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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3760/2023

ATA/2/2024 du 03.01.2024 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3760/2023-EXPLOI ATA/2/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 3 janvier 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Bogdan PRENSILEVICH, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé


Vu, en fait, la décision du 11 octobre 2023 du département des institutions et du numérique (ci-après : DIN), ordonnant à A______, sous la menace de la peine d’amende prévue à l’art. 292 CP, de cesser immédiatement l’exploitation de tout salon de massages ou agence d’escorte dans le canton de Genève et lui interdisant une telle exploitation pendant dix ans, déclarant sur ces deux points la décision exécutoire nonobstant recours, lui infligeant une amende de CHF 1'000.- et mettant un émolument de CHF 500.- à sa charge ;

que, selon cette décision, il ressort d’un rapport de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) que A______ mettait régulièrement les appartements suivants à disposition de personnes exerçant la prostitution : trois appartements à l’avenue B______, deux appartements à la rue C______, deux appartements à la rue D______ et un appartement à la rue E______ ; que ces appartements étaient essentiellement destinés à des travailleuses et travailleurs du sexe ; qu’ainsi, F______ exerçait la prostitution, sans autorisation de travail, au sein de l’appartement n° 1______ sis avenue B______ en compagnie de G______G______, également dépourvu d’autorisation de travail ; qu’interrogé à ce sujet, A______ avait expliqué qu’il louait l’appartement à H______, qui était enregistrée auprès de la BTPI comme travailleuse du sexe et que durant les absences en Espagne de celle-ci, il relouait l’appartement à des tiers ; qu’il avait précisé que I______, femme transgenre, louait l’appartement n° 2______ et qu’au vu de sa « consommation Internet », elle avait probablement « une activité en ligne » ; qu’A______ avait également déclaré que l’appartement sis au rez-de-chaussée de la rue C______ était loué par J______, qui y exerçait la prostitution ; qu’au sujet d’autres personnes auxquelles il louait des appartements, dont plusieurs étaient transgenres, il avait indiqué qu’il pouvait « imaginer qu’il s’agi[ssai]t de prostituées », tout en affirmant qu’il ne le savait pas, car ce n’était pas « [se]s affaires » ;

que dans ses observations, A______ avait contesté exploiter des salons de massages, exposé qu’il n’intervenait d’aucune manière dans l’activité prostitutionnelle et que le fait qu’il avait deviné que certaines personnes se livraient à la prostitution ne suffisait pas à conclure à l’exploitation d’un salon de massages ;

que, constatant l’exploitation de salons de massages ainsi que l’absence de production de baux pourtant demandés, de demande de changement d’affectation et d’annonce à la BTPI préalablement à l’exploitation desdits salons – obligation que l’intéressé devait connaître en sa qualité d’ancien exploitant d’un salon de massages – la décision se justifiait ;

vu le recours formé le 13 novembre 2023 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice par A______ contre cette décision, dont il a demandé l’annulation ; que rien dans ses offres de location des appartements ne faisait référence à la prostitution ; que son activité s’était limitée à la mise en location d’appartements à des personnes seules ; que la notion de « salon de massages éclaté », développée par la chambre administrative, était dépourvue de base légale ; que son activité était celle d’un sous-bailleur ; qu’il vivait de ses revenus ; que la décision portait ainsi atteinte à sa liberté économique ; qu’il a requis, à titre préalable, la suspension de l’exécution de la décision et l’effet suspensif ;

que, se déterminant sur effet suspensif et sur le fond, le DIN a conclu au rejet du recours ;

que le recourant n’a pas répliqué sur effet suspensif dans le délai imparti à cet effet ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par une juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que des mesures provisionnelles, dont fait partie la restitution et le retrait de l'effet suspensif, ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/288/2021 du 3 mars 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020) ;

que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

que la restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que lors du prononcé de mesures provisionnelles, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que toute personne physique qui, en tant que locataire ou sous-locataire exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (art. 9 al. 1 la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst- I – 2.49) ; la personne qui effectue l'annonce est considérée comme personne responsable au sens de la LProst (art. 9 al. 4 LProst) ;

que, selon l'art. 10 LProst, la personne responsable d'un salon doit, notamment, offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée (let. c) ; être au bénéfice d'un préavis favorable du département, confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation a été accordée (let. d) et ne pas avoir été responsable, au cours des dix dernières années, d'un salon ou d'une agence d'escorte ayant fait l'objet d'une fermeture et d'une interdiction d'exploiter au sens des art. 14 et 21 LProst (let. e) ;

qu’à teneur de l'art. 8 LProst, la prostitution de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public (al. 1), ces lieux, quels qu'ils soient, sont qualifiés de salons par la LProst (al. 2), toutefois, le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers, n'est pas qualifié de salon (al. 3) ;

qu’en l’espèce, la requête de restitution de l’effet suspensif tend à permettre au recourant de continuer à exploiter, durant la présente procédure, ses appartements à des fins de prostitution et à en exploiter d’autres ;

que selon le rapport de la BTPI du 4 juillet 2023, deux hommes pratiquaient la prostitution dans l’appartement n° 1______ sis au 1er étage de l’avenue B______, mis à disposition par le recourant ; qu’au moins huit personnes à qui ce dernier reconnaissait avoir loué un appartement étaient des travailleuses du sexe ; que l’une d’entre elles, avait d’ailleurs précédemment travaillé pour le salon « K______ », exploité par le recourant ; qu’il avait déclaré payer un loyer de CHF 1'860.-, charges comprises, mais qu’il réclamait à H______ un loyer de CHF 3'000.- par mois ; qu’en l’absence de celle-ci, le loyer était de CHF 700.- par semaine ; que le loyer pour l’appartement sis au 3ème étage de l’immeuble précité était de CHF 1'800.-, charges comprises, et qu’il le sous-louait CHF 3'603.- à une femme transgenre ; qu’il savait que J______ était travailleur du sexe et enregistré à ce titre auprès de la BTPI ; qu’il lui louait un appartement pour CHF 700.- par semaine, alors qu’il s’acquittait d’un loyer mensuel de CHF 1'320.- ; qu’il réalisait un revenu mensuel de CHF 3'400.- tiré de ces locations, au travers de sa société L______ ; qu’il concluait les contrats de location oralement ; qu’il ressort de la suite de sa déposition qu’il sous-louait ses appartements, en général, à la semaine pour le montant de CHF 700.- ;

que ces éléments – que le recourant ne conteste pas – rendent, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, vraisemblable que celui-ci savait que les appartements qu’il sous-louait étaient destinés à la prostitution et non à l’habitation ;

que le recourant a d’ailleurs indiqué qu’il avait « deviné » que tel était le cas ;

qu’il en retire des revenus importants ;

qu’il ne conteste pas qu’il ne s’est pas annoncé auprès de la BTPI et ne soutient pas qu’il remplirait les conditions personnelles prévues à l’art. 10 LProst, condition qu’il connaît parfaitement, ayant déjà exploité des salons de massages par le passé ;

qu’au vu de ces éléments, il ne peut être retenu que les chances de succès de son recours justifieraient de restituer l’effet suspensif, ce qui lui permettrait de continuer à exploiter les salons de massages existants et à en exploiter d’autres durant la présente procédure ;

que, par ailleurs, l’intérêt public à ce que la réglementation régissant la prostitution soit respectée est important, celle-ci tendant à garantir, notamment, qu'il ne soit pas porté atteinte à la liberté d'action des personnes qui se prostituent, que celles-ci ne soient pas victimes de la traite d'êtres humains, de menaces, de violences, de pressions ou d'usure ou que l'on ne profite pas de leur détresse ou de leur dépendance pour les déterminer à se livrer à un acte sexuel ou d'ordre sexuel (art. 1 let. a LProst) ;

que ces intérêts prévalent sur ceux du recourant à préserver ces sources de revenus ;

qu’au vu de ce qui précède, la requête de restitution de l’effet suspensif sera rejetée ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais de la présente décision.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête en restitution de l’effet suspensif ;

réserve le sort des frais de la présente décision à la décision au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Bogdan PRENSILEVICH, avocat du recourant, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

 

 

La vice-présidente :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :