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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/919/2023

ATA/828/2024 du 09.07.2024 sur JTAPI/1425/2023 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE;PROCÉDURE D'AUTORISATION;AMENDE;TRAVAUX SOUMIS À AUTORISATION
Normes : LCI.1; LCI.129; LCI.137; LProst.10.letd; RPUS.9.al6
Résumé : Rejet d’un recours déposé contre un jugement du TAPI confirmant une décision incidente du département du territoire ordonnant que la locataire exploitant un salon de massages au rez-de-chaussée d’un bâtiment dépose une demande d’autorisation de construire portant sur le changement d’affectation des locaux. Rejet également du recours en ce qui concerne l’amende de CHF 500.- infligée en raison de l’absence d’exécution de l’ordre de régularisation. Selon la jurisprudence de la chambre administrative, la validité de la décision incidente doit être examinée dans les cas où une sanction est fondée sur la non-exécution de la décision, comme en l’espèce. Dans la mesure où un changement d’affectation du type réalisé en l’espèce est en principe soumis à autorisation, le département pouvait sans violation du droit ordonner le dépôt d’une demande d’autorisation en vue d’une éventuelle régularisation de la situation, notamment au regard du RPUS.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/919/2023-LCI ATA/828/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 juillet 2024

3e section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Steve ALDER, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC intimé

_________


 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2023 (JTAPI/1425/2023)


EN FAIT

A. a. Le salon de massage érotique B______ est situé au rez-de-chaussée d’un bâtiment construit sur la parcelle n° 1'330 de la commune de C______, en zone 3, à l’adresse 13, rue D______.

La parcelle se situe à l’intérieur du périmètre du plan d’utilisation du sol (PUS) de la Ville de Genève, adopté par le Conseil municipal le 20 février 2007 et approuvé par le Conseil d’État le 27 février 2008 (Secteur 2).

L’extrait du registre foncier relatif à cette parcelle indique que le rez-de-chaussée de l’immeuble est d’affectation commerciale.

Le bâtiment bénéficie de la mesure de protection instaurée par l’art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) concernant les ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

b. A______ est au bénéfice d’un contrat de bail conclu en 2009 et renouvelé en 2010 pour une durée de cinq ans, portant sur les locaux dans lesquels elle exploite le salon. Le bail mentionne que la location concerne des locaux commerciaux et que ceux-ci étaient destinés à l’usage d’un salon de massages.

B. a. Par courrier du 19 mai 2022, le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS) a informé A______ qu’il avait constaté, dans le cadre de la révision de ses dossiers, qu’aucun préavis ni décision du département du territoire (ci-après : DT) ne figurait dans son dossier en lien avec l’obligation instaurée à la suite de la modification de la loi sur la prostitution du 29 juillet 2017 (LProst - I 2 49 ) d’obtenir un préavis favorable du DT attestant que les locaux pouvaient être affectés à une activité commerciale ou qu’une dérogation avait été accordée comme condition personnelle de l’obligation d’annonce du responsable de salon.

Un délai au 19 juin 2022 lui a été imparti pour remettre le formulaire de demande de préavis en vue de l’exploitation d’un salon de prostitution afin que le DT puisse émettre son préavis.

b. A______ a retourné ledit formulaire le 20 mai 2022.

c. Le 30 mai 2022, le DT a rendu un préavis défavorable.

Le bâtiment était soumis à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l’emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Les locaux n’étaient pas à destination de logement. La demande était soumise à la LCI. L’affectation actuelle des locaux n’avait pas été autorisée selon la dernière autorisation de construire délivrée. Une requête en autorisation devait être déposée concernant ce changement et d’éventuels travaux à effectuer pour faire valider l’affectation.

d. Par courrier du 5 juillet 2022 adressé au DSPS, A______ a contesté le préavis et demandé sa reconsidération.

L’art. 10 let. d LProst ne visait qu’à permettre au DT de vérifier que l’affectation des locaux était conforme à la LDTR. Aucun changement d’affectation n’était survenu, il n’y avait donc aucune raison d’exiger le dépôt d’une requête en autorisation de construire.

e. Par courriel du 25 juillet 2022, le DT a confirmé à A______ la nécessité de déposer une requête en autorisation de construire. Vérification faite, il n’existait aucune autorisation de construire avec le libellé « salon de massage érotique ». Le changement d’affectation était soumis à autorisation de construire et cette procédure permettait également de vérifier que le dépôt n’occasionnerait aucun inconvénient grave pour le voisinage ainsi que sa conformité au PUS.

f. Le 5 août 2022, A______ a écrit au DT, persistant dans sa demande de délivrance d’un préavis favorable. À défaut, elle sollicitait qu’une décision formelle, sujette à recours, lui soit notifiée.

g. Par courriel du 15 septembre 2022, le DT a confirmé qu’aucune autorisation de construire concernant l’arcade au rez-de-chaussée ne figurait dans ses archives. À la suite d’une visite sur place du même jour, le chef de service de l’inspection de la construction et des chantiers avait constaté plusieurs éléments qui semblaient avoir été érigés sans autorisation et étaient susceptibles de constituer une infraction à la LCI :

- les vitrines des arcades étaient recouvertes d’un film empêchant les passants de voir à l’intérieur des locaux, ce qui constituait une modification de l’aspect esthétique d’un bâtiment protégé au sens de l’art. 89 LCI, soumise à autorisation de construire ;

- la chaufferie avait été modifiée et agrandie pour créer l’entrée du local, modifiant ainsi la surface du dépôt de l’arcade et la typologie du sous-sol de manière non conforme à l’APA _____ délivrée ;

- l’absence de mains courantes dans l’escalier de l’immeuble reliant le rez-de-chaussée au sous-sol ;

- l’absence de buanderie dans l’immeuble ;

- un couvert au rez-de-chaussée reliant le bâtiment sur la parcelle adjacente n°2'792 ;

- des barres métalliques jaunes au rez-de-chaussée longeant les façades côté cour ;

- les fenêtres de l’immeuble étaient en PVC, matériau insolite pour un bâtiment faisant l’objet d’une mesure de protection patrimoniale.

Un délai de dix jours a été imparti pour formuler d’éventuelles observations. La propriétaire de l’immeuble était également invitée à formuler des observations.

h. Le 26 septembre 2022, A______ a réitéré sa demande pour que le DT rende un préavis indiquant que l’arcade était de type commercial et qu’elle était conforme aux prescriptions de la LDTR. À part le film translucide posé sur la devanture de l’arcade, qu’elle allait remplacer par des rideaux, elle n’était pas concernée par les autres constats, n’étant que locataire de son arcade et non pas propriétaire de l’immeuble.

i. Ce courrier a donné suite à de nombreux échanges entre le DT et A______. En particulier, par courriel du 21 octobre 2022, suite à un constat sur place en date du 17 octobre 2022 en présence de A______, le DT l’a priée de se déterminer formellement sur les éléments suivant :

- la création d’un galandage de séparation au sous-sol. Le galandage n’apparaissait pas sur le plan du sous-sol de l’APA 14'100 (recte APA 1______) ;

- la modification de l’affectation du local créé au sous-sol grâce à ce galandage, utilisé par les professionnelles et certains clients du salon ;

- l’utilisation de l’escalier apparaissant sur le plan de l’APA 14'100 ne respectait pas l’art. 52 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01), compte tenu du changement d’affectation du local ne pouvant plus être considéré comme un local secondaire au sens de l’art. 52 al. 7 RCI.

j. Par courriel du 31 octobre 2022, A______ s’est déterminée sur les éléments précités.

L’arcade avait, de tout temps, été d’affectation commerciale. Les divers exploitants qui s’étaient succédés n’avaient également jamais requis la moindre autorisation. Selon le contrat de bail, le sous-sol avait déjà une affectation commerciale, ce que confirmaient les plans de l’APA 1______ mentionnant l’existence d’un dépôt desservant l’arcade sise en rez-de-chaussée de l’immeuble.

k. Dans une décision du 4 novembre 2022, adressée à E______, propriétaire de l’immeuble, le DT, faisant suite au constat effectué sur place le 17 octobre 2022, a confirmé que la réalisation des éléments listés dans le courriel du 21 octobre 2022 était soumise à autorisation de construire.

Il a ordonné le dépôt d’une telle demande avant le 2 décembre 2022 et a interdit l’utilisation de la pièce en sous-sol, à d’autres fins que celle de dépôt, tel qu’autorisé sous APA 1______.

l. Par courrier du 15 novembre 2022, le DSPS a constaté que les locaux n’étaient pas affectés à du logement mais bien à une activité commerciale et étaient conformes aux exigences de l’art. 10 let. d LProst. Son constat se basait sur le fait que le DT avait attesté que les locaux n’étaient pas destinés au logement, même si le préavis était négatif pour d’autres motifs ayant trait à la LCI. Sur le plan de la LProst, le dossier était donc clos.

Il invitait toutefois A______ à poursuivre ses éventuelles démarches de régularisation sous l’angle de la LCI auprès du DT.

m. Par courriel du 17 novembre 2022, A______ a transmis un reportage photographique au DT attestant que le sous-sol était à nouveau un dépôt et que le galandage avait été démoli.

n. Par décision du 25 novembre 2022, le DT a confirmé, après avoir procédé aux vérifications d’usage et suite au constat effectué sur place le 17 octobre 2022, que la réalisation des éléments listés dans le courriel du 21 octobre 2022 était soumise à autorisation de construire.

Il était pris bonne note de l’envoi du 17 novembre 2022, lequel attestait qu’il avait déjà été procédé au rétablissement de l’affectation de dépôt et à la démolition du galandage au sous-sol. En conséquence, l’utilisation de l’escalier y donnant accès était tolérée, en vertu du droit acquis.

S’agissant du film translucide posé sur la devanture de l’arcade, aucun élément n’attestait à ce jour qu’il avait été retiré et remplacé par la pose de rideaux comme indiqué par A______.

Compte tenu de l’absence de validation d’une affectation précise des locaux, il a en outre été ordonné à A______ de requérir une autorisation de construire complète et en bonne et due forme d’ici au 23 décembre 2022 portant sur « une demande de régularisation I-2______ suivi du détail », faute de quoi des mesures et sanction justifiées par la situation seraient prononcées.

La sanction administrative portant sur la réalisation de travaux sans droit était réservée.

o. Par courriel du 16 décembre 2022, A______ a transmis au DT un reportage photographique attestant que le film recouvrant les vitres de l’arcade avait été remplacé par des rideaux internes.

Elle n’entendait pas déposer une demande d’autorisation de construire aux fins de faire valider l’affectation de l’arcade, dans la mesure où aucun changement d’affectation n’était intervenu.

p. Par décision du 3 février 2023, constatant que A______ n’avait pas donné suite à la décision du 25 novembre 2022 dans le délai imparti, le DT lui a infligé une amende administrative de CHF 500.-.

Ce montant tenait compte de son refus de se conformer à l’ordre de déposer une demande d’autorisation de construire dans le délai imparti. Un nouveau délai de 30 jours lui a été imparti pour requérir une autorisation en bonne et due forme visant à régulariser l’affectation précise des locaux concernés. Pour le surplus, la sanction administrative portant sur la réalisation de travaux sans droit pourrait faire l’objet d’une décision séparée.

C. a. Par acte du 8 mars 2023, A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision du 3 février 2023 concluant à son annulation.

L’obligation prévue par l’art. 10 let. d LProst ne visait qu’à permettre au DT de vérifier et confirmer que l’affectation des locaux accueillant des prostituées était conforme à la LDTR, soit que l’activité était exercée dans des locaux commerciaux et non dans des locaux destinés à l’habitation dont l’affectation d’origine aurait été détournée sans autorisation.

Hormis la problématique des films translucides, les autres violations de la LCI n’étaient pas de son fait.

On ne saisissait pas pourquoi le DT exigeait le dépôt d’une autorisation de construire pour valider une affectation commerciale des locaux, reconnue de tout temps au fil des changements d’exploitants. Par ailleurs, le bâtiment n’avait jamais été modifié ni dans son aspect physique ni dans sa destination et aucune augmentation des nuisances n’avait été constatée.

Dans ces circonstances, elle n’était pas tenue de requérir une autorisation de construire, si bien que l’ordre qui lui avait été donné en ce sens était illicite. En conséquence, en ne donnant pas suite à l’injonction illicite du DT, elle n’avait pas violé la LCI et partant elle ne pouvait pas se voir infliger une amende de CHF 500.‑.

b. Le 15 mai 2023, le DT a transmis ses observations, accompagnées de son dossier. Il a conclu au rejet du recours.

c. Le 20 décembre 2023, après un second échange d’écritures, le TAPI a rejeté le recours (JTAPI/1425/2023).

La décision du 25 novembre 2022 n’était pas nulle. N’ayant pas été contestée dans le délai de dix jours, s’agissant d’une décision incidente, la question de la soumission à autorisation de construire pourrait être à nouveau soulevée, le cas échéant, dans le cadre d’un éventuel recours contre la décision finale et ainsi faire l’objet d’un examen en détail.

L’amende était fondée parce que A______A ne s’était pas conformée à l’ordre de déposer une autorisation de construire, non contesté, destiné à faire valider l’affectation précise des locaux qu’elle occupait.

Concernant la quotité de l’amende, bien qu’elle ne soit pas formellement critiquée, elle apparaissait très modeste par rapport à la fourchette possible prévue par la loi.

D. a. Par acte mis à la poste le 1er février 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant à son annulation ainsi qu’à celle de la décision du DT du 3 février 2023.

L’arcade était occupée avant 2009 par la société F______, active dans la surveillance, la conduite et l’entretien d’installations de chauffage, de ventilation et de climatisation, soit une activité également commerciale. Elle n’abritait que les bureaux et n’était donc pas ouverte au public.

Le jugement consacrait une violation de son droit d’être entendue en n’examinant pas le grief invoqué de l’illégalité de la décision incidente d’injonction du DT. Le TAPI avait commis un déni de justice la privant de contester le fondement de l’amende infligée. La chambre administrative devait statuer elle-même sur le fond du litige.

Le TAPI était parti du postulat qu’il y avait eu un changement de destination des locaux, ce qui n’était pas le cas. Le TAPI n’avait pas instruit cette question, ni établi les faits.

Sur le fond du litige, le DT avait commis une violation de l’art. 1 LCI, seules les modifications du volume, de l’architecture, de la couleur, de l’implantation, de la distribution ou de la destination d’une construction ou d’une installation étant soumises à autorisation. L’affectation commerciale était conforme à la zone et elle n’avait pas entrepris de travaux depuis 2009. Son arrivée n’avait pas entraîné de changement d’activité ni de destination au sens de l’art. 9 al. 6 du règlement relatif aux plans d'utilisation du sol de la Ville de Genève du 20 février 2007 (RPUS - LC 21 211).

L’injonction du DT était illicite, de sorte que l’amende ne reposait sur aucune base légale. Elle n’avait pas contrevenu à un ordre du DT qui lui aurait été donné dans les limites de la LCI au sens de l’art. 137 al. 1 LCI puisque précisément, dite injonction était illicite. L’amende l’était donc également.

b. Le 8 mars 2024, le DT a conclu au rejet du recours.

Le bien-fondé de l’ordre de requérir une autorisation de construire ne pouvait s’examiner qu’au terme de la procédure d’instruction d’une autorisation de construire. Cet examen était ainsi prématuré au stade de la présente procédure.

Les éléments en lien avec la problématique de l’assujettissement à l’autorisation de construire étaient, par conséquent, exorbitants au litige.

La faute de la recourante justifiait l’amende dans son principe et la quotité était justifiée.

c. Le 11 avril 2024, la recourante a répliqué, persistant dans son argumentation et ses conclusions.

d. Le 12 avril 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit d’une amende de CHF 500.-, infligée par l’autorité intimée, le 3 février 2023, au motif que la recourante n’avait pas déféré à l’ordre de déposer une demande d’autorisation de construire dans le délai fixé.

2.1 Selon l’art. 137 al. 1 LCI, est passible d’une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150’000.- tout contrevenant à la LCI, aux règlement et arrêtés décidés en vertu de la LCI ainsi qu’aux ordres donnés par le DT dans les limites de la LCI et des règlements et arrêtés édictés en vertu de celle-ci.

2.2 En l’espèce, l’infraction reprochée à la recourante est son refus d’exécuter l’ordre du DT de déposer une demande d’autorisation de construire. La recourante ne conteste pas n’avoir pas déposé une telle demande.

L’infraction est donc réalisée et l’amende justifiée dans son principe.

3.             La recourante estime que le dépôt d’une requête en autorisation de construire n’était pas nécessaire dans son cas et que donc, l’ordre et l’amende sont infondés. Son droit d’être entendue aurait été violé par l’absence d’examen de la légalité de l’ordre donné par le TAPI.

3.1 La décision initiale du DT se limite à exiger le dépôt d’une requête en autorisation de construire afin précisément de pouvoir l’instruire et déterminer, notamment, si un changement de destination ou d’affectation est autorisable ou, cas échéant, de constater qu’il n’y a pas de tel changement, et donc qu’une autorisation n’est pas nécessaire, comme le soutient la recourante.

3.2 En principe, comme l’a déjà jugé la chambre de céans, déposer une requête en autorisation n’impose que de simples démarches administratives et la requérante aura en conséquence tout loisir de faire valoir ses arguments dans le cadre de l’instruction de la requête puis, quelle que soit l’issue de celle-ci, dans la procédure de recours contre la décision rendue par le DT, notamment la question de la soumission à autorisation (ATA/361/2017 du 28 mars 2017 consid. 6b). Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’à l’issue de l’instruction de la demande d’autorisation de construire, le département considère qu’il n’y a pas de changement d’affectation (dans ce sens arrêt du Tribunal fédéral 1C_470/2008 du 11 novembre 2008 consid. 2.2).

Toutefois, la chambre de céans a également jugé qu’en cas d’amende prononcée pour inexécution de l’ordre de déposer une demande d’autorisation, il s’avérait nécessaire de contrôler la légalité de l’injonction à ce stade déjà pour éviter une violation de la garantie de l’accès au juge prévu à l’art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101 ; ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3).

4.             La recourante conteste la légalité de l’ordre donné par le DT, estimant notamment qu’aucun changement d’affectation des locaux n’a eu lieu et fait valoir dans ce cadre une violation de son droit d’être entendue, le TAPI n’ayant pas examiné cette question.

4.1 La jurisprudence déduit du droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 148 III 30 consid. 3.1 ; 142 II 154 consid. 4.2). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 148 III 30 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_548/2021 du 24 février 2023 consid. 5.2 ; ATA/936/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5b et les références).

Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle‑ci dispose d’un libre pouvoir d’examen en fait et en droit (art. 67 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d’être entendu, sous réserve que cette violation ne revête pas un caractère de gravité (art. 61 al. 2 LPA ; ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_257/2019 du 12 mai 2020 consid. 2.5 et les références citées ; 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5).

4.2 En l’espèce, le TAPI a certes indiqué vouloir examiner l’ordre donné par le DT de déposer une demande d’autorisation sous l’angle de la nullité. Il faut cela étant constater à la lecture du jugement, contrairement à ce que soutient la recourante, que le TAPI a bien examiné la justification donnée par le DT de l’ordre de déposer une autorisation de construire et notamment la conformité de la destination des locaux avec l’art. 9 RPUS, et conclu qu’aucun changement de destination n’avait manifestement été requis au moment de la prise de bail et qu’aucune régularisation ultérieure par le dépôt d’une autorisation de construire n’avait été faite (JTAPI/1425/2023 précité consid. 22).

Ce faisant, le TAPI est donc entré en matière sur l’examen de la légalité de l’ordre donné, même s’il a exposé s’être cantonné à l’examen de son éventuelle nullité. Il a abouti à la conclusion qu’à ce stade il ne lui appartenait pas d’examiner la question de la conformité du changement d’utilisation des locaux, celui-ci constituant l’objet même de la décision à rendre sur la demande d’autorisation de construire, distinct de l’objet de l’injonction contestée.

À ceci s’ajoute que la recourante a pu, sur la base de ce jugement, recourir en connaissance de cause, faisant valoir ses arguments en opposition à ceux développés par le TAPI et le DT.

En conséquence, le grief de violation du droit d’être entendu doit être écarté.

5.             Il convient donc d’examiner la légalité de l’injonction du DT dans les circonstances du cas d’espèce.

5.1 Sur tout le territoire du canton de Genève, nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation (art. 1 al. 1 let. a LCI).

5.2 Constituent notamment des travaux soumis à autorisation la modification, même partielle, du volume, de l’architecture, de la couleur, de l’implantation, de la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation (art. 1 al. 1 let. b)

5.3 Applicable aux locaux concernés, situés dans le secteur 2 du PUS, le RPUS prévoit que les changements de destination de surfaces de plancher sont soumis à autorisation du DT, même en l’absence de travaux, en application de l’art. 1 al. 1 let. b LCI.

5.4 L’art. 9 al. 1 RPUS prévoit qu’afin de développer l’animation et l’attractivité des quartiers concernés, en maintenant et en favorisant l’implantation des activités de manière harmonieuse, diversifiée et équilibrée, les surfaces au rez-de-chaussée des bâtiments doivent, pour la nette majorité de chaque surface, être destinées ou rester destinées à des activités accessibles au public, lorsqu’elles donnent sur des lieux de passage ouverts au public.

Le but d’intérêt public poursuivi par l’art. 9 al. 1 RPUS réside dans l’interdiction d’affecter à des bureaux fermés au public les surfaces au rez-de-chaussée donnant sur des lieux de passage ouverts au public, afin de lutter contre les « vitrines mortes », en particulier dans les zones fréquentées et animées (arrêt 1C_317/2009 du 15 janvier 2010 consid. 8.2).

5.5 Selon la jurisprudence de la chambre de céans (ATA /1399/2019 précité consid. 3.f), le DT peut, s’il constate que des travaux ou modifications énumérés à l’art. 1 al. 1 LCI ont apparemment été effectués sans qu’une autorisation ait été requise, ordonner au propriétaire et autres usagers au sens de l’art. 131 LCI de déposer une requête en autorisation afin de régulariser la situation. La légalité d’une telle injonction, reposant sur les art. 1 al. 1 et 129 LCI, a été confirmée par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 1C_557/2019 du 21 avril 2020 consid. 2.4). Cette manière de procéder concrétise le principe de proportionnalité s’imposant au DT lorsqu’il prend des mesures fondées sur l’art. 129 LCI, en particulier un éventuel ordre de remise en état en application de l’art. 129 let. e LCI : elle permet en effet de favoriser une régularisation progressive d’une situation potentiellement non conforme au sens de l’art. 130 LCI, en donnant notamment aux personnes intéressées la possibilité de s’exprimer et de collaborer à cette régularisation (ATA/1399/2019 précité consid. 3.f).

5.6 Dans le cas d’espèce, le DT a constaté lors de plusieurs visites dans les locaux concernés que des travaux et modifications tombant selon lui sous le coup de l’art. 1 al. 1 LCI avaient été effectués sans autorisation, parmi lesquels un changement de leur affectation. Il a en conséquence imparti à l’intimée, locataire desdits locaux et donc usagère au sens de l’art. 131 LCI (ATA/1174/2023 du 31 octobre 2023 consid. 8.3), un délai pour déposer une demande d’autorisation en vue de régularisation de la situation, faute de quoi elle s’exposerait à des sanctions. Il n’est pas contesté que cette décision du 25 novembre 2022 n’a fait l’objet d’aucun recours dans le délai de dix jours expressément mentionné par le DT, conformément à l’art. 62 al. 1 let. b LPA.

La recourante ayant procédé, avant l’expiration du délai imparti, à la régularisation d’un certain nombre des travaux et modifications exécutés sans autorisation, seul devait encore faire l’objet de la demande d’autorisation un éventuel changement d’affectation des locaux. Elle admet à cet égard ne pas avoir donné suite à l’injonction qui lui avait été signifiée, d’où le prononcé de l’amende litigieuse.

La recourante ne conteste pas à cet égard que cette amende constitue la conséquence du non-respect de la décision du 25 novembre 2022. Elle s’en prend toutefois à la validité de cette décision au motif que, selon elle, les locaux n’ont en réalité pas changé d’affectation et il n’y avait eu ni travaux ni modifications au sens de l’art. 1 al. 1 LCI nécessitant une autorisation.

Par cette argumentation, la recourante perd de vue que la décision incriminée ne porte pas sur la question de savoir s’il y a eu ou non changement d’affectation, et donc s’il y a eu ou non une opération devant être autorisée en application de l’art. 1 al. 1 LCI. Cette question doit en effet être tranchée dans la décision finale sur demande d’autorisation. L’ordre de déposer une requête d’autorisation constitue pour sa part, comme exposé dans la jurisprudence rappelée ci-dessus, une mesure au sens de l’art. 129 LCI engageant une procédure de régularisation d’une situation potentiellement non conforme. Il résulte à cet égard du dossier que l’affectation actuelle des locaux – un salon de massages – n’a jamais été autorisée par le passé : dans la mesure où un changement d’affectation de ce type est en principe soumis à autorisation en vertu de l’art. 1 al. 1 LCI en lien notamment avec les exigences de l’art. 9 al. 1 RPUS, le DT pouvait, sans violation du droit, enjoindre à la recourante de déposer une demande d’autorisation en vue de régulariser, si nécessaire, cette modification. Cette mesure est proportionnée aux intérêts public et privé en présence puisque la recourante, de même que le propriétaire s’il l’estime utile, pourront s’exprimer dans la procédure au fond sur la nécessité d’une autorisation et, le cas échéant, collaborer à la régularisation de la situation, étant rappelé que l’art. 129 let. b LCI prévoit l’interdiction d’utilisation ou d’exploitation de locaux non conformes.

L’injonction du DT du 25 novembre 2022 était donc conforme au droit. Il en va dès lors de même, en application de l’art. 137 al. 1 let. c LCI, de l’amende prononcée le 3 février 2023.

Le grief sera donc écarté et le principe de l’amende confirmée.

5.5 Sous l’angle de la quotité, le montant de l’amende n’est pas contesté par la recourante et il ne prête pas le flanc à la critique vu son faible montant.

En conséquence, le recours en tous points infondé doit être rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Steve ALDER, avocat de la recourante, au département du territoire - OAC ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :