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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3043/2022

ATA/254/2024 du 27.02.2024 sur JTAPI/496/2023 ( LCI ) , ADMIS

Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE;CONSTRUCTION DE ROUTES;ROUTE COMMUNALE;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;SERVITUDE;RESTRICTION DE DROIT PUBLIC À LA PROPRIÉTÉ
Normes : LCI.59.al4.leta; CC.680.al1
Résumé : Admission du recours de la commune contre l’octroi d’une autorisation de construire en procédure accélérée visant la modification de certains éléments d’une autorisation définitive de construire un habitat groupé en zone 5, qui a été antérieurement délivrée en vertu de la dérogation prévue à l’art. 59 al. 4 let. a LCI et qui est entrée en force. Non-respect de la servitude demandée par la commune, sur une bande de 2 m de la parcelle en cause le long d’une route communale principale aux fins d’élargissement de celle-ci et à usage de route, lors de l’instruction de l’autorisation définitive relative à l’habitat groupé. Ancrage juridique de ladite servitude dans l’autorisation définitive précitée compte tenu de l’interprétation objectivée de son texte conformément au principe de la confiance et des circonstances particulières du cas d’espèce, en particulier des pièces claires et précises relative à la constitution de la servitude ainsi que de son objet (élargissement d’une route communale principale) et de la réglementation cantonale topique relative à cet objet. Admission in casu d’une restriction légale indirecte à la propriété au sens de l’art. 680 al. 1 CC, qui existe indépendamment de son inscription au registre foncier. Annulation du jugement et de l’autorisation en procédure accélérée querellés.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3043/2022-LCI ATA/254/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

3ème section

 

dans la cause

COMMUNE A______ recourante
représentée par Me Guillaume FRANCIOLI, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC

B______ SA

Hoirie de Feue C______, soit pour elle D______ et E______ et F______, ainsi que G______, H______, I______, J______ et K______

L______, M______ et N______
représentés par Me Andreas FABJAN, avocat intimés

_________

 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mai 2023 (JTAPI/496/2023)


EN FAIT

A. a. À la suite de la demande de la société B______ SA
(ci-après: B______ SA), le département du territoire a, le 16 janvier 2019, accordé l'autorisation de construire DD 1______ portant sur la réalisation d'un habitat groupé (THPE 46.3%) avec parking souterrain sur la parcelle no 5'315 (résultant du regroupement des anciennes parcelles nos 4'845 et 4'847), située en zone 5, sur le territoire de la commune A______. Cette décision a été publiée le même jour dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO).

L’autorisation a été accordée, sur la base de l’art. 59 al. 4 let. a de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), conformément aux conditions mentionnées dans les préavis cités à son chiffre 5, qui devaient être strictement respectées et en faisaient partie intégrante. Parmi ces préavis figurait celui de la direction générale des transports (ci-après : DGT) du 24 septembre 2018, favorable sous conditions ; il posait, à titre de condition, un trottoir continu et abaissé le long du chemin O______ au niveau du débouché sur le domaine public de la rampe d’accès du parking souterrain. La liste des préavis ne contenait pas celui de la commune. À la fin de la décision, sous la forme d’un « nota bene » mis en évidence, figurait la phrase suivante : « Veuillez trouver, ci-joint, pour information, une copie du préavis de la commune A______ du 12 octobre 2018 ainsi qu’une copie du préavis de l’Office cantonal de l’énergie du 7 juin 2018 concernant les souhaits ».

Ledit préavis de la commune était favorable « sous réserves ». Outre le maintien de certains arbres et des replantations compensatoires d’espèces indigènes, la commune a indiqué ce qui suit : « Avant la délivrance de l’autorisation de construire, les propriétaires/requérants s’engagent à établir une servitude à usage de route, conformément au plan mobilité accès stationnement du 10.09.2018 et à l’extrait cadastral (1:250) du 12.09.2018 ». Ledit plan prévoyait non seulement les places de stationnement pour les habitants, les visiteurs, les vélos et les véhicules motorisés à deux roues, mais également une bande de 2 m sur la parcelle, le long du chemin O______ ; cette bande était libre de construction, le mur de soutènement ne l’empiétant pas. Le chemin O______ est une voie publique communale.

b. Lors de l’instruction de ladite demande, la commune avait, le 20 août 2018, informé le département que l’implantation du projet de construction était trop proche de l’axe du chemin O______ et empêchait son développement futur. Elle demandait l’établissement, en sa faveur, d’une servitude à destination d’élargissement de route d’une largeur de 2 m sur l’ancienne parcelle no 4845 le long du chemin O______.

c. Le 29 novembre 2018, l’architecte chargé du projet avait répondu à la commune en lui transmettant les documents suivants, établis par la notaire qui, selon les termes du courrier, s’engageait « à établir la servitude dès que [la commune] le demander[ait] ».

Dans un document intitulé « Attestation à qui de droit » et daté du 26 novembre 2018, la notaire avait certifié avoir été mandatée « aux fins d’instrumenter un acte portant : constitution d’une servitude de passage à destination de chemin et/ou de route au profit de la Commune A______ sur la parcelle 4’845, même commune, copropriété pour moitié [de la propriétaire d’alors] et pour l’autre moitié [d’une communauté héréditaire existant entre deux personnes en propriété commune], qui s’exercera conformément à l’assiette représentée en rouge sur le plan de servitude établi par le bureau d’ingénieurs géomètres officiels […], en date du 15 novembre 2018, dont copie ci-jointe ». Ce plan de servitude signalait, en rouge, les termes « ORIGINAL RF » et une bande de 2 m sur la parcelle no 4’845, qui représentait un passage à « destination de chemin, de route » selon la légende y relative, avec la précision « dossier établi sous forme numérique ».

Dans un courrier du 26 novembre 2018 adressé à l’architecte, la notaire lui avait remis « [son] engagement de constitution de la servitude de passage à destination de chemin et/ou de route au profit de la Commune A______ sur la parcelle 4’845, qu’[elle lui] laiss[ait] le soin de transmettre à qui de droit ».

B. a. À une date non précisée mais antérieure au 16 décembre 2021, I______, L______, M______, N______, G______, H______, feue C______ dont sa hoirie sont D______, E______ et F______, K______ et J______ (ci-après : les copropriétaires) sont devenus copropriétaires de la parcelle no 5'315, dans le cadre de la vente des biens issus du projet de construction susmentionné DD 1______.

C. a. Le 16 décembre 2021, B______ SA a déposé une nouvelle demande d’autorisation de construire auprès du département, en procédure accélérée, visant la construction d’un portail d’accès pour véhicules et d’une zone « poubelle » (qui était une zone de levée d’ordures), la modification de la rampe d’accès au sous-sol, le déplacement des places de parcs extérieurs ainsi que la démolition et reconstruction d’un mur (APA 2______). Le coût estimé des travaux était de CHF 50'000.- et leur durée prévue pour deux mois.

b. Dans le cadre de l’instruction de cette demande, les services spécialisés consultés ont préavisé positivement ce projet avec, parfois, des conditions et/ou souhaits. En particulier, l’office cantonal des transports (ci-après : OCT, remplaçant la DGT) a émis, le 30 mars 2022, un préavis favorable avec souhaits. Ceux-ci étaient liés à la rampe d’accès au parking souterrain pour faciliter l’accès des vélos à leur zone de stationnement et à la largeur de la place de stationnement visiteurs, située après le portail donnant accès à la propriété, pour faciliter les manœuvres des véhicules s’y stationnant.

c. La commune a, le 5 avril 2022, émis un préavis défavorable. Elle a réitéré l’établissement, en sa faveur, d’une servitude à destination d’élargissement de route d’une largeur de 2 m sur l’ancienne parcelle no 4’845, le long du chemin O______ et produit les pièces susmentionnées relatives à la procédure antérieure DD 1______, dont sa demande du 20 août 2018, son précédent préavis, le plan « mobilité, accès, stationnement » du 10 septembre 2018 ainsi que l’engagement de la notaire du 26 novembre 2018 et le plan de servitude du 15 novembre 2018. Elle a refusé la zone poubelle proposée le long du chemin O______. Le mur perpendiculaire au chemin O______ se situait dans la bande de 2 m de la servitude demandée. Elle a renouvelé sa proposition d’une entrevue entre la mairie et les copropriétaires, les mandataires et les éventuels services cantonaux pour discuter entre autres des questions de servitude, d’une convention et de la modification du projet.

d. En mai 2022, une séance a réuni des représentants de la commune, des copropriétaires et l’architecte du projet, au sujet de la servitude de 2 m demandée dans le préavis communal du 20 août 2018 relatif à la DD 1______. Les copropriétaires indiquaient que l’acte de vente ne mentionnait pas la promesse d’engagement pour la constitution d’une servitude en faveur de la commune et donc s’y opposaient. Ils relevaient que le préavis communal était consultatif et ne faisait pas partie intégrante de l’autorisation de construire DD 1______. La commune confirmait ce dernier point mais rappelait sa position. Elle souhaitait établir une servitude de 2 m en sa faveur en raison des projets communaux en cours de développement, comme l’étude d’une zone de rencontre sur le quai A______, la potentielle P______ ou encore l’amélioration de la mobilité douce (piste cyclable, trottoir non-linéaire). Elle avait accepté la dérogation à l’indice d’utilisation des sols sous réserve de la constitution d’une servitude. Elle avait obtenu l’engagement à ce sujet de la part de la notaire, raison pour laquelle elle n’avait pas recouru contre l’octroi de l’autorisation DD 1______. L’architecte précisait ne pas avoir été intégré dans les actes de vente de sorte qu’il n’avait pas pu informer du manquement à l’engagement de la constitution de la servitude. Plusieurs solutions avaient été émises pour débloquer la situation au sujet de la servitude, notamment l’engagement de la commune à fixer un délai de cinq ans pendant lequel la servitude ne serait pas utilisée, en le mentionnant si nécessaire dans l’acte notarié.

e. En juillet 2022, les copropriétaires ont informé la commune qu’à la suite de leur séance de mai 2022, ils avaient voté sur la constitution de la servitude en sa faveur mais que l’unanimité n’avait pas été atteinte, de sorte que sa demande était refusée.

Ils ont, à cette même époque, également indiqué au département souhaiter poursuivre l’instruction de leur demande APA 2______ malgré le préavis négatif de la commune. Sa demande de création d’une servitude liée à l’autorisation d’un habitat groupé de huit appartements (DD 1______) était illégitime. La teneur des actes d’achat ne faisait pas mention de la servitude à créer. Le préavis consultatif de la commune ne figurait pas dans la liste des préavis faisant partie intégrante de l’autorisation de construire. Aucun projet de la commune ne justifiait à ce jour une servitude de passage frappant uniquement la parcelle no 5'315.

f. Le 16 août 2022, cette autorisation a été octroyée, conformément à la version n° 4 du projet du 7 juillet 2022, par le département et publiée le même jour dans la FAO. Le préavis de la commune n’y était pas mentionné.

g. Par courrier du même jour, le département a informé la commune de la délivrance de cette autorisation.

Il ne pouvait pas exiger l’inscription de la servitude sollicitée par la commune pour pouvoir élargir, dans le futur, le chemin O______ compte tenu des éléments du projet, susceptibles de perturber sa constitution, puisque cette servitude n’était prévue dans aucun plan d’affectation en vigueur. De plus, il ne s’agissait pas d’une prescription du droit de la construction, de sorte que sa constitution ni le respect de son tracé ne pouvaient être imposés à la requérante de l’autorisation litigieuse. Par ailleurs, l’OCT avait rendu un préavis favorable, sans relever de difficulté quant à la largeur du chemin O______.

S’agissant de la procédure DD 1______, le préavis communal mentionnant la constitution d’une servitude n’avait pas été repris au titre de condition de l’autorisation délivrée. L’engagement qu’aurait pris l’architecte dans son courrier du 29 novembre 2018 concernait une question de droit privé, exorbitante à la procédure d’autorisation de construire.

D. a. Par jugement du 4 mai 2023, le TAPI a rejeté le recours de la commune.

Contrairement à l’avis de cette dernière, le TAPI a écarté l’argument selon lequel était nécessaire le dépôt d’une demande d’autorisation de construire complémentaire, en lieu et place de la voie de la procédure accélérée. En effet, le projet portait sur la création d’un portail et d’une zone de levée des ordures, lesquels impliquaient la modification de la rampe d’accès au sous-sol, le déplacement des places de parcs extérieurs et la démolition-reconstruction d’un mur de soutènement. Il ne visait ainsi pas à modifier la construction principale, à savoir l’habitat groupé autorisé dans la procédure DD 1______, mais seulement à y adjoindre un nouveau portail séparé et une zone de levée d’ordures, ainsi qu’à procéder à l’adaptation d’autres éléments mineurs à l’extérieur. Tous ces éléments étaient ainsi indépendants de la construction initiale, de sorte que c’était à raison que le département n’avait pas exigé le dépôt d’une demande d’autorisation de construire complémentaire et avait considéré que le projet devait être traité par une demande distincte.

Par ailleurs, le département était fondé à traiter la demande par la voie de la procédure accélérée. En effet, les éléments prévus dans les plans visés ne varietur de l’autorisation querellée portaient sur des ajouts et modifications extérieures mineurs, lesquels n’avaient pas d’effets perceptibles sur l’environnement direct et ne modifiaient pas l’aspect général de la construction autorisée par la DD 1______, notamment au niveau de ses façades. Ces ajouts auraient notamment pour effet de nécessiter le léger déplacement des places de stationnement par rapport aux plans de l’autorisation de construire DD 1______ et la réduction de la surface de la rampe d’accès au garage en sous-sol. Il s’agissait dès lors manifestement d’effets mineurs. En outre, la réalisation de ces éléments était conforme à la zone 5 et ne nécessitait l’octroi d’aucune dérogation. Hormis la commune, toutes les autres instances consultées avaient émis des préavis favorables, avec ou sans conditions, notamment l’office cantonal de l'agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) et l’OCT.

Était aussi écarté l’argument, selon lequel l’octroi de l’autorisation litigieuse serait conditionné au respect du préavis de la commune du 5 avril 2022 sollicitant la constitution d’une servitude en sa faveur. Il en allait de même du grief y relatif tiré d’une violation du principe de la confiance au motif que les copropriétaires et le département seraient de mauvaise foi. En effet, aucune disposition de la LCI ou de son règlement d’application, ou d’autres lois comme la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) ou la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40), ne prévoyaient expressément la possibilité pour l’autorité intimée d’imposer à un propriétaire l’inscription d’une servitude de passage.

La question de savoir si le département pouvait conditionner la délivrance d’une autorisation de construire à la constitution d’une servitude de droit privé pouvait rester indécise. En effet, l’autorisation litigieuse ne comportait aucune référence à un quelconque préavis de la commune, notamment au niveau des préavis repris à titre de conditions qui lui étaient assorties (ch. 7). En outre, dans le cadre de l’autorisation DD 1______, le préavis de la commune du 12 octobre 2018, conditionnant son préavis favorable à la constitution d’une servitude, n’avait pas été formellement repris dans les conditions assorties à cette autorisation, puisque son chiffre 5 n’en portait aucune trace. Ledit préavis communal n’était mentionné qu’au niveau du « nota bene », dans lequel il était clairement indiqué que cette mention avait été faite à titre informatif. La commune ne pouvait donc pas se plaindre du fait que le département n’avait pas repris son préavis à titre de condition liée à la DD 1______, dès lors que celle-ci était entrée en force, sans avoir été contestée. Il était ainsi manifeste que le département n’avait jamais choisi de suivre l’avis de la commune et d’incorporer comme condition à la délivrance de l’autorisation de construire la constitution d’une servitude de passage demandée, tant dans le cadre de la DD 1______ que dans celui de l’APA 2______. Dans cette mesure, aucune violation de la bonne foi ne pouvait être admise puisqu’à teneur du dossier, le département ne s’était jamais engagé à exiger la constitution de la servitude demandée par la commune et n’avait jamais fourni de garanties en ce sens. Par conséquent, la décision querellée n’était pas entachée d’un quelconque vice devant entraîner sa nullité sous l’angle du droit public des constructions.

Enfin, la commune avait pu s’exprimer à plusieurs reprises sur le projet au cours de son instruction et avait manifesté son désaccord avec celui-ci. Elle ne pouvait dès lors pas prétendre que son droit d’être entendu aurait été violé, ni qu’elle n’aurait pas eu la possibilité d’avoir connaissance du projet avant l’octroi de l’autorisation litigieuse en raison de la procédure accélérée. Elle ne pouvait pas non plus se prévaloir du droit de consultation de tiers intéressés, faute d’intérêt digne de protection. À titre superfétatoire, les négociations en vue de la constitution d’une servitude entre la commune et les précédents propriétaires ainsi que les engagements pris par la notaire, ne ressortaient pas d’une problématique du droit public des constructions. Il ne s’agissait dès lors que d’une stricte question de droit privé, laquelle était exorbitante au litige.

E. a. Par acte expédié le 5 juin 2023, la commune a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation, ainsi que principalement à la nullité de l’autorisation litigieuse, subsidiairement à l’annulation de celle-ci et plus subsidiairement au renvoi de la cause au TAPI pour nouvelle décision. Elle invoquait la violation des règles applicables à la procédure accélérée et celle du principe de la bonne foi au sens de l’art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), pour les motifs développés plus bas dans la mesure utile au litige.

b. M______, L______ ainsi que N______, quatre des copropriétaires de la parcelle concernée, ont conclu au rejet du recours et se sont rapportés à justice quant à une amende pour plaideur téméraire.

c. Le département s’est rapporté à justice quant à la recevabilité du recours et a, sur le fond, conclu à son rejet.

d. La commune a répliqué et persisté dans ses conclusions.

e. Les parties ont ensuite été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours de la commune, sur le territoire de laquelle est prévu le projet litigieux, est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 145 al. 2 LCI).

2.             La recourante estime, à l’appui du grief tiré d’une violation du principe de la bonne foi, que la constitution de la servitude d’une bande de 2 m sur la parcelle litigieuse, le long du chemin O______, aux fins de l’élargissement futur de cette voie publique communale destinée à usage de route ou de chemin, est une condition de l’autorisation DD 1______, faute de quoi elle n’aurait pas préavisé favorablement la dérogation ayant permis la construction de l’habitat groupé sur ladite parcelle.

Le département, suivi du TAPI, s’opposent à l’argumentation de la commune considérant que le préavis de celle-ci ne figure pas dans la liste des préavis faisant partie intégrante de cette autorisation. Les copropriétaires adhèrent au jugement querellé et se prévalent en outre de l’absence de mention de cette servitude dans les actes de vente de droit privé, à l’origine de leur propriété sur ladite parcelle.

3.             L’objet du présent litige porte sur la conformité au droit de l’autorisation APA 2______, en tant que celle-ci ne respecte pas la servitude de 2 m sollicitée par la commune dans son préavis du 12 octobre 2018, rendu en lien avec l’autorisation DD 1______. Il n’est pas contesté que l’autorisation DD 1______ est entrée en force et qu’elle a permis la construction des logements appartenant aux copropriétaires en tout cas depuis le 16 décembre 2021, en vertu de la dérogation fondée sur l’art. 59 al. 4 let. a LCI aux rapports de surface.

Les parties admettent également que l’autorisation DD 1______ de janvier 2019 renvoie, dans un « nota bene » mis en évidence, audit préavis de la commune, favorable sous réserves, et que celui-ci est annexé à cette décision en force. Hormis les copropriétaires se prévalant d’arguments ressortissant au droit privé, il n’est pas contesté que la notaire et l’architecte en charge du projet de construction DD 1______ ont accepté d’établir une servitude de 2 m sur l’actuelle parcelle le long du chemin O______, devant être libre de construction, en faveur de la commune, comme le démontrent les documents susmentionnés à ce sujet, établis en novembre 2018 à la suite de la demande de la commune du 20 août 2018. Dans ce courrier adressé au département, la commune a signalé que l’implantation du projet de construction de l’habitat groupé était trop proche de l’axe du chemin O______ et qu’il empêchait son développement futur ; elle a sollicité l’établissement, en sa faveur, d’une servitude à destination d’élargissement de route d’une largeur de 2 m. L’architecte et la notaire ont donné suite à cette demande, notamment par l’attestation de la notaire du 26 novembre 2018 certifiant avoir été mandatée pour constituer ladite servitude et accompagnée du plan de servitude établi par des géomètres le 15 novembre 2018 avec la mention en rouge « ORIGINAL RF ».

L’existence de ces faits n’est pas contestée, mais la force obligatoire de la servitude de 2 m sollicitée par la commune, aux fins d’élargir le chemin O______ compte tenu des projets en cours indiqués aux copropriétaires en mai 2022, est litigieuse.

4.             Avant d’examiner la qualification juridique de l’exigence liée à cette servitude, il convient de rappeler les conditions d’octroi d’une autorisation de construire prévues par le droit fédéral.

4.1 Selon l’art. 22 al. 2 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), l’autorisation de construire est délivrée si la construction ou l’installation est conforme à l’affectation de la zone (let. a) et si le terrain est équipé (let. b). Le droit fédéral et le droit cantonal peuvent poser d’autres conditions (art. 22 al. 3 LAT).

4.2 L’autorisation DD 1______ porte sur la construction, en zone 5, d’un habitat groupé comportant plusieurs logements et dérogeant au rapport des surfaces compte tenu de sa très haute performance énergétique en vertu de l’art. 59 al. 4 let. a LCI qui prévoit entre autres, à titre de condition, la consultation de la commune. Cette condition n’implique pas, comme cela a déjà été jugé par la chambre administrative et confirmé par le Tribunal fédéral, que le préavis communal doit être obligatoirement positif. Il demeure un préavis consultatif au sens de l’art. 3 al. 3 LCI (ATA/1301/2019 du 27 août 2019 consid. 6 et 7 ; ATA/699/2015 du 30 juin 2015 consid. 8 ; ATA/828/2015 du 11 août 2015 consid. 7, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_476/2015 du 3 août 2016 consid. 4.3). Ainsi, la force obligatoire de la servitude revendiquée par la recourante ne découle pas de l’exigence posée à l’art. 59 al. 4 let. a LCI concernant la consultation de la commune, ce que la recourante ne conteste d’ailleurs pas.

4.3 Outre les conditions posées dans les préavis mentionnés dans l’autorisation de construire DD 1______, entrée en force faute de recours à son encontre, il y a lieu de relever que son octroi présuppose la vérification de la condition de l’équipement au sens de l’art. 22 al. 2 let. b LAT par le département et sa réalisation dans le cas d’espèce. Selon l’art. 19 al. 1 ab initio LAT, un terrain est réputé équipé lorsqu’il est desservi d’une manière adaptée à l’utilisation prévue par des voies d’accès.

4.3.1 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une voie d'accès est adaptée à l'utilisation prévue lorsqu'elle est suffisante d'un point de vue technique et juridique pour accueillir tout le trafic de la zone qu'elle dessert (ATF 121 I 65 consid. 3a et les arrêts cités). Il faut aussi que la sécurité des usagers soit garantie sur toute sa longueur, que la visibilité et les possibilités de croisement soient suffisantes et que l'accès des services de secours et de voirie soit assuré. La loi n'impose pas des voies d'accès idéales ; il faut et il suffit que, par sa construction et son aménagement, une voie de desserte soit praticable pour le trafic lié à l'utilisation du bien-fonds et n'expose pas ses usagers ni ceux des voies publiques auxquelles elle se raccorderait à des dangers excessifs. Les accès doivent être garantis tant sur le plan juridique que factuel au moment de la délivrance du permis de construire (arrêts du Tribunal fédéral 1C_341/2020 du 18 février 2022 consid. 3.1 et 3.3.1 ; 1C_424/2019 du 2 avril 2020 consid. 3.1 et les références citées).

4.3.2 L’examen d’un accès suffisant sur le plan juridique implique au moins trois aspects : la conformité au droit de l’environnement, celle aux principes majeurs de l’aménagement du territoire et la question du droit d’usage (Eloi JEANNERAT in Heinz AEMISEGGER/Pierre MOOR/Alexander RUCH/Pierre TSCHANNEN [éd.] Commentaire pratique LAT : planifier l’affectation, 2016, n. 30 et 34 ad art. 19 LAT). Sur ce dernier point, le droit d’accès à un terrain découle du fait qu’une route ou un chemin, public ou privé, est affecté à l’usage commun. On considère parfois qu’une éventuelle servitude ne doit pas forcément avoir été inscrite au registre foncier lors de l’octroi du permis de construire, mais qu’elle doit au moins avoir été convenue, le cas échéant soumise à la condition suspensive qu’elle sera valide dès l’obtention du permis de construire (Eloi JEANNERAT, op. cit., n. 35 ad art. 19 LAT).

4.3.3 S’agissant de l’accès suffisant sur le plan technique, l’aptitude d’une voie d’accès à assurer la desserte d’une parcelle ou d’un quartier dépend de l’ensemble de circonstances qui varient dans chaque cas. Parmi les éléments à prendre en compte à cet effet, on peut citer les particularités du terrain et du tracé de la voie d’accès (largeur, longueur, revêtement, pente) et la fréquentation de celle-ci, étant rappelé que les autorités cantonales et communales compétentes bénéficient d’un grand pouvoir d’appréciation lorsqu’elles apprécient la suffisance technique d’une voie d’accès. Les exigences concrètes en matière d’accès découlent souvent des normes techniques qu’il convient d’appliquer en tenant compte des circonstances concrètes et du principe de proportionnalité (Eloi JEANNERAT, op. cit., n. 26-28 ad art. 19 LAT). La jurisprudence prend en compte le nombre d’unités d’habitations prévues par le projet litigieux, le nombre de places de parc y relatif, le nombre d’unités de logement de la zone concernée, la possibilité de croisement entre les véhicules, les piétons et les cyclistes compte tenu des circonstances particulières, la configuration du chemin d’accès, l’augmentation du trafic générée par celle du nombre de résidents dans les logements projetés (arrêts du Tribunal fédéral 1C_471/2020 du 19 mai 2021 consid. 3.1.1 ; 1C_589/2020 précité consid. 3.2.1).

4.3.4 Dans le cadre de l’interprétation et de l'application de la notion d'accès suffisant, les autorités communales et cantonales disposent d'une importante marge d'appréciation que le Tribunal fédéral doit respecter, en particulier quand il s'agit d'évaluer les circonstances locales (ATF 121 I 65 consid. 3a in fine p. 68 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_210/2018 du 11 décembre 2018 consid. 11.1 et les arrêts cités).

Les autorités compétentes ne doivent pas se limiter à apprécier la suffisance d’un accès au vu de l’ultime portion de chemin menant à la construction ou installation projetée. Il convient d’analyser la situation dans sa globalité afin d’assurer – ou de ne pas mettre en péril – un accès durable pour l’ensemble des zones à bâtir. Ainsi, un accès routier n’est pas suffisant sur le plan juridique, non seulement lorsque sa réalisation a pour effet de supprimer l’accès à plusieurs autres biens-fonds, mais également lorsqu’il ne pourra pas supporter le développement attendu de l’ensemble de la zone qu’il équipe ou qu’il est censé équiper (Eloi JEANNERAT, op. cit., n. 29 ad art 19 LAT).

Comme le souligne cet auteur, le Tribunal fédéral reconnaît un large pouvoir d’appréciation aux autorités cantonales ou communales qui peuvent se fonder sur le développement concret et prévisible dans un avenir proche, sans tenir compte d’un hypothétique besoin de desserte d’autres parcelles (arrêts du Tribunal fédéral 1C_667/2017 du 18 juin 2018 consid. 2.4 ; 1C_257/2011 du 3 octobre 20211 consid. 5.2 et 5.3 ; Eloi JEANNERAT, op. cit., note de bas de page 100 n. 29 ad art 19 LAT). Le fait de se baser sur les besoins actuels et le développement concrètement prévisible n’est pas contraire à la planification de l’équipement des zones à bâtir exigée par le droit fédéral. À cet égard, le Tribunal fédéral souligne, d’une part, que l’art. 5 al. 1 de la loi fédérale encourageant la construction et l’accession à la propriété de logements du 4 octobre 1974 (LCAP - RS 843) prévoit que l’équipement général et l’équipement de raccordement des zones destinées à la construction de logements doivent être réalisés par étapes adéquates, compte tenu des besoins, dans un délai maximum de dix à quinze ans. D’autre part, il rappelle l’art. 19 al. 2 LAT selon lequel les zones à bâtir sont équipées par la collectivité intéressée dans le délai prévu par le programme d’équipement, si nécessaire de manière échelonnée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_667/2017 précité consid. 2.4).

4.3.5 Même lorsque les conditions des art. 19 et 22 LAT n’apparaissent pas réunies, il n’est pas exclu que des droits fondamentaux puissent s’opposer à une application stricte du droit matériel, en particulier si celle-ci cause une atteinte disproportionnée. Dans l’examen de cette question, il convient de prendre en compte tous les intérêts en présence et de s’assurer que les principes majeurs de l’aménagement du territoire et de la protection de l’environnement ne soient pas compromis. Par ailleurs, l’art. 19 LAT comporte des notions indéterminées qui doivent s’interpréter en tenant compte du principe de la proportionnalité. Ainsi, même si les conditions des art. 19 et 22 LAT n’apparaissent pas réunies, le juge conserve un certain pouvoir d’appréciation et doit procéder à une pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 1C_589/2020 précité consid. 3.2.2).

4.3.6 La notion d’équipement au sens de l’art. 19 al. 1 LAT n’est pas définie de manière directe mais de manière relative en fixant les critères que doit remplir un terrain pour s’avérer équipé. Cette notion relève du droit fédéral et est directement applicable malgré le caractère indéterminé des éléments la composant. Les autorités jouissent ainsi d’une marge d’appréciation importante lors de l’application de l’art. 19 al. 1 LAT. Elles doivent ce faisant prendre garde d’assurer la cohérence du droit fédéral dans son ensemble, de même que tenir compte des normes de droit cantonal qui concrétisent cette disposition (Eloi JEANNERAT, op. cit., n. 16 s ad art. 19 LAT).

Les cantons peuvent de toute façon imposer certaines conditions d’équipement supplémentaires par le biais de l’art. 22 al. 3 LAT. Selon cet auteur, le caractère exhaustif de l’art. 19 al. 1 LAT, qui règle la question de la « viabilisation » ou de l’« habitabilité » d’un terrain, a une implication fondamentale. Les conditions d’équipement supplémentaire imposées par le droit cantonal ne peuvent pas poursuivre uniquement des objectifs de viabilisation ou de bien-être au sens large (par exemple raccordement à un réseau de télécommunication comme un réseau de fibre optique ou un accès Wifi, raccordement à une source d’énergie spécifique). Les conditions supplémentaires de droit cantonal en matière d’équipement doivent poursuivre d’autres intérêts publics que celui d’une stricte viabilisation, comme la protection de l’environnement et l’amélioration de la mobilité de la population (par exemple raccordement à une source spécifique d’énergie indigène et/ou renouvelable, accès en transports publics, etc. ; Eloi JEANNERAT, op. cit., n. 18 ad art. 19 LAT).

4.4 En l’espèce, on peut en premier lieu constater que l’autorisation DD 1______ ayant été accordée, le département a admis que la condition relative à l’équipement au sens de l’art. 19 LAT (art. 22 al. 2 let. b LAT) était réalisée. Cela doit impliquer l’existence d’une voie d’accès adaptée à l’utilisation prévue, c’est-à-dire suffisante sous l’angle juridique et technique, pour accueillir non seulement l’augmentation du trafic générée par la création de logements supplémentaires, mais aussi supporter le développement concret et prévisible dans un avenir proche de la zone en cause. L’appréciation de cette évolution relève du large pouvoir d’appréciation des autorités compétentes, qui doit être exercé dans le respect de la garantie de propriété et du principe de la proportionnalité notamment comme cela ressort de la jurisprudence susmentionnée en lien avec les art. 19 et 22 LAT. Si certes le département est compétent pour l’octroi des autorisations de construire (art. 3 al. 3 3e phr. LCI), l’obligation d’équiper prévue à l’art. 19 al. 2 LAT incombe à la collectivité publique « intéressée » déterminée par le droit cantonal.

5.             Afin de prendre en compte tous les intérêts en présence et de veiller au respect des principes majeurs de l’aménagement du territoire tels qu’un milieu bâti compact (art. 1 al. 2 let. b LAT), la préservation du paysage (art. 3 al. 2 LAT) et le maintien ou la création de voies cyclables et chemins pour piétons (art. 3 al. 3 let. c LAT), il convient de rappeler la législation cantonale pertinente en matière d’équipement routier, réservée par l’art. 22 al. 3 LAT conformément à l’avis d’Eloi JEANNERAT. Cet auteur souligne que les conditions supplémentaires de droit cantonal en matière d’équipement doivent poursuivre d’autres intérêts publics qu’une stricte viabilisation, comme par exemple l’amélioration de la mobilité de la population. Telle est l’intention de la commune comme elle l’explique tant dans son courrier du 20 août 2018 à l’attention du département que lors de la séance de mai 2022 avec les copropriétaires. Lors de celle-ci, la commune rappelle que sa volonté d’établir une servitude de 2 m en sa faveur résulte des projets communaux en cours de développement, comme « l’étude d’une zone de rencontre sur le Quai A______, la potentielle P______ ou encore l’amélioration de la mobilité douce (piste cyclable, trottoir non-linéaire) ».

5.1 En droit genevois, les voies publiques cantonales et communales dès leur affectation par l’autorité compétente à l’usage commun font partie du domaine public mais sont régies par la LRoutes (art. 1 let. a de la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 - LDPu - L 1 05 ; art. 1 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 - LRoutes - L 1 10).

Les voies publiques sont hiérarchisées en réseau routier primaire, réseau routier secondaire et réseau routier de quartier, une carte étant établie à cette fin et l’art. 3A LRoutes définisssant ces notions (art. 3 al. 3 LRoutes). Le réseau routier de quartier a pour fonction de desservir les habitants et les activités (art. 3A al. 3 LRoutes). La loi pour une mobilité cohérente et équilibrée du 5 juin 2016 règle, en sus de la LRoutes, l’utilisation du réseau routier par les autres modes de transport que le trafic motorisé public et privé (art. 3B al. 2 LRoutes). Le règlement concernant la classification des voies publiques du 27 octobre 1999 (RCVP - L 1 10.03) énumère trois catégories de voies publiques : les routes nationales (art. 1 RCVP), les routes cantonales (art. 2 RCVP) et les routes communales principales dans chaque commune, notamment celle A______ (art. 3 RCVP). Le chemin O______ fait partie de l’artère mentionnée, au ch. 3 de la rubrique « Corsier » de l’art. 3 RCVP, en ces termes : « (Partie quai A______/chemin O______/route Q______/route A______/partie route R______), du débarcadère à la limite communale de S______ ». Cette artère est classée route communale principale au sens de l’art. 3 RCVP. La carte de la hiérarchie du réseau routier est établie par le Conseil d’État et réexaminée tous les quatre ans et, au besoin, remaniée (art. 3C LRoutes).

5.2 Sous les dispositions générales de la LRoutes, figurent les deux sections suivantes : la surveillance (section 3, art. 7 ss LRoutes) et l’acquisition et aliénation des terrains (section 4, art. 9 ss LRoutes).

Le département du territoire (art. 5 al. 2 LRoutes) assume la surveillance générale de toutes les voies du canton ouvertes au public (art. 7 al. 1 LRoutes). À ce titre, il statue sur les projets de création ou de modification de voies publiques cantonales et communales ainsi que des voies privées (art. 7 al. 2 ab initio LRoutes). L’autorisation du département porte sur le tracé, le gabarit, les alignements et les niveaux en veillant à ce que soient pris en compte : les besoins des piétons, valides ou handicapés, des deux-roues, des véhicules des transports publics et des services d’urgence, ainsi que les besoins de l’approvisionnement, des livraisons et de l’accès de la clientèle des commerces et des industries (art. 7 al. 3 LRoutes). La LCI est réservée (art. 7 al. 5 LRoutes). L’art. 7 al. 6 LRoutes précise que tout projet « important » de création ou de modification de voies publiques est soumis à l’enquête publique, selon une procédure précisée dans cette loi. L’art. 7 al. 8 LRoutes prévoit une autre procédure lorsque des projets « soumis à l’agrément du département au sens de l’al. 2 sont de peu d’importance » notamment.

Selon l’art. 9 al. 1 LRoutes, l’aliénation de toutes les emprises nécessaires à la réalisation ou l’élargissement des voies publiques est déclarée d’utilité publique. En conséquence, toute acquisition d’emprises ou réservation de terrain au sens de l’art. 8 al. 2 LRoutes, ainsi que toute fixation d’indemnité qui n’a pas lieu de gré à gré, sont soumises aux dispositions relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Par ailleurs, dans le chapitre II consacré à l’établissement, correction et entretien des voies publiques, l’art. 22 LRoutes dispose, à son al. 1, que les travaux de construction, d’élargissement et de correction des voies publiques communales sont étudiés et exécutés sous la direction de la commune, tout en réservant la surveillance du département au sens de l’art. 7 Routes (al. 2). L’art. 23 LRoutes précise que les dépenses résultant des travaux et de l’acquisition des terrains nécessaires sont à la charge des communes.

5.3 En vertu de l’art. 1 al. 1 de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx‑GE - L 7 05), le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique peut être exercé pour des travaux ou des opérations d’aménagement qui sont dans l’intérêt du canton ou d’une commune. Il ne peut être exercé que dans la mesure nécessaire pour atteindre le but poursuivi (art. 1 al. 2 LEx-GE). Les droits réels immobiliers (propriété et droits réels restreints) peuvent faire l’objet de l’expropriation (art. 2 al. 1 LEx-GE). L’expropriation peut être totale ou partielle, définitive ou temporaire (art. 2 al. 2 LEx-GE).

La constatation de l’utilité publique peut résulter d’une loi décrétant d’une manière générale l’utilité publique des travaux, d’opérations d’aménagement dont elle prévoit l’exécution ou de mesures d’intérêt public et appliquant à ceux-ci les dispositions légales sur l’expropriation (art. 3 al. 1 let. b LEx-GE). Tel est le cas de l’art. 9 al. 1 LRoutes. Lorsque l’utilité publique a été constatée, le droit de l’expropriation est exercé par l’État ou par la commune intéressée (art. 4 LEx-GE). Selon l’art. 8 LEx-GE, lorsque l’expropriation tend à la constitution de servitudes, le propriétaire a le droit d’exiger l’expropriation du sol, si les servitudes à constituer sont de nature à empêcher l’utilisation du fonds selon sa destination ou à la gêner dans une trop large mesure. L’expropriation ne peut avoir lieu que moyennant indemnité pleine et entière (art. 14 LEx-GE). Ont notamment droit à une indemnité, le propriétaire de la chose expropriée (art. 16 ab inition LEx-GE), sous réserve de dispositions spéciales.

Enfin, les art. 24 ss LEx-GE réglent les mesures préalables à l’expropriation et l’autorité compétente décrétant l’expropriation. Celle-ci survient par arrêté du Conseil d’État aux conditions précisées dans la loi (art. 30 ss LEx-GE). L’art. 33 LEx-GE interdit, à certaines conditions, à l’exproprié de faire, sans le consentement de l’expropriant, des actes de disposition, de droit ou de fait, qui rendraient l’expropriation plus onéreuse (al. 1).

5.4 L’élargissement du chemin O______ est envisagé par la commune pour les raisons susmentionnées liées à l’amélioration de la mobilité de la population. Si certes l’exécution des travaux et les dépenses relatives à ceux-ci et à l’acquisition des terrains nécessaires incombe à la commune (art. 22 et 23 LRoutes), la réalisation de cet élargissement exige l’octroi d’une autorisation de construire au sens de l’art. 7 LRoutes, ressortant de la compétence du département. Autre est la question de l’acquisition des terrains nécessaires à l’élargissement de la route. À cet effet et en cas d’opposition des copropriétaires, l’aliénation de l’emprise nécessaire sur le terrain de propriétaires privés est déclarée d’utilité publique en vertu de l’art. 9 al. 1 LRoutes, de sorte qu’elle peut intervenir par l’exercice du droit d’expropriation prévue dans la LEx-GE (art. 3 al. 1 let. b LEx-GE), y compris pour la constitution de servitudes (art. 8 LEx-GE). Dès lors, compte tenu du besoin de la commune évoqué plus haut, tendant à élargir le chemin O______, une expropriation pour cause d’utilité publique est une mesure alternative à la constitution, revendiquée par la commune dans le cadre de l’autorisation DD 1______, d’une servitude d’une bande de 2 m sur la parcelle des copropriétaires, le long dudit chemin. À cela s’ajoute l’obligation d’équipement, imposée à la collectivité intéressée par l’art. 19 al. 2 LAT.

6.             C’est à la lumière de ce cadre normatif tant fédéral que cantonal qu’il convient d’examiner la qualification juridique de l’exigence relative à la servitude revendiquée par la commune dans le cadre de l’autorisation DD 1______ et contenue dans cette autorisation, entrée en force faute de contestation.

6.1 Une décision peut comporter, outre la définition des droits et obligations sur lesquels elle porte principalement, des clauses accessoires. Ces dernières font partie intégrante de la décision et partagent sa nature de prescription étatique unilatérale. La validité de la clause accessoire est indépendante de celle du dispositif principal. Elle peut donc être contestée pour elle-même, par les moyens du contentieux administratif (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 848s).

6.1.1 Les clauses accessoires peuvent porter sur l’exigibilité des droits et obligations (ex : délai ou condition suspensive pour qu’une décision déploie ses effets) ou sur l’extinction des effets de la décision (terme ou condition résolutoire entraînant la fin des effets). Elles peuvent aussi constituer des charges, c’est-à-dire des devoirs qui sont imposés au bénéficiaire d’une décision, sans conditionner la validité de celle-ci (ex : devoirs relatifs à l’usage d’une subvention, obligation de compensation écologique en cas d’octroi d’une autorisation de construire dérogatoire). Le non-respect de la charge peut entraîner une procédure d’exécution forcée spécifique à la charge et constituer un motif de révocation de la décision principale, dans le respect des principes constitutionnels, dont la proportionnalité. Il arrive qu’une charge soit qualifiée de condition dans le texte de la décision, ce qui peut faire hésiter sur les conséquences de son non-respect. Il conviendra alors de déterminer sa véritable nature par voie d’interprétation, eu égard notamment au principe de la légalité et au principe de proportionnalité. Selon le Tribunal fédéral, en droit des constructions, en cas de doute, il faut conclure à une charge (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 849 ss ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_8/2019 du 20 mai 2019 consid. 3.4 ; 1C_333/2017 du 22 septembre 2017 consid. 2.5). Dans cet arrêt fédéral de 2019, l’autorisation de construire a été octroyée par la commune avec une charge imposant au bénéficiaire de faire inscrire les servitudes utiles, avant le début des travaux, en faveur de la commune, dans le registre foncier et de soumettre une copie de cette inscription à la commune. Ce devoir constituait une charge et non une condition (arrêt du Tribunal fédéral 1C_8/2019 précité consid. 3.4).

6.1.2 Une clause accessoire ne peut être inscrite dans une décision que si la loi le permet. Lorsque le prononcé d’une décision ne laisse à l’autorité aucun pouvoir d’appréciation et que la loi ne prévoit pas la clause accessoire envisagée, celle-ci ne saurait être adoptée. Les clauses accessoires qui ne font que reprendre des exigences générales posées par la loi doivent être considérées comme implicitement admises par celle-ci. Il n’est donc pas nécessaire que le procédé de la clause accessoire soit explicitement prévu par la loi. Tel est le cas des autorisations de construire usuellement accompagnées d’une longue série de charges. La jurisprudence admet que la possibilité d’assortir une décision de conditions ou de charges peut résulter du but de la loi et de l’intérêt public qu’elle poursuit ; de telles clauses accessoires ne sont admissibles que si elles servent effectivement le but légal et l’intérêt public en cause (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 853).

6.1.3 Si une autorisation ou une prestation étatique peut – mais ne doit pas nécessairement – être refusée, l’autorité doit pouvoir aussi assortir son octroi d’une charge ou d’une condition, même si celle-ci n’est pas prévue, au moins implicitement, par la loi. Dans l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, l’autorité peut donc créer des charges sans base légale, mais elle doit respecter les autres principes constitutionnels, particulièrement l’intérêt public et la proportionnalité. On tire de ce dernier principe l’exigence que la charge soit dans une relation pertinente avec l’objet principal de la décision. Subordonner l’aide étatique aux entreprises à la conclusion par celles-ci d’une convention collective de travail a été jugée contraire au principe de proportionnalité par le Tribunal fédéral. Dans la perspective inverse, la proportionnalité peut aussi impliquer qu’une autorisation ou l’octroi d’une prestation soit accordée avec des conditions ou des charges plutôt que d’être simplement refusée (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 854).

6.2 Le principe de la bonne foi consacré aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale et leur commande de s'abstenir, dans leurs relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1).

Le principe de la confiance s'applique aux procédures administratives. Selon ce principe, les décisions, les déclarations et comportements de l'administration doivent être compris dans le sens que son destinataire pouvait et devait leur attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l'ensemble des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (ATF 135 III 410 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2004 du 14 octobre 2004 consid. 2.2.1 ; ATA/1031/2020 du 13octobre 2020 consid. 4a et les références citées). L'interprétation objectivée selon le principe de la confiance sera celle d'une personne loyale et raisonnable (ATF 116 II 431 consid. 3a ; ATA/399/2019 du 9 avril 2019 consid. 2). L'interprétation selon le principe de la confiance s'applique aussi aux déclarations de personnes privées (ATA/548/2018 du 5 juin 2018 consid. 4h et les références citées).

6.3 En droit privé, l’art. 730 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) dispose que la servitude est une charge imposée sur un immeuble en faveur d’un autre immeuble et qui oblige le propriétaire du fonds servant à souffrir, de la part du propriétaire du fonds dominant, certains actes d’usage, ou à s’abstenir lui-même d’exercer certains droits inhérents à la propriété.

Selon l’art. 731 al. 1 CC, l’inscription au registre foncier est nécessaire pour la constitution des servitudes. Les règles de la propriété son applicables, sauf disposition contraire, à l’acquisition et à l’inscription (art. 731 al. 2 CC). L’acte constitutif d’une servitude n’est valable que s’il a été passé en la forme authentique (art. 732 al. 1 CC). La servitude doit être dessinée sur un extrait de plan du registre foncier lorsque son exercice se limite à une partie de l’immeuble et que le lieu où elle s’exerce n’est pas décrit avec suffisamment de précision dans le titre (art. 732 al. 2 CC). Celui à qui la servitude est due peut prendre toutes les mesures nécessaires pour la conserver et pour en user (art. 737 al. 1 CC). Il est tenu d’exercer son droit de la manière la moins dommageable (art. 737 al. 2 CC). Le propriétaire grevé ne peut en aucune façon empêcher ou rendre plus incommode l’exercice de la servitude (art. 737 al. 3 CC).

6.4 Parmi les restrictions de la propriété foncière, l’art. 680 al. 1 CC prévoit que les restrictions légales de la propriété existent sans qu’il y ait lieu de les inscrire au registre foncier. Elles ne peuvent être supprimées ou modifiées que par un acte authentique et une inscription (art. 680 al. 2 CC). Les restrictions établies dans l’intérêt public ne peuvent être ni modifiées, ni supprimées (art. 680 al. 3 CC).

6.4.1 Selon le Tribunal fédéral, les restrictions légales de droit public à la propriété, au sens de l’art. 680 al. 1 CC, peuvent être directes, c'est-à-dire qu'elles existent de plein droit, en application de la loi ou d'un règlement, ou indirectes, auquel cas elles naissent par l'effet d'une décision administrative rendue en application de la loi (arrêt du Tribunal fédéral 1C_74/2021 du 24 janvier 2022 consid. 5.1). Le fait qu’une restriction de la propriété équivalant à une interdiction de bâtir puisse, dans certaines circonstances, exister sans inscription au registre foncier, voire sans que cela soit expressément mentionné dans l’autorisation de construire, ne signifie pas nécessairement pour autant qu’une telle restriction puisse exister sans base légale. Il y aurait en effet une insécurité juridique considérable à reconnaître qu’une restriction de la propriété ne découlant pas directement de la loi soit en force sans inscription au registre foncier ni autre acte formateur, auquel cas les conditions de son existence ne pourraient pas être déterminées avec certitude (consid. 5.2.2).

6.4.2 Dans cette affaire genevoise relative à un transfert de droits à bâtir antérieur ayant pour effet de rendre inconstructible un terrain, contenu dans l’autorisation préalable de construire sans être repris dans l’autorisation définitive de construire, la restriction de la propriété équivalant à une interdiction de bâtir était une restriction légale directe visée par l’art. 680 al. 1 CC. En effet, la restriction reposait sur l’épuisement des droits à bâtir qui découlaient eux-mêmes directement de dispositions précises du règlement des constructions applicable, soit de la loi. Cela étant, il n’existait pas de réglementation contraignante, en particulier aucune disposition réglementant le taux d’occupation du sol, ne permettant de considérer que la construction des bâtiments sur les parcelles voisines aurait scellé le sort de la parcelle litigieuse en la rendant absolument inconstructible en raison de transferts de droits à bâtir. Les actes de planification directrice n’étaient pas suffisants pour fonder l’existence de la servitude de non-bâtir puisque ce type de planification n’était pas opposable aux particuliers (art. 9 LAT). Le caractère inconstructible de la parcelle en cause ne découlait pas non plus d’un plan d’affectation tel qu’un plan localisé de quartier (arrêt du Tribunal fédéral 1C_74/2021 précité consid. 5.2.2).

Ainsi, à défaut de base légale claire quant au potentiel de construction disponible, le Tribunal fédéral a considéré qu’il fallait à tout le moins qu’un acte de puissance publique consacre sans ambiguïté la limitation du droit de construire. Il pouvait notamment s’agir d’une autorisation de construire. Tel était le cas de l’autorisation préalable de construire de 2006 dont il était établi qu’elle prévoyait la constitution d’une servitude de non-bâtir sur la parcelle, contrairement à l’autorisation définitive de construire, entrée en force faute de contestation, qui avait omis de reprendre intégralement les conditions de l’autorisation préalable. Cette question était indépendante de la portée des art. 680 al. 1 et 962 al. 1 CC dont aucune violation n’était constatée (consid. 5.2.2). Le Tribunal fédéral a confirmé l’arrêt cantonal au motif qu’il n’était pas arbitraire de considérer que les éléments décidés dans l’autorisation préalable, qualifiée de décision incidente par la jurisprudence fédérale, avaient cessé de déployer des effets au jour de la décision d’octroi de l’autorisation de construire définitive (arrêt du Tribunal fédéral 1C_74/2021 précité consid. 6.2).

6.5 L’art. 962 al. 1 CC dispose que la collectivité publique ou une autre entité qui accomplit une tâche d’intérêt public est tenue de faire mentionner au registre foncier la restriction, fondée sur le droit public, de la propriété d’un immeuble déterminé qu’elle a décidée et qui a pour effet d’en entraver durablement l’utilisation, de restreindre durablement le pouvoir du propriétaire d’en disposer ou de créer une obligation déterminée durable à sa charge en relation avec l’immeuble. À cet égard, il convient de distinguer les mentions au registre foncier (art. 962 s CC), des droits à y inscrire prévus à l’art. 958 CC (propriété, servitudes, charges foncières, droits de gage).

6.5.1 L’art. 962 al. 1 CC concerne la mention des restrictions de droit public cantonal. Ne peuvent être mentionnées que les restrictions qui affectent directement l’immeuble et sont imposées au propriétaire actuel de celui-ci par une décision administrative. Ces restrictions doivent être durables (Michel MOSSER in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/Denis PIOTET [éd.], Commentaire romand Code civil II, 2e éd., 2016 n. 7s ad art. 962 CC).

Conformément à l’art. 129 al. 1 de l’ordonnance sur le registre foncier du 23 septembre 2011 (ORF - RS 211.432.1), édicté en application de l’art. 962 al. 3 CC, une restriction de la propriété fondée sur le droit public cantonal ayant des effets durables sur un immeuble particulier, qui a été ordonnée dans une décision administrative par une personne chargée d’une tâche publique ou qui résulte d’un contrat de droit administratif, est mentionnée au registre foncier lorsqu’elle concerne les domaines juridiques suivants : la protection de la nature, du patrimoine ou de l’environnement, à l’exception des sites contaminés et pollués (let. a) ; l’utilisation et l’aménagement des cours d’eau (let. b) ; la construction et la police des routes (let. c) ; l’encouragement à la construction de logements (let. d) ; le soutien à l’agriculture et à la sylviculture (let. e) ; la mensuration officielle (let. f) ; le droit des constructions (let. g) ; le droit de l’expropriation (let. h).

6.5.2 La compétence pour requérir ladite mention se fonde soit sur une décision de l’autorité, soit sur un contrat de droit administratif. Quant à ses effets, la mention n’a qu’un effet informatif : elle met en évidence un rapport juridique qui pourrait sinon ne pas être connu de la personne qui consulte le registre foncier. Elle contribue à la sécurité du droit. Négativement, il en résulte que la mention n’a pas de conséquence sur le rapport juridique en question ; l’existence et le contenu de celui-ci sont indépendants de la mention qui n’a donc aucun effet constitutif ou effet guérisseur. Par ailleurs, l’acquéreur de bonne foi d’un immeuble se verra opposer une restriction de droit public quand bien même celle-ci ne fait pas l’objet d’une mention, même si le droit cantonal impose la mention (Michel MOOSER, op. cit., n. 11s et 15s ad art. 962 CC).

7.             En l’espèce, la question délicate à trancher est l’interprétation de l’autorisation DD 1______ en tant qu’elle porte sur la question de la servitude réclamée par la commune et acceptée, comme le démontrent les faits susmentionnés et non contestés, par l’architecte et la notaire en charge du projet dont il n’est pas contesté qu’ils agissent au nom et pour le compte des anciens propriétaires.

7.1 Cette interprétation doit être objectivée conformément au principe de la confiance, c’est-à-dire dans le sens que le destinataire de la décision, loyal et raisonnable, pouvait et devait lui attribuer selon les règles de la bonne foi compte tenu de l’ensemble des circonstances qu’il connaissait ou aurait dû connaître. Il convient ainsi de prendre en compte non seulement le texte de l’autorisation DD 1______, mais également l’ensemble des circonstances connues des parties qui étaient alors, outre la commune et le département, l’architecte et la notaire en tant que représentants des anciens propriétaires.

Certes, la lecture seule de la phrase de l’autorisation DD 1______ relative à la servitude sollicitée par la commune ne permet pas de considérer que la constitution de cette servitude est une obligation exigée par le département compte tenu de sa formulation qui laisse entendre qu’il s’agit uniquement de la communication d’une information. Cela étant, on ne comprend pas pourquoi, s’il s’agit d’un élément qui n’est pas nécessaire, le département fait, dans cette autorisation, expressément référence au préavis de la commune réclamant la constitution de cette servitude, au lieu de simplement taire son existence, et qu’en outre il joint ledit préavis à la décision d’octroi de l’autorisation DD 1______. Ce faisant, outre ce renvoi, expressément mis en lumière malgré son emplacement dans un nota bene, le département complète la décision précitée par une annexe qui est le préavis de la commune du 12 octobre 2018, tel quel, contenant la phrase suivante, déjà évoquée : « Avant la délivrance de l’autorisation de construire, les propriétaires/requérants s’engagent à établir une servitude à usage de route, conformément au plan mobilité accès stationnement du 10.09.2018 et à l’extrait cadastral (1:250) du 12.09.2018 ».

Il s’agit d’un procédé ambigu de la part du département, qui à la fois utilise des termes qui semblent, en apparence, dénués de portée obligatoire (« ci-joint, pour information ») et à la fois reprend, dans une annexe à sa propre décision, les termes originels de la demande de la commune au sujet de la servitude, et ce dans le contexte d’un habitat groupé accueillant des logements supplémentaires dans la zone 5, construit au moyen de la dérogation de l’art. 59 al. 4 let. a LCI. À cela s’ajoute la correspondance très claire, évoquée plus haut, entre la commune, le département, l’architecte et la notaire, intervenue entre le 20 août et le 29 novembre 2018, soit un peu plus d’un mois avant l’octroi de l’autorisation DD 1______. Cette correspondance démontre, de manière claire et indubitable, non seulement l’acceptation de la servitude de 2 m, sur la partie de la parcelle n° 5'315 correspondant à l’ancienne parcelle n° 4'845, mais également sa formalisation par le document susmentionné de la notaire du 26 novembre 2018, le plan de servitude établi le 15 novembre 2018 par des géomètres et l’engagement de la notaire transmis à l’architecte le 26 novembre 2018.

7.2 Dans ces circonstances, il convient de déterminer quel est le sens que devaient, objectivement et de bonne foi, donner la commune et les bénéficiaires de l’autorisation DD 1______ au texte de celle-ci. Certes, celui-ci semble en apparence non obligatoire, mais est en même temps ambigu compte tenu du préavis communal repris par le département à titre d’annexe à l’autorisation DD 1______. On ne perçoit pas pour quelle raison le département a tenu à joindre, à ladite autorisation, le préavis de la commune du 12 octobre 2018, si ce n’est pour lui donner un effet obligatoire, voire pour entériner, de manière contraignante, l’accord entre la commune et les bénéficiaires de cette autorisation découlant des documents clairs et précis établis par la notaire dans la correspondance précitée. Cette lecture est, compte tenu des circonstances particulières, objectivement plausible. Elle est en outre confirmée par la position cohérente de la commune dans le cadre de la demande APA 2______. En effet, cette dernière explique ne pas avoir recouru contre l’autorisation DD 1______ au motif que la constitution de la servitude de 2 m en était un élément obligatoire. Le fait que les copropriétaires n’en aient pas été informés n’est, du point de vue de l’interprétation conformément au principe de la confiance dans le cadre du droit public des constructions et de l’aménagement du territoire, pas déterminant. Cela concerne une problématique ressortant au seul droit privé.

Par conséquent, l’interprétation de l’autorisation DD 1______ conformément au principe de la confiance conduit, en l’espèce, à admettre que l’exigence, sollicitée par la commune, de constituer une servitude de 2 m sur la parcelle appartenant désormais aux copropriétaires, le long du chemin O______, trouve un ancrage juridique et donc contraignant dans cette autorisation, en tant que clause accessoire, plus particulièrement en tant que charge.

Au surplus, cette clause se trouve dans une relation pertinente avec l’autorisation de construire un habitat groupé en vertu de la dérogation de l’art. 59 al. 4 let. a LCI, en zone 5. Son caractère d’utilité publique découle de la loi compte tenu de son objet visant à constituer une servitude à usage de route pour l’élargissement d’une route communale principale, telle que le chemin O______ (art. 3 RCVP), ainsi que de l’art. 9 al. 1 LRoutes déclarant d’utilité publique l’aliénation de tout emprise nécessaire à l’élargissement de voies publiques. Par ailleurs, du point de vue de la proportionnalité, la constitution d’une servitude, à travers une charge prévue dans l’autorisation de construire, est une mesure adaptée à l’objectif d’intérêt public d’assurer la desserte de la zone et d’améliorer la mobilité de ses habitants compte tenu des projets en cours mentionnés par la commune. Cette mesure ne porte en outre qu’une atteinte très limitée à la garantie de propriété eu égard à la réglementation topique cantonale susmentionnée permettant, moyennant une procédure relativement lourde, l’expropriation de l’emprise nécessaire à l’élargissement de la route d’intérêt communal. Cela est d’autant plus vrai lorsque cette emprise est envisagée, comme en l’espèce, sous la forme d’une servitude et déjà au stade de la procédure d’autorisation de construire, c’est-à-dire avant la vente des biens immobiliers construits y relatifs. Le fait que cette information n’ait pas été in casu communiquée aux copropriétaires lors de l’acquisition de leur appartement est un problème relevant du droit privé, et non du droit public des constructions et de l’aménagement du territoire, de sorte qu’il est sans pertinence pour l’issue du présent litige.

8.             Dans la mesure où l’exigence de constituer la servitude de 2 m revendiquée par la commune est une charge prévue, conformément au principe de la confiance, dans l’autorisation de construire DD 1______ entrée en force, elle revêt un caractère obligatoire, à l’instar de ladite autorisation. Elle doit ainsi être qualifiée de restriction légale indirecte à la propriété au sens de l’art. 680 al. 1 CC, conformément à la jurisprudence fédérale susmentionnée, puisque l’exigence de constituer la servitude précitée découle d’une décision administrative, à savoir de l’autorisation DD 1______ en force. En conséquence, sa non inscription au registre foncier n’a pas de conséquence sur son existence ni a fortiori sur sa validité, comme cela découle de l’art. 962 al. 1 CC explicité plus haut.

Dès lors, la demande litigieuse APA 2______ déposée par les copropriétaires doit respecter cette charge, à savoir la servitude de 2 m sur leur parcelle, le long du chemin O______, telle qu’elle ressort des documents de la notaire de novembre 2018 mentionnés plus haut, notamment le plan de servitude du 15 novembre 2018 établi par les géomètres. Comme tel n’est pas le cas, ce qui n’est pas contesté par les parties, l’autorisation APA 2______, délivrée le 16 août 2022 par le département, n’est pas conforme au droit. Elle doit donc être annulée. Il en va de même du jugement querellé.

Par conséquent, le recours de la commune doit être admis pour ce motif. Il n’y a ainsi pas lieu de se prononcer sur son autre grief portant sur le type de procédure suivi par le département pour la demande APA 2______. Il reviendra, le cas échéant, aux copropriétaires de modifier leur projet en tenant compte de ladite servitude qui doit être mentionnée au registre foncier en vertu de l’art. 962 al. 1 CC et 129 al. 1 ORF.

9.             Compte tenu de l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge solidaire des copropriétaires et de B______ SA (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la commune, conformément à la jurisprudence constante de la chambre administrative, pour une commune de moins de dix mille habitants qui a dû recourir aux services d'un mandataire (ATA/974/2022 du 27 septembre 2022 consid. 8 et les références citées). Une moitié sera mise à la charge solidaire des copropriétaires et de B______ SA et l’autre à celle de l’État (département du territoire) (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 juin 2023 par la commune A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mai 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mai 2023 ;

annule la décision du département du territoire APA 2______ du 16 août 2022 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire de la hoirie de Feue C______, soit pour elle D______ et E______ et F______, ainsi que G______, H______, I______, J______ et K______, L______, M______ et N______ et B______ SA ;

alloue à la commune A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge solidaire de la hoirie de Feue C______, soit pour elle D______ et E______ et F______, ainsi que G______, H______, I______, J______ et K______, L______, M______ et N______ et B______ SA pour CHF 500.- et à la charge de l’État de Genève (département du territoire) pour CHF 500.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guillaume FRANCIOLI, avocat de la recourante, à B______ SA, à l'hoirie de Feue C______, soit pour elle D______ et E______ et F______, ainsi que G______, H______, I______, J______ et K______, à Me Andreas FABJAN, avocat de L______, M______ et N______, au département du territoire - OAC, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l’office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juge, et Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :