Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1754/2024

ATA/840/2024 du 11.07.2024 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1754/2024-FPUBL ATA/840/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 11 juillet 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Thomas BARTH, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA

FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

_________



Attendu, en fait, que :

1. A______ a été nommé en tant que chargé d'enseignement à 60% auprès de l'office médico-pédagogique (ci-après : OMP), lequel dépend du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP). Il a par la suite été nommé maître généraliste, toujours auprès de l'OMP.

2. En septembre 2019, A______ a changé de supérieur hiérarchique direct.

3. Des entretiens « de régulation » ont eu lieu entre A______ et sa nouvelle supérieure hiérarchique les 18 juin, 20 août, 5 octobre, 26 novembre et 18 décembre 2020 ainsi que le 9 mars 2021. Des comptes rendus écrits en ont été tenus, lesquels ont été envoyés à A______.

4. Un entretien d'évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) s'est tenu en octobre 2021, dont le contenu est globalement négatif (sur onze compétences évaluées, aucune n'est considérée comme maîtrisée). Les commentaires de l'évaluatrice insistaient sur l'opacité des tâches de A______ et de son organisation, ainsi que sur son refus du changement et son sentiment de suspicion (contrôle excessif) à l'égard de sa hiérarchie.

Le procès-verbal n'a été signé ni par la personne évaluée, ni par l'évaluateur, ni par aucune tierce personne, et aurait été communiqué à A______ en avril 2022.

5. Le 23 mai 2023, A______ a été convoqué à un entretien de service en vue de l'entendre au sujet d'une éventuelle insuffisance des prestations fournies et/ou inaptitude à remplir les exigences du poste. Ce courrier était accompagné de nombreuses annexes, soit en particulier des échanges de courriels.

6. L'entretien de service a eu lieu le 9 juin 2023, en présence de A______, de sa responsable hiérarchique, de la responsable des ressources humaines (ci-après, respectivement : RH et RRH) ainsi que d'une assistante de direction.

Le procès-verbal – qui n'a été signé par aucun des participants précités – a été envoyé à A______ le 16 juin 2023.

Il était revenu sur les différents éléments ressortant des comptes rendus des entretiens précités. Les objectifs fixés depuis de nombreux mois n'étaient pas atteints et A______ avait mentionné ouvertement qu'il ne souhaitait pas modifier sa manière de travailler. Étaient notamment reprochés le refus de traiter certaines tâches, qui devaient être reprises par des collègues, des demandes restées sans réponse, des problèmes communicationnels et relationnels, ainsi qu'une absence de mise à jour de l'agenda électronique, du descriptif horaire (Time Sheet), du solde d'heures et des absences du bureau. Cette attitude générale et ce mode de fonctionnement semblaient avoir pour conséquences de créer des tensions et ne correspondaient pas à ce qui était attendu pour la bonne marche du service.

S'ensuivait une discussion au sujet de la situation du service, des tâches qui incombaient à A______ et de la manière dont il s'en acquittait. Selon ce dernier, la situation était due à un problème institutionnel et devait « pouvoir être résolue autrement que par la tenue de propos diffamatoires et d'entretiens de service ». À l'issue de l'entretien, A______ a été informé que la situation discutée était susceptible de conduire à une résiliation des rapports de service pour motif fondé. Si cette hypothèse devait être retenue, l'administration serait tenue, préalablement, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspondrait à ses capacités.

7. Par décision du 25 août 2023, déclarée exécutoire nonobstant recours, la conseillère d'État en charge du DIP a ouvert une procédure de reclassement à l'encontre de A______. Il était tenu d'y collaborer et avait la possibilité de faire des suggestions. Un bilan définitif serait dressé au terme des deux mois que durait la procédure selon l'art. 64A du règlement fixant le statut des membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles du 12 juin 2002 (RStCE - B 5 10.04).

8. Par acte posté le 8 septembre 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, et principalement à l'annulation de la décision attaquée, au constat de l'absence de motif fondé de licenciement et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

La cause a été enregistrée sous numéro A/2844/2023.

9. Par décision du 16 octobre 2023 (ATA/1130/2023), la présidence de la chambre administrative a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif au recours.

10. Par décision du 11 novembre 2023, le juge délégué a suspendu la cause A/2844/2023 en attente de l'issue de la procédure de reclassement.

11. Par décision du 23 avril 2024, déclarée exécutoire nonobstant recours, la conseillère d'État en charge du DIP a résilié les rapports de service de A______ pour motif fondé, avec effet au 1er août 2024.

Le constat avait été effectué que son action ne s'inscrivait pas dans le cadre institutionnel et qu'il n'assurait pas sa mission dans le respect des principes de service public. Il ne renseignait (sic) pas les outils à disposition s'agissant de ses horaires de travail et de ses activités, et ne remontait que très peu d'information à sa hiérarchie. Il ne montrait que très peu d'intérêt aux évolutions de l'office et effectuait son travail selon ses propres règles, sans respecter les demandes pourtant légitimes de ses supérieurs.

Par ailleurs, les démarches de reclassement n'avaient pas abouti.

12. Par acte déposé le 24 mai 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif, et principalement à l'annulation de la décision attaquée, à sa réintégration et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

La référence à la bonne marche de l'institution en tant que motif de déclarer la décision exécutoire nonobstant recours n'était ni suffisamment déterminée, ni suffisamment actuelle ou concrète pour comprendre quel était l'intérêt public prépondérant. Aucune circonstance ne justifiant l'exécution immédiate de la décision, l'effet suspensif devait être restitué.

Sur le fond, les reproches formulés par le DIP étaient contestés. Les divers entretiens avaient éludé le véritable problème, à savoir que son poste, à cheval sur deux services, n'avait jamais été clairement défini. Le DIP tentait de faire passer des événements isolés pour une attitude générale. Sa responsable hiérarchique avait en outre fait preuve dès son arrivée d'une grande hostilité à son égard. Il contestait avoir refusé de modifier sa manière de travailler. On lui reprochait de ne remonter que peu d'informations à sa hiérarchie, alors que les pièces produites prouvaient le contraire. Il n'y avait ainsi pas de motif fondé au licenciement. Le principe de la bonne foi ainsi que les règles en matière de reclassement avaient aussi été violés.

13. Le 25 juin 2024, le DIP a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

Ordonner la restitution de l'effet suspensif reviendrait à réintégrer le recourant, et donc à lui accorder ses conclusions à titre provisoire, ce qui était prohibé. L'intérêt privé du recourant à conserver son emploi devait céder le pas à l'intérêt public au bon fonctionnement de l'institution. Le recourant n'alléguait pas être en mesure de restituer les traitements perçus pendant la procédure en cas de rejet de son recours, alors que l'inverse était possible. Sur le fond, le recourant ne faisait que substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité.

14. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1. Le recours a été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un ou une juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3. Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

4. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 
253-420, p. 265).

L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; du 18 septembre 2018).

5. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

6. Selon l'art. 141 al. 1 de la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10), le Conseil d’État peut, pour motif fondé, résilier les rapports de service d’un membre du corps enseignant ; il peut déléguer cette compétence au conseiller d’État chargé du département agissant d’entente avec l’office du personnel de l’État. La décision est motivée. L’autorité compétente est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l’administration cantonale correspond aux capacités de l’intéressé. Les modalités sont définies par règlement (art. 141 al. 2 LIP).

Selon l'art. 141 al. 3 LIP, il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration scolaire, soit notamment en raison de : l'insuffisance des prestations (let. a), l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b) et la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c).

7. Lorsque les éléments constitutifs d'un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d'entretiens de service, un reclassement selon l'art. 141 al. 2 de la LIP est proposé pour autant qu’un poste soit disponible au sein de l’administration et que l’intéressé au bénéfice d'une nomination dispose des capacités nécessaires pour l’occuper (art. 64A al. 1 RStCE). Des mesures de développement et de réinsertion professionnels propres à favoriser le reclassement sont proposées (art. 64A al. 2 RStCE). L’intéressé est tenu de collaborer, et peut faire des suggestions (art. 64A al. 3 RStCE). Il bénéficie d’un délai de dix jours ouvrables pour accepter ou refuser la proposition de reclassement (art. 64A al. 4 RStCE). En cas de refus, d’échec ou d'absence de reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (art. 64A al. 6 RStCE).

8. a. La teneur de l'art. 147 LIP a changé le 25 mai 2024.

Avant cette date, l'art. 147 al. 1 prévoyait que si la chambre administrative retenait que la résiliation des rapports de service ou le non-renouvellement ne reposait pas sur un motif fondé, elle ordonnait à l’autorité compétente la réintégration.

Depuis l'entrée de la loi 12'868 le 25 mai 2024, l'art. 147 al. 1 LIP est abrogé et l'al. 2 a la teneur suivante : si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service ou le non-renouvellement ne repose pas sur un motif fondé ou est contraire au droit, elle peut proposer à l’autorité compétente la réintégration.

b. D'après les règles générales régissant la détermination du droit applicable, qui se déploient en l'absence de dispositions transitoires particulières, l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur est interdite.

9. En l'espèce, en tant que maître généraliste, le recourant est soumis à la LIP quand bien même il exerce des fonctions de type administratif.

Les conclusions sur effet suspensif visent à ce que le recourant obtienne, durant la procédure, ce qu’il réclame au fond, à savoir sa réintégration ; or, comme évoqué ci-dessus, les mesures provisionnelles ne sauraient normalement anticiper – même partiellement – le jugement au fond.

Il appartiendra à la chambre de céans de trancher la question du droit applicable dans l'arrêt au fond.

Si l'art. 147 al. 2 LIP, devait s'appliquer immédiatement dans sa nouvelle teneur, sa conclusion irait au-delà de ce que la chambre de céans pourrait lui allouer sur le fond, ce qui n'est pas envisageable.

Quand bien même l'ancienne teneur de l'art. 147 al. 1 LIP s'appliquerait, le recourant ne rend pas vraisemblable qu’il subirait un dommage difficilement réparable découlant du caractère exécutoire de la décision de licenciement. En effet, dans ce cas, et même si son poste était repourvu, la réintégration du recourant serait obligatoirement ordonnée par la chambre de céans s’il s’avérait qu’il n’existait pas de motif fondé justifiant le licenciement.

En outre, de jurisprudence constante, l'intérêt public à la préservation des finances de l’État est important et prime l’intérêt financier du recourant à percevoir son salaire durant la procédure (ATA/379/2024 du 13 mars 2024 ; ATA/227/2023 du 7 mars 2023).

En conséquence, la demande de restitution de l'effet suspensif au recours sera refusée.

10. Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

11. Sur la base des conclusions du recourant, le présent litige a une valeur litigieuse vraisemblablement supérieure à CHF 15'000.-.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Thomas BARTH, avocat du recourant ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

 

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :