnique, des mesures d’aide sociale ou encore des poursuites ou des sanctions pénales. Elle ne faisait état que des constatations des policiers à l’occasion de leur intervention au domicile de la recourante, résumant les déclarations du SIS, des agents des SIG et de la recourante elle-même, sur un mode conditionnel, ce qui n’accordait aux propos relatés aucune valeur de vérification objective.

Dès lors que le « journal des événements » était destiné à donner des informations résumées et succinctes, il n’avait pas valeur de procès-verbal. Il ne comportait aucune dimension de vérification objective des propos, et il n’était ainsi pas question d’exactitude ou d’inexactitude des propos ainsi consignés.

e. Dans ses observations après réception de celles du préposé, la recourante a réitéré ses conclusions en radiation de ses données personnelles. Les termes utilisés pour rapporter ses propos mettaient en doute sa santé mentale. L’utilisation du conditionnel suggérait un bien-fondé « questionnable » à ses propos et qu’elle pouvait avoir « une propension à la mythomanie, voire au délire » alors que les faits étaient établis. Les considérations dans la main courante semblaient avoir été articulées dans le dessein de préconiser une « prise en charge » de sa personne. Son intérêt personnel à la suppression de la main courante des qualificatifs utilisés par les policiers relatifs à sa santé psychique était prépondérant.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Les conclusions tendant à la remise complète de la main courante sont devenues sans objet au cours de la procédure, la recourante ayant indiqué à la chambre de céans avoir obtenu une copie complète de celle-ci dans le cadre d’une procédure pénale.

3.             Seule demeure litigieuse la question de savoir si la recourante peut obtenir la radiation d’informations figurant dans la main courante qu’elle estime inexactes et portant atteinte à sa personne et sa réputation.

3.1 L’art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantit la liberté personnelle et l’art. 13 al. 2 Cst. protège le citoyen contre l’emploi abusif de données personnelles, tout comme l’art. 21 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE -A 2 00).

3.2 Dans le canton de Genève, la protection des particuliers en matière de dossiers et fichiers de police est assurée par les dispositions de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25) et de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08).

3.3 À teneur de l’art. 1 al. 1 LCBVM, la police est autorisée à organiser et à gérer des dossiers et fichiers pouvant contenir des renseignements personnels en rapport avec l’exécution de ses tâches, en particulier en matière de répression des infractions ou de prévention des crimes et délits au sens de l’art. 1 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05). Les dossiers et fichiers de police ne peuvent contenir des données personnelles qu’en conformité avec la LIPAD (art. 1 al. 2 LCBVM).

À teneur de l'art. 1A LCBVM, les dossiers de police sont rigoureusement secrets. Aucun renseignement contenu dans les dossiers ou fichiers de police ne peut être communiqué à des tiers, à l’exception des autorités désignées par les art. 2, 4 et 6 LCBVM (art. 320 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0).

À l’égard des données personnelles la concernant qui sont contenues dans les dossiers et fichiers de police, toute personne a le droit d’accès et les autres prétentions prévus par la LIPAD (art. 3A al. 1 LCBVM). Les droits et prétentions visés à l’al. 1 peuvent être limités, suspendus ou refusés si un intérêt prépondérant public ou privé l’exige, en particulier l’exécution d’une peine, la prévention efficace des crimes et délits ou la sauvegarde d’intérêts légitimes de tiers (art. 3A al. 2 LCBVM).

3.4 La requête d’accès ou d’exercice des autres prétentions de la personne concernée doit être formulée par le requérant en personne ou par son avocat, et être adressée par écrit au commandant de la police (art. 3B al. 1 LCBVM). Il statue sur la requête par voie de décision, qu’il notifie au requérant ou le cas échéant à son avocat (art. 3B al. 3 LCBVM).

3.5 La LIPAD est constituée de deux volets, correspondant aux deux buts énoncés à l’art. 1 al. 2 LIPAD. Elle a pour premier but de favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique par l’information du public et l’accès aux documents (art. 1 al. 2 let. a LIPAD ; titre II LIPAD) et pour second but de protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. b LIPAD ; titre III LIPAD).

La LIPAD s’applique notamment aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux ainsi qu’à leurs administrations et aux commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a LIPAD).

3.6 Par données personnelles ou données, la LIPAD vise toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé, identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD). À teneur de la let. b de l’art. 4 LIPAD, les données personnelles sensibles portent sur : 1° les opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques, syndicales ou culturelles, 2° la santé, la sphère intime ou l'appartenance ethnique, 3° des mesures d'aide sociale, 4° des poursuites ou sanctions pénales ou administratives. Par ailleurs, constitue un traitement de ces données toute opération relative à celles-ci – quels que soient les moyens et procédés utilisés – notamment leur collecte, conservation, exploitation, modification, communication, archivage ou destruction (art. 4 let. e LIPAD). La communication est définie comme le fait de rendre accessibles des données personnelles ou un document, par exemple en autorisant leur consultation, en les transmettant ou en les diffusant (art. 4 let. f LIPAD).

L'art. 4 let. e LIPAD reprend la définition du droit fédéral (MGC 2005-2006 X A 8495). En droit fédéral, la notion de traitement est entendue dans un sens très large : elle comprend toute opération relative à des données, en particulier chacune des diverses phases du traitement. Elle englobe également la simple conservation des données, voire leur archivage, car même à ces stades du traitement des atteintes à la personnalité sont possibles, par exemple si la sécurité des données laisse à désirer. La communication constitue une forme particulière du traitement, notamment car il est nécessaire d'exemplifier les diverses formes de communication possibles. Il y a communication à chaque fois que des données ont été rendues accessibles d'une manière ou d'une autre. Tel est le cas de l'accès à un fichier au moyen d'une liaison en ligne, de la copie de bandes magnétiques ou, tout simplement, de la transmission de données extraites d'un fichier (FF 1988 II 421, 455).

3.7 Dans la même perspective, l'art. 35 LIPAD prévoit que les institutions publiques ne peuvent traiter des données personnelles que si, et dans la mesure où, l'accomplissement de leurs tâches légales le rend nécessaire (al. 1). Des données personnelles sensibles ne peuvent être traitées que si une loi définit clairement la tâche considérée et si le traitement en question est absolument indispensable à l’accomplissement de cette tâche ou s’il est nécessaire et intervient avec le consentement explicite, libre et éclairé de la personne concernée (al. 2).

3.8 Concernant la qualité des données personnelles, l’art. 36 al. 1 LIPAD précise que les institutions publiques veillent, lors de tout traitement de données personnelles, à ce que ces dernières soient : pertinentes et nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches légales (let. a) ; exactes et si nécessaire mises à jour et complétées, autant que les circonstances permettent de l’exiger (let. b).

3.9 Le fait que la main courante soit un outil permettant à la police d’effectuer son travail ne justifie pas de l’exclure de l’application des dispositions rappelées ci‑dessus. Le journal de bord, bien que n’ayant pas de valeur probante, doit être considéré comme faisant partie du dossier de police (ATA/622/2018 du 19 juin 2018 consid. 6 ; ATA/9/2018 du 9 janvier 2018 consid. 6).

3.10 L'art. 47 al. 1 LIPAD prévoit que toute personne physique ou morale de droit privé peut notamment, à propos des données la concernant, exiger des institutions publiques qu’elles s’abstiennent de procéder à un traitement illicite (let. a), mettent fin à un traitement illicite et en suppriment les effets (let. b) ou constatent le caractère illicite du traitement (al. 3). Sauf disposition légale contraire, elle est en particulier en droit d’obtenir des institutions publiques, à propos des données la concernant, qu’elles détruisent celles qui ne sont pas pertinentes ou nécessaires (art. 47 al. 2 let. a LIPAD) ou de faire figurer en regard des données dont ni l’exactitude ni l’inexactitude ne peuvent être prouvées, une mention appropriée, à transmettre également lors de leur communication éventuelle (art. 47 al. 2 let. c LIPAD).

3.11 Selon l'art. 49 LIPAD, toute requête fondée sur l'art. 47 LIPAD notamment doit être adressée par écrit au responsable chargé de la surveillance de l’organe dont relève le traitement considéré (al. 1). Si le responsable n’entend pas faire droit intégralement aux prétentions du requérant ou en cas de doute sur le bien-fondé de celles-ci, il transmet la requête au préposé cantonal avec ses observations et les pièces utiles (al. 2). Le préposé cantonal instruit la requête de manière informelle, puis il formule, à l’adresse de l’institution concernée et du requérant, une recommandation écrite sur la suite à donner à la requête (al. 3). L’institution concernée statue alors par voie de décision dans les dix jours sur les prétentions du requérant (al. 4).

3.12 Dans une affaire vaudoise tranchée par le Tribunal fédéral, le recourant concluait notamment à la radiation des extraits du journal des événements (ci‑après : JEP) le concernant de son dossier de police judiciaire aux motifs que ces pièces se rapportaient pour les unes à une procédure pénale introduite en 2007 et en 2009 et pour les autres à des interventions de police qui n'avaient abouti à aucune poursuite pénale. Elles n’auraient pas été de nature à faciliter l'accomplissement des tâches de la police et pouvaient avoir un effet stigmatisant et discriminant à son égard. À supposer que ces informations aient encore une utilité d'un point de vue statistique, elles pourraient être conservées sous une forme anonymisée dans le JEP de manière à éviter qu'une relation puisse être faite avec lui. Enfin, en tant qu'ils se rapportaient à des éléments datant d'environ dix ans, les extraits devraient être détruits dès lors que, d'après les informations fournies par le préposé cantonal à la protection des données, la durée de conservation des données dans le JEP était de cinq ans.

Selon le Tribunal fédéral, le juge cantonal ne pouvait être suivi lorsqu'il excluait de manière absolue la radiation des événements du JEP au motif que celui-ci se bornerait à retranscrire les interventions policières. Les événements relatés dans le JEP pouvaient contenir des données personnelles sensibles dont le maintien au dossier de police judiciaire devait être soumis aux mêmes règles que les autres données contenues dans des rapports de police, soit à leur utilité potentielle pour la prévention ou la répression des infractions, dans l'intérêt des tiers et des victimes potentielles ou pour l'accomplissement des tâches de police, soit le maintien de la sécurité et de l'ordre publics (arrêt du Tribunal fédéral 1C_580/2019 du 12 juin 2020 consid. 5).

3.13 Les documents sont tous les supports d’informations détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique, à savoir notamment les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions (art. 25 al. 1 et 2 LIPAD). Les notes à usage personnel ainsi que les brouillons ou autres textes inachevés ne constituent pas des documents (art. 25 al. 4 LIPAD).

Les notes échangées entre les membres d’une autorité collégiale ou entre ces derniers et leurs collaborateurs sont exclues du droit d’accès institué par la LIPAD (art. 26 al. 3 LIPAD). S'agissant de l'exception de l'art. 26 al. 3 LIPAD, le Tribunal fédéral a jugé qu'étendre l'application de cette disposition à n'importe quel document, quel qu'en soit le contenu, sous prétexte qu'il aurait été produit à l'intention de l'autorité – en l'occurrence collégiale – dans la perspective d'une prise de décision, allait de manière insoutenable à l'encontre du principe de transparence posé par la loi (arrêt du Tribunal fédéral 1C_277/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3.5).

3.14 La conservation des données personnelles dans les dossiers de police judiciaire tient à leur utilité potentielle pour la prévention, l'investigation et la répression des infractions pénales (arrêt du Tribunal fédéral 1C_363/2014 du 13 novembre 2014 consid. 2 = SJ 2015 I p. 128 ss). Elle poursuit ainsi des buts légitimes liés à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (ACEDH Khelili c. Suisse du 18 octobre 2011, req. no16188/07, § 59 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_363/2014 précité consid. 2).

Selon la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CourEDH), en matière de radiation de données personnelles dans les dossiers de police, le droit interne des États parties doit assurer que les données à caractère personnel sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées et qu'elles sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire auxdites finalités (ACEDH Khelili précité, § 62 ; S. et Marper c. Royaume-Uni du 4 décembre 2008, req. no 30562/04, § 103 ; repris in ATA/190/2012 du 3 avril 2012 consid. 6).

3.15 Conformément aux exigences découlant des art. 10 al. 2 et 13 al. 2 Cst., dès le moment où des renseignements perdent toute utilité, leur conservation et l'atteinte que celle-ci porte à la personnalité ne se justifient plus ; ils doivent être éliminés (arrêts du Tribunal fédéral 1P.713/2006 du 19 décembre 2006 consid. 2 ; 1P.436/1989 du 12 janvier 1990 consid. 2b in SJ 1990 p. 564 ; ATA/1063/2020 du 27 octobre 2020 consid. 5c).

3.16 La question de savoir si les documents et autres pièces litigieuses présentent une utilité pour la prévention ou la répression des infractions et si elles peuvent être conservées au dossier de police judiciaire doit être résolue au regard de toutes les circonstances déterminantes du cas d'espèce (ATF 138 I 256 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_51/2008 du 30 septembre 2008 consid. 4.2 in ZBl 110/2009 p. 389). Dans la pesée des intérêts en présence, il convient de prendre en considération la gravité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux du requérant par le maintien des inscriptions litigieuses à son dossier de police, les intérêts des victimes et des tiers à l'élucidation des éléments de fait non encore résolus, le cercle des personnes autorisées à accéder au dossier de police et les intérêts de la police à pouvoir mener à bien les tâches qui lui sont dévolues (ATF 138 I 256 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_307/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2).

Les caractéristiques d'une personne évoluent et les autorités ne doivent pas se référer à des images figées. Des faits peu importants perdent progressivement toute signification et la police ne peut plus en tirer aucune information utilisable pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité publics. Le principe de la proportionnalité exige donc qu'à terme, ils soient éliminés des fichiers et des dossiers de la police (arrêts du Tribunal fédéral 1P.713/2006 précité consid. 3.1 ; 1P.436/1989 précité in SJ 1990 p. 565).

3.17 Selon l’art. 1 al. 4 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05), sauf dispositions légales contraires, la police est chargée des missions suivantes : a) assurer l’ordre, la sécurité et la tranquillité publics ; b) prévenir la commission d’infractions et veiller au respect des lois, en particulier selon les priorités émises conjointement par le Conseil d’État et le Ministère public ; c) exercer la police judiciaire ; d) exécuter les décisions des autorités judiciaires et administratives ; e) coordonner les préparatifs et la conduite opérationnelle en cas de situation exceptionnelle en vue de protéger la population, les infrastructures et les conditions d’existence ; f) exercer les actes de police administrative qui ne sont pas dévolus à d’autres autorités.

3.18 En l’espèce, la commandante a refusé la radiation de la main courante établie lors de l’intervention du 19 décembre 2023, retenant l’intérêt public à pouvoir disposer des données y figurant dans le cadre d’éventuelles procédures judiciaires ou pour prévenir des infractions.

Comme l’a relevé le préposé, la main courante ne contient aucune donnée personnelle sensible de la recourante mais relate, au conditionnel, les propos des personnes présentes lors de l’intervention du 19 décembre 2023, sans aucune valeur de vérification objective. De même, s’agissant de l’exactitude ou non des propos qui y figurent, ce document n’a pas de valeur probante, contrairement par exemple à un procès-verbal d’audition. La main courante n’a pas pour but de constater l’exactitude des déclarations des personnes présentes, singulièrement celles prêtées à la recourante, étant relevé qu’aucun des propos résumés ne se rapporte à des données sensibles telles les convictions ou opinions religieuses, politiques ou syndicales de la recourante ou des informations relatives à son état de santé. Il sera relevé que les termes contestés ne sont pas imputés à la recourante, ne se trouvant pas dans la phrase commençant par « Selon cette dernière ». La seule préoccupation relative à l’état psychique de la recourante, sans autre précision, exprimée par les agents de police s’étant rendus sur place, ne constitue pas une donnée personnelle au sens de l’art. 4 let. b ch. 2 LIPAD. Derechef, il s’agit là d’une appréciation qui n’en établit pas l’exactitude, comme le ferait un certificat médical.

Par ailleurs, la main courante date d’il y a moins d'un an. Il ne peut ainsi être considéré qu’en raison de l’écoulement du temps, elle ne présenterait plus une utilité pour assurer la sécurité publique et la prévention des crimes et délits telles que prévues par la LCBVM et la LPol. Il existe dès lors un intérêt public à la conservation du document litigieux tel quel. Pour ces motifs, la chambre de céans ne peut que constater que le document querellé ne contient pas d'informations qui contreviendraient aux dispositions de la LIPAD et qui devraient par conséquent être supprimées.

En outre, en l’absence d’allégations précises de la recourante, la chambre de céans retiendra qu’elle n’a pas rendu vraisemblable qu’elle aurait été victime de malveillance ou d’allégations infondées.

Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté.

4.             La procédure étant gratuite, sauf en cas d’emploi abusif de procédure ou de procédé téméraire (art. 3C al. 5 LCBVM), ce qui n’est pas le cas en l’espèce, aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mai 2024 par A______ contre la décision de la commandante de la police du 26 mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal-Fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à la commandante de la police ainsi qu'au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Philippe KNUPFER, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :