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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/761/2023

ATA/495/2024 du 16.04.2024 sur JTAPI/670/2023 ( ICC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/761/2023-ICC ATA/495/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 avril 2024

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
19 juin 2023 (JTAPI/670/2023)


EN FAIT

A. a. A______, domiciliée dans le canton de Fribourg, est propriétaire de biens immobiliers sis B______nos 1______-2______-3______ à C______ dans le canton de Genève, sur la parcelle n° 2'218 de cette même commune (ci-après : les immeubles).

b. Elle a remis à l’administration fiscale cantonale genevoise (ci-après : AFC-GE) sa déclaration d’impôt fribourgeoise 2021, dont il résultait que le total des loyers perçus durant cette année-là se chiffrait à CHF 140'976.-.

c. Par bordereau d’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) du
30 novembre 2022, l’AFC-GE a taxé l’intéressée pour l’année 2021. La valeur fiscale des immeubles, de CHF 3'769'412.-, avait été déterminée en capitalisant le montant des loyers au taux de 3.74 %. L’AFC-GE avait également tenu compte de charges et frais d’entretien pour un montant de CHF 64'934.-.

B. a. Le 12 janvier 2023, A______ a élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau, en contestant la méthode d’estimation de ses immeubles.

La législation ne distinguait pas suivant que le bien immobilier à évaluer était neuf ou vétuste. Or, son immeuble était vieux de septante ans. Il convenait de tenir compte de sa valeur vénale et de retenir une valeur fiscale de CHF 3'072'045.-.

b. Par décision du 31 janvier 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation, au motif qu’un immeuble locatif devait être estimé par capitalisation du montant de ses loyers.

C. a. Par acte du 1er mars 2023, A______ a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) en concluant à l’annulation de la décision du 31 janvier 2023.

La valeur intrinsèque de ses immeubles s’élevait à CHF 3'116'000.-, ainsi qu’il ressortait d’une expertise effectuée par D______ SA datant du
14 décembre 2022. Elle ne s’opposait pas à ce que l’immeuble sis nos 2______-3______ B______fût qualifié d’immeuble locatif. Toutefois, celui situé au n° 1______ de cette même route ne constituait qu’un appartement en duplex qui devait être considéré soit comme faisant partie de l’immeuble entier, soit comme un immeuble contigu.

L’AFC-GE soutenait indûment que la valeur fiscale des immeubles locatifs devait être exclusivement calculée sur la base de la capitalisation de leurs loyers. Le législateur se contredisait puisque l’art. 52 al. 1 let. a de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) disposait que l’évaluation des immeubles locatifs était effectuée par le contribuable lui-même. Elle était traitée inéquitablement par l’AFC-GE, laquelle refusait de tenir compte des caractéristiques de ses immeubles.

En conséquence, elle devait être taxée comme indiqué dans sa réclamation ou, à tout le moins, conformément à l’expertise produite en annexe.

b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours. L’immeuble comportait quatre appartements, un local et plusieurs parkings, de sorte qu’il entrait dans la définition jurisprudentielle des immeubles locatifs. Sa valeur fiscale devait dès lors être calculée par capitalisation de ses loyers.

c. Dans sa réplique, la contribuable a persisté dans ses conclusions.

Elle était propriétaire d’un complexe immobilier. L’habitation sise à la B______n° 1______ comprenait un logement, celle située au n° 2______ était constituée de quatre logements et d’un local en location et celle se trouvant au n° 3______ contenait quatre logements loués. Le registre foncier (ci-après : RF) comportait une erreur en ce sens que les habitations situées aux nos 2______ et 3______ comportaient chacune deux logements. En réalité, quatre appartements se trouvaient dans chaque bâtiment. Il convenait d’organiser un transport sur place afin de faire constater cette inexactitude.

L’AFC-GE avait mal évalué sa fortune. Il convenait de soustraire du montant des loyers les coûts annuels de réparation et de restauration. Si ces dépenses n’étaient pas prises en considération, l’utilisation du principe de capitalisation apparaîtrait discriminatoire et inéquitable. La valeur fiscale des deux habitations contenant quatre logements (nos 2______ et 3______), évaluées de cette manière s’élevait à CHF 2'400'000.-. En revanche, celle qui ne comportait qu’un seul logement (n° 1______) devait être valorisée d’après son prix d’achat, en tenant compte de sa vétusté. Il en découlait que sa valeur fiscale devait être estimée à CHF 150'000.-. Le taux de capitalisation retenu ne pouvait être qu’un taux moyen, qui défavorisait les extrêmes. Il restait admissible du moment que le processus de taxation touchait tous les propriétaires d’immeubles locatifs de manière comparable. Le taux en question n’effectuait aucune distinction entre les différentes catégories de logement, ce qui était inéquitable.

L’AFC-GE devait lui fournir la liste anonymisée des biens sur lesquels elle s’était basée pour établir le taux de capitalisation applicable en 2021 en indiquant, pour chaque objet, l’année de construction de celui-ci. Cette demande était justifiée par l’obligation de transparence que devait respecter les autorités.

d. Dans sa duplique, l’AFC-GE a relevé que les logements litigieux se situaient tous sur la parcelle n° 2'218. Il s’agissait d’un seul immeuble, quand bien même celui-ci disposait de trois allées distinctes. L’AFC-GE produisait un plan de la parcelle et une photographie aérienne.

e. La contribuable a fait valoir que la photographie en question démontrait que trois immeubles juxtaposés étaient bâtis sur la parcelle n° 2'218.

f. Par jugement du 19 juin 2023, le TAPI a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

La notion d’immeuble locatif ne se rapportait pas au bien-fonds, en l’occurrence à la parcelle n° 2'218, mais aux biens immobiliers ou aux bâtiments. Selon le plan figurant au RF, l’immeuble comprenait trois bâtiments distincts, numérotés 4______, 5______ et 6______, qui devaient être évalués individuellement. Les habitations sises aux nos 2______ et 3______ comprenaient chacune plus de deux logements et constituaient dès lors des immeubles locatifs qui devaient être évalués par capitalisation du montant de leurs loyers conformément à l’art. 50 let. a LIPP.

Le bâtiment situé au n° 1______ constituait cependant, selon le RF, une habitation à un seul logement et ne pouvait être considéré comme un immeuble locatif, mais comme un « autre immeuble » (art. 50 let. e LIPP), de sorte que le recours devait être admis sur ce point et le dossier renvoyé à l’AFC-GE pour nouvelle évaluation.

Les coûts annuels de réparation et de restauration ne pouvaient cependant pas être retranchés des loyers perçus, puisque ni la loi, ni la jurisprudence ne l’autorisaient. Le résultat serait au demeurant absurde, puisque la valeur fiscale d’un bien rénové serait ainsi inférieure à celle du même bien sans travaux.

Enfin, les taux de capitalisation ne constituaient que des moyennes, qui présentaient un caractère schématique. L’art. 25 du règlement d'application de la loi sur l'imposition des personnes physiques 13 janvier 2010 (RIPP - D 3 08.1) était conforme aux exigences posées par la jurisprudence, puisqu’il distinguait notamment les immeubles locatifs de logement, d’une part, et les immeubles HBM, HLM, HCM et HM, d’autre part.

D. a. Par acte du 21 juillet 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de ce jugement, concluant à « l'admission du recours » et à la modification des taux de capitalisation.

La méthode utilisée par l’AFC-GE pour évaluer la valeur fiscale des immeubles locatifs n’était pas soutenable et avait pour effet de lui faire payer un impôt disproportionné, revenant à lui confisquer sa fortune. Cette méthode standardisée qui se basait sur des statistiques désavantageait un certain groupe de contribuables. La valeur fiscale devait correspondre à la valeur vénale. L’AFC-GE faisait une différence entre les immeubles commerciaux selon la zone dans laquelle ils se trouvaient, ce qui n’était pas le cas pour les logements locatifs. La commune de C______, où se trouvaient les logements, ne disposait pas de tous les services (transports, écoles, services sanitaires, approvisionnement ou encore culture), ce qui avait un effet négatif sur la possibilité de trouver des locataires. Le fait que les immeubles se trouvaient en zone 5 avait un impact sur leur valeur vénale, fait dont il n’était pas tenu compte et qui créait une inégalité systématique. L’ancienneté de l’immeuble devait également être prise en compte pour l’évaluation de sa valeur fiscale. Il convenait dès lors de soustraire aux revenus locatifs les coûts de remise en état des immeubles et de tenir compte de leur vétusté et de leur ancienneté.

Par complément de recours spontané du 24 juillet 2023, la recourante a fait valoir que la valeur de rémunération des locataires ne correspondait pas au rendement. C'était de ce dernier qu’il fallait tenir compte.

b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La contribuable ne contestait pas la solution retenue par le TAPI en tant que telle, mais critiquait, de façon générale, les dispositions fiscales genevoises en matière d’évaluation des biens immobiliers, plus particulièrement celle utilisée pour évaluer les immeubles locatifs.

Or, cette méthode avait été confirmée à de nombreuses reprises par le Tribunal fédéral, puisqu’elle respectait l’art. 14 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). Il avait de plus été tenu compte de la réduction cantonale liée au bouclier fiscal.

c. Dans sa réplique, la recourante a persisté dans ses conclusions et a subsidiairement conclu au renvoi de la cause à l’AFC-GE pour nouvelle décision.

Pour l’année 2021, la valeur vénale des biens immobiliers était de CHF 1'814'400.- et c’était ce montant qui devait être pris en considération. L’évaluation des immeubles par l’AFC-GE en capitalisant l’état locatif annuel à un taux fixé par le Conseil d’État créait une discrimination. L’AFC-GE était également tenue de prendre en compte l’âge des immeubles qui servaient de logement. Le système genevois était ainsi contraire à l’art. 14 LHID, puisque la valeur fiscale retenue par l’AFC-GE (CHF 3'769'412.-) dépassait de 110% la valeur vénale calculée sur la base du prix d’achat en 1986.

L’ancienneté des immeubles constituait un facteur de différenciation. Ne pas tenir compte de l’âge des bâtiments constituait une inégalité de traitement et l’AFC-GE avait fait preuve d’arbitraire.

Une partie des revenus locatifs était destinée à maintenir en état les immeubles, ce qui devait être pris en compte pour le calcul du rendement.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             L’objet du litige porte sur l’évaluation des immeubles locatifs effectuée par l’AFC‑GE.

3.             La recourante conteste la conformité à l’art. 14 LHID du caractère schématique du taux de capitalisation cantonal en matière d’évaluation des immeubles locatifs.

3.1 L'impôt sur la fortune a pour objet l'ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID). La fortune est estimée à la valeur vénale. Toutefois, la valeur de rendement peut être prise en considération de façon appropriée (art. 14 al. 1 LHID).

3.2 L’art. 14 al. 1 LHID laisse une importante liberté aux cantons pour élaborer et mettre en œuvre leur réglementation, aussi bien quant au choix de la méthode de calcul applicable pour estimer la valeur vénale que pour déterminer, compte tenu du caractère potestatif de l'art. 14 al. 1, 2ème phrase LHID, dans quelle mesure le critère du rendement doit, le cas échéant, également être intégré dans l’estimation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_953/2019 du 14 avril 2020 consid. 4.1). Un certain schématisme est admis en la matière, pourvu que l’évaluation ne soit pas fondée sur le seul critère du rendement et qu’elle n’aboutisse pas à des résultats qui s’écartent exsessivement de la valeur vénale (ATF 134 II 207 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_874/2010 du 12 octobre 2011 consid. 3.1 ; ATA/1401/2021 du 21 décembre 2021 consid. 4a ; ATA/1728/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3b). Les cantons ne peuvent ainsi pas prévoir des règles d’évaluation tendant de manière générale à une sur- ou sous-estimation des immeubles, par exemple en instituant un abattement automatique de leur valeur vénale pour en déterminer la valeur fiscale, ou en fondant l’imposition sur un pourcentage de la valeur vénale (ATF 134 II 207 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_194/2018 du 1er octobre 2018 consid. 5.1).

La valeur vénale correspond à la valeur du marché objective d'un immeuble, à savoir la valeur qui serait vraisemblablement obtenue lors d'une aliénation dans les conditions usuelles des affaires (ATF 128 I 240 = RDAF 2003 II 219 ; 124 I 193 consid. 4b ; Ernst BLUMENSTEIN/Peter LOCHER, System des schweizerischen Steuerrechts, 6ème éd., 2002, p. 235 ; Felix RICHNER/Walter FREI/Stefan KAUFMANN, Kommentar zum harmonisierten Zürcher Steuergesetz, Zurich 1999, n. 5 ad § 39).

La valeur vénale au sens du droit fiscal ne correspond pas à une valeur que l’on peut déterminer exactement de manière mathématique mais, en règle générale, à une valeur d’estimation ou de comparaison. Dans la mesure où toute estimation, quelle que soit la méthode utilisée, aboutit à une certaine marge, variable, d’inexactitude, il est admissible de fixer la valeur déterminante pour l’impôt sur la fortune des immeubles sur la base d’estimations prudentes, schématiques, même si cela a pour conséquence que les valeurs ainsi déterminées divergent dans une certaine mesure des valeurs effectives du marché (ATF 128 I 240 consid. 3.2.2 ; ATA/1401/2021 précité consid. 4b ; ATA/394/2008 du 29 juillet 2008 consid. 4b).

3.3 Dans le canton de Genève, la LIPP précise que l'état de la fortune mobilière et immobilière est établi au 31 décembre de l'année pour laquelle l'impôt est dû
(art. 49 al. 1 LIPP). La fortune est estimée, en général, à la valeur vénale (art. 49
al. 2 LIPP), soit la valeur attribuée à un objet sur le marché des échanges économiques, lors d’un achat ou d’une vente dans des conditions normales ; lorsque la valeur vénale d’un élément de fortune est donnée par le résultat d’une transaction ayant eu lieu sur le marché libre, elle devient la valeur fiscale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_442/2012 du 14 décembre 2012 consid. 4.4).

3.4 Les immeubles situés dans le canton sont estimés d'après l'art. 50 LIPP, qui pose des principes d'évaluation différents selon le type d'immeuble considéré (immeuble locatif [let. a] ; immeuble servant exclusivement et directement à l'exploitation d'un commerce [let. b] ; immeuble servant à l'exploitation agricole et sylvicole [let. c] ; autres immeubles [let. d] ; etc.).

L’art. 50 LIPP établit les principes d’évaluation des immeubles situés dans le canton. La valeur des immeubles locatifs est calculée, en capitalisant l'état locatif annuel aux taux fixés chaque année par le Conseil d'État, sur proposition d'une commission d'experts, composée paritairement de représentants de l'administration fiscale et de personnes spécialement qualifiées en matière de propriétés immobilières et désignées par le département. L'état locatif annuel se détermine d'après les loyers obtenus des locaux loués et des loyers qui pourraient être obtenus de ceux susceptibles d'être loués, y compris ceux occupés par le propriétaire et sa famille (let. a). Les autres immeubles, notamment les villas, parcs, jardins d'agrément, ainsi que les immeubles en copropriété par étage, sont estimés en tenant compte du coût de leur construction, de leur état de vétusté, de leur ancienneté, des nuisances éventuelles, de leur situation, des servitudes et autres charges foncières les grevant, de prix d'achats récents ou d'attribution ensuite de succession ou de donation et des prix obtenus pour d'autres propriétés de même nature qui se trouvent dans des conditions analogues, à l'exception des ventes effectuées à des prix de caractère spéculatif (let. e).

En application de ces dispositions, le Conseil d'État fixe chaque année, à l'art. 25 RIPP, le taux de capitalisation applicable sur la base des transactions constatées sur le marché immobilier entre le 1er janvier de l'année précédant l'année fiscale et le 30 juin de l'année fiscale.

L'art. 25 al. 3 RIPP mentionne les taux de capitalisation applicables en distinguant les immeubles de logements (3.74% en 2021), les immeubles HBM, HLM, HCM et HM (5.35% en 2021), les immeubles commerciaux et autres immeubles locatifs situés dans les zones d'affectation du sol 1 et 2 (3.69% et 3.48% en 2021), et les immeubles commerciaux et autres immeubles locatifs situés dans les autres zones (3.96% en 2021). Les zones 1 et 2 comprennent les quartiers de la ville qui se trouvent dans les limites des anciennes fortifications ainsi que les quartiers édifiés sur le territoire des anciennes fortifications et des quartiers nettement urbains qui leur sont contigus (art. 19 al. 1 let. a et b de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30).

3.5 Le Tribunal fédéral a jugé que l'évaluation des immeubles locatifs sis dans le canton de Genève sur la base du critère de capitalisation de l'état locatif annuel au taux fixé par une commission d'experts était conforme aux exigences posées par l'art. 14 LHID (ATF 134 II 2017 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_194/2018 précité consid. 5.3 ; 2C_442/2012 précité consid. 4.4 ; 2C_316/2010 du 29 juillet 2010 et 2C_820/2008 du 23 avril 2009).

Il a considéré que la règle spécifique prévue par le droit genevois pour évaluer les immeubles locatifs s'insère dans le cadre défini largement par l'art. 14 al. 1 LHID : le principe de la capitalisation de l'état locatif inscrit à l'art. 50 let. a LIPP renvoie à la valeur de rendement, tandis que la prise en considération, pour déterminer le taux de capitalisation applicable, des transactions constatées sur le marché ou, pour les immeubles de logements, de l'âge de ces derniers (art. 50 let. a LIPP en lien avec l'art. 25 al. 1 et 3 RIPP), se réfère à des critères qui relèvent plus particulièrement de la valeur vénale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_820/2008 précité consid. 3.3). Le taux de capitalisation des immeubles locatifs au sens de l'art. 50 let. a LIPP est ainsi calculé non pas de manière abstraite, mais en fonction des transactions réalisées durant une période donnée (ATF 134 II 207 consid. 3.8 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_442/2012 précité consid. 4.4 ; 2C_316/2010 précité consid. 3.3 ; 2C_820/2008 précité consid. 3.3 et 5.2).

La fixation schématique de la valeur vénale et les règles pour l’élaboration desquelles les cantons disposent d’une large marge de manœuvre, notamment en ce qui concerne la prise en considération de la valeur de rendement, n’ont cependant qu’une portée subsidiaire. Elles trouvent seulement application pour fixer la valeur vénale d’un immeuble qui n’a pas fait l’objet d’une vente récente. En effet, en raison du principe de droits fédéral et cantonal selon lequel la fortune est estimée à la valeur vénale soit la valeur attribuée à un objet sur le marché des échanges économiques, lors d'un achat ou d'une vente dans des conditions normales, lorsque la valeur vénale d'un élément de fortune est donnée par le résultat d'une transaction ayant eu lieu sur le marché libre, elle devient la valeur fiscale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_442/2012 précité consid. 4.4 ; 2C_316/2010 précité consid. 3.3 ; ATA/670/2014 précité consid. 6b).

En revanche, à la différence d'une vente effectivement réalisée, une expertise même effectuée par un cabinet de conseils immobiliers renommé ne peut aboutir qu'à une estimation, laquelle comporte inévitablement des éléments d'appréciation. Dans ces circonstances, lorsque le prix établi par l'expertise diverge de la valeur fiscale, on ne saurait en déduire d'emblée que cette dernière est arbitraire (arrêts du Tribunal fédéral 2C_442/2012 précité consid. 5.4 ; 2C_820/2008 du 23 avril 2009 consid. 6.3 ; ATA/482/2014 du 24 juin 2014 consid. 3b et 4).

3.6 En l’espèce, il n’est pas contesté que les immeubles en cause n’ont pas fait l’objet d’une vente récente permettant d’établir leur valeur vénale.

Dans ce contexte, la recourante a produit une expertise de D______ SA, dont la valeur pour les immeubles locatifs concernés est de CHF 3'116'000.-, soit un montant pas si éloigné de celui retenu par l’AFC-GE résultant du calcul effectué selon les modalités prévues par la loi. L’intimée n’était cependant pas tenue de tenir compte de la valeur exacte de l’expertise, puisqu’elle n’établit pas qu’en cas de vente de leurs immeubles locatifs, ces valeurs vénales seraient effectivement appliquées. Conformément à la jurisprudence rappelée plus haut, le seul fait que les valeurs vénales estimées par l’expertise produite divergent des valeurs fiscales retenues ne saurait indiquer d’emblée que ces dernières sont arbitraires.

Dans le cadre de son recours devant la chambre administrative, la recourante a, pour la première fois, soutenu que la valeur vénale des biens immobiliers locatifs devait être calculée sur la base du prix de vente en 1986 et s’élèverait à CHF 1'632'255.-. Ce faisant, la recourante se contredit elle-même puisqu’elle soutenait, devant l’AFC-GE, que la valeur vénale était de CHF 3'072'045.- (courrier du
12 janvier 2023), puis devant le TAPI que le bien avait été expertisé à
CHF 3'116'000.- et que c’est cette valeur vénale qui devait être prise en compte. Le montant de CHF 1'632'255.- avancé par la recourante ne repose sur aucune base légale. L’AFC-GE n’a ainsi aucunement violé le droit en retenant, comme la loi le prévoit, la capitalisation des loyers pour les immeubles locatifs.

La recourante perd en outre de vue que ce mode de calcul a effectivement été validé par le Tribunal fédéral, dans une jurisprudence constante. De plus, l’art. 25 RIPP prévoit une adaptation du taux de capitalisation applicable sur la base des transactions constatées sur le marché immobilier entre le 1er janvier de l’année précédant l’année fiscale et le 30 juin de l’année fiscale. Ainsi, pour l’année 2021, le taux de capitalisation applicable aux immeubles locatifs a fait l’objet de variations. À teneur de la loi, l’adaptation annuelle de ces taux de capitalisation résulte de surcroît de la proposition d’une commission d’experts, composée de spécialistes en la matière. En ces circonstances, c’est à juste titre que l’intimée a retenu que, conformément aux principes de la légalité et de l’égalité de traitement, il convenait d’appliquer strictement le taux de capitalisation. En effet, évaluer un immeuble en fonction de sa situation précise ou de ses caractéristiques spécifiques reviendrait à contourner le système élaboré par le législateur à cette fin.

Quant à l’ancienneté des immeubles, l’art. 50 let. a LIPP ne prévoit pas, contrairement à sa let. e, de prendre en compte ce critère dans la fixation de la valeur vénale. Ainsi, prendre en considération cet élément reviendrait à s’écarter de la volonté claire du législateur qui a prévu ce cas de figure pour les « autres bâtiments » et l’a exclu pour les immeubles locatifs.

La recourante ne soutient au demeurant pas que les taux de capitalisation appliqués in casu par l’intimée, tels qu’ils ressortent des dispositions réglementaires y relatives, seraient erronés.

Au vu de ce qui précède, ce grief sera écarté.

4.             La recourante considère qu’afin de déterminer la valeur fiscale de l’immeuble, il convient de retrancher de l’état locatif les coûts annuels de réparation et de restauration.

Or, comme l’a à juste titre relevé le TAPI, ni l’art. 50 let. a LIPP, ni la jurisprudence ne prévoient que de tels frais soient déduits de la valeur locative. L’AFC-GE a cependant tenu compte de charges et frais d’entretien pour un montant de
CHF 64'934.- dans le bordereau d’impôts.

Mal fondé, ce grief devra également être écarté.

5.             La recourante soutient que son imposition serait confiscatoire.

5.1 Aux termes de l'art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. En matière fiscale, cette disposition ne va pas au-delà de l'interdiction d'une imposition confiscatoire, laquelle porte atteinte à l'institution même et au noyau essentiel de la propriété privée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_579/2009 du 25 juin 2010 consid. 6.2 ; ATA/223/2019 du 5 mars 2019 consid. 16c). Pour juger si une imposition a un effet confiscatoire, le taux de l'impôt exprimé en pour cent n'est pas seul décisif ; il faut examiner la charge que représente l'imposition sur une assez longue période, en faisant abstraction des circonstances extraordinaires ; à cet effet, il convient de prendre en considération l'ensemble des circonstances concrètes, la durée et la gravité de l'atteinte ainsi que le cumul avec d'autres taxes ou contributions et la possibilité de reporter l'impôt sur d'autres personnes (ATF 143 I 73 consid. 5 ; 
128 II 112 consid. 10b/bb ; 106 Ia 342 consid. 6a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_324/2017 du 28 juillet 2017 consid. 3.1 ; 2C_837/2015 du 23 août 2016 consid. 4.1) ou encore le fait que l'impôt sur la fortune devait en principe pouvoir être couvert par les rendements de celle-ci (ATF 106 Ia 342 consid. 6b).

Le Tribunal fédéral fait preuve d'une grande retenue dans l'admission du caractère confiscatoire d'une imposition, qu'il n'a constaté qu'à une reprise, dans le cadre d'une rente viagère constituée par disposition pour cause de mort, relativement à laquelle l'impôt sur les successions et l'impôt sur le revenu, combinés, représentaient 55% du montant des rentes d'une personne ayant une capacité contributive réduite (ATA/125/2018 du 6 février 2018 ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., 2021, p. 48 n. 50).

Il avait notamment admis que le noyau essentiel de la propriété privée n'était pas touché si, pendant une courte période, le revenu à disposition ne suffisait pas à s'acquitter de la charge fiscale sans entamer la fortune (ATF 143 I 73 consid. 5 ; 
106 Ia 342 consid. 6c ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_324/2017 précité
consid. 3.1 ; 2C_277/2008 du 26 septembre 2008 consid. 4.1, in RDAF 2007 I 573).

Au plan cantonal, la chambre de céans a jugé confiscatoire une imposition totale sur le revenu et la fortune représentant 98,5% du revenu imposable des recourants, dont la situation sur ce point était durable (ATA/771/2011 du 20 décembre 2011 consid. 9). Elle est arrivée à la même conclusion s'agissant d'une imposition totale (fédérale, cantonale et communale) équivalant à 92,36% du revenu imposable ICC de la contribuable, ce qui épuisait la substance de l'objet imposable et empêchait sa reconstitution, l'atteinte s'inscrivant au demeurant dans la durée (ATA/818/2012 du 4 décembre 2012 consid. 9). En revanche, la chambre administrative a nié, à de nombreuses reprises, le caractère confiscatoire de l'imposition en présence de situations exceptionnelles ou qui ne s'inscrivaient pas dans la durée (ATA/329/2018 du 10 avril 2018 ; ATA/168/2018 du 20 février 2018 ; ATA/1264/2015 du
24 novembre 2015).

5.2 Au 1er janvier 2011, le législateur genevois a décidé d'étendre la protection du patrimoine des justiciables et de concrétiser le principe de l'interdiction confiscatoire avec l'entrée en vigueur d'un nouvel art. 60 LIPP. Cette disposition prévoit une limite fixe de taxation en pourcent et permet ainsi la mise en place du bouclier fiscal à Genève.

Pour les contribuables domiciliés en Suisse, les impôts sur la fortune et sur le revenu – centimes additionnels cantonaux et communaux compris – ne peuvent excéder au total 60% du revenu net imposable. Toutefois, pour ce calcul, le rendement net de la fortune est fixé au moins à 1% de la fortune nette (art. 60 al. 1 LIPP).

5.3 Lorsqu'il fait valoir que l'impôt a un caractère confiscatoire, le contribuable, qui a la charge de la preuve (ATA/168/2018 précité consid. 6), ne peut se limiter à alléguer celui-ci sans aucune démonstration de sa réalité, le seul niveau d’imposition ne suffisant pas à cet égard (ATA/168/2018 précité consid. 6 ; ATA/779/2015 du 28 juillet 2015 consid. 5d ; ATA/781/2015 du 28 juillet 2015 consid. 4c).

5.4 En l’espèce, la recourante se contente d’alléguer que la décision de l’AFC-GE conduirait à lui faire payer un impôt disproportionné et contribue à confisquer son patrimoine.

Toutefois, au vu des bases légales et de la jurisprudence mentionnées ci-dessus, ces seuls éléments ne suffisent pas à considérer que son imposition serait confiscatoire. En particulier, l’atteinte au patrimoine de la recourante dans la durée n’a pas été démontrée. Cette dernière a de plus bénéficié du bouclier fiscal.

En ces circonstances, la recourante supportant le fardeau de la preuve, il n’y a pas lieu d’examiner plus en détail si son imposition serait confiscatoire.

Ce grief doit donc être écarté. Par conséquent, entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 juillet 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 juin 2023 ;

 

 

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'administration fiscale cantonale.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :