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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/11/2024

ATA/55/2024 du 19.01.2024 sur JTAPI/4/2024 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/11/2024-MC ATA/55/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 janvier 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Alexandre ALIMI, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 janvier 2024 (JTAPI/4/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 2001, est ressortissant de B______.

b. Le 15 octobre 2018, il a déposé une demande d'asile en Suisse que le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) a radiée le 19 novembre 2018, à la suite de sa disparition.

c. A______ a été condamné par le Tribunal des mineurs le 8 avril 2019, notamment pour délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup – RS 812.121).

d. Par ordonnance pénale du 22 novembre 2019, le Ministère public l’a condamné pour la vente, la veille, de 3,5 gr. de marijuana. L’intéressé a expliqué qu’il se trouvait en Suisse depuis quatre jours, après avoir quitté le territoire en février 2019 pour se rendre en Italie où il avait alors fait établir une carte d’identité au nom d’C______, qui était sa vraie identité.

e. Le même jour, le commissaire de police lui a fait interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois, soit jusqu’au 21 novembre 2020, mesure qu’il a violée le 10 décembre 2019.

f. Par ordonnance pénale du 14 octobre 2022, le Ministère public l’a condamné pour la vente d’une boulette de cocaïne de 1,2 gr. L’intéressé avait reconnu consommer occasionnellement de la cocaïne. Le Tribunal de police a confirmé cette ordonnance le 28 septembre 2023, à la suite de l’opposition formée par l’intéressé.

g. Le 14 octobre 2022, le commissaire de police lui a fait interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois, mesure qu’il a violée à quatre reprises, soit les 27 octobre 2022, 24 avril 2023, 4 juillet 2023 et 9 août 2023, avant d'être incarcéré le 10 août 2023 à la prison D______.

h. Par jugement du 28 septembre 2023, le Tribunal de police a déclaré l’intéressé coupable de délit contre la LStup, d'entrée illégale, de séjour illégal pour la période du 8 au 13 octobre 2022, de violation d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée, d'infraction à l'art. 19a ch. 1 LStup et de souillure, puis l'a condamné à une privative de liberté de cinq mois ainsi qu'à une amende de CHF 400.-.

Son expulsion de Suisse pour une durée de trois ans a été prononcée, expulsion dont l'office cantonal de la population et des migrations, par décision du 14 décembre 2023, a prononcé le non-report.

i. Le 1er novembre 2023, la Brigade migration et retour (ci-après: BMR) a adressé au SEM un formulaire de demande de réadmission de A______ en Italie, conformément à l'Accord européen sur le transfert de la responsabilité à l’égard des réfugiés (RS 0.142.305), dans la mesure où ce dernier bénéficiait de la « protezione sussidiaria » sous son alias « C______ ». Était produite une copie du document de voyage dont était porteur l’intéressé sous cette dernière identité, délivrée par les autorités italiennes le 6 octobre 2022 avec durée de validité jusqu'au 27 septembre 2023.

j. Arrivé au terme de sa peine privative de liberté le 3 janvier 2024, l’administré a été remis en mains des services de police.

k. Le 3 janvier 2024, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de A______ pour une durée de deux mois, retenant comme motif de la détention, notamment, le fait qu'il avait enfreint une interdiction de pénétrer dans une zone.

A______ a déclaré qu’il était d’accord de retourner en Italie tout de suite, mais pas dans deux mois.

B. a. Lors de l’audience qui s’est tenue le 4 janvier 2024 devant le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), A______ a expliqué qu'il aurait dû renouveler son titre de séjour italien alors qu'il était encore en détention et n'avait ainsi pas pu le faire. Il était fatigué de devoir rester en détention. L'expulsion de trois ans lui paraissait faible au regard du fait qu'il n'avait plus aucune intention de revenir en Suisse de toute sa vie. Il demandait de pouvoir immédiatement quitter le territoire suisse, retourner en Italie via la France, faire renouveler ses papiers et poursuivre son avenir en Italie, seul pays d'Europe où il disposait d'une autorisation de séjour et pays dans lequel il avait séjourné jusqu'ici. Il n'y avait pas de famille mais beaucoup d'amis. Il disposait également d'un emploi dans le domaine de la restauration. Si sa détention était levée, il quitterait immédiatement le territoire suisse.

b. La représentante du commissaire de police a déclaré, au sujet du cheminement du formulaire produit en pièce 16, à l'en-tête du SEM, que celui-ci avait été signé par un inspecteur de la BMR le 1er novembre 2023 et adressé au SEM avec les annexes mentionnées afin que celui-ci requière auprès des autorités italiennes la réadmission de A______. Elle ne disposait pas au dossier de la pièce indiquant à quelle date le SEM avait acheminé cette demande aux autorités italiennes mais en pratique cela se faisait immédiatement, soit le jour même soit le lendemain ou au plus tard le surlendemain.

L'absence de réponse des autorités italiennes découlait du fait que, pour les personnes ayant un statut comme celui de A______, les autorités italiennes n'étaient pas tenues de répondre aux autorités suisses dans un délai déterminé et il arrivait dans la pratique que la réponse parvienne dans des délais qui pouvaient aller jusqu'à six mois. Il en découlait de sa pièce 18, d'une part, que les démarches auprès de l'Italie avaient été initiées rapidement et, d'autre part, qu'une confirmation orale avait d'ores et déjà été donnée au SEM par les autorités italiennes, qui devaient encore le faire par écrit.

Une fois que les autorités italiennes auraient donné leur accord à la réadmission de ce dernier, le SEM indiquerait aux autorités genevoises qu'elles pouvaient concrètement organiser le renvoi, qui aurait lieu par voie ferroviaire avec un départ uniquement le mercredi. La personne concernée arrivait au Tessin le même jour et passait la nuit dans un établissement de détention avant d'être remise le jeudi aux autorités italiennes. Cela supposait qu'une place de détention devait être disponible le mercredi soir au Tessin. Elle ignorait si la confirmation donnée oralement par les autorités italiennes dans le cas présent était une pratique systématique du côté du SEM.

c. Par jugement du 4 janvier 2024, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention pour une durée de trois mois, soit jusqu’au 2 mars 2024 inclus.

Les conditions de la détention administrative étaient remplies et celle-ci apparaissait proportionnée, y compris dans sa durée.

C. a. Par acte expédié le 11 janvier 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a recouru contre ce jugement, dont il a demandé l’annulation. Il a conclu à sa libération immédiate.

Depuis l’arrivée de Giorgia MELONI au pouvoir, la politique migratoire en Italie s’était durcie. In casu, les autorités italiennes n’avaient pas répondu à la demande de réadmission, de sorte que la plus grande incertitude demeurait sur la faisabilité et la prévisibilité de son renvoi vers ce pays. Par ailleurs, le recourant ayant déclaré vouloir quitter la Suisse, sa détention administrative ne se justifiait pas.

b. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Les autorités italiennes avaient manifesté leur accord à la réadmission, qui était prévue le 25 janvier 2024. Il a joint un courriel du 22 décembre 2023 du Ministère de l’intérieur italien confirmant que le recourant pouvait être réadmis ainsi que différents courriers et courriels du SEM et du commissaire relatifs à l’organisation du renvoi du recourant, prévoyant son acheminement au Tessin le 24 janvier 2024, l’acceptation de l’hébergement pour la nuit du 24 au 25 janvier 2024 dans un centre de détention au Tessin et sa remise aux autorités italiennes le lendemain.

c. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 12 janvier 2024 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Le recourant se plaint de la violation du principe de la proportionnalité.

3.1 La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale.

3.2 Après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée lorsque des éléments concrets font craindre qu’elle entende se soustraire au renvoi ou à l'expulsion, en particulier parce qu'elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer en vertu de l'art. 90 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI – RS 142.20 ; art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEI), ou encore si son comportement permet de conclure qu'elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (art. 76 al. 1 let. b ch. 4 LEI). Les ch. 3 et 4 de l'art. 76 LEI décrivent tous deux les comportements permettant de conclure à l'existence d'un risque de fuite ou de disparition (arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 3.1).

3.3 Selon la jurisprudence, un risque de fuite – c'est-à-dire la réalisation de l'un des deux motifs précités – existe notamment lorsque l'étranger a déjà disparu une première fois dans la clandestinité, qu'il tente d'entraver les démarches en vue de l'exécution du renvoi en donnant des indications manifestement inexactes ou contradictoires ou encore s'il laisse clairement apparaître, par ses déclarations ou son comportement, qu'il n'est pas disposé à retourner dans son pays d'origine. Comme le prévoit expressément l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEI, il faut qu'il existe des éléments concrets en ce sens (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_381/2016 du 23 mai 2016 consid. 4.1 ; 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.2 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.2).

3.4 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

3.5 Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l'obtention des documents nécessaires au départ auprès d'un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

3.6 La détention doit être levée notamment si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI). L'exécution du renvoi est impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus (arrêt du Tribunal fédéral 2C_984/2020 du 7 janvier 2021 consid. 4.1 et les références).

Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006). Le principe de célérité est violé si les autorités compétentes n'entreprennent aucune démarche en vue de l'exécution du renvoi ou de l'expulsion pendant une durée supérieure à deux mois et que leur inactivité ne repose pas en première ligne sur le comportement des autorités étrangères ou de la personne concernée elle-même (ATF 139 I 206 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1132/2018 du 21 janvier 2019 consid. 3.3).

3.7 En l’espèce, le recourant a fait l’objet d’une décision d’expulsion le 28 septembre 2023 pour une durée de trois ans et de plusieurs condamnations, notamment pour crime contre la LStup et infractions à la LEI. Par ailleurs, il est demeuré, respectivement revenu à Genève malgré les interdictions d’entrer sur le territoire du canton de Genève alors en vigueur. Il est sans domicile fixe, sans aucune ressource financière et n’a pas d’attaches particulières en Suisse.

Compte tenu de qui précède, son comportement laisse apparaître qu’il n’a pas l’intention de retourner dans son pays d’origine ou en Italie et que le risque qu’il disparaisse dans la clandestinité est élevé. Une mesure moins incisive, comme une assignation territoriale, ne paraît pas apte à s’assurer de sa présence lors de cette présentation et au moment du départ de son vol pour son pays d’origine. Seule sa détention permet d’atteindre ce but et s’avère nécessaire, compte tenu de la difficulté prévisible de l’exécution du renvoi en raison de son refus d’être renvoyé et de sa contestation de son origine. L’intérêt public à son renvoi l’emporte également sur son intérêt privé à ne pas subir de détention administrative. Enfin, l’intérêt public à l’exécution du renvoi du recourant est certain, celui-ci ayant notamment commis des crimes et son expulsion judiciaire ayant été prononcée.

Les conditions de la détention administrative sont donc remplies.

Par ailleurs, les autorités suisses ont agi avec célérité. En effet, elles ont formé une demande de réadmission en Italie, qui a entretemps été admise. L’exécution du renvoi est prévue le 24 janvier 2024 et a remise du recourant aux autorités italiennes le 25 janvier 2024. Il ne subsiste donc pas d’incertitude relative à l’exécution du renvoi, qui justifierait de mettre fin à la détention administrative.

Enfin, la durée de celle demeure compatible avec la limite posée par l’art. 79 LEI.

Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

4.             La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 janvier 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 janvier 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alexandre ALIMI, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations ainsi qu'à l'établissement de détention administrative Favra, pour information.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :